La matinée est un des pires moments pour naître. La nuit s'achève à reculons, discrète, et l'aube est aussi pitoyable que le crépuscule n'est flamboyant. Ces sensations douces, ces sols froids... Quelle souffrance de venir au jour quand le jour vient !
Il était dix heures du matin le 9 octobre 1962 quand Aloïs Crouch, née Prewett commença avoir des contractions. Accrochée au rebord de son lit à baldaquin, elle hurlait de joie et de douleur mêlées. La vieille elfe de maison Welby accourut aussitôt son secours, mais il n'y avait personne d'autre pour entendre ses hurlements.

-Il... arrive... souffla-t-elle sa servante avec un sourire forcé.

Mais son elfe ne riait pas de cette naissance violente. Elle regardait sa maîtresse de ses yeux ronds comme des boules de cristal l'intérieur desquelles, inconsciemment, Aloïs Crouch voyait l'avenir. L'orage arrivait avec cet enfant. L'orage qui gronde sous la pluie du matin. Mais la mère ne voulut pas le voir. Son beau visage de miel se crispait dans l'effort pour mettre au monde cet enfant. Et personne, sauf l'elfe, ne serait là pour l'aider.

L'accouchement dura douze heures. Douze heures de souffrance pendant lesquelles la femme agonisait dans le lit d'acajou payé par son mari pour leur mariage, alors qu'il n'était même pas là pour admirer son fils. Quand Bartemius Crouch rentra la maison ce soir-là , l'enfant tait déjà né et emmitouflé dans une couverture, il tétait sa mère avec des yeux sérieux. Il avait simplement posé ses lèvres sur celles de sa femme, puis son regard sur celui de son héritier.

-Comment veux-tu l'appeler, Aloïs ?

-Bartemius. Junior.

Il avait sursauté à l'évocation de ce nom. Le fils nommé d'après le père... Mais cet enfant qui vampirisait déjà le sein de sa femme tant aimée se montrerait-il la hauteur du patronyme ancestral ? Crouch fronça les sourcils :

-Je ne suis pas sûr que...
-Bartemius ! Tu sais bien qu'il n'y a d'autre nom que je ne puisse aimer.

Il ne répondit rien, tant il voulait qu'elle soit heureuse. Mais en regardant le lit souillé par la naissance et la mine épuisée de son épouse, un sentiment étrange l'envahit. Comme si quelque chose... quelque chose avait soudain aspiré le bonheur de la maisonn e. Mais qu' tait ce myst rieux fant me qui d vorait leur joie ? Songeur, il approcha ses lèvres du front du fraîchement baptisé Bartemius Junior pour l'embrasser.
Soudain, un hibou traversa la fenêtre et vint se poser sur le rebord du lit conjugal. Le père se figea alors même qu'il allait se montrer si tendre envers son fils. Son visage se ferma, la fois déçu et peut-être soulagé.

-Un hibou du ministère, déclara-t-il d'un ton atone. Je suis désolé, je doit repartir.

Sa femme lui prit le bras pour le rassurer. Non, ce n' tait pas grave, il pouvait vaquer ses occupations, elle prendrait soin du bébé, elle comprenait... Mais dans ses bras, le petit être, tel un lionceau qui attend le souffle de son père pour se réveiller, ne comprenait pas. Ne comprenait pas qu'il attendrait toute sa vie le baiser paternel.