Chapitre 1 :

La journée commence bien. Mes deux frères et mes deux sœurs m'ont laissé une orange avec un petit mot à côté sur le chevet près de mon petit matelas. Ils nous souhaitent bonne chance à Hadriel et moi. Eux ils ont plus de dix-huit ans et je les envie beaucoup, ils n'ont pas de soucis à se faire. Ils n'ont pas peur que leur nom soit tiré au sort lors de la Moisson. Hadriel a dix-huit ans et c'est l'âge maximal pour être tiré au sort lors de la Moisson et j'espère que le sort lui sera vraiment favorable. Ce serait tellement dommage qu'il soit sélectionné comme tribut garçon. Je me lève et me regarde dans un petit bout de miroir que j'ai trouvé dans les vieilles affaires de ma mère. Mes joues sont creuses, j'ai des cernes sous les yeux et mon teint blafard ne m'avantage pas du tout. On peut dire que je ne suis pas vraiment en forme aujourd'hui.

Je sors de la chambre que je partage avec mes trois frères avec mon orange que j'épluche et mange rapidement. Je suis beaucoup trop nerveux pour avaler quoi que ce soit d'autre. Si Hadriel était choisi, il aurait une chance de survivre : il est bien bâti avec de larges épaules, une mâchoire carrée, il est grand aussi et musclé. Alors que moi j'ai une allure malingre et je n'ai pas de muscles. Je ne suis doué en rien et si j'étais choisi je pense que je mourrai dans l'arène lors de la première rencontre avec un autre tribut. Ma mère me donne une chemise noire et un pantalon, noir également, à mettre. Ils appartenaient à mon père avant. Elle me donne toujours ces habits lors de grandes occasions et la première édition des Hunger Games est vraiment une immense occasion.

Evidemment pour la première édition, le Capitole a fait beaucoup de publicité vantant les mérites de ces Jeux. D'après les publicités que j'ai vues, il y aurait même certains produits qui nous assurent la victoire si on les consomme souvent. Les deux semaines précédant la Moisson, tous les districts ont eu de l'électricité, même le douze. Il faut absolument que toute la population croit que ces maudits Jeux ont quelque chose de positif. Le Président Snow a également mis l'accent sur la compétition entre les douze districts et sur les gains qui sont mis en jeu. Mais le leurre n'a pas fonctionné avec moi. En effet, j'ai tout de suite compris qu'il s'agit tout simplement d'un vulgaire jeu où vingt quatre gamins de douze à dix-huit ans doivent s'entretuer sous les yeux de tout Panem. Toutefois, la population n'a pas osé se révolter contre l'instauration des Hunger Games. Peut-être qu'elle avait peur de l'émergence d'une nouvelle guerre contre le Capitole, après tout, nous venions à peine de sortir d'une guerre aux conséquences désastreuses.

Les vêtements me vont parfaitement, mon père me complimente et ma mère me sourit. Mais je sens bien que tous les deux sont très nerveux.

Je sais très bien que mon frère ne descendra pas tout de suite et ne viendra pas avec moi sur la place. Il ne m'aime pas beaucoup et préfère m'éviter. Je le comprends, je lui fais honte avec mes cinquante kilos d'os et ma pâle figure. Il faut savoir que dans ma famille, tout le monde est bien costaud et fort –même mes sœurs- je fais un peu tache dans le paysage. Pour ma première moisson, c'est mon père qui m'accompagne tandis que Hadriel sera accompagné par ma mère. Elle m'a proposé de m'accompagner mais j'ai besoin d'un véritable soutien si je suis sélectionné. Je sais que si je le suis, ma mère pleurera.

Je sors de la maison et me rends dans la petite étable qui appartient à ma famille. L'odeur de foin et d'excréments me rassure un peu. C'est le seul endroit où je me sens bien et où je peux laisser s'exprimer mes émotions. En me voyant, les moutons, les chèvres et les brebis bêlent. Je vais voir Angora, la petite brebis que je chéris tant. Sa laine est toute blanche et très douce. Lorsqu'Angora me voit, elle bêle plus fort. Je la sors de l'étable et caresse doucement sa laine. C'est peut-être la dernière fois que je la vois. Je lui explique calmement qu'aujourd'hui c'est la Moisson et que je dois m'absenter. Elle agrée mes dires avec un petit bêlement. Je continue en lui disant qu'elle ne doit pas s'inquiéter et que je reviendrais vite. Cela peut paraître étrange que je parle à une brebis mais j'ai l'habitude. Je m'entends bien avec les animaux, je leur parle et ils me répondent positivement ou négativement. Je la remets à l'intérieur de l'étable et retourne à la maison.

Mon père est prêt. J'embrasse ma mère et nous sortons de la maison. Je vois toutes les familles se diriger vers la place quelques mètres plus loin. Mon père et moi suivons le cortège dans un silence religieux, de toute manière personne n'a envie de parler. Je sens une boule dans mon ventre qui semble peser des tonnes, je transpire et mes mains sont moites.

La plupart des gens autour de moi ont des vêtements rapiécés et d'une étrange couleur grise. Je suis le seul à porter des vêtements noirs. Je me distingue des autres car je porte de vieux mocassins de mon père alors que les autres habitants du district 10 portent des sandales ou bien sont pieds nus carrément. De toute manière, pour surveiller le bétail dans les champs il n'y a pas vraiment besoin de chaussures de luxe. Je sens la nervosité monter en moi à cause de l'atmosphère lugubre qui règne dans le district. Je rejoins les autres garçons de mon âge, ceux qui ont quatorze ans.

Les filles et les garçons sont séparés et classés selon leur âge, les plus jeunes –ceux qui ont douze ans- sont devant et les plus vieux au dernier rang. De ma place, je peux voir Jill, mon amie d'enfance. Elle porte une robe vert pomme un peu délavée, qui tranche avec toutes les autres tenues des filles. Elle me fait un petit signe de la main et je lui en fais un aussi. Les parents sont éloignés de leurs enfants, des Pacificateurs nous encadrent, ils sont armés de fusils et prêts à tirer à la moindre tentative de fuite. Tous les districts ont été sévèrement punis après que la rébellion a échoué, le district treize a été rayé de la carte et détruit. Quand aux autres districts, maintenant ils doivent donner chaque année un tribut fille et un tribut garçon qui sont dans une arène avec vingt-deux autres tributs. Ils doivent s'affronter jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un survivant. Il n'y a que le Capitole qui puisse inventer des Jeux aussi sordides.

Le maire de notre district se trouve sur l'estrade, accompagné d'un jeune homme qui doit s'en doute venir du Capitole. Ses cheveux sont d'un rouge étincelant avec des paillettes dessus. Ses lèvres sont couvertes d'un rouge à lèvres noir qui contrastent fortement avec son teint cadavérique. Il a mis de hauts talons rouges également et porte un pantalon noir extrêmement moulant et en cuir. C'est la première fois que je vois un homme porter des talons aussi hauts et s'habiller aussi étrangement. De plus, il a une voix très aigue et grinçante, il sourit et j'ai l'occasion d'admirer ses dents blanches comme de la porcelaine. Il me fait un peu peur et j'espère de tout mon cœur que le sort me sera plus que favorable. Il y a des caméras partout, prêtes à filmer la sélection des deux tributs. Le maire a fait un long discours sur le Traité de la trahison.

Lorsqu'il a fini, l'homme excentrique s'approche et dit : « Bienvenue chers citoyens à la première édition des Hunger Games ! Et puisse le sort vous être favorable ! Commençons par les jeunes filles, laquelle d'entre elles aura le privilège d'être le premier tribut fille du district 10 ?

Je suis abasourdi, ''privilège'' ? Participer aux Jeux de la Faim est pour lui un privilège ? Il me donne envie de vomir. Il fouille lentement dans le bocal où se trouvent les noms des filles du district 10. La tension est à son comble et on pourrait entendre une mouche voler. Malgré que ce soit la sélection d'un tribut fille, je suis suspendu à ses lèvres. Finalement il dit :

-La courageuse jeune fille qui a l'honneur de participer aux Hunger Games est… Jill Ambley !

Je n'en crois pas mes oreilles ! Jill, ma meilleure amie est sélectionnée ! Toutes les autres filles s'écartent pour la laisser passer. Je vois ses jambes trembler et ses mains aussi. Ses beaux yeux bleus se remplissent de larmes qui se mettent à couler en un flot continu, mouillant rapidement le col de sa robe. Je ne sens plus mes jambes, j'ai l'impression que je vais m'évanouir. Elle n'a que quatorze ans, elle n'a aucune chance de survivre dans l'arène. Lorsqu'elle monte sur l'estrade, l'homme nous adresse la parole :

-Applaudissez bien fort la jeune fille !

Comme des automates, les personnes se mettent à applaudir bien fort et je dois le faire malgré mes réticences. Je ne veux pas qu'un Pacificateur me tire une balle en pleine tête si je n'applaudissais pas.

-Bien, qui sera le courageux jeune homme qui accompagnera… euh… la… la fille dans l'arène ?

Il ne se souvient même pas du nom de Jill, il est ridicule et pitoyable. Il recommence son manège, fouille tranquillement parmi les papiers, en sort un et le déplie doucement.

-Que tout le monde applaudisse bien fort… Anton Kaven ! »

C'est moi. Je me force à adopter une figure neutre mais je ne peux pas m'empêcher d'éprouver de la tristesse et de la peur. Ce qui me vaut d'ailleurs mon surnom ''Peureux''. Je marche et les garçons me laissent la place. Mes mains sont encore plus moites qu'avant et mon cœur bat très fort dans ma poitrine. Je monte sur l'estrade, l'homme me tient par les épaules et me présente à la foule tandis qu'elle m'acclame. Je peux même entendre parmi les acclamations, des soupirs de soulagement. Les autres enfants seront épargnés une année de plus. Bien sûr, mon frère ne s'est pas porté volontaire pour me remplacer, je ne lui en veux pas, au contraire je comprends son abstinence. Jill et moi nous serrons la main et les Pacificateurs nous emmènent séparément à la mairie.

Nous empruntons un couloir que je ne connais pas et ils me déposent dans une pièce qui ressemble à un petit salon. C'est très joli. Il y a un canapé en cuir noir, une petite table basse en verre et un moelleux tapis mais je n'arrête pas de penser à Jill et à mon funeste destin. Dans quelques semaines je serais probablement mort, elle aussi peut-être. Le Pacificateur m'annonce la visite de mes parents, ces derniers entrent dans la pièce. Comme je l'ai prédis, ma mère pleure à chaudes larmes, elle n'arrête pas de sangloter. Mon père quand à lui essaie de se contenir, mais se retient difficilement.

« Mon fils, essaie une fois dans ta vie d'être fort, me dit-il durement, ce n'est pas une épreuve facile et même si tu meurs, fais-le dignement. Je t'aime.

-Je t'aime aussi papa et je te promets de tout faire pour être fort. N'oublie pas de vendre mes toutes affaires au marché, cela vous fera de l'argent. Prenez bien soin d'Angora s'il vous plaît…

Soudain, ma mère arrête de pleurer et me regarde dans les yeux. Les siens sont noirs et brûlants de détermination, ils me rappellent les miens.

-Sois fort, m'avertit-elle d'une voix brisée, essaie de gagner et de revenir à la maison…

-J'essaierais maman, je réponds également d'une voix émue. »

Elle se remet à pleurer et le Pacificateur revient. Il les ordonne de sortir et ferme la porte à clef. Je m'assois sur le canapé, j'ai des haut-le-cœur et des vertiges. Le sort ne m'a pas du tout été favorable aujourd'hui. Dire qu'il y a quelques instants j'ai vu pour la dernière fois mes parents ! Ma gorge se noue, j'ai sacrément envie de pleurer mais je me retiens. Il faut que je sois fort.

Je suis sur le point de m'endormir lorsqu'on m'ouvre la porte et m'ordonne de sortir. Je monte à bord d'une voiture pour la première fois. Cela aurait pu être réellement bien si elle ne me rapprochait pas du Capitole. Et de la mort. Plusieurs Pacificateurs montent en même temps que moi, ils me suivent à la trace. Ils ont peur que je m'enfuis. J'arrive à la gare, les caméras filment aussi, elles me suivent également, je dois avoir l'air pitoyable avec mes vêtements noirs et mon teint blafard. J'ai l'habitude d'inspirer de la pitié aux gens de toute façon.

Jill est là aussi, près de moi, elle a les yeux rougis par les larmes mais au moins elle ne pleure plus. Je lui fais place pour qu'elle monte la première dans le train, je suis un jeune garçon galant avant tout. Puis je monte à sa suite, l'homme qui vient du Capitole monte en dernier et ferme la porte du wagon du train. Il nous adresse la parole : « Bonjour les enfants ! Je suis Leone, je vais vous montrer vos chambres et je vous assisterais jusqu'à votre entrée dans l'arène, comme vous n'avez pas encore de mentor.

-Je suis Anton et voici Jill, je réponds. »

Il me sourit. Je serre fort la main de Jill dans la mienne. J'ai envie qu'elle se sente rassurée, qu'elle n'aie plus peur. Leone nous montre nos chambres et nous prévient que le dîner est à dix-neuf heures. Puis il nous laisse seuls. Ma chambre est spacieuse et belle. J'aperçois une pièce et entre à l'intérieur. C'est une salle de bain avec une cabine de douche, un lavabo pour se brosser les dents et une cuvette de toilette. Je sors de la pièce et aperçois une armoire face à mon lit. A l'intérieur de celle-ci se trouvent des habits propres et neufs mais je ne veux pas me changer. Je souhaite garder le dernier souvenir qui me rattache encore à mes parents.