Retrouvailles
Partie 1 - Mipha
Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas :3
Base : Zelda Breath of the Wild
Genre : Hurt/Comfort – Romance
Résumé : Elle est là. Juste là. Sa voix l'a guidé jusqu'ici, au beau milieu de cette machine infernale. Alors il la sauvera. Il le doit. Il le lui doit.
Musiques : Fleeing Kuro, Light of Nibel, The Sacrifice (Ori and the Blind Forest OST), Fake Wings (AmaLee Ver)
Note : C'est la deuxième fanfic que j'écris sur l'univers de Zelda. Celui-ci est si riche et complexe que je n'ose jamais trop me risquer à écrire des histoires à son propos, de peur de commettre un impair. Néanmoins, en jouant à Zelda Breath of the Wild qui, à coup sûr, a su me faire retrouver la magie que j'avais connue dans Zelda Twilight Princess… J'ai ressenti l'irrépressible besoin d'écrire quelque chose. Parce que je m'étais tellement investie émotionnellement dans la recherche d'un personnage, que le dénouement de celle-ci m'a chamboulée. Merde, quoi ! Ça devrait être interdit, les trucs comme ça ! u.u' Enfin bref ! Je vous laisse découvrir de quoi il retourne ci-dessous ! Bonne lecture ^o^
Chapitre 1 : Tête basse
Un cube de glace.
Esquive.
Un autre. Plus rapide encore.
Il frôle ses cheveux.
Trois autres arrivent en frontal, masquant de leur lueur bleutée et mortuaire la silhouette difforme et gigantesque du monstre qui fait face au jeune homme.
Ni une, ni deux, Link sort sa tablette Sheikah de sa poche en cuir, d'une main rapide et sûre. Cela ne fait que quelques semaines qu'il est sorti du coma artificiel dans lequel il a été plongé, qu'il a récupéré ladite tablette et qu'il s'est souvenu comment s'en servir… mais il a l'impression que son corps, lui, n'a jamais complètement oublié le maniement de ce précieux et mystérieux artefact. Solidement campé sur l'une des quatre plate-formes qui émergent à peine à la surface de l'eau glaciale qui l'entoure, Link laisse sa mémoire corporelle parler pour lui.
Il tend le bras en avant, brandit la tablette.
La lueur qui émane de celle-ci, rougeoyante et chaleureuse, vient mordre celle, bleutée, que renvoient les trois blocs de glace restants, tournoyants et menaçants, qui sont déjà sur lui, à quelques centimètres à peine. Leur froideur mord les doigts du blond.
Mais qu'importe. Car il possède le…
Cryonis ! hurle Link dans son fort intérieur en portant également à hauteur de ses yeux son bras de libre pour les protéger des éclats. Car, à l'instant même, la tablette, comme connectée à sa volonté, réduit les blocs de glace ennemis en miettes. En un instant, l'un après l'autre, ils explosent.
Se révèle alors à la vue du Prodige l'atrocité qui les a appelés de ses vœux.
L'Ombre d'eau de Ganon.
Une abomination informe et disproportionnée, atrophiée par endroits et accrochée au plafond comme un parasite par cette écœurante substance aqueuse, substitut de jambes et cristallisation des noires pensées de Ganon.
L'Ombre se tord lentement vers le blond. Entre deux spasmes inquiétants, elle émet à son attention des gargouillements sinistres. Pourtant, malgré la peur qui lui broie toujours le ventre et que viennent intensément raviver ces sons discordants, promesse de fin funeste, Link fait son possible pour rester maître de lui-même : il inspire profondément pour calmer son corps tremblant sous le coup de l'angoisse et de l'adrénaline qui afflue dans ses veines, et s'efforce de ne pas soutenir plus que de raison le regard transperçant de l'ignoble créature qui darde sur lui son seul œil, bleuté, pour le décourager de résister. Et il a bien raison de réfléchir ainsi, car ce n'est en fait là qu'un leurre : l'Ombre le sait, elle fatigue. Le combat arrive à son terme, mais malgré tout, il n'est pas terminé et ses ordres… non, son essence, même, est claire : il faut qu'elle le tue. Elle le doit. C'est pour ça qu'elle a été conçue. Et elle n'aura de cesse de s'y employer tant qu'elle n'y sera pas parvenue. C'est pour cela que Link ne peut relâcher sa garde ou se permettre de se laisser dominer par les émotions contraires qui l'assaillent : terreur, fatigue, incertitude…
…. et malgré tout, espoir.
Car il vit en lui, cet espoir.
Il peut vaincre.
Mipha le lui a dit, au tout début de ce combat pourtant annoncé comme inégal :
« Je sais que toi, tu pourras le vaincre… J'en suis certaine ! »
Et si elle croit en lui, alors il doit croire en elle ; en ses propres capacités.
Il n'y a qu'ainsi qu'il réussira.
Alors, retrouvant enfin son sang-froid, il analyse posément son adversaire et, de suite, comprend la situation : l'Ombre d'eau, malgré ses grognements hostiles et rauques, halète et peine à dissimuler comme les multiples plaies qu'ont creusé dans sa cuirasse les flèches de foudre que le Prodige lui a déjà envoyées l'ont affaiblie.
Link en a à présent la certitude : il peut le faire.
Il n'a qu'à donner le coup de grâce.
L'Abomination de Ganon, rassemblant ses dernières forces, arque son bras gauche musculeux.
Elle sait pertinemment que c'est là sa dernière chance.
Elle doit porter un coup décisif. Honorer la mission confiée par son maître.
La lance gigantesque que l'Ombre tient décrit alors un arc de cercle parfait et se profile dangereusement vers le Prodige.
Elle la projette.
Mais Link est plus rapide.
À l'instant même, le jeune homme pivote avec la fluidité et la précision que seule confère l'expérience du combat, attrape son arc, y encoche une énième flèche de foudre, bande puis relâche la corde dans un mouvement si souple que la flèche paraît être un prolongement de ses doigts et de sa volonté. Comme une caresse, son extrémité frôle la joue du Prodige, puis la flèche, inexorablement, file droit vers sa cible en se riant de la lance arrivant en sens inverse, contre laquelle elle paraît onduler chemin faisant… avant de se ficher net au beau milieu du crâne de l'Ombre d'eau dans un bruit mat.
La lance cristalline, prête à empaler le Prodige sur sa terrible lancée, éclate alors à quelques centimètres de lui, comme pulvérisée. Ses morceaux luminescents sont propulsés violemment aux quatre coins de la haute pièce, se brisent contre les murs en de plus petits éclats encore puis, avant même de retomber dans l'eau limpide, s'évanouissent comme un mauvais rêve.
C'est terminé.
Un rugissement d'agonie éclate.
Link, surpris, manque d'en lâcher sa tablette Sheikah tant ce cri est puissant et strident. Pour ne pas perdre aussitôt connaissance, il n'a d'autre choix que de ranger en catastrophe arc et tablette et de se boucher les oreilles de son mieux, et si la tentation est grande de fermer les yeux tant la douleur est intense, il ne peut détacher son regard de l'Ombre d'eau. D'abord redevenue spectre bleuté intangible, la créature finit par stabiliser à nouveau sa forme monstrueuse, mais l'image qu'elle renvoie est insoutenable : son cou rejeté en arrière, son corps pris d'incontrôlables spasmes et son œil révulsé, elle hurle de douleur et convulse.
Puis, soudain, son abdomen éclate. Se déversent alors alentours des fluides noirâtres et poisseux, que Link n'évite que de justesse en reculant de deux pas. Néanmoins, à peine éclaboussent-ils l'eau qu'ils se dissipent.
La Créature se meurt.
Elle a échoué.
Des faisceaux lumineux roses et aveuglants la transpercent de part en part. Plus nombreux à chaque instant.
Puis, tout à coup, dans un ultime cri, l'Ombre d'eau se cambre.
Elle se fige.
La tension est à son comble.
Et explose.
Une puissante lumière enveloppe le corps massif de l'Abomination qui s'est brusquement tue, puis envahit toute la pièce si bien que Link est obligé, cette fois-ci, de se protéger les yeux.
Autour de lui, du blanc. Rien que du blanc.
Mais un blanc rassurant qui amène avec lui un étrange silence.
La lumière se tarit.
Ne restent plus derrière elle, au centre de la pièce, là où s'était tenue l'Ombre d'eau à présent disparue, que de vagues fumées sombres et cauchemardesques qui, avec la brise, sont emportées conjointement aux particules rosées qui flottaient jusque là dans l'air.
Link tourne aussitôt la tête vers l'unité principale de la créature divine, juste à temps pour apprécier l'évanouissement progressif de la masse noirâtre qui l'embourbait. L'appareil semble, un instant, être pris dans des flammes vivaces, mais celles-ci disparaissent rapidement… et définitivement.
Comme si la vie et l'espoir reprenaient ici tout à coup leurs droits, l'unité principale s'illumine et répand autour d'elle une douce lueur orangée, qui vient caresser la peau halée du jeune homme. Aussitôt, les plaies reçues lors de l'affrontement s'effacent. Sa peau est intacte. Il se sent bien.
Il est vivant.
Mais sa quête n'est pas terminée.
À présent, il doit…
Comme si elle avait lu dans ses pensées, l'unité principale émet un court mais puissant rayon bleu pour l'enjoindre à l'approcher. Link, étrangement attiré, s'exécute. Il approche sa tablette, non sans appréhension, du capteur… et active l'unité principale.
Il se recule.
Et soudain…
« Merci... »
Link fait volte-face.
Cette voix.
Cette voix c'est…
C'est… !
Non…
« Grâce à toi, mon âme a été libérée... »
Non, ce…
« Mipha... ? » hasarda Link dans un murmure étranglé.
Car c'était bien Mipha qui venait d'apparaître, à quelques mètres de lui, au pied d'un mur si immense qu'il la faisait paraître anormalement chétive et fragile.
Elle se tenait là-bas, en retrait, presque… transparente, et étrangement nimbée d'un halo de lumière de jade.
Elle termina :
« … Et nous avons récupéré Ruta. »
Link resta interdit.
Non…
Ce n'était pas… Non…
Ça ne pouvait pas...
« En revanche... » poursuivit Mipha, inconsciente du trouble qui secouait son ami alors que les contours de sa silhouette s'épaississait pour donner une consistance à son corps translucide. « Nous ne jouerons plus jamais ensemble comme nous le faisions autrefois... »
Elle inclina délicatement sa tête sur le côté et posa un regard affectueux, mais infiniment triste, sur le jeune homme.
Link manqua de défaillir.
Autour de la jeune princesse Zora dansaient de multiples et petites flammes d'un vert opalescent à la clarté sépulcrale. Elles ondulaient au gré de la respiration ténue de son amie, concentrées à ses pieds. Elles ne semblaient pas la brûler, pas plus qu'elles ne semblaient émettre la moindre chaleur. Elles étaient froides. Et quiconque les aurait contemplées les aurait sûrement trouvées étrangement… rassurantes.
Mais pas Link.
Non.
Pour lui, elles étaient pire encore que la vision abominable de l'Ombre d'eau.
Car ce qu'elles induisaient était plus horrible encore.
« ... »
Après s'être perdu un instant dans le regard de miel de Mipha puis en avoir consacré un second à frissonner à la vue des flammes, Link baissa les yeux. Il regarda les pieds de la princesse. Auréolés de lumière eux aussi, plus encore que le reste de son corps diaphane, ils reposaient sans effort à la surface de l'eau. Comme si c'était… normal.
Sauf que non. Ça n'était pas normal.
Définitivement pas.
Mipha suivit inconsciemment le regard de plus en plus bouleversé de son ami, retenu par ses pieds palmés qui, comme portés par une quelconque magie, la gardaient de s'enfoncer ne serait-ce que d'un millimètre dans cette eau qu'elle chérissait tant de son vivant.
L'idée lui fit douloureusement clore ses yeux dorés.
Elle ne pouvait plus sentir la caresse de l'eau comme avant. Elle se sentait entrer en contact avec, oui. Mais les sensations… Leur richesse… Tout cela, elle l'avait perdu.
En même temps que sa vie.
Ne voulant se laisser aller à de si sombres idées alors qu'elle avait une tâche de la plus haute importance à accomplir maintenant qu'elle était enfin libérée, Mipha se reprit et, solennellement, se dirigea vers son ami d'enfance. Sous ses pas mesurés, l'eau frémissait et ondoyait, sublimant sa marche décidée.
La jeune femme prit une grande et pourtant discrète inspiration, puis annonça :
« Mon pouvoir de guérison… Maintenant que je ne suis plus qu'une âme… »
Link serra les dents à en faire trembler sa mâchoire.
« Une âme ».
Mipha aurait voulu lui crever le cœur qu'elle n'aurait pas pu mieux choisir ses mots.
« … Je ne peux plus l'utiliser », continua-t-elle d'une voix qu'elle essayait de maintenir égale. « Alors... »
Sur ce dernier mot, elle s'arrêta brusquement là où elle se tenait, comme si elle ne pouvait envisager de parcourir un mètre de plus. Comme s'il lui fallait impérativement garder une distance respectable entre Link ; une distance qu'elle se refusait à franchir.
« … Je te le confie. »
Mains jointes derrière le dos avec cette grâce si caractéristique de son rang, Mipha posa un regard plus aimant encore sur son ami. Pourtant, malgré toute la douceur qui l'imprégnait… il fit à Link l'effet d'un coup de poignard en plein cœur, qui s'extirpait, revenait, et revenait, et revenait encore, inlassablement, se planter plus profondément et plus violemment en lui, un peu plus à chaque seconde.
« C'est lui qui m'a… qui m'a... »
C'est ce que Mipha lui avait dit avant que le combat ne commence.
Et lui, il avait bêtement cru qu'elle pouvait, peut-être… avec un peu de chance… n'être que blessée. Ou enfermée quelque part, retenue. Prisonnière.
Mais sauve.
Pourtant…
Pourtant…
« Mipha… Tu… Tu es… ? » commença Link, poings serrés et avec une voix étranglée qui porta si peu que son amie ne l'entendit pas et déclara, coupant court à son ébauche de question :
« Reçois mon pouvoir... »
Link se raidit.
Non...
« La prière de Mipha. »
La jeune Zora ramena contre son cœur ses deux mains cérémonieusement jointes et pencha la tête en avant, un sourire paisible étirant ses lèvres corail.
« Att-… ! » s'exclama Link. Mais déjà, la princesse dirigeait vers lui ses paumes salvatrices. En leur creux naquit une boule de lumière bleue qui, à peine formée, vola jusqu'à lui en ligne droite. Le Prodige Hylien ne fit pas le moindre geste pour l'éviter, tétanisé par ce qui se déroulait sous ses yeux ébahis.
La boule de lumière, projection du pouvoir de son amie, s'enfonça en lui dans un feu d'artifice, pourtant sans heurt, comme absorbé par sa poitrine. Une intense chaleur se distilla immédiatement au creux de celle-ci, puis irradia jusqu'au bout de chacun des membres du blond ; embruma son cerveau dans une délicieuse sensation de bien-être.
Il inspira. Profondément.
En un instant, ses doutes, ses peines… Tout s'évanouit.
Ne resta plus que le calme.
Un calme infini.
Cela ne dura qu'une seconde. Deux, peut-être. Mais pas plus.
Lorsque le nuage qui troublait sa vue s'évapora, Link réalisa qu'il flottait, à quelques centimètres de la surface de l'eau.
La magie se rompit.
Il retomba lourdement au sol, sur le socle menant à l'unité principale. L'eau arrivait de nouveau à ses genoux, se faufilant dans ses bottes déjà détrempées par ailleurs. Hébété, Link regarda ses mains, au bout des doigts desquelles lui semblait crépiter encore une énergie nouvelle.
Ce fut la voix de Mipha, altérée par un sentiment qu'il ne parvint à identifier, qui le tira de sa contemplation :
« Comme j'ai souffert pendant tout ce temps… Je pensais que je ne sortirais jamais d'ici… Que je resterais prisonnière... »
Même de loin, Link crut voir son amie d'enfance se mordre brièvement la lèvre inférieure, comme pour retenir des larmes. Ce qu'elle lui confiait était lourd ; lourd de chagrin et de solitude.
« Toute seule pour l'éternité. »
Ces derniers mots eurent raison de l'apparente résignation de Mipha quant à sa situation : elle détourna la tête.
Link ne devait pas voir la larme qui perlait sur sa joue tremblante.
Une brève inspiration.
Sois forte, s'encouragea Mipha, alors que le poids de ce siècle de tourment qu'elle avait cru interminable menaçait de la faire ployer, s'effondrer et pleurer comme une madeleine… devant lui.
Ce n'était pas son rôle.
Ce n'était pas son droit.
Alors, faisant appel à toute sa volonté, elle canalisa le flot d'émotions qui affluait en elle, se redressa, et para son visage d'un nouveau sourire, plus serein et sincère que tous les autres. Et à raison, car…
« Mais voilà qu'aujourd'hui... » Elle sentit presque… presque, à cette simple idée, son cœur battre de nouveau dans sa poitrine immobile : « … Tu es venu me sauver. »
Je n'ai pas réussi à te sauver.
« J'ai la chance de pouvoir te revoir… »
Je ne voulais pas simplement te revoir une dernière fois.
« Et à présent, je sais que mon pouvoir est en toi, et qu'il te viendra en aide. »
Pourquoi est-ce toi qui me sauve, plutôt que moi ?
« Alors… Je me sens beaucoup mieux. »
L'accent de vérité qui résonne dans cette phrase noue la gorge de Link. Quelles épreuves Mipha a-t-elle donc eu à surmonter pour que cette simple entrevue, qui lui le détruit plus il réalise ce qu'il se passe, soit pour elle gage de bonheur et de soulagement ? Comment peut-elle arborer un sourire si bienveillant et si tranquille alors qu'un ouragan se déchaîne présentement dans son propre cœur ?
Comment parvient-elle… à surmonter tout ça ?
Link fait un pas en avant. Chacun de ses battements de cœur le porte en avant autant qu'il le tue. Il a l'impression que sa cage thoracique est écrasée, concassée par une chape de plomb si lourde… Ce n'est pas possible. Pas Mipha… Pas comme ça… Pas alors que… Alors que… Qu'il était venu… Pour… Pour… Non… Il ne peut pas y croire… Il ne peut pas s'y résoudre… Pour lui, c'est impossible. Impossible.
Impossible !
« Bien », fit le Prodige Zora dans un souffle aussi mesuré que ses émotions, « Il est temps. »
Quoi ?
Le cœur de Link manque un battement.
Que vient-elle de dire, à l'instant ?
« Temps » ? Mais « Temps » de quoi ?
Pourquoi est-il soudainement enveloppé d'une nuée de petites lumières bondissantes et taquines ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Ce n'est quand même pas… Quand même pas… ?!
Non… Non, non, non !
« Ruta et moi avons une mission à accomplir », lâcha alors Mipha comme un couperet, avec une dignité honorable que Link, lui, ne parvenait plus à adopter.
Incapable de savoir quoi dire, que faire, il ne put que plonger son regard éperdu dans les orbes dorées qu'étaient les yeux de son amie, brillant d'une flamme sans pareille ; celle de la détermination.
« Nous te soutiendrons lorsque tu combattras Ganon au château. »
Elle joignit à nouveau ses mains sur son cœur et, avec une conviction que Link ne partageait plus, certifia entre deux hochements de tête : « Cette fois, nous réussirons. »
Les lueurs qui s'agglutinaient autour du Prodige Hylien s'excitèrent. Avec horreur, Link vit ses membres devenir aussi translucides que lorsqu'il se téléportait à l'aide de la tablette Sheikah.
Mipha.
Mipha allait le faire sortir de la créature divine.
Sans même un au revoir.
« Link ! » appelle-t-elle soudain.
Il redresse tout de go la tête, l'air effaré.
Mipha, heureuse d'avoir une dernière fois son attention, déclare d'une voix à la fois si douce, et pour Link, si cruelle : « La princesse Zelda… Elle t'attend. »
Non !
« MIPHA ! » hurla alors désespérément Link, comme si, d'un seul coup, le trop plein de sentiments qu'il éprouvait se déchargeait dans un seul et unique appel.
Mais ce fut vain.
Au moment même où le cri échappait à sa gorge sèche, la téléportation s'effectua.
Mipha n'entendit pas son appel déchirant.
Et lui ne put voir ses larmes.
« ... »
Link cligna des yeux, incrédule.
En un instant, un seul instant, l'image de Mipha, incertaine et fragile, avait été remplacée par l'imposante vision de la cité Zora dans laquelle le jeune homme venait d'atterrir par une étrange magie.
À sa droite et à sa gauche, deux guerriers zoras à leur poste de garde, bombant fièrement leur torse pour saluer son arrivée avec la déférence qu'il se devait face à un Prodige. Face à lui, le palais éclairé par le soleil de plomb de cette fin d'après-midi qui avait remplacé la pluie diluvienne jusque là déversée continûment par Vah'Ruta. Et tout autour, la cité azurée, merveille d'architecture comme il n'en existait nulle part ailleurs, taillée à même la précieuse gemme nox.
Devant cette magnificence qui l'écrasait par sa splendeur et son faste, Link se sentit tout petit, faible et broyé.
Mais ce n'était pas que la démesure de la cité qui l'oppressait. Un poids beaucoup plus lourd encore compressait tout son corps : celui de la culpabilité.
« Messire Link », l'interpella soudainement un garde, qui ne pouvait s'empêcher de trépigner légèrement tant le fait d'adresser simplement la parole au Prodige le transportait. « Notre roi vous attend avec impatience pour vous adresser ses félicitations. Si je puis vous suggérer de vous rendre incessamment sous peu dans la salle du trône pour recevoir les honneurs qui vous sont dus... » osa-t-il non sans jeter un coup d'œil complice à sa camarade qui, amusée par son comportement, leva les yeux au ciel.
Heureux, ils s'échangèrent aussi un sourire.
Pas contagieux pour un sou car Link, lui, garda les lèvres et le visage résolument fermés. Sans un mot, sans un regard, il se dirigea d'un pas chancelant en avant, traversa le pont qui lui faisait face en quelques secondes qui lui parurent durer une éternité puis, alors qu'il s'apprêtait à bifurquer pour pour gravir l'escalier sur sa gauche qui menait à l'étage supérieur, là où se trouvait la salle du trône… Il s'arrêta brusquement, comme si ses membres avaient été agrippés sans crier gare par une puissance invisible qui le gardait d'avancer.
Sur la grande place, où conversaient avec animation des Zoras heureux d'avoir réchappé de justesse aux flots dévastateurs de Vah'Ruta et où gambadaient joyeusement d'insouciants bambins, se trouvait, immuable et splendide, la statue érigée en l'honneur de la princesse Mipha ; reproduction identique du Prodige zora, incarnant à elle seule toute sa beauté, sa douceur, sa grâce… et sa mémoire.
C'était avec cette statue que tout avait commencé.
Les souvenirs. Puissants, bouleversants, saisissants.
Les regrets. Poignants, lancinants, déchirants.
L'espoir. Vacillant, fluctuant, et à présent absent.
Et… autre chose, aussi.
Et si cet « autre chose », réveillé par les bribes du passé enfin retrouvées, avait jusque là permis à Link d'avancer vers son objectif sans faillir, de surmonter bien des obstacles et de repousser ses limites… À présent, cet « autre chose » le déchirait et faisait déferler sur lui un flot de questions ininterrompu ; des questions malheureusement destinées à rester sans réponses :
Comment avait-il donc pu oublier Mipha tout ce temps ?
Comment avait-il pu être aussi aveugle et stupide, lorsqu'il avait eu la chance de partager ces précieux moments avec elle ?
Pourquoi ne comprenait-il tout que maintenant ?!
Et pourquoi, maintenant qu'il avait ouvert les yeux, devait-il vivre la plus atroce des séparations ?
Comme il aurait souhaité.
Tout revivre.
Tout réécrire.
Son regard embué se détourna de la statue.
Non. Se reprendre. Il devait… Il devait… Aller voir le roi ! Et son fils ! Oui, c'était ça, la priorité. Retrouver la famille royale et… et…
Et quoi, au juste ?
Qu'allait-il leur dire, à tous ?
Alors qu'il commençait à monter l'escalier en colimaçon direction l'étage supérieur, Link tituba et s'agrippa à la rampe sur sa droite. Sa respiration s'emballa progressivement. Sa vue se voila.
Il était sonné.
Complètement sonné.
Hors du temps et hors du monde.
Malgré le soleil rayonnant, le blond ne sentait sur sa peau ni sa chaleur, ni l'agréable brise, ni le frottement soyeux de ses vêtements. Sa vision toute entière était obscurcie par un voile sombre et opaque, et cela n'avait rien à voir avec la cape qu'il avait gardée rabattue sur son crâne tout ce temps, malgré le temps clément.
Serrant les dents, il s'enjoignit pourtant à continuer.
Une à une, il grimpa les marches.
Chacune d'elles sonna à ses oreilles comme les trompettes de l'apocalypse. Car chacune d'elles le rapprochait inévitablement du moment fatidique où il lui faudrait annoncer l'indicible.
Mais il devait y aller. C'était son devoir en tant que Prodige et – l'idée manqua de lui faire tourner les talons aussi sec pour s'enfuir à toutes jambes, peu importât où – responsable de cette situation irrémédiable.
« Oh, Link ! Tu es revenu ! Je t'attendais ! » lança tout à coup une voix enjouée et sonore.
Tout à ses pensées tourmentées, l'interpellé ne s'était pas rendu compte qu'il avait déjà parcouru les quelques dizaines de mètres qui le séparaient de la salle du trône, et qu'il se tenait à présent au beau milieu de celle-ci.
Et il y était attendu. Par le roi Dorefah, par son fils, Sidon, et par son conseiller Meryth.
Par des sourires ravis et des mines radieuses.
Mais aussi, à son grand dam, par une part importante de la population zora logée au sein du domaine : certains, pour ne rien manquer du retour triomphal du Prodige, avaient anticipé sa venue et s'étaient depuis longtemps agglutinés dans cette salle qui parut, au yeux de Link, brusquement trop étroite, et même étouffante ; les retardataires, eux, avaient été alertés par son retour et l'avaient alors tout simplement suivi depuis son arrivée sans qu'il ne s'en rendît compte, fermant la marche derrière lui.
Tout en poussant des exclamations de joie à peine contenues, ils se postèrent dans son dos en arc de cercle parfait et respectueux, lui coupant sans le savoir toute retraite.
Coincé.
Il était coincé.
Il ne pouvait plus reculer.
Il allait devoir se montrer fort.
À suivre…
Voilà ! ~ Cela clôt ce premier chapitre qui, je l'espère, vous aura plu ^o^ L'exercice était assez compliqué pour moi : il a fallu que je m'imprègne des règles du monde et, surtout, que je suive le scénario tout en me ménageant quelques libertés ! Pas évident ! :p Du coup, je serais curieuse de savoir ce que vous en avez pensé !
Alors n'hésitez pas à laisser un commentaire… mais s'il vous plaît, en ménageant le spoil ! Il se trouve que je n'ai pas encore fini le jeu x3
Merci d'avance, et à très vite ! ~
White Assassin
