Dans le train reliant Portsmouth à Londres, bondé en cette fin de journée, régnait une atmosphère chaleureuse et détendue propre à l'approche des fêtes de Noël. Cependant, dans le compartiment du fond, un jeune homme semblait étranger à l'agitation ambiante. Profitant du silence de son espace réservé, les yeux clos malgré la beauté du coucher de soleil dont les ultimes rayons venaient illuminer l'insigne d'argent sur sa poitrine, Yu Kanda se remémora le but de ce voyage absurde, fronçant les sourcils derrière sa frange ébène. Il avait été convoqué dans le bureau du Grand Intendant Komui qui avait pour lui une « mission de la plus haute importance ». Une fois introduit auprès de son supérieur qu'il chercha une bonne dizaine de minutes avant d'apercevoir son béret blanc enseveli sous la paperasse, supérieur qu'il dut réveiller en feignant demander sa petite sœur en mariage, supérieur qu'il dut enfin assommer pour faire taire la crise d'hystérie provoquée, bref, une fois ces préliminaires achevés, le samouraï put comprendre ou du moins connaître la raison de sa convocation. En effet, il lui était assigné la rencontre et l'escorte d'une toute nouvelle exorciste. Kanda ne put s'empêcher d'intervenir :

« - Ne lui a-t-on pas donné un plan ?

- Heu, eh bien, pour tout dire…enfin…si ! » mais le silence de son interlocuteur le poussa à continuer, « en fait, elle s'est un peu perdue durant ces trois dernières années…

- Trois ans ?

- Bon, en effet, on peut dire, je pense, qu'elle a beaucoup voyagé. Ceci, ajouta-t-il, montre les endroits où elle a été vue…

- Mais…c'est…une carte du monde !! murmura Kanda, une goutte de sueur accrochée derrière la tête

- Oui, d'accord, elle est vraiment perdue, mais le petit Walker nous avait bien dit que…

- Pas si vite ! Qu'est-ce que Pousse-de-Soja vient faire là-dedans ?

- Eh bien, c'est lui qui lui a fait découvrir sa compatibilité avec …

- Parfait ! Envoyez-le ! coupa encore une fois le samouraï en tournant les talons

- Attends !! cria Komui avec un geste théâtral. Vois-tu, Allen est en mission avec ma petite Leenalee…OH LEENALEE, POURQUOI ES-TU PARTIE SI LOIN DE TON GRAND-FRERE ADORE ?...commença à hurler le Grand Intendant en versant des torrents de larmes.

- Hmpf », fut la seule réponse de Kanda qui saisit le protocole de mission de la main qui n'était pas crispée sur son sabre.

Voilà comment il se retrouvait dans ce train à courir après une incompétente recommandée par Pousse-de-Soja qu'il méprisait totalement, lui et son œil maudit. Décidément, il était trop serviable…Ce fut sur ces dernières pensées et sous les premiers rayons lunaires qu'il laissa apparaître deux pupilles sombres pour entamer la lecture du dossier : « Miranda Lotto… »

Au même instant, à Londres, la jeune femme qui préoccupait tant Kanda sursauta dans l'obscurité naissante et accéléra le pas tout en pestant contre elle-même. Jamais elle n'aurait dû rester dehors à la tombée de la nuit ; elle le savait, pourtant, qu'elle n'avait ni chance ni sens de l'orientation et que ça poserait problème pour retrouver son hôtel mais non, bien sûr, il avait fallu qu'elle joue les intrépides et qu'elle fasse un détour par Big Ben ! En l'espace d'un instant, elle eut envie de tout abandonner, de baisser les bras devant cette congrégation de l'Ombre introuvable mais le souvenir des deux jeunes exorcistes qu'elle avait rencontrés quand déjà ? ...Ah oui, il y a trois ans, trois ans qu'ils étaient venus réparer son erreur et lui révéler qu'elle était l'une des leurs. Elle ferma les yeux en rejetant la tête en arrière, tentant de retrouver le bonheur qui l'avait submergé en se sentant enfin utile ; oui, ce sentiment, elle voulait le ressentir à nouveau et pour cela, elle devait devenir exorciste. Déterminée comme jamais, elle secoua ses boucles brunes et repris sa marche. Elle arriva à son hôtel au petit matin, harassée mais soulagée. Qu'avait-elle fait de ses clés déjà ?...

Kanda regarda sa montre alors qu'au loin, une cloche sonnait sept coups. Agacé, il se leva brusquement et tapa du pied : cela faisait plus de dix heures qu'il était arrivé à l'adresse indiquée sur le dossier, dix heures qu'il avait demandé au vieux réceptionniste un double des clés de la chambre 206 et enfin dix heures qu'il attendait, vissé sur un fauteuil miteux, que miss Guigne ne daigne rentrer. Soudain, il sentit une présence derrière la porte, tout d'abord immobile puis de plus en plus agitée. Par prudence, il recula vers un coin sombre de la pièce. Le manège durait depuis un bon quart d'heure quand retentit une exclamation désespérée : « Mais c'est pas vrai, où j'ai bien pu mettre ces clés !! » qui fit pousser un long soupir à Kanda. Quand enfin la porte s'ouvrit, il put détailler l'inconnue dont la frêle silhouette se détachait de la lumière du couloir. Elle devait avoir à peu près son âge, mais son visage était dissimulé dans l'ombre de son grand chapeau ; elle portait un long manteau de voyage noir, cintré à la taille qui mettait en évidence son manque d'assurance ; il s'attarda sur ses bottines trempées et sa démarche raide. « Non mais elle a vraiment marché toute la nuit !!... » mais un hurlement strident interrompit le fil de ses pensées et lui fit lever les yeux sur une Miranda tremblante, perché sur la commode qui jouxtait la porte.

« - Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? vociféra-t-elle

- Je vous attendais », répondit calmement l'intéressé puis, en voyant la mine devenue soupçonneuse de la jeune femme, il lui tendit une enveloppe. Miranda descendit prudemment de son perchoir et avança lentement vers Kanda qui, le visage impassible, n'avait pas bougé. Il la laissa prendre connaissance du contenu de la lettre, observant ses yeux cernés de noir, tout d'abord méfiants, s'agrandir au fur et à mesure de sa lecture.

« - Je suis désolée pour cet accueil, je vous suis infiniment reconnaissante pour…

- Oubliez ça, la coupa l'exorciste, c'est une mission comme une autre.

- Bien, je comprends, acquiesça-t-elle d'une voix terne et à peine audible.

- Dépêchons-nous, le train part à 9h45. Cette horloge est encombrante, il faut en extraire l'innocence et… »

Le samouraï fit soudain un bond en arrière, sa longue queue-de-cheval hérissée, pour éviter Miranda qui, un couteau de cuisine dans la main et un air de dément sur le visage, s'était jetée devant lui en criant :

« - Mais qu'est-ce que vous avez, tous, avec cette horloge ?? Non, non, non, vous ne toucherez pas à la seule et véritable amie !! Vous m'entendez ??

- Très bien, répliqua-t-il, mais vous la portez.

- Merci, merci, je…

- Nous sommes en retard, je vous attends dehors. »Conclut-il en claquant la porte.