Chris était nonchalamment adossé contre le mur de la prison, assis sur un tonneau. Il regardait les allées et venues des passants dans la rue principale. C'était une journée calme, ce qui était, disons le, assez rare. C'est pourquoi il en savourait chaque instant. Soudain, il entendit des cris venir du saloon. Cela faisait une heure que ça durait.

Mais il ne s'inquiéta pas, il savait très bien ce qu'il se passait. Il s'y déroulait une partie de poker et les paris devaient aller bon train, aussi y avait-il des contents et des mécontents. A l'intérieur du saloon, en effet, il y avait de l'animation, tout le monde était regroupé autour de la table centrale où se trouvait le point de mire du tableau. Ezra était bel et bien en train de faire un poker, mais son adversaire était des plus atypique. Quand on perçait la foule attroupée autour de cette table de jeu, on pouvait apercevoir une jeune femme châtain, adossée gentiment à sa chaise, cartes en main, le fixant avec contrôle voir neutralité. Quelque chose de bien utile au poker. Elle était vêtue comme un homme. Mais son chapeau était posé sur une autre chaise, avec son sac. Elle ne quitta pas Ezra des yeux, attendant que ce dernier décide ou non de relancer davantage. Ezra analysa ses cartes d'un air canaille, il avait un très bon jeu. Il pouvait décider de relancer, se coucher ou sortir ses cartes. Il avait une couleur. Inutile de préciser comment il avait réussi à l'obtenir, mais ce n'était pas de manière régulière. D'ailleurs, au fond, la neutralité du regard de la jeune femme le gênait. Il ne savait pas quoi en penser. Il préféra partir du principe qu'elle ne l'avait pas remarqué et abattit ses cartes en déclarant avec son plus magnifique sourire de vainqueur :

- J'ai une couleur. Et vous, ma chère, qu'en est-il de votre jeu ? Pensez-vous pouvoir faire mieux que votre admirable adversaire ?

Cette dernière plissa une seconde ses yeux, puis lança péremptoirement mais calmement, avec assurance :

- Sans la moindre tricherie ? Ca ne fait aucun doute.

Elle inspira doucement, et sourit enfin légèrement. Elle sembla dans l'expectative d'une répartie de la part du jeune homme.

Celui-ci saisit d'ailleurs la perche qui lui était tendue, sans se départir de son sourire :

- Dois-je déduire de cette expression que votre chance serait supérieure à la mienne ?

Athéna Williams continua de sourire discrètement, et rétorqua, sans cesser de le scruter :

- Vous pouvez surtout en déduire que vous êtes cuit.

Le sourire d'Ezra se figea quelques secondes, puis se fit plus crispé. Il articula avec difficulté :

- Qu'est-ce que... Qu'est-ce que vous entendez exactement par "vous êtes cuit" ?

- J'entend par là que je ne suis pas aveugle, ni tombée de la dernière pluie. Et que c'est pas la première fois qu'on me fait le coup. Alors, faites honneur à l'allure de gentleman respectable que vous voulez qu'on vous reconnaisse, et laissez tomber le numéro que vous êtes en train de me monter.

Elle avait dit ça sans agressivité aucune. Toujours très douce et courtoise.

Ezra prit une mine affectée, après tout, il y avait du monde autour d'eux, c'est sa réputation qui était en jeu.

- Seriez-vous en train d'insinuer que j'ai triché ? Je ne goûte que très peu ce genre de médisances.

- Y' a que la vérité qui blesse.

Buck qui avait observé la scène depuis le comptoir, se sentit l'envie d'intervenir :

- Ezra. Mademoiselle. Il semblerait qu'un différend vous oppose...

Ezra répondit, tentant de se maîtriser :

- Cette... Femme essaie de me faire croire que j'ai triché. Or, c'est faux, j'ai obtenu ces cartes au hasard du jeu !

- Aaah ! C'est donc ça ! Dit Buck d'un ton amusé. Mais, elle dit peut-être la vérité. Après tout, ce ne serait pas la première fois hein Ezra ?

- Merci de ton fervent soutien ! Siffla ce dernier.

Le visage de Buck s'illumina d'un grand sourire moqueur.

Athéna se leva doucement, se dirigea vers Ezra, et se pencha vers lui pour lui murmurer :

- Je vais vous faire une fleur, car je vois que vous tenez à votre réputation. Couchez-vous maintenant, donnez-moi l'argent que je viens de gagner honnêtement, moi. Et votre image de grand gagnant sera sauve. Osez refuser, et vous porterez l'estocade devant tous vos petits copains... Votre réponse ?

Ezra garda un visage neutre, mais ses beaux yeux clairs traduisaient la colère qui bouillait en lui. Il réfléchit quelques instants, hésitant sur la marche à suivre. Buck quant à lui l'observait d'un air apparemment détaché mais où se devinait une énorme envie de rire. Athéna attendait toujours la réponse, penchée sur Ezra, attentive mais déterminée. Un homme s'approcha derrière, elle prit le temps de se retourner pour le lorgner d'un air froid, puis t‚ta son arme. Elle secoua ensuite négativement la tête. Il recula. Elle se tourna de nouveau vers Ezra. Il allait répondre quand un grand chahut se fit entendre à l'extérieur. Des bruits de chevaux et des cris. Le saloon se vida instantanément, ne resta qu'Ezra et Athéna. Celui-ci finit par lui répondre, poussant à elle les billets étalés sur la table :

- Prenez-les, puisque vous y tenez tant. Mais sachez que votre opinion me concernant est infondée !

Athéna prit les billets en répondant :

- Même à l'abri du regard des autres, vous persistez à nier. Ne me forcez pas à vous faire vider vos manches...

- Vous n'y trouverez que de quoi me défendre en cas de face-à-face avec un mauvais perdant. Sur ce, mademoiselle.

Il inclina légèrement la tête en signe de salut, enfila sa veste et mit son chapeau puis il se dirigea vers la porte pour voir ce qui se passait dehors.

Athéna le regarda partir, plus amusée qu'autre chose, puis alla à son tour jeter un œil dehors en remettant son chapeau.

La diligence venait d'arriver dans la rue avec force fracas. En général, elle ne s'arrêtait pas ici. Pourtant, elle sembla ralentir de façon indicible. Soudain la porte s'ouvrit dans un mélange de cris et de rires mauvais. Une jeune femme fut propulsée hors du véhicule par les passagers qui l'occupaient. La diligence, loin de s'arrêter, continua sa route à vive allure jusqu'à disparaître de l'autre côté de la rue, dans un grand éclat de rires et un nuage de poussière. Athéna, blasée, toussota car noyée dans un nuage de poussière encore épais. Puis, elle agita son chapeau nonchalamment.

Le calme retomba peu à peu dans la grande rue. Buck s'avança d'un pas rapide vers le corps inerte de la jeune fille. Il la retourna et constata avec indignation que les hommes de la diligence ne l'avait pas épargnée. Il la prit dans ses bras et cria à Ezra :

- Va chercher Nathan ! Elle est salement amochée !

Ezra resta coi une seconde, puis balbutia :

- Euh... oui.

En croisant Athéna, il s'arrêta brièvement pour la regarder avec gêne, puis traça sa route jusqu'à Nathan. Athéna s'avança à pas lents vers Buck et la blessée, et pencha la tête sur le côté pour examiner la situation. Le tableau faisait peine. La jeune fille avait le visage et les bras en sang, marqués par les coups et par sa chute brutale. Buck demanda à Athéna :

- Est-ce que vous pourriez m'aider à l'emmener dans une des chambres du saloon ? Ca lui fera pas de mal d'être posée sur un lit.

- Bien sûr. Si je pouvais aussi vous aider à retrouver les abrutis qui ont fait ça, je n'y manquerais pas.

Sur ce, Athéna pris les pieds de la jeune fille et ils la transportèrent dans la première chambre libre.

Une fois qu'elle fut couchée, Buck prit un peu plus de temps pour l'observer. Elle était brune, ses cheveux étaient longs et bouclés et les traits fins. Elle portait un bustier rouge et noir décoré de dentelle et une jupe longue, dans les mêmes tons. Il comprit alors tout de suite. La jeune fille était une prostituée. Soudain, dans une demi conscience, elle remua les lèvres et murmura des mots apparemment inintelligibles. Buck tendait l'oreille le plus possible pour comprendre mais n'y parvenant pas, il murmura :

- J'y comprends rien ! Qu'est-ce qu'elle raconte ?

Athéna était restée dans la chambre quelques secondes. Elle tendit l'oreille, et fronça les yeux pour la première fois. Puis, elle se pencha en disant à Buck :

- Sa gorge est sèche. Il lui faut de l'eau. Et un linge... Avec plus de force et moins de stress, elle parviendra à nous dire quelque chose d'intelligible.

- Vous êtes médecin ? demanda celui-ci. D'ailleurs, où est Nathan ? Qu'est-ce qu'il fabrique ?

- Pas besoin d'être médecin pour deviner qu'elle est déshydratée. Quant à votre collègue j'en sais rien. Je suis pas non plus voyante.

Athéna avait dit ça avec souplesse.

Comme pour répondre à la question de Buck, Nathan déboula dans la chambre, avec son matériel. Il observa tour à tour Athéna puis la jeune fille étendue sur le lit et dit :

- Apportez moi de l'eau et un linge.

Buck ne put s'empêcher de regarder Athéna avec un sourire en coin en entendant ça et s'exécuta aussitôt.

Athéna demanda à Nathan :

- Vous avez besoin de moi ou je peux disposer ? Je viens à peine d'arriver.

- Ca devrait aller, merci madame, répondit rapidement celui-ci

Il ne quittait pas la jeune fille des yeux, tandis que Buck lui ramenait ce qu'il avait demandé. Puis, avec agilité, il commença sa besogne de guérisseur.

- Mademoiselle, corrigea Athéna. Williams.

Puis, elle descendit s'adresser en bas pour une chambre.

Quand Athéna sortit du saloon, elle trouva trois hommes en train de seller leurs chevaux dont l'un était Ezra, l'homme qu'elle avait battu au poker. Celui-ci la considéra quelques secondes d'un air de dire "quoi ? qu'est-ce qu'il y a ?". Les deux autres étaient Chris et Vin. Apparemment, ils avaient décidé de partir à la poursuite de la diligence et de ses passagers.

Chris monta sur son cheval et dit aux deux autres :

- Si on se dépêche on pourra les rattraper dans deux heures au maximum.

- Ouais, répondit Vin doucement, ils ont une dette à régler.

Athéna les interrogea timidement :

- Excusez-moi. Vous rattrapez la diligence ?...

- En effet, répondit Chris avec assurance. Les passagers auront à répondre de leurs actes, ils ont failli tuer cette femme. Et Dieu sait ce qu'ils ont pu lui faire avant.

- C'est écœurant ! Lâcha Ezra, indigné. Dire qu'il existe vraiment des rustres sans éducation de ce genre.

Vin acquiesça et regarda Athéna avec curiosité et dit :

- Vous venez d'arriver en ville n'est-ce pas ?

Athéna baissa la tête, et jeta un œil discret vers Ezra en acquiesçant :

- J'ai reçu un accueil lucratif, en plus.

Ezra lui fit un sourire qui ressemblait plus ou moins ‡ une grimace. Il ressentit le besoin de se justifier auprès des autres :

- Mademoiselle a eu une main chanceuse au poker.

Chris sourit, moqueur :

- Dis plutôt qu'elle t'a nettoyé !

Puis il ajouta :

- On peut y aller.

- Je peux venir ? Proposa Athéna avec souplesse. Je vous ralentirai pas. Vraiment.

Les trois hommes la regardèrent avec surprise. Vin demanda avec la même souplesse :

- Pourquoi voulez-vous venir ?

- Parce que depuis mes 12 ans, j'éprouve un besoin maladif à défendre les femmes salies. Mais je n'insisterai pas si vous êtes rétrogrades. Tant pis. J'irai prendre un bain après avoir veillé la blessée...

Chris la regarda un instant puis dit :

- Très bien, venez. Mais j'espère que vous êtes bonne tireuse !

Vin se pencha vers lui et lui dit tout bas :

- Chris, pourquoi est-ce que tu acceptes ?

- Elle m'inspire confiance, répondit celui-ci.

- Est-ce que j'ai mon mot à dire ? Glissa Ezra, à tout hasard.

L'idée de côtoyer cette femme qui l'avait presque humilié lui déplaisait quelque peu.

Chris le regarda amusé et se contenta d'Èperonner son cheval. Ezra le regarda partir et soupira :

- Je suppose que ça veut dire non.

Athéna cacha son contentement, et monta immédiatement sur son cheval. Ils partirent donc tous les quatre sur les traces de la diligence qui avait pris la grande route en direction du Texas.