Les adeptes d'Hydra sont des hommes comme les autres...


Bleu

« Hail Hydra ! »

Martin Glauser trinqua de concert avec le reste de sa troupe, sans égard pour les éclats de bière qui giclaient sur le sol boueux. Aujourd'hui était jour de fête, et les gradés qui ne détournaient pas indulgemment les yeux jouaient leur solde sur des caisses de munitions vides avec leurs subordonnés. Partout, c'était un enthousiasme gras, des insultes très imagées à l'encontre des Alliés et l'espoir de rentrer bientôt.

Aujourd'hui, on leur avait distribué des nouvelles armes, alimentées non pas par de la poudre ordinaire, noire et sale, mais par la source divine, bleue, nette et pure. Martin en avait testé une, et avait été proprement ébloui par son efficacité ; la cible inerte qu'il avait visée s'était simplement volatilisée dans un champ de force bleuté. Vaporisée. Il lui avait fallu un moment pour ramasser sa mâchoire tombée au sol, mais après cela, il n'avait pas perdu un instant pour célébrer la nouvelle. Certes, il faudrait penser à quelque chose pour camoufler la lueur bleue pour les attaques furtives, mais ce n'était qu'un détail dans une image beaucoup plus grande.

Ils allaient gagner.

Ils allaient enfin avoir leur vengeance sur la France et l'Angleterre.

Schmidt avait raison depuis le début.

Martin n'avait vu le cube cosmique que de loin, comme la plupart des hommes, durant un transfert ou en effectuant une ronde près du laboratoire, mais il avait été, comme la plupart des hommes, immédiatement subjugué par l'aura qu'il émettait. C'était un mélange de mystique, de puissance et d'infinité. Rien à voir avec les avions et les sous-marins qui faisaient la – ridicule – fierté de l'aéronautique impériale.

Crevé d'enthousiasme, Ulrich lui avait appris qu'ils étaient en train d'équiper les chars avec cette arme miraculeuse et d'en faire des grenades. Pour l'instant, Martin se satisfaisait du fusil d'assaut si semblable à son vieux Sturmgewehr 43 qui reposait à ses côtés. Ils allaient gagner la guerre et cette pensée était toujours un peu étourdissante pour quelqu'un qui n'avait eu que très peu d'occasions de se réjouir depuis son enfance.

« Hâte qu'on r'joigne l'armée impériale pour s'faire mousser un peu avec nos joujoux, gueulait Carl avec un coup de trop dans le nez.

- S'rutout hâte d'tomber sur l's Alliés, ouais, rétorqua Ulrich, plus très frais non plus. L'en r'eux f'ra baver ! Et dans quat' mois, on rent' chez nous ! A ma gamine qui m'attend ! »

Et tout le monde y alla de son toast. Carl brailla une chanson d'amour à la fille qu'il avait épousé juste avant de partir au front. Ernst, si jeune qu'il avait à peine du duvet au menton, mentionna dans son patois bavarois ses sœurs – son frère était dans le gros de l'armée impériale. Peter et Johannes brandirent leur bière à tous leurs amis enfermés dans des usines. Martin trinqua pour Julia, sa jolie voisine aux doigts de fée qu'il avait quittée sur un quai gare et la promesse de l'épouser à son retour.

En faisant le tour de leur cercle, composé de soldats fervents, des amis chers désormais, Martin se fit la réflexion, pas pour la première fois, qu'il avait été bien inspiré de s'engager dans la division scientifique plutôt que dans l'armée ordinaire. Comment aurait-il rencontré ces hommes extraordinaires sinon ? Comment aurait-il été intégré à ce projet dépassant de loin l'échelle impériale ? Comment aurait-il pu être touché par la bénédiction du cube cosmique ?

Il n'était pas plus intelligent qu'un autre, ni plus instruit, mais il croyait en leur but, en leurs moyens et en leur meneur. Et ce jour n'avait été qu'une preuve de cela : Schmidt était plus qu'un homme, et, sous son commandement, la puissance bleue de l'artefact leur donnerait les moyens de bâtir et de se battre pour un nouveau monde plus juste.