LA POULE AUX OEUFS D'OR
Petit animal à plumes et à bec, qui aurait dû craindre l'Homme plus encore qu'elle ne craignait les grands prédateurs qu'elle ne rencontrerait jamais dans son enclos. Petite bête débordant de vivacité, qui chaque jour courait sur ses adorables petites pattes jaunes assombries par la terre. Petit individu de basse-cour, réduit à néant pour une triste légende, par la naïveté et la bêtise humaine.
La poule pondait, chaque jour, un oeuf en or. De l'or véritable, qui avait bien plus de valeur qu'un bijou qu'on ne faisait qu'envelopper d'une fine couche dorée. Tous les matins, on allait chercher dans son nid le précieux objet ovoïde qui donnait sa richesse aux gens. Une richesse qui leur suffisait, qui leur permettait d'assouvir tous leurs besoins et en même temps de conserver le patrimoine presque sacré de cette poule unique au monde. Mais on connaît l'espèce humaine, prête à en faire trop pour avoir trop, tuer pour gagner, croire à des mythes pour s'autoriser à commettre les pires erreurs. Cela n'a pas manqué.
Beaucoup de monde prétendait que cet or ne pouvait venir de nulle part et que, si les oeufs de l'animal étaient en or, il y avait forcément un incroyable trésor en ses entrailles. Certains refusaient d'y croire et savaient se contenter de la petite partie de richesse quotidienne qu'offrait naturellement la bête à plumes. Malheureusement, les personnes les plus honnêtes ne dirigent pas le monde, ce sont plutôt les nantis, qui bien souvent ne jugent que par l'hypocrisie, la tromperie et surtout le profit. Eux voulaient ce trésor qui ne venait au départ que d'une légende urbaine. Alors, lorsqu'ils ont voulu voir leur triomphe se réaliser, ils ont capturé le pauvre animal qui se débattait en tous sens, envoyant ses ailes rigides dans le visage de ses tortionnaires. En vain. Tout était fini pour elle. Elle n'avait même pas encore pondu son trésor matinal.
Devant la hâte des uns et le malheur des autres, ils ont attaché l'innocente créature, levé la hache et, dans un silence chaotique, à peine rompu par quelques cris d'horreur, illustré par les mains unies devant les bouches choquées et les enfants se cachant les yeux, ils ont donné le coup final. Plus aucun piaillement, plus aucune parole, juste un sourire victorieux et une lueur pétillant dans l'oeil pressé de celui qui dépeçait déjà la bête. Qu'a-t-il trouvé ? Rien. Simplement l'oeuf en or qui allait être évacué, le reste n'était que ce que l'on pouvait trouver chez n'importe quelle autre poule. Ils ont fouillé, encore, ouvrant chaque organe, cherchant une quelconque trace. Mais il n'y avait rien. Le trésor n'était bel et bien qu'une légende. Une légende qu'ils ont crue pour s'approprier ce bien et, au pire, s'il était vraiment imaginaire, pour empêcher la basse populace d'avoir leur ration quotidienne d'or. Les nantis ont gagné.
Certaines personnes s'en allaient déjà, ne voulant pas voir une seconde de plus cette scène désastreuse. D'autres n'osaient pas bouger et se contentaient de fixer les bourreaux. Ils l'ont tuée, l'ont éventrée, l'ont ouverte comme on ouvre une porte. La porte de la richesse utopique, du luxe imaginaire. La porte d'où coule déjà le sang de l'animal innocent. Le sang d'un trésor qui n'existait pas.
Voilà. Ils ont sacrifié une part d'or quotidienne pour des milliers de diamants qu'ils ne trouveront jamais. Ils ont tué la poule aux oeufs d'or. Ils l'ont tuée, massacrée, dépouillée. Pour rien.
