Living in the Shell
Pour ces OS, je me base sur les films comme sur les deux saisons de SAC.
Disclaimer: Ghost in the Shell appartient à Shirow Masamune.
Note: celui-ci se situe juste après la fin du premier GITS de Mamoru Oshii.
Rating: K+
1. Batô
Musique: Dear John (GITS SAC soundtrack)
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Batô serra un peu plus le volant entre ses larges paumes rugueuses. Une série de virages en S l'obligeaient à reporter son attention sur la route. Il hésita un instant à passer en pilotage automatique pour mieux se laisser aller à ses pensées puis, il se rappela que la vieille poubelle qu'il conduisait en était totalement dépourvue.
C'était justement pour échapper à la surveillance et aux GPS intégrés qu'il avait volé une vieille bagnole cabossée, plutôt qu'une des sublimes pouliches de concours qui dormaient dans l'immense garage souterrain de la Section 9.
Il risqua un coup d'œil vers sa compagne. Mais celle-ci dormait toujours sur le siège du passager. Plus exactement, Motoko avait mis son corps en stand-by seul son cerveau dormait réellement.
Ce corps de poupée qu'il lui avait trouvé ne plaisait vraiment pas à Batô. D'abord, il était beaucoup trop petit et disproportionné par rapport au volume de son crâne d'adulte ensuite parce qu'il n'était pas assez performant, ni assez résistant pour une casse-cou comme le Major Motoko Kusanagi.
Bon, en même temps, la cybernétisation à 100% coûtait très cher et on ne pouvait pas compter sur un miracle quand on se tournait vers le marché noir. Batô avait tendance à oublier à quel point le matériel de pointe et les composants cybernétiques qu'on leur fournissait à la Section 9 étaient exceptionnels. Ce n'était qu'en se mettant en quête d'un corps de rechange pour Motoko qu'il s'était souvenu que la plupart des circuits et du matos qu'il utilisait étaient absolument introuvable sur le marché : certaines pièces n'étaient même pas censées exister.
Cette fois, il n'avait pas eu le choix. Motoko allait avoir de très gros ennuis s'il ne la sortait pas de là. Et la première chose à laquelle il avait pensé, son critère de choix le plus pressant, ça avait été les jambes. En état de marche, si possible, merci.
Batô eut un rire nerveux. Il venait de faire un jeu de mots particulièrement mauvais, même s'il était involontaire. Le genre de blagues qui laissaient sa supérieure hiérarchique plutôt froide en apparence, mais arrivaient parfois à lui tirer un sourire intérieur.
Le seul indice de l'existence de ce sourire était une minuscule fossette à la commissure de ses lèvres. Mais l'ex-ranger avait appris à le deviner, avec le temps.
Il passa une main dans ses cheveux gris coupés en brosse et déboîta pour prendre la bretelle d'autoroute inférieure. Il valait mieux s'éloigner du centre-ville, de ses gratte-ciels miroir et de ses caméras. Le quartier des entrepôts, avec ses alignements de chantiers navals et de zones de stockage, ses rues minuscules, encombrées de petits revendeurs et de boui-bouis crasseux serait une cachette idéale pour une femme-enfant cyborg, abritant un programme-pirate en cavale dans son cerveau.
Par chance, Motoko semblait normale. Batô se doutait que le Puppet Master se cachait quelque part dans son âme et que sa fusion avec le Major ne serait pas sans conséquences. Pourtant, celle-ci était restée elle-même. Il avait vu que l'expérience l'avait changée, certes, et il avait eut très peur en entendant sa nouvelle voix à ses deux premières phrases. Mais elle avait très vite repris l'ancienne, heureusement. Il avait aussitôt supposé que cela n'était dû qu'au nouveau corps qu'il lui avait fourni et au difficile raccordement de cordes vocales adultes à un larynx d'enfant.
Si le Ghost de Motoko était demeuré intact malgré la fusion des âmes, peut-être y avait-il moyen d'enrayer l'action du Puppet Master. Voilà à quoi il se raccrochait désespérément depuis tout à l'heure.
Les lumières éternelles de la ville s'estompaient à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les quartiers industriels et plus pauvres. Ici, plus d'immenses tours de verre scintillantes dans la nuit. Plus de longues avenues droites ou d'enchevêtrement d'autoroutes. La ville se faisait basse, noire et sale. Parfait pour se cacher.
Motoko remua dans son sommeil. Batô vit ses deux jambes potelées de poupée se balancer dans le vide, trop petites pour toucher le sol, désormais. Il avait feint l'optimisme pour ne pas s'avouer qu'il détestait ce corps d'emprunt. Avec son torse plat, cette robe sage et ce col Claudine, la personne qu'il avait sous les yeux n'était plus son Major. Sa Motoko. C'était un corps de gamine qui le mettait mal à l'aise. Une petite fille à tête d'adulte, à laquelle il ne se sentait plus autorisé à rêver.
Batô déboîta et décéléra en douceur pour ne pas réveiller sa compagne. Mais le changement de rythme du moteur et son silence soudain la tirèrent tout de même du sommeil.
Elle s'étira, inclinant sa grosse tête sur ses petites épaules.
- On est arrivés ? souffla-t-elle sur un ton enfantin qui ne lui ressemblait pas.
- Presque.
Batô remonta une rue sombre au pas et compta les voies adjacentes. Lorsqu'il arriva à l'impasse, il stoppa le véhicule.
- C'est ici.
Il se détacha et retint son bras, prêt à ouvrir la portière.
- Tu ne contrôles pas encore tout à fait ce corps. Je vais te porter. C'est au cinquième étage…
- Sans ascenseur ?
- Tu rigoles. T'as vu le quartier ?
Elle se laissa faire.
Dans l'escalier miteux, Batô évita son regard. Il était trop insistant, trop froid. Il avait l'impression de tenir une femme inconnue entre ses bras. Ou pire, une poupée de cire, avec deux billes de verre à la place des yeux.
- Ah bien, nous y voilà, annonça-t-il.
- C'est à toi ?
- Non, loué pour le mois… en attendant de te trouver mieux.
Pour s'habituer à ses nouvelles jambes, Motoko fit le tour du studio, qui était vide à l'exception d'un frigo et d'un vieux canapé affaissé.
- Je ne saurai jamais comment te remercier, Batô.
Elle lui tournait résolument le dos, à présent. Sa posture était trop droite, elle paraissait mécanique, artificielle. Ses cheveux courts dévoilaient les attaches de sa tête et de son cou, dont la couleur de peau ne correspondait pas, ainsi que les prises sur sa nuque.
Ces sales petits trous qui avaient permis au Puppet Master de s'infiltrer dans son âme. Et d'y rester…
- A bientôt ? chuchota l'ex-ranger. Essaye de ne pas te faire chopper…
- Et toi, de ne pas te faire virer.
Il sourit tristement.
- Je vais surtout essayer de te trouver un corps digne de ce nom… Je ne peux rien te promettre, mais…
Il se tut, mais elle ne releva pas.
Le cyborg demeura pensif une minute, puis tourna les talons et la laissa seule.
- Sayonara, Shyô-san, murmura-t-il en refermant la porte.
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