Maman m'a à peine lâché la main que le train se met en branle. J'ai encore la sensation de sa paume chaude collée à mes doigts, mais je me résigne : ce n'est jamais plus qu'un souvenir. Là, devant moi, se dessine mon vrai futur. Et je donnerais tout pour retrouver une pression chaleureuse contre mon corps.
J'ai froid.
Je vois les autres se précipiter, sans doute à la recherche de places libres. Moi, je suis le seul à n'être jamais monté dans un train. Ca, j'en suis certain.
Je suis tout seul. Vraiment tout seul. Pourquoi
aucun autre garçon n'est perdu au milieu du couloir ?
Quoi qu'en dise maman, je suis sûr que l'école n'y
changera rien : je resterai toujours là à regarder
les autres.
Je commence à songer à passer le voyage
assis sur ma valise. Je n'oserai de toute manière jamais
pénétrer dans un compartiment et demander s'il y a
encore de la place. Ce n'est pas comme si quelqu'un allait se
mettre à s'intéresser à un garçon comme
moi. Qu'est-ce que j'ai, après tout ? Je suis petit
et maigre. Avec des habits repassés que les autres vont
détester. Une tête que je n'ai pas osé regarder
fixement depuis des mois dans la glace. Et encore, personne ne verra
jamais le reste. Je me mets à réfléchir pour la
millième fois depuis que j'ai reçu ma lettre à
la façon dont je vais me cacher pour m'habiller le matin.
Maman m'a dit que pour le reste, tout irait bien, et que le
directeur Dubador était au courant, et puis qu'il s'en
moquait. Je suis persuadé que ce n'est pas vrai. Ou alors,
ce directeur est un inconscient. Et les autres, dans la classe, ne le
seront pas, eux.
Il faut qu'ils ne le sachent jamais. Et si je
ne leur parle pas, ils ne le sauront pas.
Je n'arriverai jamais
à leur parler, après tout. Il n'y a pas de risque.
Rien ne va changer.
J'appuis ma tête contre un mur, hissé sur ma valise, et je regarde le paysage défiler par la fenêtre.
- Oh !
- Oooh Oooooooooooooh !
- Laisse tomber James, à mon avis, ce gars est sourd.
- Je m'en fous, il bloque le passage !
-
On a qu'à aller aux suivantes ?
- Tu rêves, ceux de là-bas ont tous
des sales têtes de Serpentards !
Le rire qui suit
achève de me réveiller et je vois les deux garçons
qu'il m'avait bien semblé entendre. Ma respiration se
bloque comme je considère la porte que je bloque.
- Les toilettes, ouais ! Ben c'est pas trop tôt, vieux ! J'ai failli fair… Oh ça va Sirius !
- P… pardon, je bredouille en me précipitant
de l'autre côté du couloir.
Celui avec des
lunettes s'enferme (je compte : un, deux tours) dans les
toilettes. Je cache mes mains tremblantes au plus profond des poches
de ma veste. Je ferme les yeux, attendant que les deux s'éloignent.
- Ca va ? j'entends brusquement tout
près.
L'autre. Juste là. J'ai envie de crier,
qu'il ne s'approche pas. Je suis dangereux, je n'ai aucun
intérêt, vas t-en ! Laisse-moi ! Laisse-moi…
-
Pourquoi t'es dans le couloir ? T'es pas au courant qu'on
en a pour des heuuuuures ? En plus on gèle, ici. Enfin…
t'as qu'à venir avec nous, je sais pas… Quoi que attend,
t'es pas un Sale Serpentard au moins ?! Parce que là
jamais de la vie !
Il fait soudain mine de s'étrangler
et je l'observe, subjugué.
- Hein James !
-
Quoiiii ? Deux secondes Sirius !
- Ouais enfin bref,
t'en es un ou pas ?
Après quelques secondes d'hésitation, je fais oui de la tête.
- Oh merde !
Et un non précipité.
- Hey mais te fous pas de ma gueule !
Pourquoi ?
Pourquoi je change brusquement d'avis ? Les Serpentards ne
sont-ils pas des gens méchants et dangereux ?
Je
bondis lorsque sa main m'ébouriffe les cheveux.
- Oh !
Du calme, c'est bon ! T'es qui toi, au fait ?
- Au
moins pas un Sale Serpentard. T'as vu sa tête ?
Celui
avec des lunettes me jauge des pieds à la tête et je me
colle un peu plus au mur. Je ne l'ai pas même vu sortir.
- Bon, tu restes là à te les geler ou tu nous suis ?
- Attends James ! On s'est même pas
présenté. Bon alors enchanté, je suis… enfin
non lui c'est James Potter. Banal. Grande gueule. Et mon meilleur
ami. Moi je suis Sirius Black !
Son immense sourire me
déstabilise et je reste là à le considérer,
imbécile, ébloui.
- Et toi ?
- Heu… Remus, je murmure sans le quitter des
yeux. Lupin.
- Bon c'est pas tout ça mais je suis pas
venu là pour rester planté dans le couloir, fait celui
avec des lunettes en s'éloignant.
Et là, je sens ma peau qui brûle.
Et ma tête explose, parce que le garçon vient d'attraper
ma main. Je lui hurle de la lâcher et rien ne sort de ma
gorge.
Je me sens bien.
Et avant même que je ne saisisse
vraiment ce qu'il m'arrive, je me retrouve entre les quatre murs
d'un compartiment vide d'autres occupants que James Potter. Et
Sirius Black.
- James, va chercher sa valise !
- Et quoi encore !
- Rha, quel sale égoïste ! Bon
toi, Remus là, attend-moi, ok ?
Inconscient de mes
pas, je le suis dans le couloir. Je le suis, respectant son allure.
Je le suis, sans bruit. Je le suis, perdu dans la contemplation de
ses longues mèches d'ébène allant librement le
long de sa nuque.
Une envie de le suivre. Envie de suivre ses pas.
Envie d'abandonner le reste.
Et la solitude.
Toujours.
