Oui, je sais, je suis insupportable. Mais cette histoire-là est terminée, vous pouvez être certains que vous aurez la suite.
J'espère que ça vous plaira. N'hésitez pas à commenter (je vous le demande, même)
Enjoy :)
Les Mômes.
I. CHAMBRE DES JUMEAUX.
Il contemplait son reflet dans la glace. Il semblait chercher quelque chose, quelque chose sur son propre visage, dans son reflet qui ondulait imperceptiblement avec la courbe du miroir. Son cœur battait trop fort, peut-être parce que ça faisait des heures qu'il était là, debout, immobile, à chercher éperdument un détail qui n'existait pas. La pièce derrière lui était un abîme de lumière. Lui, ombre famélique, aux membres nus et pâles, aux yeux trop noirs, il ressemblait à un fantôme qui n'avait jamais vu un rayon de soleil. Même dans cet endroit baigné par la lueur matinale, il restait ce spectre presque invisible. Ses pupilles fébriles - la seule chose de son corps qui bougeait vraiment - s'accrochaient aux objets de luxes et aux peintures abstraites sur les murs, puis revenaient sur son visage - ce visage - pour l'inspecter, le disséquer avec une minutie presque exaspérante, et le fixer soudain, décelant une piste, un indice, mais jamais rien de concluant, puisqu'elles finissaient toujours par s'en détacher tout à fait et, dans une logique implacable, par reprendre leur course folle, sans fin. Sans fin.
Il avait vingt quatre ans. C'était un jeune homme qui aimait la vodka, les cigarettes, et chanter. C'était ses loisirs à lui. Boire, fumer, et chanter. Il n'avait pas toujours été comme ça, bien sûr, mais personne ne naît avec une cigarette à la main. Ni avec un micro, d'ailleurs. Cependant, il y a de ces enfants qui, très tôt, assomment leur entourage à coup de chansons intempestives. Bill - c'était le nom de ce garçon - était de ceux là. Ainsi, on aurait pu dire que dans son cas, à quelques années près, Bill était né avec un micro dans la main. Ce phénomène, bien que mortellement ordinaire, dessina sous ses pieds un chemin plein de promesses. Il passa du statut d'enfant prodige qui mettait l'ambiance aux repas de famille à celui de chanteur sous contrat. En d'autres termes, son succès et son argent de poche augmentèrent en même temps que sa liberté s'amenuisa. Toutefois, Bill ne s'embarqua pas seul dans cette aventure musicale et rémunérée. Non. Bill avait un frère. Un frère jumeau, nommé Tom, et qu'il aurait fallu ajouter à la courte liste de ce qu'il aimait réellement en ce monde. Oui, à part boire, chanter et fumer, Bill aimait Tom. Certainement plus que tout le reste, peut-être même plus que les trois réunis. Il y avait entre ces jumeaux quelque chose de plus fort, de plus destructeur, de plus enivrant et de plus intense que n'importe quel alcool ou n'importe quelle drogue. Quelque chose de plus jouissif que chanter sur une scène immense devant des milliers de fans hystériques. Depuis les débuts de Tokio Hotel, beaucoup s'étaient penchés sur la question. On avait d'abord essayé de faire croire en l'homosexualité de Bill, ce qui aurait été un pas vers la révélation suprême. Mais le chanteur avait démenti. Les fans, quant à elles, s'acharnaient à trouver dans les regards qu'ils échangeaient des discours lourds de sens, et se lançaient dans d'interminables fantasmes dont l'attraction principale était le couple des frères Kaulitz.
Mais tout ça, finalement, n'était que du vent. En d'autres termes, personne n'y était vraiment, tout le monde s'y perdait, et c'était ce qui amusait le plus les intéressés. Ce qu'il fallait savoir c'est que dans cette histoire, même les jumeaux n'auraient pas pu mettre de mot sur ce qui les liait. Le sang qui coulait dans leurs veines ne faisait pas tout, mais pouvait-on vraiment parler d'amour ? En vérité, c'était bien plus que cela.
Bill se détourna de son propre reflet et saisit le paquet de cigarettes posé sur la table basse. Il gratta une allumette - il avait toujours eu horreur des briquets - et s'assit en tailleur, par terre. La moquette chatouillait ses cuisses nues et le faisait frissonner. Bercé par une musique qui ne se jouait plus que dans sa tête, il se balançait, de droite à gauche, de gauche à droite, fermant à demi ses paupières peintes en noir - dernier vestige de sa célébrité - et enfonçait ses doigts dans les poils moelleux de la moquette. Dans un soupir, il tenta de retenir une larme qui s'apprêtait à couler sur sa joue. Malgré ses efforts, pourtant, elle s'arracha à son oeil et roula sur sa peau dans une course folle, dévalant les courbes de sa bouche entrouverte, et, arrivant au menton, réalisant son erreur, elle ralentit soudain, cherchant des prises pour se rattraper. Elle parvint à s'accrocher quelques instants mais, épuisée, finit par lâcher prise et Bill laissa s'échapper un rire - celui là il ne le retint pas - en la voyant s'écraser lamentablement sur sa jambe. Il jugea qu'après tout, elle avait bien mérité la tragédie qui la frappait. C'est alors qu'on tapa à la porte, et il quitta sa vision funeste pour se concentrer sur l'entrée de la pièce. Bill avait toujours été fasciné par l'enchaînement des événements qui l'entouraient. Il trouva très amusant que quelqu'un désir entrer dans cette chambre où tout semblait si lumineux et où il mourait doucement, et ce juste après la fin prématurée d'une de ses larmes. Tout en crachant un nuage de fumé, il émit un bruit minuscule, pas plus fort qu'un hochement de tête, et la porte s'ouvrit pour se refermer presque aussitôt. C'était Tom, il se tenait là, un peu courbé - à la différence de son frère qui se tenait constamment cambré - et dévisageait Bill avec un sourire de vivant - de vivant. Ce dernier fronça les sourcils pour se protéger de cette lumière qui menaçait de le faire disparaître à tout moment, s'alliant aux rayons du soleil qui forçaient les fenêtres sans répit.
- Tom, tu m'aveugles, murmura-t-il.
Le jeune homme s'agenouilla face à son frère et saisit sa main. Pour lui permettre de le regarder sans se brûler les yeux, il cessa de sourire et posa ses lèvres sur ses lèvres. Elles avaient un goût de sel, et il se demanda si Bill était allé à la mer récemment, mais comme ce fait lui paraissait peu probable, il opta pour la deuxième raison : Bill avait pleuré.
- Tu as décidé de te noyer, c'est ça ?
- Non, c'est elle qui s'est échappée, se justifia le jeune homme en haussant les épaules. Il faut toujours qu'elles s'échappent.
- Tu sais, se noyer dans ses propres larmes c'est une drôle de mort.
- Qu'est ce qu'il y a de drôle dans ça ?
- ...
Tom posa une main dans le dos de Bill, soulevant son tee-shirt en passage, et prit un air innocent qui amusa son frère.
- Tu vois, tu ris.
- Pas pour la mort, pour ta main.
- Quoi, ma main ?
- Je la trouve ambitieuse.
- Tiens donc ?
En effet, cette main, qui était en réalité la main gauche de Tom, semblait profiter de la distraction des jumeaux pour s'aventurer un peu plus loin que ne le voulait l'éthique. Il faut dire qu'elle n'en avait pas grand chose à faire, de l'éthique. Elle appuya sur le dos de Bill, l'aidant à se rapprocher de Tom, et poussée par son élan, descendit jusqu'à son entrejambe, couverte par un unique sous-vêtement.
Il y avait des moment entre les jumeaux où tout se faisait si vite qu'ils se consommaient parfois plus rapidement que ne se consume une cigarette. Ce jour là, Bill, le corps tendu contre celui de Tom, laissa s'échapper son dernier soupir - celui de la délivrance - bien avant que la braise de sa cigarette ne s'éteigne. Ce n'était pas toujours comme ça, ils savaient parfois prendre leur temps. Mais le désir n'est pas quelque chose qu'on peut remettre à plus tard, les frères Kaulitz le savaient plus que quiconque. Tom embrassa la tempe de Bill en le prenant dans ses bras. Il semblait si fragile, il en mourait chaque jour un peu plus de le voir ainsi, et c'était comme si son agonie le détruisait lui aussi, à petit feu. Il retint les larmes qui menaçaient de couler et l'amena jusqu'à son lit, le déposant doucement dans l'énorme duvet. Il ressemblait à un enfant. Un tout petit garçon, trop frêle, bien trop frêle pour porter tout le poids de sa maladie sur ses épaules.
Tom quitta silencieusement la pièce. Bill avait besoin de repos.
II. APPARTEMENT DE GEORG.
Ces musiciens partageaient leur vie avec deux autres garçons qui étaient à peine plus âgés et savaient tout d'eux. Il y avait Georg, un brun trapu aux cheveux longs, et il y avait Gustav, un blond trapu aux cheveux courts. Hormis leurs parents et leur meilleur ami, Georg et Gustav étaient les seuls à aimer les jumeaux sincèrement et sans concession. Il est rare de nos jours de trouver une amitié qui subsiste au delà de tout obstacle. Ces quatre là avaient la chance d'y goûter. Ils en étaient même arrivés à un point où les épreuves, faute de les séparer, les rapprochaient. Georg et Gustav n'étaient pas frères, mais ils s'aimaient certainement presque autant que les jumeaux. Leur histoire d'amour n'avait rien à voir avec celle de ces derniers, cependant. Parce que oui, eux aussi aimaient les hommes, et à force de se voir tous les jours, pendant des années, ils étaient tombés amoureux l'un de l'autre. Ca paraissait être un cliché de plus, et c'en était d'ailleurs un, mais tout cliché que c'était, il valait la peine d'être raconté.
L'amour de Georg et Gustav était dévastateur. Ils ne comptaient plus combien de ruptures ils avaient enduré et le nombre de réconciliations ils avaient savouré. A croire qu'ils se disaient au revoir dans le seul but de se séduire de nouveau, de se retrouver, pour se déchirer encore. On se demandait parfois comment il était possible que l'information de leur relation ait échappé aux médias, tant leurs coups de théâtre étaient connus dans tout le staff. Georg criait beaucoup, mais Gustav se taisait. Ils n'étaient pas fait pour être ensemble, et ne savaient pas vivre l'un sans l'autre. Tom était leur médiateur. Il avait d'ailleurs le don de les exaspérer lorsqu'il leur répétait en battant des mains pour demander le calme que "l'amour triomphe de tout". A vrai dire, c'était des conneries, et Tom le savait bien. Ce qui ne les empêchait pas, malgré tout, de toujours se retrouver.
Georg était étendu sur le canapé. Ses yeux étaient rouges et gonflés, et ses cheveux collaient à son visage encore humide. Il était midi passé, et Gustav s'activait déjà dans la cuisine. Lorsqu'il eut fini de préparer le repas, il entra dans le salon et s'assit à côté du musicien. Avec un sourire, il écarta les mèches devant ses yeux et embrassa ses paupières closes. Georg frissonna, chercha à tâtons la main de son ami et la serra contre sa poitrine. Puis, faisant un effort immense, il ouvrit les yeux.
- Levé depuis longtemps ?
- Quelques heures. Ca va mieux ?
- Oui.
Georg avait la voix éraillée, souvenir d'une soirée de fureur et de cris comme ils en avaient déjà tant connu. Une bouteille de vodka traînait sur le sol, vide, comme la confirmation de leur dispute. Gustav n'avait presque pas dormi. Il avait passé la nuit debout devant la fenêtre de la chambre, à regarder les lumières de la ville s'éteindre en même temps que sa tristesse. Il avait laissé s'évanouir son ressentiment en silence, comme toujours. Les ombres avaient couru sur les murs, dans son dos, et avaient fini par lui faire peur, et il s'était finalement couché, enfonçant son visage dans l'oreiller jusqu'à ce qu'il ne réussisse plus à respirer. Avant que le monde ne tourne trop vite, il s'était retourné, inspirant profondément, et s'était recroquevillé sur lui même. Quand il était enfin parvenu à chasser de son esprit les cris de Georg qui résonnaient encore dans la pièce, il s'était laissé emporter par le sommeil.
- Pardonne-moi pour hier.
Georg était toujours le premier à hausser la voix. C'était aussi le premier à s'excuser. Il avait beau détester Gustav la veille, tout disparaissait pendant la nuit, et s'il pleurait ce n'était qu'à cause de ses propres actes. C'était quelqu'un de colérique. Tom se demandait parfois comment son corps pouvait bien survivre à ces accès de folie.
- C'est pas grave.
Gustav, lui, était incapable d'en vouloir à Georg.
