Chapitre 1 : Bon pied bon oeil

-Si tu cherches à te cacher, c'est raté, fait la voix d'Alice dans mon dos.

Je sursaute avant de me retourner. Elle se tient derrière moi, un sourire compatissant sur les lèvres. Sa main gauche tenant, comme à son habitude, son avant-bras droit, trahissant sa pudeur. Je pousse alors un petit gémissement de désespoir avant de cacher ma tête sous le grimoire que je lisais, ma dernière tentative pour me dissimuler du regard de mon amie ou lui inspirer de la pitié.

Comment a-t-elle deviné que je me cachais à la bibliothèque ? Je n'y vais quasiment jamais et c'est justement pour cette raison que c'est une planque imparable !

C'est lourd la Cinquième Encyclopédie des Créatures Curieuses. Je l'ai prise pour faire mon devoir, je ne m'attendais pas à ce que j'en ai besoin comme couvre-chef.

-Allez Carmel, lève-toi et va ranger ce livre. Le professeur McGonagall a donné son accord à Sayer pour te coller si jamais tu ne te rendais pas à l'heure au match d'aujourd'hui.

-Il a le droit de faire ça ? je m'exclame, outrée, gardant mon chapeau incongru. Ce n'est pas un préfet pourtant !

Le regard terrorisé d'Alice me rappelle brusquement à la réalité : je suis dans la bibliothèque. Avant même d'avoir pu retirer le livre de ma tête, Mrs Pince surgit devant nous et nous met à la porte en sifflant ses réprimandes habituelles.

Par chance j'ai pu saisir mon cours sur lequel j'ai gribouillé un calamar et quelques botrucs… Cours qui concerne les niffleurs. Il faudrait que je sois plus attentive mais je n'arrive pas à m'empêcher de dessiner.

Une fois dehors, Alice et moi baissons la tête de culpabilité bien qu'il n'y ait personne autour de nous. C'est ancré dans nos veines ce comportement d'élève sérieuse et jeune fille de bonne famille, bien que nous nous lançons un petit sourire amusé.

C'est toujours beaucoup plus drôle de se faire punir à deux et ça créé une complicité merveilleuse !

Immédiatement, j'adore et regrette cette pensée : elle me rapproche du garçon que j'aime mais également de James Potter, ce qui m'agace un peu.

-Pour te répondre, reprend Alice, je ne sais pas mais il semblerait qu'être capitaine des Gryffondor lui accorde quelques privilèges. Dans tous les cas, tu ferais mieux d'aller te préparer au cas où Sayer mettrait sa menace à exécution.

Je tire la langue en signe de dépit avant de la suivre jusqu'à la salle commune.

Joseph Sayer est notre capitaine de Quidditch. Je pense que c'est un bon élément : c'est un joueur équilibré et il sait gérer ses coéquipiers. De la gardienne démotivée, moi, au poursuiveur fanfaron, James Potter.

-Est-ce le match ou ta participation qui te cause tant de tourments ? me questionne Alice en conservant son air poli.

Dans chacun de ses mots, dans tous ses gestes, on ressent son éducation soignée. Je viens du même milieu social, nous nous sommes même déjà rencontrées durant un de ces interminables dîners de grandes familles quand nous étions toutes petites et pourtant j'ai toujours l'impression d'être aussi distinguée qu'un troll lorsque je suis à ses côtés.

J'ouvre la bouche pour répondre avant d'apercevoir notre capitaine au bout du couloir qui se dirige dans notre direction, déjà prêt à rejoindre le terrain.

-Je ne supporte pas toute cette pression qu'on m'impose. Je n'ai jamais vraiment voulu jouer dans l'équipe en plus ! je râle haut et fort pour me faire entendre de Sayer.

-C'est trop tard pour revenir en arrière : tu me gagnes ce match et après on en reparlera, déclare ce dernier sur un ton impérieux alors qu'il nous rejoint d'un pas décidé.

Il compte sur moi pour gagner le match. C'est encourageant d'une manière mais je sais qu'il est plus gentil avec moi parce que je risque de fuir l'équipe à tout instant et parce qu'il n'a pas autant d'attente à mon sujet qu'avec les autres. C'est un peu triste mais malgré tout je n'arrive jamais à lui faire la tête plus de dix minutes. C'est un chic garçon et je raffole de ses compliments quant à mon jeu. Je crois que je suis un peu bonne poire.

-Tu n'as même pas ton balai ? s'étonne-t-il, affichant une mine effarée.

-Je vais le chercher, ne t'en fais pas. Par contre je retiens ce que tu viens de dire : après le match je quitte l'équipe !

-J'ai dit qu'on en rediscutera, rien de plus. Je n'ai pas passé toutes ces années à te harceler pour rien ! finit-il avec un sourire victorieux avant de se diriger vers le hall du château.

-Ca sent le piège à plein nez, je siffle avec suspicion.

Alice se cache derrière sa main pour pouffer légèrement et je suis assez contente d'avoir réussi à la faire rire. Contrairement à ce que pensent beaucoup de mes camarades, je ne suis pas très sûre de moi. Je ne savais même pas qu'on me voyait comme quelqu'un avec une confiance en soi à toute épreuve avant qu'une fille d'un an mon aînée me dise qu'elle enviait ma facilité à parler avec les autres.

Il faut dire que quand on entend sans arrêt des remarques idiotes au sujet de sa taille, on fini par douter de soi. Je ne suis pas la plus grande fille de l'école, pas encore, mais aucune fille de mon année n'arrive à voir le haut de ma tête. Pire encore : j'ai l'impression de ne pas avoir terminé ma croissance alors que j'ai déjà quinze ans.

Résultat : je n'ai jamais eu de copain vu que je dépasse beaucoup de garçons. Enfin, je mens un peu : des garçons m'ont déjà proposé de sortir avec eux mais j'ai refusé. A chaque fois ça me prend de court donc je me rétracte sans réfléchir, refusant automatiquement.

Ou alors j'ai cette sale impression, cet horrible sentiment qui m'assure qu'ils font ça pour se moquer de moi.

Je préfère me concentrer sur des choses plus sûres. Plus tangible. Plus agréable.

Cependant cette hauteur précoce a charmé Sayer qui s'est mis en tête que je serais une gardienne parfaite : avec ma taille, difficile de laisser un souaffle passer dans les buts. J'ai refusé pendant deux ans puis il a fini par gagner…

Ou devrais-je dire qu'il a réussi à trouver le moyen de me faire intégrer l'équipe de Quidditch de Gryffondor.

Quel fourbe !

-J'étais bien mieux à mon poste de commentatrice, je soupire misérablement.

-Un peu de vigueur miss ! me lance la Grosse Dame.

-Bergamote, réplique Alice tandis que je tente de me reprendre en main.

Le portrait s'écarte, son occupante secouant la tête d'un air désapprobateur. Alice et moi rentrons dans notre salle commune où les supporters préparent leurs bannières et discutent des pronostics avec les soi-disant pros du Quidditch. Je les regarde, à la fois amusée et inquiète. Ont-ils votés contre moi ? Serais-je si mauvaise ? Mais alors dois-je gagner ou perdre ? Comment rendre tout le monde heureux ? Je ne veux pas qu'on me haïsse ! Je ne veux pas non plus donner des soucis aux autres. A les forcer à s'inquiéter pour moi. Plus jamais ça… Je commence à me mordre les lèvres pour m'empêcher de trop grimacer.

C'est une sale manie qui refuse de partir puisque plus je les mords, plus il y a de la peau abîmée donc ça m'incite à la mordre davantage. Je sens une petite douleur et le goût du sang me parvient à la bouche à cause de la chair trop sensibilisée.

Je n'aurais jamais dû accepter de devenir la gardienne de l'équipe ! Je ne sers à rien.

Je ne sers à rien.

Mon estomac se contracte davantage et ça n'a rien à voir avec le Quidditch. Je remarque alors que je me suis arrêtée au milieu de la salle commune. Alice semble également s'en être aperçue puisqu'elle me fixe bizarrement. Pour dissimuler mon malaise je souris plus que nécessaire et me mets à parler précipitamment :

-Tu crois que ça se passera comme la dernière fois ? J'avais bien aimé ce match : l'équipe avait réalisé un travail formidable pour ne pas laisser les adversaires s'approcher de mes buts. Si ça pouvait toujours être aussi facile, hahaha… Bon, il y a tout de même eu quelques tirs, dont deux réussis mais j'ai assuré. Plus ou moins, je termine avant de reprendre enfin mon souffle.

- Calme-toi Carmel, tu vas t'en sortir sans problème. Sayer savait ce qu'il faisait quand il t'a choisie, j'en suis certaine. James a lui-même certifié que tu étais douée.

Je fixe Alice avec incrédulité : James ? Dire du bien de moi ? Récemment ?

-On parle du même James ? Celui qui m'asticote dès que nos regards se croisent ?

-Il ne te cherche pas des noises, il est juste un peu gêné, tu le sais bien.

-James n'aurait jamais dit ça de moi, je signale avec une expression dure.

-Et pourtant. C'est Remus qui me l'a rapporté.

D'un coup d'œil je distingue les joues d'Alice se faire plus roses et elle a dû s'en rendre compte puisqu'elle tente de se dissimuler derrière ses longs cheveux bruns. Il y a un mois, juste après la fête pour célébrer notre victoire lors du premier match de la saison, elle nous a avoué à moi et aux filles de notre dortoir avoir le béguin pour Remus depuis quelques temps. Je me demande s'il l'a découvert. Lui, comme tous les autres garçons de la classe, ne me parle plus autant qu'avant. Est-ce l'adolescence ou nos actes qui ont changé cette amitié ? J'ai autant envie de revenir vers eux que de les fuir à toutes jambes. Je ne me comprends même pas mais je ne souffre pas trop de la situation donc je sais m'en satisfaire !

J'essaye toujours de voir le bon côté des choses et d'être joyeuse, alors je ne vais pas me morfondre sur cette amitié perdue. Je n'ai pas envie de faire la tête toute la journée comme Severus Rogue.

Je jette un regard par la fenêtre de la salle commune avant de monter les escaliers et décide de changer de sujet.

-En tout cas il fait beau. C'est toujours ça de gagné. Mais c'est également un avantage pour l'équipe d'en face.

-C'est vrai ! Au moins, cette fois tu ne rentreras pas recouverte de gadoue.

C'est là un des défauts d'Alice : en plus d'être très timide, elle cherche à maintenir une hygiène impeccable. Or ça ne concerne pas que sa personne : tout le château doit s'y tenir. Beaucoup la traitent de prétentieuse à cause de ses regards dédaigneux face à une paire de chaussure boueuse ou des ongles pas très propres mais au fond c'est une gentille fille. De plus elle sent toujours le savon, ce qui est véritablement moins entêtant que certains parfums.

Le dortoir est vide, à l'exception de Sooty qui fait une sieste sur un tas de linge sale de sa maîtresse. Alice fronce le nez face à l'accumulation de vêtements froissés de Lily tandis que je prends mon balai et ma tenue de Quidditch. Je vérifie dans la glace de la salle de bain, à moitié dissimulée par une quantité phénoménale de produit de beauté appartenant à ma meilleure amie Sue, que ma queue de cheval blonde est toujours bien attachée et j'en défais deux mèches afin de paraître plus féminine. Malgré tous mes complexes, je suis satisfaite et mon reflet m'offre un sourire sincère et chaleureux. C'est peut-être de ça dont parle ceux qui me considère comme étant une fille ayant confiance en soi. Il est vrai que j'ai pas mal d'amis, sans pour autant être aussi populaire que Sue, et très peu d'ennemis, et ce n'est pas pour mon apparence d'après les remarques désobligeantes que j'ai pu entendre.

Mes efforts sont uniquement pour lui en réalité, bien qu'il ne me regardera pas longtemps, j'en suis consciente mais qui sait… Et puis je préfère qu'il ait une belle image de moi un court instant que l'inverse !

Alice se triture les mains et je comprends qu'elle se fait souffrance pour ne pas laisser sa manie du ménage prendre le dessus. Je retiens un rire idiot.

-Tu as besoin de te changer ? je lui demande.

-Non, j'y vais comme ça.

Elle est en uniforme bien que ce soit le week-end : elle préfère ça parce que le noir l'amincit. Elle n'est pas vraiment grosse mais elle a quelques rondeurs. Par contre je ne le dirai jamais devant elle ! On ne se dit pas ça entre fille, c'est cruel. Tant pis si c'est hypocrite. Aussi faut-il admettre que je suis assez jalouse parce qu'elle reste très mignonne. J'aimerais être aussi féminine, moins « forte ». A une époque je me courbais dans l'espoir de paraître moins grande mais ça me donnait l'air d'une bossue donc j'ai arrêté.

Les choses idiotes qu'on fait dans l'espoir d'être plus présentables. Pour être remarquée par celui qu'on aime.

Si ça se trouve je continue d'en faire ! A cette pensée, je sens mes muscles se raidir.

Nous descendons les escaliers et elle rejoint un groupe de supporters recouverts de fanions écarlates et de rosettes tandis que je me dépêche d'atteindre les vestiaires. Le manche de mon balai n'est pas très poli et je devrais couper les épines qui se transformeront en échardes malgré mes gants si je ne fais rien.

Enfin, je pense ça à chaque fois et j'oublie à chaque fois.

Dire qu'au lieu de me fatiguer à courir dans tous les sens j'aurais pu rester avec mes amis, commenter le match à côté des professeurs ou dessiner dans les gradins des figures réalisées par les joueurs. J'aime bien dessiner. Je ne pense pas vouloir en faire un métier mais j'espère continuer ce passe-temps quand je serai adulte.

J'aspire à devenir soigneuse de créatures magiques, donc rien à voir avec la foule ou le Quidditch. Je n'ai pas peur de la plupart d'entre elles, en fait leur présence me rassure. S'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Et pas de prédateur trop dangereux, d'où la sécurité.

Le véritable danger, c'est la solitude : si un prédateur réellement dangereux rôde… On ne le saura que bien trop tard.

Je pousse la porte des vestiaires, l'odeur de renfermé et de transpiration me fouettant les narines, et salue le reste de l'équipe tout en enfilant mes gants en cuir. Ils sont usés mais j'aime bien cette sensation sur ma peau, cette familiarité. Reconnaître juste par le toucher et le parfum, quelle agréable sensation.

-Voilà Wallen. Donc nous sommes au complet, déclare Sayer.

-Hey, Carmel, c'est vrai que tu essayais de te cacher ? ricane James.

Je serre les dents pour ne pas m'énerver avant de répondre :

-Oui, la simple idée de voir ta tête me terrifiait.

Quelques membres de l'équipe rigolent mais Sayer nous fait signe de nous taire afin de reprendre son discours sur le match d'aujourd'hui.

James et moi ne sommes pas vraiment ennemis, ni même rivaux. On s'entend pas trop mal en réalité. Avant on était même de très bons amis ! Le problème c'est que depuis le milieu de la troisième année, lui et moi avons développé un comportement un peu différent. On a du mal à rester naturel l'un avec l'autre. C'est plus confortable de s'envoyer quelques remarques acerbes à la figure que d'affronter notre malaise. J'ai peur que si on arrête ce petit jeu, on ne pourra plus jamais devenir amis, ni même s'adresser la parole. Alors on se traite de décérébrés, de malades, d'imbéciles. C'est un peu dommage mais c'est la vie.

En fait c'est depuis qu'il m'a demandé de sortir avec lui en début de troisième année. Je me souviens qu'il l'a fait au premier étage, juste après le grand escalier. Il a été le premier à me demander ça et j'ai peut-être été un peu trop brusque avec lui. Il semblerait qu'il ne s'attendait vraiment pas à mon refus. Cet événement a grandement refroidi notre relation.

Ca et… Le fait que j'ai fini par tomber amoureuse de son meilleur ami : Sirius Black.

Je ne sais pas du tout s'ils sont au courant et cette éventualité m'effraie suffisamment pour me maintenir éveillée la nuit lorsque je cogite à ce sujet. J'ai toujours l'impression qu'ils se moquent à moitié de moi. Or le voir rire me rend si heureuse que je souris comme une idiote donc je ne peux rien y faire !

Comme en ce moment, alors qu'il ajuste les attaches de ses propres gants avant de manier négligemment mais avec dextérité sa batte.

Je me force à détourner le regard pour ne pas compromettre mon secret.

Si c'est encore un secret.

Argh ! Je stresse encore plus ! Je me mordille nerveusement la lèvre inférieure, goûtant à la peau abîmée et à la chair presque à vif.

-Potter, essaye de faire plus de passes cette fois. Tu es bon mais pas assez pour affronter toute une équipe tout seul, gronde Sayer.

Notre capitaine est toujours un peu plus dur avec lui mais c'est justement parce que James est un excellent joueur… Et terriblement arrogant. C'est parfois amusant mais souvent épuisant. Depuis que j'ai intégré l'équipe cette année, il ne cesse de fanfaronner et de me critiquer sur ma manière de remplir mon rôle de gardienne. Je ne me rendais pas compte à quel point cela pouvait être éreintant de jouer avec quelqu'un comme lui.

J'ai déjà essayé de lui envoyer un souaffle en pleine figure mais il l'a rattrapé sans problème. Pire encore : il a compris que je cherchais à lui faire du mal donc il s'est moqué de mon geste.

Rien que d'y repenser et je suis déjà morte de fatigue. J'ai envie d'aller ailleurs. Je n'apprécie pas le Quidditch tant que ça : j'aime bien y jouer pour rigoler avec des amis, regarder les matchs et parier sur les scores mais c'est tout ! Avoir tant de responsabilités, la capacité de décevoir autant de monde... Ca me fait peur.

J'envisagerais sérieusement la fuite durant le match si j'avais un endroit où aller.

Or je n'en ai pas.

-Quant à toi Wallen, continue Sayer sur un ton plus doux, je sais que ton poste consiste à observer l'avancement du jeu mais tu te focalises trop sur l'analyse complète du terrain.

Avec moi il est beaucoup plus paternaliste et il se veut rassurant. Soit mon angoisse est visible soit je suis vraiment nulle. Je crois qu'il ne cherche même plus à me motiver : pour le moment, l'essentiel c'est le match dans cinq minutes. J'imagine qu'après il se montrera très encourageant et fier de moi dans l'espoir de me flatter et de me garder dans l'équipe jusqu'au prochain match.

Sauf si je suis vraiment nulle comme je le crains.

Bouuuh, je suis triste maintenant. Franchement quelle idée idiote d'avoir rejoint l'équipe. Ca me déprime : je risque de priver mes camarades d'une victoire essentielle et je fais perdre du temps au capitaine.

-Il faut que tu te fies à ce que tu entends, à ce que tu ressens. Vis le jeu ! Ne cherche pas à tout examiner, tout repérer : on est là, on le sera toujours, on assure tes arrières.

-Fais-nous confiance, renchérit Sirius en levant un pouce en signe d'encouragement.

Je ne peux m'empêcher de lui sourire. Je me sens idiote mais ce qu'il a dit m'a fait très plaisir.

En plus il m'a adressé la parole directement.

Je suis vraiment contente d'être la gardienne de l'équipe.

Sayer regarde la montre à son poignet puis nous fais signe de le suivre au moment où je secoue la tête pour tenter de reprendre contenance : ça ne sert à rien de rêver d'une possible idylle entre Sirius et moi, j'ai plus grave dans ma vie et pas le temps, ni les capacités, pour le séduire. Pour le moment, je dois me concentrer sur le match.

Nous pénétrons alors le stade en même temps que l'équipe de Serdaigle. Ils ont changé d'attrapeur : Thomas Lake est devenu trop vieux, trop grand et surtout trop occupé avec son poste de préfet. Ayant été commentatrice durant la plupart de ses matchs, on se parle parfois : il est d'un an mon aîné et assez beau mais ses opinions tranchées en matière de comportement l'empêche d'être aussi populaire que James ou Sirius. Le capitaine de Serdaigle l'a remplacé cette année par un deuxième année aux cheveux couleur paille. Je ne sais pas comment il s'appelle mais d'après ce que j'ai entendu dire, son père est quelqu'un de très haut placé au ministère et c'est Slughorn qui l'aurait poussé dans l'équipe. C'est bizarre que le directeur des Serpentard mettent son nez dans les affaires des Serdaigle mais c'est le quotidien de Poudlard.

Les élèves présents se mettent alors à hurler en signe de soutien lorsqu'ils nous aperçoivent. Quel drôle de manière de soutenir un groupe : si je me rendais à un enterrement, hurler sur la famille du défunt ne serait pas bien vu.

« -Ouaiiiis ! Vas-y ! Tu vas t'en sortir ! Il est mort ! Go ! Go ! »

James a peut-être raison : il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ma tête

Enfin, je ne peux pas vraiment en vouloir aux supporters, je faisais la même chose avant. C'était amusant.

C'est juste que là ils me mettent la pression.

Le professeur de vol arrive à son tour, un peu essoufflé, et nous fait signe de nous mettre en position. Enfin, le coup de sifflet tant attendu est immédiatement englouti sous les acclamations des élèves dans les gradins tandis que la voix chaude et profonde de ma remplaçante en tant que commentatrice surgit : Suzan Winston, probablement la fille la plus courtisée de l'école.

Et elle le sait.

-Bienvenu à tout ! Voici le second match de la saison mais le premier pour l'équipe de Serdaigle ! On remarque l'absence de Thomas Lake, ce qui est assez dommage vu qu'il était mignon, et nous attendons que le nouvel attrapeur fasse ses preuves !

Mon pied frappe la terre légèrement ramollie par l'averse qu'il y a eu ce matin et je m'envole sans problème. Je n'ai pas le talent de James ni l'agilité de notre attrapeur, Liam, nouveau comme moi, mais je me débrouille pas trop mal. C'est Steeven, le fiancé de ma sœur, qui m'a appris à voler quand j'étais plus petite et qu'il venait me garder à la maison bien qu'il ne vive pas dans le même pays. Ce n'est qu'assez tard que j'ai compris que ma sœur et lui voulait uniquement que je m'occupe pendant qu'ils faisaient des trucs d'adolescents de leur côté. J'avais sept ans de moins qu'eux donc je croyais naïvement qu'ils venaient uniquement pour moi. J'ai un peu honte en y repensant et je me dis qu'eux aussi doivent être gênés.

Je fais demi-tour et me dirige sans tarder vers les cercles d'or tandis que les poursuiveurs se disputent déjà le souaffle. Allez, concentre-toi sur ce qu'a dit Sayer : visualise le tout, sois vigilante, mais reste dans le jeu.

Au bout de ce qui me semble être un quart d'heure, je reçois mon premier souaffle. J'arrive heureusement à l'intercepter et à le renvoyer rapidement à un de mes coéquipiers qui file vers les buts ennemis.

Soudain je perçois une ombre dans mon champ de vision, ombre qui me cache les rayons du soleil alors que tous les poursuiveurs de Serdaigle sont devant moi. Je tourne la tête et comprend mon erreur.

Un cognard fonce dans ma direction, bien décidé à me casser une épaule ou une jambe : j'imagine qu'il n'est pas difficile et se contentera de ce qu'il fracassera. Dans un réflexe aussi inutile qu'idiot je cache mon visage avec mon bras et ferme les yeux.

J'entends un bruit clair et fort me forçant à ouvrir les paupières. Je n'ai mal nulle part et devant moi je reconnais Sirius sur son balai. Il vient d'éloigner le cognard d'un puissant coup de batte vers un membre de l'équipe adverse. Je reste immobile un court moment avant de reposer ma main sur le manche de mon balai, encore incertaine de ma sécurité.

-Tu vois ? Tu te prends trop la tête et pas assez à la fois : fais gaffe mais crois en nous, me lance-t-il avec un sourire en coin.

« Nous ».

Je sens mes épaules être secouées par un rire nerveux. Sirius semble considérer ce geste et mon sourire comme une réponse satisfaisante puisqu'il repart en direction des buts adverses. Bon, il y a plus important. Je ne dois pas me concentrer sur lui.

Je n'ai pas à m'en faire.

Tout va bien se passer.

Le match continue avec ses hauts et ses bas mais mon sourire ne quitte plus mon visage. Notre attrapeur a réussi une jolie feinte pour éloigner son adversaire du vif d'or et le score est à notre avantage. J'ai laissé filer un but mais j'en ai retenu d'autres donc j'essaye de ne pas me focaliser sur mes échecs.

Juste un but.

Un but.

Dix points pour les autres.

Quelle nulle.

Stooop ! Allez Carmel, pense à tes victoires, pas à tes défaites ! Et ne parle pas toute seule. Seuls les fous parlent tout seul.

Et tu n'es pas folle. Sois en certaine !

Je continue de me parler à moi-même là, non ?

Un joueur de Serdaigle volant plus haut que les autres en direction de mes buts, vers la droite, attire mon attention mais je n'ai pas le temps d'analyser sa technique : un poursuiveur fonce vers moi avec le souaffle. Le premier devait également être un poursuiveur qui cherchait à se positionner pour créer une embuscade. Bien essayé mais ça ne marche pas avec moi.

L'adversaire semble abandonner la ruse que j'ai devinée. Le souaffle est lancé directement dans ma direction et j'arrive à l'attraper avec les deux mains de justesse en me jetant sur la gauche. Finalement Sayer avait raison au sujet de ma taille : c'est un sacré avantage pour le Quidditch. Seuls les muscles de mes cuisses serrés autour du manche de mon balai me permettent de ne pas tomber en avant et je vais devoir revenir tout doucement pour ne pas perdre l'équilibre. Je sens que mon balai n'aime pas ça et il commence à perdre doucement en altitude à cause de l'instabilité. Les mèches que j'avais libérées par pure vantardise se collent désagréablement à mon visage en sueur.

Soudain j'entends à nouveau un bruit clair identique à celui de tout à l'heure. Je tourne la tête du côté de son origine et je comprends mon erreur : ce n'était pas une feinte entre poursuiveurs.

C'était un batteur.

Le cognard fonce sur moi.

Mes mains ne tiennent pas le manche de mon balai.