Chapitre 1
Innocence
Isa était assise sur son petit lit, la couette rose passée par-dessus sa tête, elle essayait tant bien que mal de rassembler les pièces de ce jeu. Elle avait promis à Antony qu'elle lui prêterait mais elle était persuadée qu'il manquait des morceaux. Elle devait le reconstituer avant de lui amener.
« Isa ? Tu viens manger Chérie ? » Cria la voix claire de sa maman depuis le rez-de-chaussée.
Dans un geste précipité elle démonta sa tente de fortune, la laissant décoiffée, faisant rouler ici et là des morceaux sur le matelas. Quelques-un s'échappèrent et émirent un cliquetis métallique alors qu'ils rebondissaient sur le sol. Elle sauta du lit rapidement, emmenant encore dans son mouvement quelques pièces.
« Mince ! » Grogna-t-elle frustrée en se jetant à quatre pattes sous le meuble, pour les récupérer.
« Isa ? » S'agaça sa mère. Elle se dit qu'elle les ramasserait après le déjeuner, espérant tout retrouver cette fois.
Elle détala dans le couloir, ses pieds frappant le parquet et résonnant à l'étage en dessous. Elle se figea en bas de l'escalier, l'odeur était affreuse. Dans sa tête, des formes vertes et allongées apparaissaient, bribes de souvenir.
« Oh non ! Pas des haricots verts ! » Elle entra dans la cuisine en plissant son petit nez tandis que sa mère roulait des yeux.
« Ne commence pas veux-tu ? Tu dois manger des légumes pour être en bonne santé, c'est comme ça, non-négociable. »
« Yeurk ! » Elle se glissa sur sa chaise sans parlementer, il ne fallait pas parlementer avec maman. C'était pire après. Mais avec Papa, tout était possible !
« Papa ne rentre pas manger ?
« Peut-être plus tard, il n'avait pas le temps. »
La casserole de haricots bouillis apparut sur la table dans un bruit sec. L'odeur se fit plus forte encore. Ça lui rappelait la cantine de l'école. A cette pensée, un sourire étira ses lèvres, c'était les vacances d'été, il passerait encore beaucoup de temps avant qu'elle ne remange dans cette infâme cantine.
« Ton assiette ? » Sa mère tendait la main, impatiente. Isa soupira, jetant dans le même temps ses deux nattes derrière sa tête. Elle avança son assiette, vaincue pour cette fois.
Elle regardait les haricots vert foncé s'empiler sur la faïence blanche répandant leur odeur nauséabonde partout en se demandant ce qu'Antony pensait des haricots verts. Peut-être que lui, il aimait ça. Non ! Elle ne pouvait même pas penser que quelqu'un puisse aimer ça. Mais comme Antony était vraiment bizarre parfois, peut-être qu'elle devrait lui poser la question.
Non loin de là, à exactement 87 mètres, dans la maison voisine, Antony, enlevait ses chaussures pour monter doucement dans sa chambre. Il laissait volontairement ses pieds glisser sur la moquette pour ne pas être entendu. Ça lui donnait le cœur lourd de ne pas pouvoir crier et courir. Mais demain, ça irait mieux, il en était certain.
Il se glissa dans sa chambre, laissant la porte à moitié entre-ouverte et s'installa à la petite table dans l'angle. C'était une bonne idée de l'avoir mise ici, il y avait beaucoup de lumière. De la fenêtre de droite, il pouvait guetter de la rue le retour de Carlisle et de la fenêtre face à lui, il voyait le jardin d'Isa. Ainsi quand elle aurait fini de manger, il pourrait la rejoindre. En attendant, il décapsula un minuscule pot de peinture rouge, attrapa le plus petit pinceau qu'il avait en sa possession et mélangea un peu la gouache avec. Sa réplique miniature du P-51 Mustang serait bien plus jolie avec une hélice de cette couleur. Isa serait d'accord avec ça, même si elle préférait le rose.
Superficiel
Bella est assise en tailleur sur son lit, tournant les pages d'un magazine de mode, elle écoute très distraitement sa colocataire qui déblatère à propos d'une conférence sur l'augmentation du coût des matières premières dans l'industrie automobile.
« Al ? Dis-moi pourquoi j'irais avec toi ?
« Tu pourras te faire les ongles sans être dérangée par ton téléphone, et finir ce magazine ? »
Bella lève la tête intriguée.
« Vendu ! » Elle fourre dans son sac tout le nécessaire pour refaire sa French, elle glisse sa main dans ses cheveux, les remettant bien en place et après une rapide retouche gloss elle traverse le couloir de la cité universitaire, sa veste blazer imprimée pied-de-poule sous le bras. Elle l'enfile juste avant de passer les grandes portes coulissantes du hall, les températures d'automne à Seattle sont vraiment hivernales. Bella n'est pas du tout habituée à ça, puisque de là où elle vient, à Phœnix, c'est l'été pratiquement toute l'année. Mais ça ne lui déplaît pas, elle croise son reflet dans la vitrine du Starbucks et se dit que cette veste ultra-cintrée la rend carrément sexy.
Les deux filles traversent la rue devant le bâtiment qui abrite l'amphi principal de l'université, le plus grand. Comme elles ne sont là que depuis un mois, elles n'ont pas encore eu le temps de voir à quoi il ressemble. La conférence est libre d'accès et Bella dévoile un sourire carnassier quand elle entre dans la grande pièce, par les escaliers du haut, derrière Alice. Une bonne centaine de jeunes mâles écoutent religieusement le maître de conf. La main de son amie se tend dans son dos, Bella lui en tape cinq, c'était une idée de tordue de venir ici, mais au moins il y a quelques mecs.
Elles descendent une dizaine de marche, les tallons vertigineux d'Alice résonnent dans toute la pièce et l'orateur, sur l'estrade en bas, marque un temps d'arrêt. La brunette aux cheveux courts, lui fait un petit signe gêné de la main et Bella lui offre un grand sourire d'excuse, une moue sacrément aguicheuse. Il les ignore, sûrement parce que les deux impertinentes retardataires ont l'âge de sa propre fille. Mais il est bien le seul à les ignorer, l'auditoire est maintenant tourné vers le haut de l'amphi, là où les deux filles sont en train de s'installer. Bella déboutonne aussi lentement qu'elle le peut sa veste, elle sent la dizaine de regards braqués sur elle et elle aime ça.
Elle fait glisser son vêtement sur ses épaules, révélant un chemisier bleu pâle tellement fin qu'il en est presque transparent et comme elle ne l'a pas boutonné jusqu'en haut, il laisse voir beaucoup de peau. Elle dépose sa veste sur le dossier du siège et quand elle se redresse, elle jette un regard de braise au jeune homme brun assis à quelques sièges de là. Elle l'avait repéré immédiatement en rentrant. Le mec rougit un peu, déglutit, Bella est déçue, trop facile. Elle préfère donc sortir le petit matériel de manucure.
Sitôt que ses doigts ont retrouvé toute leur féminité elle fait signe à son amie, il est temps de bouger, la viande n'est pas aussi fraîche qu'elles l'avaient espéré. C'était comme jeter de l'appât pour carnassiers dans une marre remplie de carpes, inutile et sans intérêt.
Belle frissonne en sortant de l'amphi, elle remonte sa veste, bien trop courte, parce qu'il s'est mis à pleuvoir et elle maudit la pluie qui fait frisotter ses cheveux. Elle les déteste de réagir ainsi, elle qui passe des heures à les contraindre. Mais chasser le naturel il revient au galop, fer à lisser ou non.
Lorsqu'elles tournent au coin de la rue qui mène à leur dortoir, un crissement de pneus fait brusquement tourner la tête de la brune aux cheveux longs légèrement bouclés désormais. Elle voit clairement la berline bleue déraper sur la chaussée mouillée et comme au ralenti la voiture vient s'enrouler autour du pauvre platane esseulé sur le trottoir d'en face dans un fracas assourdissant.
La conductrice d'une vingtaine d'années sort de son véhicule endommagé en vociférant. Bella souffle de soulagement quand elle devine la jeune femme parfaitement indemne. Elle finit même par avoir envie de se moquer, mais se retient car ce n'est pas sympa, elle n'aimerait pas être à sa place. Sa mère la tuerait si elle cassait sa voiture.
La jeune femme qui vient de heurter le tronc de l'arbre innocent ne daigne même pas jeter un regard au jeune homme qui lui demande si elle va bien. Elle est trop en colère contre elle-même pour faire attention à qui que ce soit. Ça va lui coûter une blinde, tout ça parce qu'elle n'a pas écouté son petit ami quand il lui a dit que ses pneus étaient lisses.
Edward se contente donc de hausser les épaules pensant mentalement que la prochaine fois qu'il s'inquiétera pour quelqu'un, il le gardera pour lui. Il poursuit sa route vers le bâtiment principal de l'université, là où il doit rejoindre son pote Emmett dans quelques minutes pour aller boire une bière.
