« -La ville était perdue. Tous fuyaient la ruine, guidés dans les montagnes par les plus courageux et nobles guerriers, et leur chef -qui a l'honneur de se tenir devant vous-. Encourageant les uns, redonnant espoir aux autres, je…

-Seigneur Glorfindel?

-…mais quand vint la rumeur qu'un Balrog nous poursuivait, je choisis de retourner en arrière pour…

-Glorfindel?

-Le combat fut épique, terrifiant, mémorable. D'un gigantesque coup d'estoc, je mis à bas la bête, qui tomba dans l'abîme. Mais le destin…

-GLORFINDEL! »

Avec un soupir, l'interpellé leva les yeux au ciel et se tourna vers celui qui osait interrompre son récit: Mandos, seigneur de la Mort, revêtu d'un habit de flammes, qui le fixait de toute sa hauteur avec ses yeux de braise.

Mais Glorfindel était dans les Cavernes depuis trop longtemps pour craindre encore le maître des lieux (après tout, que pouvait-il lui faire? Le tuer?). Un ancien réflexe de courtoisie le força cependant à esquisser son plus beau sourire, qui, en l'occurrence, ressemblait davantage à une grimace.

« -Oui, seigneur Mandos, que puis-je pour vous?

-J'ai reçu un message du noble Manwë à votre sujet. L'héritier d'Ëarendil, Elrond Semi-Elfe, a choisi l'immortalité des Elfes. Eu égard à votre bravoure pour défendre son père à Gondolin, vous recevez le privilège de retourner dans le monde des vivants, pour guider et protéger la lignée d'Ëarendil. »

Mandos avait parlé très vite, apparemment soucieux de finir sa déclaration avant toute interruption. Glorfindel mit quelques secondes avant de comprendre de quoi il s'agissait. Il n'essaya même pas de protester: déjà, il sentait en lui la vie qui revenait, et, si c'était une sensation plutôt agréable pour l'instant, il savait que, tôt ou tard, il ressentirait de nouveau le froid, la faim, la fatigue, et peut-être même la souffrance.

Mandos le regardait sans sourciller, et l'Elfe comprit que, s'il s'amusait à trouver une mort rapide pour retourner dans les Cavernes, il serait derechef reconduit au-dehors.

Avec un soupir de regret, il regarda les petits nouveaux (les victimes d'une stupide attaque de loups, la nuit précédente), qui n'entendraient jamais la fin de son épopée. Puis il leva les yeux sur le mur où se projetait sa grande ombre, terrible et formidable. Lentement, il vit sa silhouette s'estomper, tandis qu'autour de lui apparaissaient de hautes montagnes enneigées, et en contrebas une cité elfique…

Du fond des Cavernes monta un grand soupir de soulagement.