1) Dialogue du comptoir
Ce n'est pas facile d'être la patronne d'une taverne, il faut se tenir à l'écart de certains clients tout en étant accueillante avec tous. Avant de connaître Sacha et le Scorpion, mes murs n'étaient pas de toutes premières jeunesse, mais Kardia vient de leur donner quelques rides. Chaises et tables cassées m'ont coûté une petite fortune à réparer.
Je nettoyais la taverne lorsqu'il poussa la porte d'entrée. Je l'avais aperçu mais je décidai de ne pas me retourner.
Ses pas résonnèrent dans mon dos lorsqu'il me demanda.
– Tu es obligée de faire tout ça toi même ?
Je me retournai vers lui.
– Bonjour Kardia ! Obligée ? Voyons, voyons. Fis-je en me grattant le côté de la bouche... Bien sûr que non, mais il me faudrait prendre en charge quelques personnes que je devrais payer avec l'argent que je n'ai plus... grâce à qui, à ton avis ? Suivez mon regard.
Je le fixai de très près, mon nez collé presque sur le sien.
– Arrête de me regarder avec des yeux enflammés Calvera, tu vas me faire rougir ! "Gredin qu'est celui-là ! Il m'énerve !" Pensai-je.
– Amusant ! Écoute, tu n'es plus le bienvenu chez moi !
– T'es pas sympathique ! Me fit-il avec une grimace.
– Parce que mon bon monsieur l'est sans doute !
– Eh ! Sois gentille ! Tu t'apitoyais tellement sur ton sort que j'entendais tes pleurs jusqu'en Grèce !
"Oh je me sens si seul sans Sacha et Kardia..." M'imita t-il en joignant ses mains.
– Non mais, t'es pas bien ! J'ai jamais dit ça ! Affirmai-je.
– Moi je l'ai entendu et c'est ce qui compte. Après tout, je suis un chevalier errant sauvant les demoiselles en détresse.
Roulant les yeux, inspirant joue sur la main.
– Oh ! Tu vas me faire pleurnicher !
– Je sais, ça ne serait pas la première fois que tu verses de chaudes larmes pour mon cœur, n'est-ce pas ?
– Tu vis perpétuellement dans tes rêves mon vieux ou quoi !
– Quoi, ne suis-je pas un bon samaritain ? N'es-tu pas ma célibataire préférée ? Avec qui j'aime passer des moments chaleureux ? Me questionna t-il avec un sourire jusqu'aux oreilles.
– Chaleureux ?
– C'est bien ce que j'ai dit ! Répondit-il dans un défi.
– Chaleureux ! Non seulement tu mets mon établissement dans un état lamentable à chaque fois que tu t'y pointes ! Criai-je en lui montrant ma boutique. Et en plus, tu manges et bois gratuitement, me laissant un comptoir précaire !
– T'es qu'un serpent à plumes Calvera ! Me lança t-il en passant la langue sur ses lèvres.
– Tu n'attends qu'une chose, me provoquer !
– Moi, j'aurais dit : " Tu n'attends qu'une chose, m'échauffer."... mais bon.
– Tu ne fais que me pousser à bout, gamin !
– Cesses de m'appeler "vieux" ou "gamin", je ne suis ni l'un ni l'autre. Puisque nous nous connaissons, tu peux me nommer "mon cœur".
– Quoi ? Mais, tu es un malade !
– Je sais que je le suis, pas la peine de me le rappeler ! Bouda t-il.
– Écoute, arrête d'ébruiter que je suis ton cœur ou que tu sois le mien. On me connaît dans la région !
– Vu le "coffre" dont t'es dotée, c'est dommage que je ne le sois pas ! Fit-il en penchant ses yeux sur mon décolleté.
– T'es un voyeur ! Arrête de flirter avec moi !
– J'aime draguer les jolies filles ! C'est pas interdit !
Je sentis le rose me monter aux joues. Les doigts dans les cheveux prête à me les arracher.
– Bon dis-moi ce que tu veux !
– J'ai la gorge sèche...
Je lui servis une bière. Vainqueur, il me dit.
– Tu vois ! Je demande ... Tu me donnes !
La moutarde me montait au nez ! Certes, il est différent des hommes autour de moi et j'apprécie sa présence, mais tout de même, qu'est ce qu'il peut être agaçant.
– Bien ! Je vais être aimable comme me l'a demandé mon ami Dégel. Je suis avant tout ici pour m'excuser de tous les écarts que j'ai pu commettre en ta présence et dans ta bâtisse. Et ...
– Et quoi ?
– Attends ! J'essaie de me rappeler son vocabulaire.
– Tu veux dire que tu es un perroquet, le scorpion ? Éclatai-je de rire.
– Ha ! Ha ! Ha ! Non, je ne suis tout simplement pas à l'aise avec ce genre de discours.
Je le regardai interrogative.
– Ah oui ! "Voudrais-tu... non, c'est voudriez-vous, je pense... me faire l'immense joie ou l'honneur... Tiens là, je ne sais plus. Il se gratta la tête. Mes yeux étaient écarquillés, j'allais exploser ! ... d'être ma cavalière au bal donné à Paris à l'occasion de l'anniversaire de Lady Seraphina, l'amie de Dégel." Voila c'est bien ça. M'invita t-il.
Je vis rouge !
– Dehors ! Dehors ! Hurlai-je.
– Mais j'ai rien dit de mal ! Qu'est-ce qui te prend de nouveau ?
– Déguerpis avant que je ne dise quelque chose que je pourrais regretter toute ma vie !
Je lui montrai la sortie qu'il prit.
"Quel toupet ! M'inviter avec les paroles d'un autre ! "
Tout était éclatant propre et bien rangé pour mon commerce du lendemain, je pouvais enfin préparer mon repas. Je pensais à Kardia en jetant un œil par la fenêtre, c'est là que je vis la silhouette de scorpion sur l'un des toits.
" En plus de ça, il est têtu ! ".
Après réflexion, je m'en voulus car il était tout de même venu jusqu'ici pour me faire part de ses regrets.
Sur mon seuil, je lui criai de soit revenir ou soit de partir mais de ne pas me faire ce genre de scène devant les villageois qui le trouvaient déjà bien étrange.
– J'ai préparé un " Xolostle" aux piments de Cascabel pour deux personnes.
Mon plat enterra amicalement notre "hache de guerre". Il me pria de bien vouloir l'accompagner à Paris et cette fois-ci, il utilisa le langage Kardia auquel j'étais habituée et pas celui d'un Dégel, que je ne connaissais que de nom.
