La fuite était un moyen auquel elle n'avait jamais songé, pas autant qu'une autre alternative à celle de sa condamnation permanente. Après tout, elle était vouée à attiser les foudres de ceux qui gardaient ce monde.
Pourtant, en cette l'obscurité abyssale qui engloutissait la forêt, la drappant d'une épaisseur noire de terreur, elle courait en une course effrénée. Sans s'arrêter, sans regarder en arrière, prouvant une lâcheté et une peur sans pareille, suivies par les douloureux battements de son cœur. Ce dernier semblait vouloir fuir aussi loin qu'il le pouvait, se déracinant avec lenteur et rapidité, dans un rythme aussi fréquent que les pas de sa propriétaire. Seul le son de la neige craquante sous ses pieds lourds et mutilés, accompagnait sa façon respiratoire saccadée, courte et difficile, qui hachait l'appeurant calme sonore qui pesait sur l'endroit. Ses mains frêles, tachetées de rouge huilant, tenaient tant bien que mal ses jupons déchirés et sales. Les chemins se ressemblaient, tous faits de sentiers aux grands et droits arbres, tels des gardes qui protégeraient quelque chose. Leurs branches fines, tranchantes et crochues, se tendaient vers elle comme une arme que l'on pointerait sur un intrus. Leurs bouts fins et pointus, recouverts d'une fine pellicule de neige, l'ébranlaient, l'écorchaient et s'en mêlaient, rendant tout cela davantage pénible.
Cette nuit sans lune glaçait son sang animé par la peur. Une peur qui lui nouait l'estomac, qui accélérerait ses mouvements et les rendaient incontrôlables, paniqués. Une peur qui n'allait pas la sauver, qui pourrait entraver un combat déjà perdu, même sans début. Une peur qui laissait s'immiscer le doute et le désespoir. Pourtant, isolé, enseveli sous le poids des plaintes et des pleurs refoulés, brillait bien que d'une fade lueur une once d'espoir. Son scintillement n'était guère plus fort que la noirceur de son rival, sa puissance était si faible que percevoir ce grain en devenait difficile. Impensable.
Cela suffisait pour la faire avancer. Elle qui, autrefois, n'aurait voulu mener une poursuite à l'issue d'ores et déjà définie, fixe.
Car elle savait que son heure était déjà venue, après des années et des années à vivre de manière provocatrice et dangereuse.
Mais personne n'échappait à leurs griffes. Pas même elle. Surtout pas eux.
En cet après-midi là, le ciel s'était humblement vêtu d'une soie d'un fade grisâtre, elle-même étouffée par de gros et légers nuages d'une blancheur harmonieuse. Il était amusant de voir que de si petits et frêles flocons de verre, avaient réussi à se faire tapis pour une si grande surface.
À l'écart des villes animées par les rires enfantins et le mouvement civil, reposaient de grands et anciens bois peints aux couleurs d'un hiver glacial et meurtrier. Encore une fois, ils se voyaient témoins d'une énième poursuite. Car cette fois encore, elle était traquée par des idiots avares, qu'elle pourrait avaler en une seule et unique bouchée. Déchiqueter leur chaire d'une chaude fraîcheur, faire jaillir des cascades de sang belles et gracieuses, déchirer leurs muscles, aurait été chose aisée pour elle. Mais user des pouvoirs de la chain qui lui était attribuée, mettrait un terme à sa sortie improvisée. Et hors de question de retourner là-bas sans recevoir d'excuses ! Un principe quelque peu enfantin pour la grande et belle jeune fille qu'elle devenait, mais elle n'en avait cure.
Jurante, éprise de frustration, les paumes salies de ses mains étaient victimes d'une démangeaison irritante. Ils avaient raccourci une activité fort amusante, en voulant l'attraper et les tuer. Un moment, tandis que le vent glacial frappait ses joues rougies et brûlantes, elle clôt ses paupières ornées de longs et fins cils noirs, inspirant un bon coup. Tant pis, il fallait assouvir son désir de combat, quitte à les laisser la pister plus rapidement. Ils allaient bien mettre la main sur sa position, un jour ou l'autre !
Ses longues et élancées jambes, s'immobilisèrent, freinant sa course endiablée. Debout, d'une pose fière et hautaine, elle reprenait son souffle court en observant de ses yeux perçants ces "laidrons, disait-elle.
D'un geste de main, rapide, contrôlé et précis, elle semblait donner un ordre. Des cliquetis de lourdes et immenses chaînes donnèrent l'alerte aux chasseurs, qui, apeurés, ne voulaient que prendre leurs jambes à leurs cou. Une somptueuse et imposante ombre se dessina sur le terrifiant tableau, derrière la fille, surplombant ces insectes de sa hauteur. Un léger rictus étira ses fins et narquois traits, comportant un sourire qui lui était propre.
Alors qu'elle s'apprêtait à les laminer en un clin d'œil, une fine silhouette s'imposa et l'arrêta, lui laissant une mine surprise, dépitée. Ils ont fait vite, argh ! Songe-t-elle, déçue.
«-Mademoiselle ! Vous êtes sortie sans la permission du maître ! Et vous vous apprêtiez à utiliser vôtre chain, en plus... Gronda une voix féminine, fluette, teintée d'une légère frustration.»
Dans un grognement, elle essayait de distinguer les silhouettes de ses cibles, qui avaient visiblement prit la fuite. Quel dommage !
«- Charlotte, vous avez laissé mes poursuivants fuire. C'est désolant, non ? Réplique-t-elle, une mine froissée collée au visage. »
Un soupir franchit le bout des lèvres rosées de l'encapuchonnée. Sa capuche frappée de rouge masquait son visage, ne laissant percevoir que ses lippes étirées en un air lasse, fâché.
« - Oswald vous présente ses excuses, Lacie. Intervient une autre voix, tentant de capturer l'attention de la brunette. »
Arrogant, empreint de malice, un fin sourire se forgea sur ses traits, illustrant sa satisfaction.
« Eh bien, je vous suis. Tonna-t-elle, en tourant avec nonchalance les talons. »
Un bruyant grincement retentit, aussitôt suivit par un violet claquement, lourd et sourd. Sur un rythme régulier, elle traînait ses pieds sur la moquette de cette chambre qui eût toujours été sienne, se dirigeant d'un pas fatigué vers la porte de sa salle d'eau. Brièvement, elle s'était arrêtant devant un mirror encadré de dorures, qui ne lui renvoyait que le reflet de sa tête. Cette dernière semblait tout de même avoir mauvaise mine ! Des paupières maquillées de cernes, des traces humides de neige fondue et salissure tachetées sur les quatre coins de son joli minois, faisaient obstacle à sa beauté rayonnante. Seul demeurait le puissant éclat de ses prunelles sanguines, que même les plus mauvais jours ne pouvaient ternir.
Son énième soupir fendit l'air frais qui s'était engouffré dans sa chambre, se démarquant pour finir par s'y camoufler. Elle reprit sa marche lasse et ouvrit cette deuxième porte, qu'elle clôt dans la seconde à double tour. La chaleur brûlante de la pièce lui mordit sa peau refroidie par le temps au-dehors, ayant l'air étouffant. L'ambiance était détendante et, tout semblait embrumé par de la buée. Ses souliers ôtés, elle glissa le long de son corps la petite robe dont elle s'était précédemment vêtue, et la déposa. Ses pieds nus et décorés d'égratingures foulaient les dalles humidifiées de la salle de bain, avec lassitude et facilité, jusqu'à une grande et large baignoire de marbre blanc. Une eau fumante au parfum enivrant, échauffait son visage par son mince voile de fumée, contrastant avec la mousse qui dominait dans le bain que l'on lui avait fait préparer.
Lentement, elle entreprit de se hisser dedans, y mettant ses longues et élancées jambes salies par les rues, pour enfin s'adapter parfaitement à la température ambiante de son bain. C'eût le mérite de détendre ses muscles légèrement tendus et fatigués. Elle était exténuée, surtout après une telle journée. Un tel quotidien. La Baskerville ne vivait pas forcément d'adrénaline, pourtant, en avoir ne pouvait que la ravir. Même si se disputer avec son aîné ne lui plaisait pas tant que cela...
Elle n'aimait pas qu'on se soucie d'elle, de son sort. Elle-même n'en avait cure, elle était destinée à cela et, depuis fort longtemps, elle l'avait accepté. Alors autant vivre le jour au jour, de manière à ne rien regretter avant de sombrer dans par les mains des gardiens. Vivre pour voir encore une fois ce monde ridicule, cruel et merveilleux sous toutes ses coutures. Vivre une vie de l'idylle éphémère que l'on pouvait lui laisser.
Éphémère...
D'un mouvement quelque peu hésitant, elle mena une de ses mains vers son œil au regard qui se perdait droit devant elle, avant de le refermer. Ça, ce n'était pas un mirage. Car ce "ça", n'était d'autres que ses belles et maudites prunelles de rubis, qui lui affligeaient sa malédiction. Eux, ils étaient tout aussi beaux, charmants, malicieux, mais empoisonnés. Eux, ils étaient plus que réels et dangereux. Leur beauté les honoraient, mais effrayaient.
Pourtant, Lacie Baskerville aimait ses yeux frappés de carmin, comme tout autre chose. Et ironiquement, c'était ce qu'elle appréciait qui l'avait condamnée...
