Ton Nom.
une journée bizarre
Lucy Heartfilia était sans le moindre doute la fille la plus maladroite du pays. Si elle inspirait une certaine forme de respect et d'admiration au travers de son physique et de son intellect, elle n'en restait pas moins d'une maladresse affligeante : elle passait le plus clair de son temps à s'empêtrer dans ses propres pieds tout en jurant à qui voulait l'entendre qu'elle était maudite. Elle n'était pas vraiment superstitieuse, c'était plutôt le genre de fille terre à terre qui ne jurait que par la science. Toutefois, cela ne l'empêchait pas de se plaindre de son karma déplorable, ce qui suscitait la profonde affliction de ses amies les plus proches.
Elle jeta une œillade à son reflet, détaillant son faciès fatigué : la peau généralement joliment rosée de ses joues avait laissé place à un teint plus pâle où de grosses cernes venaient parfaire le tableau. Elle poussa un soupir résigné et réajusta convenablement le blazer bleu roi qui caractérisait si bien l'université de Kyōto, Kyodai, où elle faisait ses études depuis deux ans maintenant, entamant sa troisième mais néanmoins dernière année d'études. Elle lissa prestement sa jupe bordeau en coton souple, admirant une dernière fois sa silhouette impeccable : des deux chaussettes hautes qui venaient enserrer ses mollets étrangement athlétiques, au ruban bleu lavande qui emprisonnait sa chevelure d'une queue de cheval haute. Elle n'était pas mécontente de son physique, plutôt atypique pour une jeune japonaise, il fallait bien l'avouer. S'il était vrai qu'elle était née ici, ses traits plus qu'occidentaux lui rappelaient sans cesse les origines françaises qui coulaient dans ses veines, héritage de sa défunte mère.
Elle agrippa la lanière de cuir usé de son sac en bandoulière, inspira un grand coup avant de fermer la porte de son petit appartement, prête à entamer ses vingt-sept minutes de marche quotidienne.
Ses petits talons frappaient le béton de la rue passante à un rythme régulier, l'air encore frais de ce mois de mai venait soulever paresseusement sa longue chevelure blonde, la laissant retomber sur le haut de ses fesses dans un mouvement anarchique. Elle aimait bien ce temps : les beaux jours approchaient doucement, pourtant si les chaleurs prenaient une certaine ampleur dans la journée, les nuits, elles, restaient encore fraîches et vivables. Elle huma l'air, ce mélange désagréable de pot d'échappement et de nourriture courrait dans les rues comme un parfum écœurant, et même si elle trouvait ça plutôt désagréable, une part d'elle-même avait fini par s'y faire, après tout elle n'avait jamais quitté le centre de Kyôto.
Elle longea les rues bondées, bousculant parfois quelques passants sur sa route avant de déboucher devant l'édifice. Il était immense, les pierres brunes s'harmonisant à celles d'un blanc cassé salies par les nombreuses intempéries. Une grande place l'encadrait, déjà noire d'étudiants plus ou moins pressés de débuter leur première heure de cours.
" Lucy ! Scanda une voix aiguë, par ici !"
Elle remarqua la silhouette fine et délicate de Lévy se détacher de la foule : elle slalomait habillement à travers la masse d'élèves tout en tirant d'une main l'imposante masse de muscle qu'était Gajeel. Le garçon arborait un air las qui collait parfaitement à l'image qu'il aimait dégager.
Si la multitude de piercing qui recouvrait une grande partie de son visage ne suffisait pas à décourager les plus téméraires, la masse imposante de cheveux brun qui venait recouvrir une musculature impressionnante finissait de s'en charger. Il leva une main ennuyée vers son amie, décrochant un sourire à peine visible.
" Yo ! Salua-t-il sans grand entrain. Prête pour le cours le plus barbant du siècle ?
- Gajeel ! Gronda Lévy en lui assénant un coup de coude, monsieur Drear est reconnu comme le meilleur enseignant du pays ! La thèse qu'il a mené sur la complexité du cerveau humain en se réfèrent à l'astrologie est tout simplement prodigieuse. Arriver à concorder la complexité du cosmos à celle de notre cerveau en passant par le conscient et l'inconscient… Te rends tu seulement compte de la chance que nous avons ?
- Je ne vois pas ce que pourrais m'apporter la prétendue théorie d'un vieux tordu retraité. C'est facile de parler de choses basées sur de simple hypothèse !
- C'est bon, tempéra Lucy en balançant négligemment ses mains devant elle, ça ne sert à rien de se disputer. »
Lucy admirait le duo en plein duel visuel, elle avait bien été tentée de faire souligner à Gajeel qu'il avait choisi de son plein gré d'intégrer le programme de monsieur Drear et qu'il était donc tout à fait déplacé d'insulter le vieil homme.
Makarof, de son nom, était un ancien médecin très réputé dans la capitale, un précurseur dans le domaine complexe du psychisme qui avait décidé après sa retraite, de transmettre son savoir en devenant instituteur dans leur université. Il était sans conteste la raison qui avait poussé Lucy à étudier ici, elle lui vouait une admiration et un respect abusifs au même titre que Lévy qui l'idolâtrait littéralement.
« Tch! Pesta la bleue en foudroyant du regard Gajeel. C'est donner du caviar à un cochon !
- Qui tu traites de cochon, moucheron ?!
- Bon ! gronda subitement Lucy, c'est pas bientôt fini ! Allez on y va ! »
Le duo, sous le coup de la surprise, avait abandonné leur joute verbale, prenant la suite de la blonde qui se dirigeait d'un pas sûr vers son casier. Elle connaissait Gajeel depuis presque aussi longtemps que Lévy, et si leur physique était tout aussi différent que leur personnalité, ils n'en restaient pas moins de très bons amis. Bon, ils avaient une façon étrange de se le montrer, mais ils pouvaient sans l'ombre d'un doute, avoir une confiance aveugle en l'autre.
Les yeux terreux de la blonde roulèrent dans le casier parfaitement rangé qui lui faisait face. Elle récupéra la petite paire de chaussure noire cirée qui l'attendait pour les enfiler prestement, déposant ses bottines usées à l'intérieur du casier. Un soupir traversa ses lèvres, elle allait devoir en racheter d'autres à ce rythme-là, comment diable pouvaient-elles être aussi abimées ? À croire qu'elle frottait le cuir sur le trottoir à ses heures perdues.
Elle ferma doucement la porte de métal, jetant un bref coup d'œil à la photographie qui était soigneusement attachée en son intérieur : on pouvait y voir le trio rire au tour d'une table, Gajeel une guitare à la main. Cela remontait à quelques années, pourtant voir leurs visages insouciants marqués par une hilarité évidente lui redonnait toujours le sourire, l'apaisant irrémédiablement. Ils étaient ses meilleurs amis, sa famille, et pour rien au monde elle ne voulait s'en séparer.
La bonne humeur remonta en flèche et c'est le sourire aux lèvres qu'elle rejoignit ses amis pour aller en classe. L'amphithéâtre était plein à craquer, bon nombres d'étudiants intégraient l'établissement dans l'espoir d'être un élève de monsieur Drear, il fallait dire que sa réputation n'était plus à faire.
" J'en ai marre de ce truc, marmotta Lévy en tirant sur le nœud à son cou.
- Lévy, tout va bien ? Hasarda lucy, qui la voyait se trémousser sur place.
- Ça me démange ! Gémis-t-elle dans un regard suppliant.
- T'as qu'à l'enlever ! "
Un petit mais néanmoins puissant coup de pied percuta le tibia de Gajeel, (majuscule) le faisant gémir de douleur sous le rire à demi-masqué de Lucy. Elle adorait profondément ses amis, si Lévy était bien loin de ressembler à tout le monde avec son petit mètre cinquante-huit et ses cheveux d'un joli indigo coupé en un carré légèrement plongeant, elle n'en restait pas moi fascinante.
Sa famille venait d'un petit village aux alentours de la mégapole, ils avaient vendu leur magasin de thé pour venir s'installer ici et permettre à la jeune fille de pouvoir étudier convenablement. Il fallait dire qu'avec sa fascination pour les langues mortes et ses projets d'avenirs, il était difficile de trouver une bonne institution capable de répondre à ses attentes. Jamais encore Lucy n'avait vu tant d'abnégation, de volonté aussi chez des parents, après tout ils avaient tout abandonné pour leur unique enfant, et si leur vie était rude ils n'en montraient rien, jamais.
La voix grave de monsieur Drear résonna dans la pièce, ricochant élégamment sur les murs vieillis du bâtiment. Si le bonhomme était vieux, bien plus qu'un enseignant traditionnel, il n'en restait pas moins terriblement charismatique, laissant les mots glisser avec habilité sur sa langue, comme s'il vous emprisonnait dans une petite bulle de coton, vous berçant de sa voix grave et douce. Si Lucy avait eu un grand père, aucun doute qu'elle l'aurait aimé comme lui.
" L'univers est un tout, poursuivit-il tranquillement installée sur son bureau, ses pieds fouettant l'air tranquillement, toute chose attend un but, du plus insignifiant des battements de cils au plus puissant des hurlements, chaque chose que nous faisons nous définit tel que nous sommes actuellement, que nous en ayons conscience ou pas. Pour arriver à comprendre la complexité d'un esprit, il ne faut donc pas négliger le moindre indice sur celle-ci, qu'il vous paraisse insignifiant ou non."
Il continuait à parler, captivant chaque élève comme s'il révélait le secret même de la vie, c'était certainement une sorte de don que possédait le sexagénaire. Lucy jeta un bref coup d'œil à son amie, voyant ses yeux briller à chaque consonne, sa main notant assidûment chaque parole prononcée. Si on la connaissait assez, on pouvait voir ses sourcils se dresser sous la stupeur, ou ses lèvres se pincer lorsqu'elle prenait conscience d'un fait important.
Gajeel quant à lui restait fidèle à lui-même, à demi affalé sur la chaise, l'air passablement ennuyé, son visage reposant sur son poing fermé. S'ils avaient chacun une bonne raison de se trouver ici, le jeune homme se semblait pas emballé outre mesure par le cours, il hochait passivement la tête de temps à autre sans faire plus d'effort.
Lucy était persuadée qu'il avait intégré ce cours dans l'unique but de pouvoir passer du temps avec elles, quoi que plus particulièrement Lévy. Un sourire goguenard étira la bouche de Lucy, elle avait découvert il y avait de cela quelques temps, la raison des nombreux piercings du brun, d'un premier abord Lucy avait trouvé ça de très mauvais goût, voyant cet acte comme une forme de mutilation, et puis Gajeel lui avait expliqué que son père était un acuponcteur : chaque tige d'acier qui perforait de façon stratégique son visage avait une signification propre, et une utilité bien précise. Elle avait d'abord cru qu'il se payait sa tête, mais le sérieux dont il faisait preuve dans ses explications avait fini de la convaincre.
Elle avait été d'autant plus surprise quand elle avait appris qu'il était un fervent hindouisme, respectant des principes de vie ancestraux avec beaucoup de rigueur et de passion. Cet homme était un paradoxe à lui seul.
Le regard de Lucy glissa sur la fenêtre, la cour était pleine d'étudiants en permission, ou trop fainéants pour aller en cours. Étrangement, elle s'était toujours sentie à son aise ici, y trouvant un second foyer. Elle laissa sa main griffonner sans grand entrain le papier encore vierge, elle avait beau savoir que ce cours était important pour elle, la motivation n'y était pas, pas aujourd'hui. Sa nuit avait été terriblement longue, elle ne vivait pas, comme une partie des étudiants, au crochet de ses parents, non, elle devait travailler dur pour se payer ses cours et son appartement, et même si la bourse qu'elle avait reçue couvrait une partie des frais, elle ne pouvait décemment pas se reposer dessus.
Ses yeux dérivèrent sur les hautes collines qui se profilaient à l'horizon, les étendues vertes qu'elle ne pouvait qu'imaginer, disparaissant sous les imposants nuages de coton.
Un sourire amer étira sa bouche, sa vie aurait-elle était différente si elle avait vécu là-bas, éloignée de toute cette technologie, à vivre dans ces grandes maisons typiquement japonaises, cernées par une forêt dense et profonde où mythes et légendes y régnaient en maîtres, et ceux aux côtés de ses parents ?
Peut-être qu'ainsi, alors jamais ils ne seraient morts.
« Lucy. Appela doucement la bleue. Tu rêvasses encore.
- Excuse-moi Lévy.
- Ça ne fait rien, allez viens allons manger. »
Elle jeta un regard circulaire à la pièce, surprise d'avoir passé près de deux heures à fixer l'extérieur, perdue dans ses pensées comme s'il ne s'agissait que d'une dizaine de minutes. Elle retint péniblement un soupir, elle allait devoir récupérer les notes de Lévy pour ne pas se trouver lésée au prochain examen.
Elle se leva de son siège, suivant le duo en admirant d'un œil amusée leurs nombreuses prises de bec, ils étaient adorablement pénibles à la longue. Ils débouchèrent sur le toit déjà remplit rempli de plusieurs petits groupes, rejoignant de quelque enjamber en quelques enjambées leur coin fétiche : un morceau de béton usé dissimulé derrière l'énorme ventilation. Cet endroit donnait une vue incroyable sur Kyōto : des hauts buildings en passant par le parc où s'élever les grands cerisiers.
« Et dire que c'est notre dernière année. Lâcha Lévy en ouvrant son bento pour attraper, rêveuse, un onigiri. Je me demande si tout se passera comme je le souhaite.
- Pourquoi ça n'arriverait pas ? Demanda Lucy maintenant des nouilles devant sa bouche du bout de ses baguettes.
- Je ne sais pas.
- Tu verras bien le moment venu. Poursuivit Gajeel, rassurant. Une fois mon diplôme en poche, je me tire de cette ville de merde !
- Où irais-tu ? Questionna Lévy les sourcils froncés. Je ne vois pas ce qui ne va pas avec Kyôto !
- Tout. Soupira le brun. Et puis mon père aura certainement besoin de moi.
- Mais ton père vis à des kilomètres d'ici ! Protesta la bleue en abandonnant son repas, et puis en quoi tu pourrais l'aider franchement ?
- En pleins de choses ! Gronda le brun. Je ne vois pas le problème !
- Le problème c'est que venir jusqu'à Kyōto pour bénéficier d'un des programmes les plus réputés pour tout abandonner est ridicule !
- Moi, j'aimerais voyager. Voir le monde tel qu'il est et non pas tel qu'on le conte."
La voix douce et calme de Lucy arrêta pour la seconde fois la dispute quotidienne du duo. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que cette situation angoissait terriblement Lévy, elle qui avait passé une grande partie de sa vie à leurs côtés refusait catégoriquement qu'un de ses deux compagnons puisse l'abandonner de la sorte. Elle tritura nerveusement le pli de sa jupe, le regard rivé sur ses doigts longilignes tout en contenant péniblement le mélange de colère et de frustration qui lui nouait l'estomac.
" Parfois, j'aimerais être ailleurs, être une autre personne, une personne totalement différente. Avoua pensivement Gajeel bien loin de comprendre le trouble de son amie.
- Et tu te rappelles qu'on est là et que tu ne peux pas de passer de nous. Nargua gentiment Lucy dans un petit sourire goguenard.
- Certainement pas ! Gronda le brun les joues légèrement rosies. »
Lucy laissa un rire la prendre, rapidement suivie par Lévy bien que plus timide.
Si la blonde adorait ses amies et sa vie, elle devait bien admettre qu'elle avait déjà songé à être ailleurs, tout comme Gajeel. Le poids du silence lorsqu'elle rentrait chez elle, devenait toujours un peu plus pénible à porter, ajouté à ça la monotonie de sa vie, elle avait l'horrible sentiment de répéter continuellement la même chose, jonglant entre ses cours et son emploi à mi-temps de serveuse dans un des restaurants du coin.
Sa vie était réglée comme du papier à musique et bien qu'il lui apportait une certaine sécurité et un réconfort, elle devait bien admettre qu'elle la détestait tout autant.
Elle redressa légèrement son menton pour admirer le paysage, derrière les imposants buildings et panneaux publicitaires s'étendaient d'imposantes montagnes encore blanchis par la neige. Un maigre sourire étira sa bouche, elle avait décidé de rejoindre à la fin de ses études la France pour retrouver le dernier parent qu'il lui restait et si son oncle était un personnage excentrique, il était tout ce qui lui restait. Bien sûr elle n'en avait encore parlé à personne, indécise.
Quitter le Japon revenait à dire adieu à cette vie, à ses amis, à ses souvenirs. C'était reprendre un nouveau départ, mais dans un lieu qu'elle ne connaissait pas vraiment, elle n'était pas sûre d'en avoir la force, mais rester ici ? C'était un choix cornélien auquel elle ne trouvait pas encore de réponse, alors elle préférait attendre encore un peu avant de se décider pleinement. Après tout il lui restait encore du temps, sans compter les onze mois qui manquaient à la validation de son année, avant la fin de ses études.
…
« Lucy ! Table soixante-deux ! Et que ça saute ! Aboya Ren le cuisinier en chef en déposant sur le plan de travail plusieurs assiettes chaudement garnis.
- Aye, aye ! »
Habillement elle déposa plusieurs plateaux sur son avant-bras, maintenant dans un équilibre parfait les nombreuses commandes. Elle avait beau être un véritable danger public en temps normal, pour une raison inconnue elle arrivait à gérer à merveille son équilibre lorsqu'elle travaillait. C'était probablement grâce aux multiples efforts d'Hibiki, qui l'avait aidé de nombreuses soirées durant à perfectionner son maintien et sa posture, dans l'espoir de la stabiliser.
Si elle devait son travail à quelqu'un c'était sans nul doute à lui.
Elle se rappela dans une grimace ses premiers essais, franchement catastrophiques. Elle avait manqué de s'ouvrir la tête sur le bar en glissant sur l'eau d'un verre qu'elle avait renversé quelques minutes plutôt, sans compter la pauvre vaisselle qu'elle avait vu se fracasser sur le sol un nombre incalculable de fois. Il lui avait fallu de long mois pour arriver à son niveau, grâce à l'entrainement strict et rigoureux du serveur.
Elle poussa un léger soupir en se rappelant les soirées qu'elle avait passé seule, chez elle, un livre sur la tête, un plateau garnis dans l'autre, pendant qu'elle effectuait des longs aller-retour tout en zigzagant et tournant sur elle-même. Aujourd'hui encore, elle se demandait comment le gérant avait accepté de la faire travailler.
Elle poussa d'un mouvement de bassin souple la porte battante pour rejoindre la pièce centrale qui regroupaient plusieurs tables circulaires, ainsi que le bar.
Blue Pegasus était l'un des restaurants les plus côtés de la capitale : si la devanture assez simpliste n'attirait pas l'œil, l'intérieur était renversant, il ressemblait au restaurant chic à la française, mariant le marbre et le bois avec élégance. Le propriétaire, Bob, y avait vécu de longues années avant de venir s'installer au Japon et d'y monter son commerce. Bien qu'il vienne d'un milieu totalement différent, ancien décorateur d'intérieur et fin philanthrope, il prenait plaisir à régaler ses convives tant par la vue magnifique du lieu, que par la qualité des plats.
Lucy déposa deux assiettes garnies devant un petit couple, avant de zigzaguer à travers les tables pour déposer les nombreux breuvages d'un groupe d'étudiants. Le prix était tout à fait abordable, même bien en dessous de la qualité des services, cependant, Bob préférait garder ce côté convivial et familial à un plus strict et coûteux, et c'était tout à son honneur.
C'était d'ailleurs plus l'ambiance festive et chaleureuse du lieu et ses employés qui avait motivé Lucy à travailler ici, plutôt que le travail pénible ou le salaire assez pauvre.
C'est aux alentours de vingt-trois heures quarante qu'elle abandonna son tablier de serveuse, pour se poser sur les grosses caisses en bois du débarras. La journée avait été particulièrement éreintante, son corps ressemblait à une courbature géante, alors que ses pieds peinaient à supporter son poids. La porte grinça doucement, dévoilant Hibiki, le deuxième serveur, tout aussi fatigué, il se laissa tomber à ses côtés en soufflant lourdement.
« J'en peux plus. Avoua-t-il en se massant la nuque.
- Je croyais qu'il n'y avait pas mieux pour rencontrer de jolie jeune fille en fleur, nargua Lucy en massant la plante de ses pieds endolories.
- Et c'est le cas ! sourit-il malicieux, seulement je suis crevé, aujourd'hui les clients ont été particulièrement exigeants. »
Elle opina en silence, il était vrai qu'aujourd'hui, plus que d'habitude les clients avaient été terribles, et l'absence de Yukino, la troisième serveuse n'avait pas arrangé les choses.
« Je te raccompagne ? proposa gentiment le rouquin. Il se fait tard, et je n'aime pas te savoir rentrer seul.
- Merci Hibiki. »
Elle le gratifia d'un sourire chaleureux, se levant à sa suite, elle n'habitait certes pas loin du restaurant mais les rues sombres et désertes l'effrayaient toujours. Heureusement Hibiki s'avérait être un garçon adorable, d'une gentillesse à toute épreuve, et bien que porté sur la gente féminine, il se montrait très respectueux vis à vis de Lucy, elle était d'ailleurs une des rares présences féminines qui l'entourait, qui se rapprochait le plus d'une amie, le reste n'étant qu'un cumul de conquête et d'amantes. Il lui avait avoué un jour aimer bien trop les femmes pour arriver à en choisir une en particulier, ce à quoi elle avait répondu par une légère tape sur l'épaule, les joues rouges d'embarras.
…
Lucy se laissa faiblement glisser de son lit, fixant ses pieds nus sans vraiment les voir, de lourdes larmes dégoulinaient sur ses joues sans qu'elle n'en prenne conscience. C'est seulement lorsqu'elle remarqua l'eau salée s'écraser ses ses cuisses mises à nu qu'elle percuta.
Ça faisait quelques jours qu'elle se réveillait ainsi, ce n'était pas à rythme régulier, ça s'étalait même sur quelques semaines, pourtant elle se trouvait toujours aussi surprise de voir son visage humide au saut du lit sans même en comprendre la cause. Ses parents étaient mort d'un accident de voiture lorsqu'elle avait douze ans, et si le vide dans son corps était toujours présent, elle en avait fait le deuil depuis longtemps. Non c'était autre chose, quelque chose qui s'insinuait dans son esprit, un sentiment de manque, comme si un morceau d'elle-même était parti lors de son réveil et pourtant rien ne justifiait ce sentiment.
Elle avait l'impression d'oublier quelque chose de primordial à sa vie, à son bien être, comme un mot coincé sur le bout de la langue, comme un souvenir important trop vieux pour qu'elle en comprenne les formes floues qu'il comportait. Elle se sentait creuse, vide de quelque chose. Elle essuya du bout des doigts ses larmes, sourcils froncés en enfilant sa tenue d'étudiante, passant devant la cuisine sans prendre un petit déjeuner. Ses matins là, elle se sentait bien trop nouée pour avaler quoi que ce soit.
L'esprit ailleurs, elle se laissait guider par habitude, esquivant les passants comme une routine parfaitement huilée, elle enjamba facilement le vélo étalé au sol du petit garçon qui, comme chaque matin, saluait ses camarades sans faire attention à sa bicyclette étalée sur le goudron. Elle évita le camion de réapprovisionnement du restaurant qui faisait l'angle, se pencha avec habitude sous les tiges de métal de la devanture du magasin de vêtement de madame Mytsuki, pour continuer sur l'avenue d'Higashi Ichijo Dori, passant devant le sanctuaire Shinto pour enfin déboucher devant le grand portail de l'université.
Elle n'arrivait pas à se concentrer sur ce qui l'entourait, ou même sur les cours qu'elle devait suivre un peu plus tard, son esprit restait obnubilé par les larmes qui avaient coulé ce matin. Pourquoi ? Bon sang pourquoi n'arrivait-elle pas à comprendre la raison, probablement simplissime, qui la mettait dans un tel état ? C'était grotesque, elle n'avait aucune raison concrète de pleurer comme une madeleine au saut du lit, bon sang !
Elle jura entre ses dents, passant le grand arbre central qui caractérisait l'édifice, décidée à oublier ce réveil idiot pour se concentrer sur les choses vraiment importantes. Seulement voilà, elle n'arrivait pas se l'enlever de la tête, revenant comme un boomerang chaque fois qu'elle arrivait, péniblement, à penser à autre chose, elle ne remarqua d'ailleurs pas qu'elle venait finalement d'arriver aux portes de l'université.
« Lucy ! Appela avec autorité une voix grave. »
Un frisson désagréable remonta le long de son échine, la faisant légèrement sursauter. Prudemment, elle redressa son faciès pour rencontrer celui intransigeant d'Erza. La jeune femme était de loin l'une des figures les plus emblématiques de l'université, tout le monde connaissait la réputation d'Erza, et ceux qui avait un jour osé se tenir face à elle le regrettait aujourd'hui amèrement.
Il ne fallait pas se fier à son visage doux et délicat, son corps tout en volupté ou son parfum de fruit des bois. Ce qui la connaissait, même de nom, savait qu'elle était à l'image de ses cheveux, sanguinaire.
Erza était une dernière année comme Lucy, malheureusement la jeune femme n'avait jamais joui d'une vie de famille convenable et s'était trouvée très jeune à la rue, obligée de se débrouiller seule, autant dire que ses nombreuses années à vivre ainsi l'avait rendu violente et agressive. En meneuse d'une petite bande de yakuza, elle gérait d'une main de fer l'université, qu'elle considérait comme faisant partie intégrante de son territoire.
Peu de personne osait seulement lui jeter un regard, alors lui adresser la parole semblait complètement fou, c'est pourquoi attirer l'attention de la rouge était une très, très mauvaise nouvelle et Lucy le savait pertinemment, d'autant qu'elle était assez discrète, elle ne voyait donc pas ce qui avait pu susciter chez elle l'intérêt de la jeune femme.
L'espoir fou qu'il s'agisse d'une autre Lucy s'évapora à la seconde même où Erza se plaça devant la blonde, la toisant sans retenue sous les murmures étouffés de la foule qui s'était rapidement agglutinée autour d'elles, attendant sans aucun doute un combat qui était gagné d'avance.
« Lucy ! Répéta de sa voix forte la rouquine. Je suis contente de voir que tu as tenu ta parole.
- Ma parole ? Articula péniblement Lucy. »
Son sang s'était glacé dans ses veines, et le silence anormal qui l'entourait n'était pas là pour la rassurer. Ses mains se firent moites et sa bouche terriblement pâteuse, il fallait se rendre à l'évidence, face au monstre qui lui faisait face, Lucy n'avait pas l'ombre d'une chance, et puis elle était loin d'être une combattante. Elle était plutôt peureuse et faisait de son mieux pour éviter les situations de conflits, se trouver là en cet instant paraissait véritablement absurde. Qu'avait-elle fait pour mériter ça ?
« Oui, ta parole. Répéta Erza avant de jeter un regard noir à leur auditoire. Qu'est-ce que vous regardez vous ! »
Il n'en fallut pas plus pour que la foule se disperse à la vitesse de la lumière, les laissant bientôt seules sur le chemin goudronné qui menait au hall d'entrée. Erza reporta doucement son attention sur la blonde, visiblement satisfaite de son petit effet, les traits durs de son visage s'étirèrent de façon totalement improbable, ses yeux se plissèrent sous l'étirement inquiétant de sa bouche. De belles dents parfaitement droites d'un blanc éclatant irradièrent subitement son visage, et sans attendre elle poussa un petit ricanement, passant son bras sur les épaules de Lucy pour la tirer contre elle.
« Tu sais ce que tu m'as dit hier m'as vraiment marqué, c'est la première fois depuis longtemps qu'on me parle comme ça ! Une légère rougeur tinta ses joues alors qu'elle penchait la tête sur le côté dans une accolade fraternelle merci Lucy. »
Un petit gémissement s'échappa de ses lèvres, l'incompréhension tapissant son visage, alors qu'elle fixait Erza comme s'il s'agissait d'une rencontre du troisième type. Mon dieu mais qu'est ce qui c'était passé la veille ? Elle n'avait pourtant pas bu, alors pourquoi diable ne comprenait-elle rien à la situation ? Pire, pourquoi n'en avait-elle pas le moindre souvenir ?
« J'aimerais te témoigner de la reconnaissance !
- Oh, heu, tu n'es pas obligée tu sais ! Bafouilla Lucy en battant des mains.
- Qu'est-ce que tu racontes ! S'emballa Erza en lui donnant un violent coup de coude dans les côtes. Ça me fait plaisir !
- Dans ce cas alors. Gémit-elle dans un sourire crispé. »
Cette femme ne pouvait décemment pas être humaine. Si sa force était impressionnante, la descente de cette fille l'était tout autant, elle enfournait la première part de son deuxième gâteau aux fraises et par gâteau j'entends gâteau, pas morceau, comme si de rien n'était.
Elle avait traîné Lucy en dehors de l'école, l'emmenant dans une petite ruelle pour lui faire découvrir, d'après elle, la meilleure pâtisserie de la ville. L'enseigne ne payait pas de mine avec sa peinture rose pâle écaillée et l'étrange rosier qui s'entortillait maladroitement autour de la gouttière, mais Erza n'y fit pas attention, poussant la porte avec habitude.
La clochette tinta légèrement, dévoilant aux yeux de Lucy une pièce minuscule aux couleurs pastelles presque effacées, des plantes à l'allure lugubre disposées ici et là, alors que les quelques tables qui remplissait l'espace étaient si usées que Lucy crut un instant qu'elles ne supporteraient pas le poids d'une commande.
« Tu sais Lucy t'es vraiment un phénomène ! Rigola la rouge en tapant gentiment l'épaule de la blonde, je ne t'imaginais pas aussi timide hier ! À croire que je t'intimide maintenant !
- Excuse-moi. Bafouilla la blonde, je suis un peu... surprise, c'est tout.
- Tu n'as pas à l'être Lucy ! Nous sommes amies maintenant non ?"
Le regard lourd de sens que lui jeta Erza étouffa dans l'œuf toute volonté à expliquer la situation qui commençait clairement à lui échapper. Elle sentit à l'expression de la rouge que cette question anodine ne l'était pas tant pour elle, Lucy avait le sentiment dérangeant qu'elle pouvait s'effondrer à la seconde, suspendue à ses lèvres comme on s'accroche à l'espoir.
« Bien sur Erza. »
C'était sortit naturellement, pourtant elle ne connaissait pas vraiment cette fille : tout ce qu'elle avait entendu d'elle n'était que des bruits de couloirs, elle ne l'avait jamais abordé, ni même rencontrer au cours de ses études.
« Bien ! »
Elle l'avait dit d'une voix mal assurée, replongeant sa fourchette dorée dans son gâteau comme si de rien n'était, pourtant la lueur de soulagement qui était passé dans son regard vermeil n'avait pas échappé à la blonde. Elle se détendit un peu, comprenant qu'elle ne lui ferait aucun mal. Plus assurée Lucy se permis un petit sourire en piochant dans sa part de tarte au citron.
« C'est vraiment bon. Avoua Lucy dans une tentative de conversation.
- Tu trouves aussi ? Se ravit Erza les yeux brillants, il devait être démoli.
- Vraiment ?
- Oui ! C'est un crime de mettre à la rue un talent pareil ! Tu imagines ce qu'on aurait perdu ?! »
S'en suivit pas moins d'une quarantaine de minutes d'une dissertation rondement menée par Erza sur l'importance des pâtisseries, tout particulièrement des fraisiers dans la vie des gens, ce à quoi Lucy se contentait d'hocher timidement la tête pour acquiescer, peu encline à exposer sa propre idée sur la question, qui lui vaudrait sans le moindre doute une mort lente et particulièrement douloureuse. C'est aux alentours d'onze heures qu'Erza ramena Lucy à l'université avant de disparaître dans les longs couloirs.
Si Lucyétait habituée à attirer les coups d'œil, en partie à cause de sa longue chevelure blonde dénotant grandement avec le profil plus classique des japonais, il lui paraissait évident qu'aujourd'hui ce n'était pas ça qui attirait les regards curieux, mais bien la présence d'Erza à ces cotés. Étaient-ils inquiets de les voir ensemble ? Ou soulagés de la voir intacte ? Elle se sentait parfaitement incapable de répondre à cette question, mais aucun doute qu'elle allait devenir la toute nouvelle attraction.
« Lucy ! S'écria Lévy en se jetant sur la blonde à peine entrée en classe de mathématique, bon sang ! »
Elle la tira par le bras pour s'installer le plus loin possible du professeur et des oreilles indiscrètes, rejoignant Gajeel qui griffonnait sur son cahier usé.
Levy l'installa prestement entre eux, tirant sur son bras pour mettre la tête de Lucy à son niveau. Elle paraissait vraiment paniquée, et comment lui en vouloir ? Erza était la bête noire de tout être vivant, elle n'était vu qu'avec son petit groupe et lorsque par hasard, on la surprenait à discuter avec un étudiant, il n'était pas rare de ne plus jamais le voir, ce qui soyons honnête, n'avait fait que fortifier la montagne de rumeur sanglante qui courrait sur elle.
« Je me suis fait un sang d'encre ! Rouspéta la bleue en détaillant la peau vierge de son amie, mais qu'est ce qui t'as pris enfin ?! On parle d'Erza je te rappelle !
- Mais j'en sais rien moi ! Lâcha Lucy après avoir repris ses esprits, elle est venue me chercher ce matin, Lévy je ne comprends même pas de quoi elle me parle ! Qu'est ce qui s'est passé hier ?!
- Tu ne t'en souviens pas ? Hoqueta-t-elle
- C'est vrai que tu étais étrange hier ! Ajouta tranquillement Gajeel. Une vraie dingue !
- C'est vrai ça ! Approuva brusquement Lévy. Tu délirais complètement hier.
- Mais qu'est-ce que j'ai dit ! Hurla à bout de patience la blonde en se redressant. »
Tous les regards se tournèrent vers elle, alors qu'elle s'empourprait de gêne, baragouinant des excuses en reprenant sa place, non s'en faire remonter une vague de murmure franchement désagréable.
Lévy et Gajeel se jetèrent un regard lourd de sens, et finalement c'est Lévy qui se porta volontaire. C'est comme ça que Lucy découvrit qu'elle était arrivée en retard la veille, surexcitée, ses cheveux lâchés encore ruisselant d'eau. D'après ce qu'avait compris la blonde, elle avait percuté Erza en allant en cours et avait manqué de se battre contre elle, avant de la défier à un duel de basket-ball qui avait attiré un nombre incalculable d'étudiant. Match que Lucy avait manqué de gagner de quelque point, s'en était suivi un discours moralisateur qu'elle avait balancé à Erza avant de lui tendre une main amicale. La suite était assez trouble mais le principal était là, elle avait complètement disjoncté la veille !
Perdue dans ses pensées et les nombreuses questions qu'avait suscité en elle Lévy, la journée découla rapidement, si bien que dix-huit heures arriva enfin. Si Lucy partageait quelques cours avec Lévy et Gajeel, toute son après-midi s'était faite sans eux, puisqu'il s'agissait de ses cours spécifiques. Elle récupéra son sac, saluant Minerva sa partenaire juridique, pour rejoindre le couloir où l'attendait déjà ses deux amis.
Ils traversèrent les couloirs, s'étonnant de voir quelques personnes les esquiver comme s'ils étaient lépreux, alors que bon nombres de messe basses accueillaient leurs pas. Il fallait bien admettre qu'ici tout ce savait, et aussi sûrement que le jour succédait à la nuit, les nouvelles rumeurs sur son lien avec Erza noyaient déjà les oreilles de chaque élève et professeur de l'université.
Lucy soupira, et dire qu'il s'agissait de sa dernière année, elle qui la voulait semblable aux deux précédentes, elle se trouvait maintenant éjectée sous le feu des projecteurs.
« Lucy tu es sûre que tout va bien ? Demanda une nouvelle fois Lévy, Tu es peut-être surmenée, tu devrais te reposer.
- Je vais très bien Lévy, je t'assure !
- Alors t'es cinglée ma pauvre ! Nargua Gajeel en passant devant elle.
- Gajeel ! Gronda Lévy avant de s'arrêter le visage blême. Qu'est-ce que... Lucy ?
- Ne me regarde pas comme ça, j'y suis pour rien. »
Devant le casier de Lucy se tenait Erza, tranquillement appuyée contre les portes en fer, jouant négligemment avec une batte de baseball en inox qu'elle s'amusait à balancer d'un côté à l'autre. Ses prunelles vermeilles s'illuminèrent lorsqu'elle remarqua enfin le trio, laissant l'expression dure de son visage laisser place à un sourire ravi, quoi qu'assez effrayant.
« Lucy ! Salua la rouge.
- erza ? Bafouilla-t-elle, qu'est-ce que tu fais la ?
- Quelle question ! Je te raccompagne bien sûr ! »
Évidemment, pourquoi n'était-elle pas étonnée ? Sa vie partait en eau de boudin depuis son réveil, alors quoi de mieux pour clôturer cette journée calamiteuse que la partager avec la bête noire de l'université ? Aucun doute que demain, la journée allait être terrible et solitaire à n'en pas douter, maintenant que les gens pensaient qu'elle côtoyait Erza, ils allaient se mettre à la fuir. Adieu tranquillité et anonymat songea amèrement la blonde.
Elle jeta un regard désespéré à Lévy, avant de se faire entraîner par la rouge qui l'incita d'un mouvement de tête à changer ses chaussures, le temps qu'elle tournait son regard sur le duo.
L'angoisse gonfla le ventre de Levy qui, d'instinct, empoigna le bras de Gajeel, s'y calant comme un rempart, sans remarquer la légère coloration de ses joues.
« Et vous êtes ? demanda menaçante la rouge.
- Lévy. Salua timidement la bleue. Et voilà Gajeel, enchantée.
- Ne soit pas aussi formelle Lévy, si tu es une amie de Lucy, alors tu es aussi la mienne !
- Oh ! D'accord ! Bafouilla-t-elle »
Erza était clairement intimidante. Bien trop intimidante à vrai dire, sa prestance écrasait sans pitié toute personne qui l'entourait. Un simple froncement de sourcil suffisait à faire fuir n'importe qui, pourtant, malgré l'image sombre qui l'enveloppait comme une cape, elle n'en restait pas moins une jeune adulte qui aspirait à une vie banale, et c'est ce que Lucy compris en rentrant chez elle. Elle était certes un peu bourrine sur les bords, mais à bien y regarder, on voyait simplement une jeune femme qui cherchait maladroitement à s'intégrer.
Assise devant la table basse de Lucy, elle n'arrivait pas à réprimer les tremblements d'excitation de son corps, sautillant sur place, et pour cause elle s'était invitée à boire un verre chez son amie et semblait ravie de l'initiative.
« Ton appartement est charmant ! Lâcha dans un sourire d'émerveillement la rouge, très chaleureux.
- Merci ! Qu'est-ce que je te sers ?
- Ce que tu as, ne t'embête pas."
Lucy haussa un sourcil curieux, c'était étrange de voir la grande Erza faire des manières de la sorte à la façon qu'elle avait eu de s'imposer chez elle, Lucy l'aurait crue moins timide. Elle remarqua cependant le son de sa voix, plus profond que d'habitude, comme si elle commençait à se perdre dans des souvenirs pénibles, elle avait clairement reconnu l'éclat de résignation et de tristesse qui avait éclairé son regard. Décidée à détendre l'atmosphère malgré sa gêne, Lucy se força à lui faire face pour déclarer d'une voix forte et sûre.
« J'insiste. Tu es mon amie non ? »
Ses grands yeux profonds s'écarquillèrent légèrement, puis plus doucement, un large sourire éclaira le visage de la jeune femme, alors qu'elle opinait en silence.
C'est aux alentours de dix heures, après avoir dîné avec Lucy en regardant une romance à la télévision, qu'Erza quitta l'appartement. Si d'un premier abord la rouquine se montrait froide et effrayante, après plusieurs heures Lucy pouvait affirmer sans mentir qu'elle appréciait beaucoup la compagnie de la rouge. Elle se montrait à la fois drôle et cultivée, fragile aussi.
Les journées s'égrainèrent avec la même cadence, dans une lenteur insupportable. Pourtant Lucy tenait bon, si la fatigue s'accumulait progressivement, en partie à cause de ses nuits trop courtes et son emploi de serveuse, la jolie blonde n'en laissait rien paraître, continuant à faire office de juge entre ses amies, tout en étudiant de façon assidue les nombreuses notes qu'elle avait, parfois même aux côtés de ses compagnons.
Elle avait été surprise de voir la rouge l'attendre devant chez elle le matin et la raccompagner le soir, sans compter qu'elle venait désormais déjeuner avec eux pour leur pause de midi. Bien sûr les rumeurs avaient enflé comme des ballons et ils étaient devenus aussi célèbre qu'Erza, si bien qu'une jeune fille s'était limite mise à pleurer quand elle avait fait accidentellement tomber le livre de cours de Lucy, la suppliant de ne pas lui faire de mal. La blonde ne s'en était toujours pas remise.
Lévy, pour sa part, c'était rapidement prise d'affection pour Erza, décidée à lui faire continuer ses études coûte que coûte, en inventant toute sorte de soirée révision pour pousser la rouge à reprendre. C'est qu'elle pouvait se montrer convaincante lorsqu'elle le voulait, si bien qu'il avait été établi que le jeudi soir, Lucy accueillerait le trio pour des révisions intensives, ou des soirées films, de façon à renforcer leur lien et ainsi utiliser la pression sentimentale sur Erza si son plan ne fonctionnait pas.
Passer la barrière de la crainte, Levy avait vite compris l'étendue de son erreur de jugement, elle avait tant culpabilisé qu'elle s'était même excusé auprès d'Erza, lui promettant de se racheter, et elle s'y tenait. Rien n'était désormais plus prévu sans y inclure Erza, ça allait d'un repas sur le toit de leur école à la pause de midi, à une sortie shopping en passant par une soirée film d'horreur. En l'espace de deux mois, Erza était devenue un membre important de leur groupe d'amis, indissociable de leur petit groupe.
Une petite partie des examens se jouait dans les semaines à venir, tout reposait sur ses notes et Lucy commençait sérieusement à angoisser. L'échec n'était pas envisageable.
« Nous n'avons qu'à tous nous rejoindre chez moi pour les révisions ce soir en plus de jeudi. Proposa Lévy en rangeant l'énorme livre de littérature anglaise dans sa besace. Au moins pour préparer un plan d'attaque.
- C'est une bonne idée. Approuva Lucy, mais venez plutôt chez moi, ce sera plus pratique.
- J'espère que tu n'es pas sérieusement en train de me proposer une soirée pyjama ! Asséna Gajeel.
- Bien sûr que non, imbécile, on te parle de révisions !
- C'est encore pire microbe. »
Un nouvel échange houleux débuta entre ledit imbécile et le microbe sous le regard désabusé de Lucy. Elle était prête à prier toute sa petite fortune qu'ils étaient raide dingue l'un de l'autre, mais trop timides, ils préféraient continuer à jouer au jeu du chat et de la souris, se compliquant grandement la vie.
Il faudrait peut-être qu'elle en touche deux mots à Erza, elle pourrait peut-être l'aider à les mettre ensemble, ainsi peut-être ils arrêteraient de se disputer.
Un soupir franchi ses lèvres en suivant le duo du regard, à travers la grande entrée, l'amour n'était pas vraiment dans ses priorités actuelles, mais il fallait bien admettre qu'un peu de compagnie ne lui déplairait pas. Elle avait envie de tendresse, et dans les choses actuelles, elle n'avait franchement pas eu le temps ou l'envie de s'investir dans une relation sérieuse.
Elle passa une main agacée dans ses cheveux, replaçant sa frange derrière son oreille. Vivement que cette saison se termine, emportant avec elle ces foutus partiels !
Erza comme à son habitude, attendait sagement devant le casier de Lucy, discutant avec une jolie brune plantureuse, celle-ci tourna ses billes chocolatées pour les planter dans celles de Lucy, lâchant un large sourire qui étira sa peau hâlée. Elle était magnifique. Tout en elle dégageait l'assurance et l'espièglerie, elle était l'image même de la femme fatale, aucun doute que poser ses yeux sur elle éveillait immédiatement la colère de dieu. Elle était l'incarnation du fruit défendu : Sa peau chaude, halée, ses longs fils noirs, sa chevelure ondulait d'autant de jolie boucles brunes sur le creux de ses reins, alors que ses lèvres pleines d'un joli rouge invitait au pire des pêchés.
Il sembla un instant à Lucy qu'elle ne devait pas être japonaise, son physique bien trop chaleureux renvoyait à des pays tropicaux, où le sable blanc venait moucheter joliment sa peau chaude et sucrée.
« Hey les nazes ! Salua-t-elle dans un sourire empli de mystère.
- Lucy, Lévy, Gajeel, je vous présente Cana, elle fait partie de mon groupe.
- Yo ! Alors, on va boire un coup ?
- Sérieusement Grogna Gajeel en la toisant mauvaisement.
- Fait pas ton gros méchant loup chéri, je parie 10 000 yens que je te tombe au saké !
- Tu me cherche ? Gronda le brun piqué au vif.
- Ça se pourrait bien ! Sourit-elle dans un clin d'œil aguicheur.
- Cana ! Stoppa Erza avec autorité.
- Oui oui ! Souffla t-elle en passant ses mains derrière la tête, t'es pas marrante ! »
Lucy gratifia ses amis d'un large sourire, secouant sa main avec entrain pour les saluer, Erza était venue prévenir la blonde qu'elle ne pourrait pas l'accompagner ce soir, Cana étant venu la réquisitionner pour une affaire visiblement aussi urgente qu'illégale. Si la rouge reprenait un peu sa vie en main, elle n'en restait pas moins quelqu'un de peu fréquentable et profondément dangereuse, et il fallait parfois, qu'en chef de son petit groupe de yakuza, elle règle les conflits.
Fatiguée de sa journée, Lucy profita des quelques banalités échangées pour filer à l'anglaise, regagnant le métro pour s'entasser comme du bétail dans des compartiments ridiculement petits et franchement mal odorant, mais cette fois, elle n'avait pas eu le courage de rentrer chez elle à pied. Le tintement aigu lui annonça l'ouverture des portes qui, après cinq arrêts, était une véritable libération. Elle joua un peu des coudes pour s'extraire de cette masse compacte avant de regagner au pas de course son appartement.
Elle avait encore beaucoup de chose à préparer.
Assise à même le sol, le dos appuyé sur le matelas rigide de son lit, elle finissait de remplir sa dernière fiche de révision, admirant avec satisfaction les nombreux papiers noircis de son écriture qui jonchaient le sol, elle y avait mis le temps mais elle avait enfin remis au propre toutes ses notes. Elle poussa un soupir d'aise, étirant ses jambes pour se propulser sur le matelas, les yeux perdus dans l'immensité sur ciel.
S'il y avait bien une chose qu'elle adorait dans son petit appartement, c'était l'imposante fenêtre qui siégeait sur toute la longueur de son lit, lui donnant un accès au ciel incroyable.
Les constellations semblaient la narguer, scintillant avec force. Sa mère avait toujours aimé les étoiles, la complexité de leur existence, la beauté de leur éclat… tout chez elles l'avait profondément touché, si bien qu'elle avait transmis sa passion à son unique enfant. Lucy poussa un léger soupir, malgré son désir de devenir psychologue elle n'avait pas pu résister au programme que proposait l'université, mélangeant des cours stricts à d'autres plus artistiques et abstraits, comme ceux de monsieur Fernandez, qui consistait en un programme stellaire, où ils étudiaient les planètes, leur rôle, leur signification, ainsi de suite. Il y avait parfois eu des veillées nocturnes dans l'enceinte de l'université pour venir observer les étoiles et certaines pluies de météorites. C'était la seule discipline qui dérogeait à son programme, mais ça en valait assurément la peine.
« J'aimerais pouvoir être une constellation, comme vous, vivre dans l'immensité noire du cosmos, murmura-t-elle comme un secret, cernée par l'infini. »
La constellation du lion clignota faiblement, lui arrachant un léger sourire, parfois elle avait l'impression que les étoiles lui répondaient, elle les imaginait comme des personnes à part entière, du physique au caractère qu'elle se plaisait à rendre aussi varié que farfelu. Ils étaient de loin ses plus fidèles et vieux amis.
Elle n'avait pas de quoi se plaindre : son frigo était plein, elle avait des notes correctes, et sur les matières moins générales plus qu'acceptables, son travail se passait bien et elle avait des amis sur qui compter. Mais il ne fallait pas non plus se mentir, la chaleur d'un foyer lui faisait cruellement défaut : combien de fois en avait-elle voulu à Lévy de retrouver ses parents chaque soir ? Ou à Gajeel de ne pas venir à leur petite sortie pour faire visiter la ville à ses parents venus pour l'occasion ? Elle n'était pas une mauvaise personne, alors pourquoi la vie lui semblait-elle si pénible à seulement vingt-trois ans ? Pourquoi les choses avaient pris une tournure si drastique à son plus jeune âge ? Elle repoussa une mèches rebelle de cheveux, soufflant dessus jusqu'à ce qu'elle quitte la pointe de son nez, avant de se glisser dans les couvertures. Du repos. Elle avait besoin de repos.
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Version Corrigé par Clemantine, que je remercie énormément pour ça !
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