IMAGINE

Le lieu est désert, le vent souffle doucement, entraînant dans son sillage la poussière et les gravats, maîtres de ce royaume dévasté. Au loin l'astre solaire pourfend les nuages, avant de sombrer lui aussi vaincu par sa sœur, astre de la nuit.

Si l'on ferme les yeux et que l'on livre son âme aux courants aériens, il est possible d'entendre les cris de ceux qui furent vaincus et qui demeurent en ces lieux. Maudits et redoutés. Le bruit de l'eau sur les pierres brisées guide ses pas. Alors qu'elle traverse pieds nus, ce champ de ruines meurtrières.

Elle est seule ici, et pourtant, elle sait que des milliers d'yeux la regardent. Elle n'est seule que par le corps. D'esprit, ils sont des milliers. Abandonnés ici, souvenir d'une époque révolue. Elle les voit, elle les sent, elle les regarde comme eux la dévisage. Il n'y a nulle pitié dans ses yeux, ils n'en ont pas besoin.

Elle marche toujours, suivant la route qu'ils lui ouvrent. Elle ne peut pas se perdre, ils la guide et protègent son avancée.

Enfin elle arrive, fière et digne, au milieu de tous ces guerriers légendaires. Devant elle se dresse, immense et sombre, la raison de sa venue. Elle prend place, ils l'entourent. Elle ferme les yeux, elle n'a pas besoin de les voir, pour être avec eux.

Ses doigts effleurent, caressent presque tendrement les touches froides sous ses doigts, alors qu'elle fusionne avec elle.

Une mélodie s'amorce, imprègne l'air et respirer devient un combat tant la force des notes enserre le cœur.

Imagine there's no heaven,

It's easy if you try,

No hell below us,

Above us only sky,

Imagine all the people,

Living for today...

Des idiots pourraient penser qu'elle chante pour les vivants. Mais ils se trompent. Elle n'a que faire des vivants. Elle est venue chanter pour les morts.

Pour les sans nom, les oubliés de la bataille, ce qui n'ont fait que mourir, sans qu'on les pleure. Pour une cause qui n'étaient même pas la leur.

Ceux qui ne furent ni héros, ni martyr.

Ceux venus sauver un frère et ceux combattant au nom de la justice. Les libres et les engagés. Elle chante pour que l'on n'oublie pas, qu'eux aussi étaient là. Qu'ils ont donné leurs vies et leurs rêves, pour que d'autres aillent au bout des leurs. Ceux qui ont préféré sauver à gagner.

Imagine there's no countries,

It isn't hard to do,

Nothing to kill or die for,

No religion too,

Imagine all the people,

Living life in peace…

Ils étaient des hommes du monde, tous venus mourir sur le même sol. Sur la même terre.

Ses doigts volent sur les touches alors qu'elle crie, qu'elle pleure, les mots que tant d'autres ont portés avant elle.

Mais dans sa bouche, dans son cœur, ses mots ont une étrange lourdeur. Ils ont le goût des larmes et du sang. Y transperce la douleur d'une mère, d'une femme, d'une fille. La douleur du peuple endeuillé qui pleure, ceux qui se sont en allés.

Elle hurle à présent, la femme océan.

Elle regrette aussi, ceux qu'elle a vu naître, vivre et mourir. Ceux en qui elle a insufflé le rêve, la liberté et qui sont allés mourir sur terre.

Elle a assisté à la guerre, glacée, bouillante, ravagée et seule. Alors que son peuple se meurt.

You may say I'm a dreamer,

But I'm not the only one,

I hope some day you'll join us,

And the world will live as one.

Les paroles défilent, son souffle est court. Les larmes salées coulent le long de ses joues et sur son cœur.

Elle sait, au loin. Elle sent, les yeux des humains. Leur technologie qui l'observe qui la jauge et la juge. Ne la laissera t-on pas, n'a t-elle aucun droit. Elle qui les laisse voguer en son sein, qui protège leurs navires et éloigne leurs peurs. Elle ouvre un œil et la technologie s'incline.

Imagine no possessions,

I wonder if you can,

No need for greed or hunger,

A brotherhood of man,

Imagine all the people,

Sharing all the world...

Elle se rappelle de tous sans exception, tous les noms, tous les rêves, tous les espoirs et les déceptions.

Elle se souvient des grands, des puissants, des héros, Barbe Blanche, d'Ace, d'Oz mais elle se rappelle aussi les autres. Tous ceux dont le nom n'est pas cité, qui n'ont pas voix au chapitre. Que l'histoire ne retiendra pas. Ils restent gravés en elle, au fer rouge, chaque nom, chaque histoire. Ils rejoignent leurs prédécesseurs dans son royaume où toutes les âmes avides d'océan vogues pour l'éternité.

Elle est à bout de forces, la déchirure de son âme est chaque seconde un peu plus forte. Elle halète, secouée par les sanglots mais sa voix porte toujours plus haut. Et ils l'accompagnent, leurs voix rejoignent la sienne et ne forment plus qu'un.

Elle lève le visage vers les ciels, ses doigts volent sur les touches. Au-dessus le ciel craque et la pluie rejoint les larmes et la mer. Le ciel rend hommage à sa sœur endeuillée.

Elle est debout, à présent, le corps et l'âme tournés vers les hommes devant elle, alors qu'ils marchent vers la mer, rejoignant leur dernière demeure.

Elle sourit, elle les remercie.

La chanson atteint son apogée, c'est un hommage. Elle est venue dire adieu et bienvenue.

You may say I'm a dreamer,

But I'm not the only one,

I hope some day you'll join us,

And the world will live as one.

La clameur est tombée, elle est seule.

Elle s'assied de nouveau alors que sa peau quitte les touches et que la que pluie lave toute trace de sa présence sur cette terre.

Elle soupire et pleure, parce que cet endroit est le tombeau de ses enfants et le cimetière de la liberté. Elle pleure les morts et l'atrocité.

Elle finit par se lever, les jambes fébriles et le cœur lourd.

Elle fait face à MarineFord la sanglante.

Et elle s'incline, tel un chef d'orchestre. Elle s'incline face à l'immensité de la cruauté des hommes. Elle est venue rendre hommage, mais pas pardonner. Trop de sang a coulé.

Elle traverse de nouveau le champ de pierres et de mort sans un regard en arrière.

Elle marche toujours plus loin, jusqu'à disparaître dans le méandre des flots.