Warnings : Slash, Bobby/John. Homophobes s'abstenir.

Disclaimer : Bobby & John belong to each other. I swear.

Un pas en arrière
Ou comment encore une fois, tout commença avec une fille.

Décembre 2008

Marie « Rogue » D'Ancanto flânait rarement seule dans la rue. Normal. Pas vraiment étonnant de développer une certaine agoraphobie quand votre ADN a inopinément décidé de muter vos capacités afin qu'elles aspirent la psyché des gens.

« Sortez couverts ! » Voilà un adage qui n'en était pas un dans la vie de Marie. Non, c'était plutôt une réalité.

Tout le monde sait plus ou moins qu'il existe des gens particuliers dans la rue - dont elle, cela dit. Quoiqu'il en soit, on croise tous les jours ces inconnus, spéciaux ou non, et ce sans se retourner. Même suite à une bousculade, un inconnu en reste un.
Quand bien même, pour une raison obscure, untel ferait subitement une fixette, cela ne lui ferait même pas la moitié de l'effet d'un effleurement à Marie.
Et dites-vous bien que ce n'est pas plus mal.

Ce n'est pas comme si elle tenait à savoir la vie privée de cette adolescente-ci, les dernières expériences sexuelles de ce trentenaire-là, ou quoique ce soit d'intime chez ces inconnus.
En fait, elle n'y tenait pas du tout.

Voici un fait que Marie aurait voulu ne jamais savoir : les humains avaient toujours en tête les instants les plus malsains de leur existence.
Alors qu'eux avaient pourtant la chance de vivre dans une société qui les protégeait de l'exhibitionnisme, de l'obscénité et autres morales douteuses ! Marie, elle, n'avait ni censure ni contrôle parental inclus dans son Assurance Santé Mentale - Mutant Corporation.

Marie comprenait la répulsion instinctives des gens normaux pour les mutants. Leur vie était déjà assez fournie en détails sordides sans qu'en plus l'étendue des possibilités improbables et autres éléments à caractère surréaliste ne s'ouvre à eux. Elle-même avait déjà été suffisamment dépassée par sa vie d'ado normale avant que son égoïste de code génétique ne se mette à pimenter les choses.

Les mutants n'étaient pas vraiment pires, en soi. Bien sûr, s'ils filtraient les cadeaux alternatifs (autrement dit pouvoirs incontrôlables) qu'ils diffusaient haut débit à Marie, ce serait l'pied. Aspirer littéralement l'âme des gens relevait déjà du danger public, pas besoin de l'option « et plus si affinités ».
Le comble, quand elle y pensait, aurait été d'évoluer vers un mode Wi-fi.

Bref, tout ça pour dire, Marie avait été prise d'un élan de bravoure inexplicable dans la matinée; et naturellement, l'intrépide mutante vit son aplomb nettement amoché quand elle réalisa que la veille de Noël n'était décidément pas la journée la plus adéquate à un saut en ville sans trop de bousculades.
Elle avait eu la naïveté de se dire que ce serait « une bonne occasion de braver (et éventuellement se réconcilier) avec la ville ». Les décors enneigés, les guirlandes, les bougies, les sapins, tout un petit monde magique et curieux…

La mutante en elle n'aurait pas dû lui envoyer instinctivement des signaux de détresse ? Non, évidemment, la fourbe avait préféré inhiber ses réflexes innés de survie et la laisser dans l'imprudence. Même pas un sursaut de conscience en sortant. Alors qu'elle n'était qu'en débardeur et écharpe, avec pour unique protection contre le monde cruel de l'extérieur ses gants coutumiers relevés jusqu'aux coudes. Parce que forcément, depuis qu'elle s'était imprégnée de Bobby et de John, elle n'avait jamais autant résisté aux températures saisonnières.

D'ailleurs, elle n'aurait jamais dû envoyer paître Bobby quand il lui proposa de l'accompagner. Bon, il aurait fallu détourner son attention pendant qu'elle lui choisissait subrepticement son cadeau, mais au moins elle n'aurait pas été autant bousculée dans ce centre commercial bondé d'imbéciles heureux.

Elle était justement en train de s'intéresser à la vitrine d'un horloger pour cet ingrat (qui n'y était pour rien, mais répondait parfaitement au principe que « les absents ont toujours tort ») de Bobby Drake.
À côté d'une Rolex d'occasion définitivement hors de ses moyens, se tenait une montre Sylar qui la tentait bien.
Alors elle entra prudemment dans le magasin presque lugubre, et vit un superbe blond peroxydé discuter tranquillement avec le vendeur. Ce dernier, un brun mal rasé au sourire qu'elle qualifierait d'engageant voire d'inquiétant, était à première vu un simple mordu de mécanique. C'est quand il posa un regard adulateur sur la montre qu'elle désigna du doigt et l'attrapa avec la précaution d'un amant jaloux, qu'elle réalisa son obsession proche de celle de Pyro pour son Zippo.
Elle se mordit la joue, irritée par le sentimentalisme de ce souvenir, et régla vite fait sous le regard indiscret du blond. Il semblait bien s'amuser de la voir retirer un de ses longs gants de soie noire pour fureter dans son sac à main.

Puis comme par hasard, le paquet lui échappa des mains.
L'homme blond le rattrapa d'un geste bien trop vif et là, ce fut le contact inévitable.

Ben voyons. L'esprit de Noël sans doute. Pourquoi pas un peu de gui tant qu'on y était... Elle se sentait toute disposée.
Elle attendit vaguement que quelques flashs de souvenirs saugrenus s'imposent à elle, en vain. Pas d'anecdote ? Étrange. Suspect.
Rien en tête signifiait que cet homme était amnésique, ou pas humain, ou les deux.

« Merci, » murmura-t-elle intriguée.
« Je vous en prie, » répondit-il avec un sourire à en faire jaunir Signal Blancheur.

Galamment, il lui ouvrit la porte et l'accompagna à la sortie avec un signe de tête pour l'horloger. Elle hésitait entre partir sans plus de formalités et s'intéresser de plus près à ce drôle de personnage. Finalement, ce fut lui qui prit l'initiative en lui tendant la boîte contenant la précieuse montre, la faisant sursauter.

« N'oubliez pas votre cadeau. »
« Ah oui, merci, monsieur..? »
« Longshot. »

Marie était surprise par la contradiction de ses actes. Le jeune homme se présentait avec un air désabusé et avenant, mais à peine avait-elle saisit le paquet qu'il renfouit ses mains dans son pantalon.
Avait-il senti son pouvoir ? Était-ce pour ça qu'il semblait réticent à lui serrer la main, ou n'était-ce qu'une maladresse timide ? Fallait-il qu'elle remette son gant avant de lui tendre sa main, ou n'était-ce que pure spéculation de sa part ?
Marie décida de poser son gant avec le paquet dans son sac. Elle ne perdrait pas une occasion d'avoir sa réponse.

« Marie D'Ancanto, enchantée ! » se présenta-t-elle en lui tendant la main.

Le garçon sembla hésiter autant qu'elle, lui donnant une sueur froide. Il regarda avec malaise, mais ni dégoût ni peur, la main tendue devant lui avant de se résigner à la serrer.

« De même. »

Okay, là c'était vraiment bizarre.

Marie eut un doute. Un rêve, peut-être ?
C'est vrai, quoi. Le monde était rempli de mutants. Elle en croisait tous les jours.
Mais là, elle venait de serrer la main sans rien ressentir à un beau blond aussi charismatique qu'une star de cinéma, doté de mains à quatre doigts, quand même.

C'était louche. Très louche. Trop louche.
Tellement louche qu'il s'éloignait déjà.

Marie n'était peut-être pas très réceptive aux signaux de son instinct de survie. La mutante en elle n'avait peut-être jamais servi sa cause personnelle. Elle avait peut-être toujours été poursuivie par la malchance.
Mais d'instinct elle sut que cette histoire ne s'arrêterait pas là.

* . * . *

Avril 2009

La vie de Marie était incomparable depuis cette rencontre.

Au fil des jours, elle développa une agilité surprenante. Vraiment surprenante.
Au fil des semaines, la rapidité de ses réflexes lui donnait l'impression de prévoir l'avenir proche.

Cette agilité et vitesse surhumaines étaient pratiques et trompeuses à la fois.
Tous ses sens n'étaient pas surdéveloppés et certains réflexes la blessaient.

Oui, elle était capable de rattraper une balle de baseball à main nue sans s'y attendre. Non, elle ne pourrait pas le faire les yeux fermés. Ni son ouie, ni sa vision, ni sa force ne s'était décuplée. Pas plus qu'un hypothétique sixième sens.
La balle perdue avait été bloquée, mais sur le coup Marie s'était cassé le poignet et le pouce. Pendant trois bonnes minutes, le temps que le pouvoir de Logan fasse son effet, elle regretta amèrement d'avoir eu le réflexe de s'interposer entre la vitre de la cuisine et la balle. Guérir lui était facile et rapide, mais la douleur n'en était pas moins forte.

Ces dons auraient été inutiles à n'importe qui pour la majorité du temps. N'importe qui sauf Marie, qui était devenue capable d'esquiver toute friction dans un couloir si étroit soit-il.

Mais il n'y avait pas que ça.
Elle était toujours dotée d'un instinct de survie atrophié, d'une imprudence dangereuse et d'une jugeote douteuse, mais à présent, elle avait de la Chance.
Cette Chance avait quand même ses limites. Elle ne pouvait pas gagner au loto, du moins, pas consciemment.
Elle ne pouvait pas non plus forcer cette Chance. Si elle faisait exprès de ne pas réviser, une interro ne serait annulée. Par contre, Marie n'avait jamais autant aimé les QCMs surprise. Si c'était imprévu, elle pouvait oublier son manteau, il ne pleuvrait pas, perdre ou se faire voler un objet, elle tombait dessus, elle pouvait manquer un peu d'argent pour un café, elle en trouverait par hasard sur le trottoir. Cela ne remplacerait jamais son manque de contact humain, évidemment.
Quoique c'était un lot de consolation plutôt salutaire.

Et puis, ce nouveau pouvoir prenait parfois une ampleur quelque peu démesurée.

Comprenez bien que Marie n'avait jamais haï Pyro.
Il s'était juste désintéressé d'elle aussi vite que la flamme de son Zippo s'était gelée lors de leur premier cours en commun.
Jour inoubliable. Elle avait découvert qu'il y avait bien plus dangereux qu'elle. Elle avait découvert un lieu où l'anormalité était le lot quotidien de tous. L'idée était délicieuse.
Ce n'était pas vraiment la tolérance des élèves qui avait marqué le jour de son arrivée à l'école. Non, pour être franche, c'était plutôt Bobby et John.

John avait discrètement fait naître une sphère de feu de son briquet. Pour elle.
Dans le peu de psyché de John qu'elle avait pu apercevoir chez les parents de Bobby, elle avait comprit qu'un nom ne représentait rien pour John, mais qu'un pouvoir était une part de l'âme. « Salut, je suis Marie. » Et alors ? Plein de gens peuvent dire la même chose.
Un nom n'apprend rien à personne. Un nom, c'est ce que tes parents ont décidé pour toi avant même ta naissance. Ce n'était qu'hypocrisie.

Ce geste pour John revenait à présenter sans détour ce qui le rendait un individu unique au monde.
Marie aimait assez l'idée, c'était une manière poétique de voir leur dons.
Il n'avait pas présenté un simple nom. Il s'était présenté par ses actes : « Pyro, et toi ? ».

Elle ne comprit que très tard l'importance de ce geste.

Bobby eut alors une réaction ambiguë qui n'avait cessé de hanter Marie depuis leur premier baiser.
Elle ne voyait pas ce qu'il y avait dans la tête de Bobby. D'une manière générale, elle ne voyait rien. Elle interceptait juste un souvenir, une vague sensation, un effet personnel. Pas une émotion, juste un souvenir. Et lors de leur premier baiser, Bobby pensait à leur première rencontre.

À l'époque, elle ignorait qu'ils étaient inséparables. Elle ignorait aussi que John était un emmerdeur sarcastique et que Bobby n'était finalement pas aussi transparent que de la glace.
À l'époque, elle ne s'était pas demandé pourquoi diable il avait gelé la sphère de Pyro. Elle avait supposé que ce n'était qu'une taquinerie. Une manière de lui rabattre le caquet. Une manière d'attirer l'attention sur lui.

À présent, elle pensait toujours que c'était le cas, mais qu'il y avait autre chose.
Son geste avait deux significations : « Moi c'est Iceman », et « Pas touche ». Autant la première affirmation était claire comme de l'eau de roche, autant la deuxième laissait planer un voile impénétrable sur le pourquoi du comment.

Oh, Marie savait qu'elle était jolie. Elle savait aussi qu'une pièce rapportée suscitait toujours beaucoup d'intérêt curieux. Mais elle ne croyait pas au coup de foudre.

Pas touche à qui ? Auquel des deux ?
Marie croyait en la possessivité platonique. Aussi n'était-elle plus si sûre qu'elle ait été l'objet de son affection dans l'histoire. Ou du moins, peut-être pas sur le coup.

« Pyro, ne la regarde pas ou je t'arrache la tête »
Ou même, « Pyro, ne la fais pas te regarder ou j'te gèle la mâchoire pour le mois à v'nir »
Le problème avec Bobby, c'est que ses faits et gestes avaient toujours un double sens vaguement contradictoire. Donc dans toutes les formulations possibles, elle ne savait décider si ce qui gênait tant Bobby soit que John l'ait abordée elle, ou qu'elle ait été abordée par John.

Ce n'était pas forcément très possessif non plus, si ?
Ou bien, c'était bien plus que ça.

Si elle savait une chose sur Bobby, c'était bien qu'il n'était pas égocentrique. On pouvait en avoir l'impression. Il pouvait le faire croire délibérément.
Mais il ne l'était pas.

Bobby avait décidé de la faire s'intéresser à lui. C'était plus qu'une politesse. Il y avait forcément une raison. Un sens.
Ce n'était pas de l'égocentrisme. Ce n'était pas un coup de foudre. Peut-être s'était-il vu en elle ?

Bobby était quelqu'un de gentil. Mystérieusement gentil. Ce n'était pas un hypocrite, seulement, il n'était pas toujours honnête avec lui-même.

Alors quoi ? Il s'était subitement intéressé à elle, la nouvelle ?
Marie n'était pas pourvue d'un charme irrésistible, elle n'était pas adorable, ou pitoyable. Elle n'avait pas un sex-appeal détonnant comme certains.
Il aurait très bien pu lui tendre la main par compassion.
Depuis leur première rencontre, Bobby lui avait accordé l'intérêt qu'elle quémandait intérieurement. Il était à l'écoute de ses moindre désirs. Il minimisait un maximum toute possibilité de distraction extérieure. Même avec John. Surtout avec John.

Plus elle y pensait, plus elle en était sûre. Love at first sight ? Pas moyen. Pitié ? Concorde pas. Affection platonique ? Bien trop ambigu.
C'était délibéré. Ce jour là, il l'a draguée, et c'était délibéré, pour sûr.
Quoiqu'elle fasse, tout coïncidait.

Il y avait eu Logan, aussi. Avec qui il avait sympathisé malgré la petite scène qu'il lui avait fait à son propos. Rien à voir avec la fois où elle avait commenté les abdos de John pour le provoquer. Il s'était arrangé pour que plus une seule fois elle n'oublie à quel point il était imbattable sur ce domaine.
Elle et Bobby s'étaient liés d'affection. Vraiment. Profondément. D'après John, Marie réclamait beaucoup, Bobby ne demandait qu'à donner autant. Il trouvait Bobby étouffant, et Marie impossible. Il avait laissé échapper une fois qu'ils se comportaient tous les deux comme des insatisfaits et que, compte tenu du pouvoir frustrant qui les empêchait d'être vraiment ensemble, ils feraient mieux de se trouver un autre passe-temps. Quand il remarqua qu'ils l'avaient pris au sérieux, il se contenta de se plaindre de leur manque d'humour et de les traiter d'imbéciles influençables.
Oui, c'était impossible entre Marie et Bobby. Tous deux ne demandaient qu'à aimer et être aimés, mais ils avaient une approche différente de la vie.
Bobby s'était fait jeter par sa famille.
Marie avait abandonné la sienne. Puis elle avait trouvé Logan.
Bobby avait trouvé John.
Et tout comme Marie était incapable de comparer qui que ce soit à Wolverine, Bobby ne pouvait pas remplacer John.
Pourtant il l'aurait fait ? Exprès ? Avec une nouvelle ?
Ce serait mal connaître Bobby.

Elle se devait de l'admettre à présent. Autant l'affection entre Bobby et elle était forte concrète, autant elle ne valait pas la peine d'humilier John ce jour-là.
Bobby s'était peut-être intéressé à elle, mais en le connaissant bien, son comportement était on ne peut plus explicite.

Elle n'était pas l'objet de la possessivité de Bobby. Pas à l'époque. Quand bien même il avait eut un béguin subit, Bobby n'était vraiment, mais alors vraiment pas imbu de lui même. L'affection s'était développée après.
Ce n'était pas elle, la raison.

Donc c'était John.

Et le « regarde-moi » de Bobby n'avait pas tellement pour intention de la faire s'intéresser à lui. Enfin, si, mais pas vraiment. L'intention était plutôt de la détourner de John.
C'était du « Pyro, elle est à moi, ça t'apprendra à la regarder ».

Sale con. Imbécile. Crétin. Le pire, c'est qu'elle était la moins aveugle des trois.
Étrange comme un moment qui date de plusieurs mois pouvait bouleverser son monde du jour au lendemain, mais avec tous ces mois de décalage. Marie ne pourrait jamais plus se souvenir de ce jour de la même manière.

Attendez.
Bobby ne voulait pas que John se case ?
Soit. Cela ne voulait rien dire.
Il ne voulait seulement pas tenir la chandelle. En admettant qu'elle ait été intéressée par Pyro, bien sûr.

Bobby préférait abandonner John avant de se faire abandonner, hein... C'était quand même un sale petit con. Et on disait que les filles foutaient la merde, alors ça, c'était révoltant ! Les mecs sont pas mieux. Juste, ils agissent sans l'admettre à eux même et garde une conscience tranquille à toute épreuve.
Abrutis. Et maintenant, John n'était même plus là.

Marie aurait dû se méfier. L'attitude sympathique n'avait eu aucune raison apparente.
Non, en fait, rien du tout. Elle n'aurait pas pu savoir. Elle avait mis presqu'un an à comprendre. Elle n'aurait pas pu deviner. Elle était déjà la première des trois à avoir compris le fond des choses, fallait pas pousser.

Raaaah ! C'est bien trop compliqué, cette histoire !

Donc voilà.
Marie aurait donné n'importe quoi pour pouvoir revivre ces derniers mois en compagnie de John et Bobby. Juste pour observer plus assidûment leur comportement l'un envers l'autre. Si elle avait une chose en commun avec son pouvoir, c'était bien cela. Cette nécessité de comprendre le fond des choses. Le fond de l'âme des gens.
Et c'est là que son nouveau pouvoir prit une ampleur si démesurée. Alors qu'elle léchouillait sa cuillérée de glace vanillée, à quatre heures du mat', devant la télé du salon.

* . * . *

Juin 2008

Marie regrettait John. Terriblement.
Ce n'était pas nouveau. Elle n'en aurait pas pleuré. Elle n'y pensait pas tout le temps.
Mais il lui manquait. Une part de sa vie était imprégnée de lui. Le bruit métallique de son Zippo était déconcentrant, mais rassurant. Comme une musique, en fait. Pas désagréable, mais agaçant quand on réfléchit. Et encore, que pour certains.
Plus de « Clic Snap », c'était plus de Pyro.
Et ça commençait à dater.

Ce n'était rien à côté de Bobby. Elle serait bien hypocrite de se plaindre à lui.
Bobby le détestait pour l'avoir fait souffrir. Ce n'était même pas parce qu'il avait abandonné sa cause, c'était parce qu'il l'avait abandonné lui, et ce sans remord. John avait décidé un jour que eux, Bobby et John, ça ne valait pas la peine de rester.
Bobby le haïssait. Intérieurement. Silencieusement. Et du plus profond de son âme.

En plus, le fait que Bobby assomme Pyro n'avait pas autant indigné Marie que le fait qu'il sorte avec Kitty. Donc elle ne pouvait pas décemment extérioriser le fait (honteux, quelque part) qu'elle veuille Pyro de retour.

Cette scène stupide, cette rupture, entre Bobby et elle avait duré un temps. Jusqu'à la lettre.
Et là, ils s'étaient sentis comme deux bouffons.

Pyro n'était pas parti. Il n'était plus parti.
Pyro n'était plus dans la Confrérie.
Pyro n'était plus un terroriste.
Pyro n'était même plus un mutant.
Pyro n'était plus en vie.
A présent, il était mort.

Et alors quoi ? Ils allaient passer leur vie à pleurer comme deux crétins ? A regretter ? A s'en vouloir ?

Oh, Marie savait pourquoi John avait voulu tuer Bobby à Alcatraz. Elle ne le savait que trop bien.
John avait tout à gagner dans ce combat. Il se donnait deux options. Tuer Bobby, parce que Bobby savait. Ou mourir, parce qu'alors il n'aurait eu aucune excuse pour survivre.
Elle devinait le regard de surprise, de terreur, quand Bobby se releva en lui attrapant les poignets. Bobby ne tuait pas. Il se contentait de faire mal. Assez mal pour qu'il ne se relève pas, mais souffre sans mourir.
Il avait dû deviner que Bobby ne le tuerait pas. Il avait dû s'en rappeler.

John avait survécu.
Bobby aurait préféré qu'il soit mort. Qu'il l'ait tué ce soir-là. Au moins, il aurait été celui qui avait décidé de sa mort, et personne d'autre. Rien d'autre. Et certainement pas un stupide virus.

Monsieur le Directeur,

Nous avons le regret de vous annoncer la mort de St John Allerdyce, malencontreusement contaminé par le virus Liberty [Alpha] des laboratoires [_].

Il est décédé aux suites de sa maladie et de blessures aux urgences le 15 mai au soir.

Comme convenu sur le contrat signé en 2001, vous hériterez en conséquence de tous ses biens d'une valeur de [_]$.

Je vous prie d'accepter nos plus sincères condoléances,

[_]

Le nom des laboratoires et de l'auteur de la lettre avaient été floutés. Bobby avait tenté avec son pouvoir de manipuler et extraire l'eau du message, mais rien à faire. Bouleversé comme il était, il n'avait pu que geler dans un bloc de glace toute la lettre.

2001. La date de son entrée à l'école.
Que s'était-il passé ? Bobby n'avait rien voulu lui dire. Bobby savait, mais ne pouvait rien dire.
Ils avaient fait des recherches. Doug avait consulté des dossiers de recherche du FBI, c'était dire.
Marie savait que John avait eu des problèmes avec la mafia, ou une organisation du genre. Ce n'était pas la police, pas l'officielle en tout cas. Elle se demanda si c'était le FBI.
Finalement, non. Quel genre de gosse de 12 ans a des affaires avec le FBI ? Pyro était un mutant, un danger public, un emmerdeur aussi, mais pas un génie de la fraude.

« Là ! » s'exclama soudain Bobby avec un accent de démence. Ils étaient tous hystériques. Mais lui était désespéré. Il ne comprenait pas que John ait pu mourir sans lui. Il ne le comprendrait jamais. « Laboratoires de virologie - Manhattan - Août 2009 ! Ouvre ! »
« Ohé, du calme, Drake. Il va pas s'envoler, ton dossier. Là, tu vois ? C'est sauvegardé sur mon disque dur. Je veux bien l'ouvrir, mais d'abord, tu lâches mon épaule. Elle a été suffisamment broyée comme ça, et je tiens pas à la voir gelée. Il paraît que ça fait vachement mal. Et puis va chercher deux chaises. A me tourner autour comme deux vautours, vous me donnez le tournis. En plus, la miss à l'air d'être prête à tourner de l'oeil. Chuis pas médecin, mais j'veux pas d'gerbe sur ma moquette. »
« Doug, boucle-la et ouvre ce putain de dossier. »
« Mais non, bordel. Vous me faites chier tous les deux. Pyro est mort, OK ? Mort. T'as compris Drake ? N'espère pas découvrir qu'il est en fait en vie quelque part dans un lieu top secret. Il est mort, et si je vais ouvrir ce putain de dossier, c'est pour que vous sachiez ce qui s'est passé. Une fois que vous saurez, vous l'accepterez. »

Doug continua à se plaindre en ouvrant le dossier, critiquant l'abrutie de lettre qui n'avait pas été explicite sur les conditions de la mort, selon quoi c'était la cause de leur névrose débile.

Pyro était venu dans leur labo pour tous les tuer.
Il avait fait parti des dix personnes ayant contracté le Virus Liberty.
Un virus sur lequel des dizaines d'humains avaient travaillé pendant des années. Un virus qui tuait les mutants en quelques semaines. Un virus qui n'avait pas beaucoup de symptômes, à part une toux résistante et un affaiblissement progressif de la vigilance et de la force musculaire.
Le FBI cherchait la Liberty Corp. depuis trois mois, depuis qu'ils leur avaient proposé de collaborer à la propagation du Virus jusque dans les moindres recoins des États-unis. Il en était hors de question, bien sûr. Le FBI formait des élites d'intelligence et de déduction. Ils avaient bien compris que les Mutants débouchaient du phénomène naturel de l'évolution, accéléré parfois par une exposition aux ondes nucléaires ou à une pollution dangereuse.
Dès que la réunion confirmant la traque des individus de ce laboratoire afin de les mettre hors d'état de nuire prit fin, tous les documents pour les contacter s'éliminèrent sous leurs yeux.
Ils en conclurent qu'il y avait un mouchard parmi eux.
Ils en découvrirent 18 en tout. Humains, tous.
Un avoua. Ils avaient déjà choisi dix cobayes. Tous étaient déjà contaminés. Trois mutants étaient décédés sur le coup, en quelques minutes. Cinq avaient contracté la forme attendue du virus, sexuellement transmissible, héréditaire par des humains porteurs sains, mortelle en un mois environ. Un mutant avait permis une nouvelle mutation du gène vers un mode de propagation par voie respiratoire. Ils l'avaient enfermé des semaines pour pouvoir étudier le virus et vérifier qu'il n'était pas nocif aux humains, dans quelque manière que ce soit. (« Hé ouais, c'était ça de contaminer des patients au code génétique instable... » avait grommelé Doug.) Un leur avait échappé.
St John Allerdyce, mutant de contrôle psychique du feu, avait survécu 42 jours sans soins au Virus. Il s'était enfui et avait organisé la destruction du bâtiment. Il mit 27 jours à trouver 4 mutants acceptant de mourir pour sauver les autres. Trois s'étaient désistés quand ils virent l'état de John se détériorer gravement. Un d'eux avait même décidé de s'enfuir au Mexique pour survivre à l'imminente propagation du Virus, trop effrayé par l'affaiblissement du cerveau de l'opération.
Un mutant anonyme de vingt ans l'avait soutenu et aidé à les espionner jusqu'à la fin. Le 14 mai, ils avaient fait ensemble la découverte de la nouvelle souche du Virus, que l'équipe de généticien relâcherait officiellement le 16 à l'aube dans la gare de Manhattan.
Les deux mutants, dont John à bout de forces, avaient décidé de les éliminer sans plus attendre. L'inconnu semblait être un passe-partout, ils entrèrent par infraction sans déclencher la moindre alarme. L'opération était visiblement kamikaze, ils n'en ressortiraient pas vivants.
Pyro avait utilisé ses dernières forces pour brûler tous les « cas » et les fioles contenant les souches du virus. Suite à quoi il s'était retrouvé dans l'incapacité d'utiliser ses pouvoirs.
L'alarme incendie s'était bien sûr déclenchée. Le gardien s'était fait briser le crâne avec un extincteur.
A eux deux, ils avaient tué tous les généticiens, en salle de réunion, avec les moyens du bord, quelques fumigènes, des couteaux, bref, que dalle face aux flingues dont leurs ennemis étaient munis. John avait enflammé la moquette avec son briquet, semant la panique pendant que l'inconnu, blessé à l'épaule et au cou, désarma l'un d'entre eux et mit vite fin à la partie.

L'alarme incendie avait appelé les pompiers. Ils l'ont découvert.
Le feu sur la moquette n'avait blessé personne, le système incendie l'avait noyé, mais avait permis de détourner l'attention quelques secondes. L'inconnu était déjà mort. Pyro succombait lentement de sa maladie et aux blessures qu'il s'était faites au corps à corps. Il ne résista pas longtemps à sa toux exténuée, sa pâleur maladive et son pouls trop faible. Il insista à ce qu'on ne lui perfuse rien, que surtout rien n'entre en contact avec son sang dans l'ambulance. Qu'aucun de ses organes ne soit greffé. Que ce soit pareil pour tous les restes d'individus dans le laboratoire.
Il mourut après quelques minutes aux urgences.

« Merde, John... » gémit douloureusement Bobby.
« S'il avait contacté les X-men... » commença Doug.
« Ta gueule, » le coupa Marie. « Pyro a organisé ça de manière à ce que ni lui ni personne n'y survive. Il n'aurait pas envoyé des X-men dans une affaire délibérément kamikaze. Et il a bien fait. Il ne fallait qu'aucune souche du Virus n'existe encore. »
« J'y serais allé, » affirma Bobby entre ses dents.
« Ne sois pas stupide. Tu as choisi ton camp. Vous aviez chacun une vision différente sur ce qui concernait la meilleure manière de sauver l'espèce mutante. Pyro préférait la manière forte, tu préférais la manière douce. Quoique tu en dises, tu n'aurais été d'aucune utilité. »
« Parce que je ne tue pas des innocents ? » s'emporta Bobby avec une colère froide.
« Parce que tu ne tues pas des humains ! » répliqua Marie sur le même ton. « Tu as l'air d'oublier qu'il en a bien tué une trentaine si ce n'est plus ! »
« Je l'aurais protégé, je l'aurais aidé indirectement. Sa cause était juste. »
« Quoi, tu les aurais gelés vivants ? Et conserver bien au frais des parcelles du Virus ? Oh oui, ça l'aurait bien aidé. »

Son dernier sarcasme blessa beaucoup plus Bobby qu'elle ne l'aurait cru.

« Je suis désolée. »
« Non, tu avais raison. J'aurais été incapable de faire ce qu'il a fait. »

Elle l'enlaça et lui gratouilla gentiment la tête pour le consoler. Ça le fit rire une seconde. Ça le fit pleurer celle d'après.

« Merde... »

* . * . *

Avril 2009

Après cela, ils s'étaient réconciliés.
Ils étaient redevenus proches, mais au sens le plus platonique qui soit.
Cela faisait 11 mois déjà.
Marie lui parlait parfois de ses regrets et de l'époque insouciante de leur trio où il n'y avait aucune tombe sur le jardin, aucun mort sur leur conscience.

Et puis un jour, la Chance lui joua un tour.
Un homme aux allures asiatiques débarqua entre elle et la télé à quatre heures du matin. Elle en lâcha son pot de glace de surprise. Puis ne sachant plus quoi faire, elle hurla. L'homme sursauta et fit tomber son katana en signe de paix.

« Merde, mais qu'est-ce qui s'passe ? » cria-t-elle à son adresse.
« Mais je sais pas ! » répondit-il en regardant autour de lui.
« Comment ça, vous savez pas ? Vous êtes un mutant, c'est ça ? »
« Un quoi ? »
« Un mutant. Vous vous êtes téléporté dans le salon de l'école pour jeunes surdoués de Charles Xavier... » commença-t-elle à expliquer.
« Connais pas. Moi, je courbe l'espace temps, » articula-t-il avec difficulté.
« Vous venez du futur ? Nous sommes en 2009, là. »
« 2009 ? Et New York n'a pas explosé ? »
« Euh, non... » murmura-t-elle un peu perdue.
« YATTA ! »

Sur ce, l'homme lui agrippa les épaules, la remercia, et disparut.

* . * . *

« T'as dû manger trop d'glace et t'endormir devant la télé. »
« Bobby, j'ai pas rêvé. Ce type courbait l'espace temps, et a débarqué devant la télé cette nuit. Il venait du passé. »
« Tu sais quoi ? Je pense que ce type, tu l'as imaginé. Je pense que tu regrettes toujours qu'on ait abandonné Pyro et que ton subconscient cherche des moyens de s'échapper de la réalité en. . . »
« Il m'a demandé si New York avait explosé. »

« J'en ai rien à faire de New York. Pourquoi je voudrais imaginer qu'un japonais débarque la nuit dans le salon pour me demander si New York a explosé ? Aucun rapport avec Pyro. »
« Et si c'était toi qui l'avais fait venir ? »
« Et comment j'aurais fait ça, Sherlock ? »
« Marie, tu es télépathes, quand tu penses trop fort à quelqu'un, il t'entend dans sa tête. »
« J'étais pas en train de penser à un japonais courbeur d'espace temps à quatre heures du mat', Bobby. Mais merci d'enfin admettre sa venue de cette nuit. »
« Tu pensais à Pyro, hein ? C'est pour ça que tu t'es réveillée cette nuit. Tu as voulu changer le passé. »

Marie fit une pause. Ça semblait improbable. Mais on ne parlait pas d'improbabilité dans une école de mutants. C'était comme de parler de sexe à un prêtre, quelque chose dans ce goût là : ils en étaient le fruit, mais dit comme ça, ça passait mal.
Non, vraiment, l'hypothèse était tout à fait plausible dans leur monde de mutants. Plausible, et fun.
Elle avait invoqué par la pensée une solution à ses tourments.
Pas si mal. Sans le faire exprès, mais pas mal.

« Dans ce cas, ce serait super cool. »
« Quoi, il t'a touchée ? »
« On peut dire ça. Il m'a agrippée aux épaules. »
Juste assez longtemps pour lui donner l'espoir d'un saut dans le temps.

Ils pensèrent à la même chose.

Et voilà comment toute cette histoire commença à tourner au délire total. Comment Rogue commença l'opération « Save the Aussie, save the world ».

Retourner à cette belle époque où il n'y avait pas de regret, mais juste la peur du futur. Y retourner, afin de ne plus jamais avoir de regrets.

Bobby et elle avaient discuté longuement.
Le jour de son arrivée à l'école, ou celui du départ de John ?

La première option aurait été la plus constructive. Elle pourrait éviter de servir de pion à Magnéto, sauver Jean du Phoenix en l'empêchant d'être débridé par son irradiation... mais ce serait bien trop difficile. Imprécis. Le temps avait rendue sa mémoire moins fiable. Non seulement elle n'arriverait pas précisément à faire un retour correct dans le temps, mais en plus cela tournerait à la catastrophe. Très peu pour elle. Et puis, elle ne voulait pas revivre l'épisode douloureux qui lui valut ses deux mèches blanches.
Non, la deuxième option était plus sûre.

Finalement, Bobby participa autant qu'elle à la « mission ». Il l'aidait à se concentrer, à réfléchir sur certains points... à se préparer, surtout. Il fallait prévoir toutes les éventualités.

Bobby avoua beaucoup de choses utiles. Notamment qu'il serait ridiculement facile de le convaincre de partir chercher John. Il était rageux, inquiet, vexé, impatient. Il avoua qu'il avait été collé trois heures par Scott pour avoir mis le feu au drapeau de l'école à l'aube, suite à une insomnie écrasante et un mal de crâne fracassant. Qu'il s'était enfui de l'école une nuit pour le retrouver, mais que Charles lui avait télépathiquement dit que c'était trop dangereux et qu'il serait déçu parce ce qu'il y trouverait. Qu'il était horriblement complexé que John ne puisse pas voir dans quels états il pouvait se mettre pour lui, mais qu'il était bien content de ne pas lui en donner la satisfaction.
Et puis, qu'il était incroyablement frustré de ne pas pouvoir la toucher.

Avec l'évolution de ses pouvoirs, Marie pouvait parfaitement se contrôler. Elle mit de longs mois à se maîtriser. A présent, elle sentait le flux de pouvoir courir le long de son corps. Elle contrôlait la sensation de chatouillis caractéristique à la surface de sa peau. Elle était de ces mutants dont l'évolution n'augmente pas le pouvoir, mais sa maniabilité.
En une ligne, elle pouvait vivre sans trop de mal une nuit entière de sexe intense.

Bobby la prévint de ne pas trop l'évoquer avec le Bobby du passé. Ça risquait de compliquer les choses dans leur trio, s'il se reformait. Après tout, John les supportait pour la simple et bonne raison qu'il savait qu'ils ne faisaient pas plus en privé qu'en public.
En fait, Bobby lui dit carrément que ce serait mieux qu'ils cassent. Pas pour Kitty, qui l'avait largué sans vergogne au bout de deux mois pour Kurt, mais pour lui.

Il avait cherché chez Marie la tendresse qui manquait chez John. Il voulait être accepté tel qu'il était, rassuré et indispensable. Et il savait que John lui échapperait. Il voulait juste quelqu'un qui aille dans la même direction que lui.
Même si finalement, il aurait pu trouver tout ça chez John s'il avait eu le cran d'arrêter plus tôt son sentimentalisme envers les humains.
(Marie et Bobby n'avaient plus servi la cause des X-men depuis 11 mois, bien douchés par le sacrifice de Pyro. Même s'ils n'avaient pas avoué avoir illégalement consulté des dossiers confidentiels, leur détermination suffit à convaincre Ororo et Logan.)

Ce qui bloquait Bobby, ce n'était pas de ne pas recevoir. Il ne supportait juste pas qu'on refuse ce qu'il offrait. Et ce n'était pas de l'égocentrisme, du narcissisme, ni quoi que ce soit. C'était de la timidité et une confiance en soi fragile. Autant il lui était facile d'embobiner les filles, autant John voyait clair en lui depuis des années.
Quand John lui refusait quoique ce soit, même sur un coup de tête, il avait l'impression que c'était lui tout entier qui faisait l'objet d'un refus. Avec n'importe qui, ça ne lui aurait rien fait, à force. Par exemple, la phobie de son frère pour les mutants ne l'effleurait qu'à peine à présent.

Il aurait voulu oser s'imposer à John. Seulement, John n'était que trop savant dans l'art de torturer les gens en touchant leurs points sensibles. Il était d'une précision dangereuse, d'une clairvoyance redoutable et observateur jusqu'au détail le plus inaccessible.
S'exposer à John était déjà à ses risques et périls.

John finalement parlait peu quand ils s'engueulaient tous les deux. L'idée d'avoir ensuite à supporter l'effet des méchancetés qui lui échapperaient devait visiblement le rebuter au plus haut point. Ou peut-être ne voulait-il simplement pas lui faire trop mal ?
Bobby n'avait jamais vraiment tenté de le savoir.

Ils s'étaient déjà battus de nombreuses fois, à mains nues comme avec leurs pouvoirs. Mais pas une parole ne franchissait leurs lèvres après le premier coup, qui survenait dès un degré de colère délimité assez précisément. Ils préféraient se taire pour s'épargner des choses qu'ils regretteraient; des choses qu'ils pensaient secrètement et qui ne devaient jamais se dire, pour ne pas se blesser eux-mêmes.
Étonnant, surtout pour John qui avait l'habitude de ne jamais rien épargner pour blesser les autres.

On pourrait croire que cette habitude faisait de Bobby le petit protégé de John. Seulement, de tous, Bobby était celui que John ne ménageait jamais.

Frustrés de tous ces mots qu'ils ne pouvaient pas se dire, ils attendaient le moindre déclic pour se sauter à la gorge. Constamment. Ils accumulaient leur rancoeur pour mieux se frapper, s'énerver, s'engueuler. Trop passionnés pour qu'ils se lassent et décident d'y mettre fin une bonne fois pour toute.

Ça avait commencé car John ne pourrait jamais pardonner à Bobby de savoir. Il se vengeait avec autant de rancune que si Bobby ne regrettait pas cette intrusion dans sa vie intime. Alors qu'il aurait tout donné pour se faire pardonner ça.
A quoi bon, avec John, c'était perdu d'avance. Le seul moyen serait de s'exposer autant que John avait été exposé contre son gré.

Bobby préférait nettement qu'ils continuent à se taper sur la gueule. Le confort des poings à celui des mots.
Si John n'était pas aussi dévastateur dans son honnêteté, il n'y aurait pas eu de problème. Il lui aurait avoué jusqu'à ses plus honteuses déviances. Si John était un ami qui ne saurait pas le retourner contre lui. Si ça avait pu changer quelque chose.
Mais c'était vain d'avance, John se moquait de sa vie. Enfin, il supposait.
John ne voulait qu'une chose : son intégrité de retour, loin des yeux et des oreilles de Robert « Iceman » Drake.

Bref, là où retournera Marie, le Bobby dévasté aura besoin d'une affection inconditionnelle pour compenser l'absence de John dans son quotidien.

« En fait, tu cherchais une sexfriend, » le provoqua-t-elle.
« Ah, c'est pour ça que tu lorgnes sur moi depuis un an ! » répondit-il sur le même ton taquin. « T'attends que je t'saute dessus, espèce de petite nymphomane ! »
« Nympho ? Nympho ? Toi-même, espèce de Je-saute-sur-tout-c'qui-bouge ! »
« Monsieur Je-saute-tout-c'qui-bouge, je te prie. »
« Oui, bon, c'est c'que j'dis. Tu m'voyais mieux en sexfriend. »
« Oui, c'est pour ça que j't'ai choisi, toi, la plus appropriée à une relation hautement sexuelle sans sentiment, » ironisa-t-il en levant les yeux au ciel.
« Ah, pas faux. Donc tu cherchais un défi pimenté, ou une relation sentimentale dépourvue de sex-appeal ? »
« T'as tout compris, » renchérit-il tragiquement. « A l'époque, toutes les filles avec lesquelles je comptais sérieusement m'engager se jetaient sur moi et mon corps dans des intentions impures, et chaste chrétien que je suis, je m'écriais «Sainte Marie mère de Dieu, pas avant le mariage, voyons ! ». Elles fuyaient toutes, alors un beau jour de désespoir, j't'ai choisie, » termina-t-il avec un sourire faussement salace.

Ouais, bon, elle avait compris l'idée. Valait mieux qu'elle profite des aveux de Bobby, car l'occasion ne se reproduirait sans doute jamais.

* . * . *

Il y avait eu le pot d'adieu, aussi. Bobby préférait dire « pot de départ ». Un départ vers une nouvelle vie, une nouvelle chance.

« Tu me manqueras, » avoua-t-elle en toute sincérité après avoir trinqué.
« N'importe quoi. Tu me verras tous les jours. »
« Oui, mais ce sera dur de vivre avec toi sans ta mémoire de maintenant. Ce sera plus le même Bobby. »
« Tu veux dire, l'objet-sexuel-anticatholique-à-l'humour-noir-Bobby ? »
« Mais naaan... » fit-elle figure de s'exaspérer.

Il haussa un sourcil suggestif en sirotant sa bière.

« Mais ouaiiis, merde ! » finit-elle par admettre. « Ce sera plus toi. Tu me parleras pas pareil. Tu seras jeune et innocent. »
« Ah, si seulement j'avais déjà pu être aussi con et dévergondé que maintenant à l'époque... » ironisa-t-il en grattant sa joue parsemée d'une barbe naissante.
« Ce serait le pied total. Au fond, tu l'étais déjà, mais tu n'savais pas encore que de toutes façons tu étais destiné à finir par éparpiller des allusions perverses autour de toi à longueur de journée. Tu répondras peut-être même pas à mes sous-entendus ! » se rendit-t-elle compte, horrifiée.
« Oh, tu m'apprends direct d'où tu viens, pourquoi tu viens, et je me ferai assez vite à l'idée. Et puis arrête de te plaindre. De nous deux, t'es la mieux lotie. »
« Ah ouais ? »
« Ouais, quoi. Je vais peut-être mourir, » réalisa-t-il soudain avec une grimace dramatique, avant de reprendre sur un ton léger. « Enfin, je dis ça comme si c'était une atrocité de l'univers, mais en fait ça m'épargnera quelques années de débauche. »
« Peut-être que tu vas soudain oublier ces années sans John et intégrer tout ce que tu as raté, et que tu reprendras ta vie comme ça, sans te poser de question. »
« Peut-être que ma vie craindra autant que celle-là, » dit-il juste pour la contredire.
« Quoi, tu veux peut-être l'option satisfait ou remboursé ? J'vais m'taper tout le sale boulot toute seule, j'te rappelle ! »
« J'ai toujours eu le rôle de pantouflard. Fais bien ton boulot là-bas. Qu'j'ai pas à m'plaindre ! »
« J'me vengerai là-bas, tu verras. Tu l'auras bien mérité. Dire que tu vas être servi sur un plateau d'argent... » grogna-t-elle avec amertume.
« Y'a toujours l'option où je meure. » Il fit mine de réfléchir, puis ajouta « Ou alors, je me fais coincer dans une autre dimension avec une sainte vierge effarouchée qui se jettera sur moi pour me violer consciencieusement. »
« Donc tu as deux chances sur trois de t'en sortir peinard ? Merci, ça me fait moins de scrupules pour te traumatiser. »

Ils trinquèrent leur deuxième pinte, et continuèrent sur le même ton jusqu'à ce que Bobby lui fasse un petit sourire en coin et lui attrape la manche.

« Hé, Marie. »
« Quoi, Bobby. »
« Pense bien à embrasser John de ma part. »

Elle mit plusieurs secondes à répondre, la tête vide. Temps pendant lequel Bobby s'apprêta à finir goulûment sa bière cul sec.

« Ça veut dire quoi, ça ? Tu seras là ! »

« Ouais, mais tu l'as toi-même dit, ce sera pas moi. »

« M'en fous. J'veux pas qu'il me crame les miches. Fais-le toi-même. »

« Te cramer les miches ? Quand tu veux, » proposa-t-il avec des yeux rieurs.

« Ouah ! T'es en mode boulet, c'est génial, » s'extasia-t-elle. « Enfin, t'as toujours été un boulet, mais bon... »

« Ouais, c'est sûrement pour ça que je suis diplômé en astrophysique, premier de ma promo, et que j'ai l'QI d'Einstein, » marmonna-t-il paresseusement en s'affalant sur le bar, la tête sur les bras. Son ton était si naturel et dénué de prétention que Marie fut prise d'un doute.

« Tu déconnes ? »

« Pas du tout, » grommela-t-il dans son pull, les yeux lourdement fermés. Marie savait comment marchait Bobby. Ils avaient encore du mal à croire l'opportunité qui s'offrait à eux. Ça devait bien faire quatre jours que Bobby n'avait pas pu fermer l'oeil, sans doute trop angoissé par l'idée de se réveiller et de réaliser que tout ça n'était qu'un rêve.

Elle lui lança un regard perplexe.

« Pourquoi je l'ai jamais su ? »
« Qu'est-ce que ça aurait changé ? »
« Tout, » supposa-t-elle.
« Ou alors rien. »
« Les gens t'auraient respecté. Merde, ça en impose, quoi ! »
« Ils auraient respecté rien du tout, je te dis. »
« Qu'est-ce que t'en sais ? »
« Qu'est-ce que tu en sais ? »
« J'en sais que j'ai jamais vu un surdoué paraître plus à l'écart que les autres dans une école de mutants. »
« Facile à dire, t'as jamais vu de surdoué. »
« Aussi. Mais c'est quoi exactement ton complexe avec ça ? »
« Laisse tomber, c'est de famille. Évite de trop me faire chier avec ça quand tu y seras, okay ? Fouine pas trop. Déjà là, chuis juste trop crevé pour te faire oublier ça. »
« Quoi, c'est d'famille, et alors ? C'est pas une tare, tu sais. Et puis, j'me disais aussi que c'était bizarre, que tu bosses jamais. Enfin, t'étais pas le premier de la classe, alors ça choquait pas. »
« J'te préviens, si tu fais ta fouine... » la menaça-t-il toujours à moitié endormi sur le bar.
« Tu feras quoi ? Tu me ronfleras dessus ? »
« J'pourrais geler ton armoire entièrement. Tu pourrais plus jamais atteindre tes fringues. »
« T'étais pas encore assez méchant pour faire ça, » affirma-t-elle sans paraître convaincue.
« Tu crois ça ? Tu serais surprise. J'ai de la ressource, mais faudrait déjà m'énerver pour que je daigne réfléchir à votre pauvre cas, demoiselle. »
« Bah, t'as vécu des années avec John, plus grand chose doit être capable de t'énerver. »
« Titille pas trop ce que tu ne connais pas, Marie. »
« J'arrive pas à croire que j'aie cette discussion avec le Bisounours de l'école, » soupira-t-elle affligée.

* . * . *

« Okay, concentre-toi. »
« Je suis concentrée. »
« Bah concentre-toi plus. »
« Je suis concentrée. »
« Bah concentre-toi encore plus. »
« Bobby, ne m'oblige pas à me répéter. »
« Tu me remercieras plus tard, maintenant écoute-moi. Pense au Jet. Pense à moi, ou à John, à Wolfy, comme tu veux. Souviens-toi le plus précisément possible. Matérialise-toi le décors. On est tous les trois, on attend dans le Jet. Il y a de la neige dehors. Tu entends un insupportable Zippo cliqueter. »
« Hun hun. »
« John s'impatiente. Je suis à côté de toi. Et je te prends la main. »
« John se lève et... »
« Non, John ne se lève pas, on est encore en train d'attendre, tous les trois. Tu vas débarquer avant qu'il ne se lève. »
« J'y arrive pas. J'arrive pas à stopper le fil du temps. Ça continue. »
« Mais si, tout ça n'est pas le vrai temps, ce n'est que ta mémoire. Concentre-toi. »
« Je peux pas. On subit l'attaque psychique. On est à terre. On crie. »
« Okay, alors limite le désastre. Matérialise-toi au plus vite. »
« Ça s'accélère ! Je contrôle plus rien ! »
« Marie, téléporte-toi. Maintenant ! »
« Non, ça sert à rien, c'est trop tard. »
« Tu ne peux pas t'arrêter, tu es prête à disparaître. Dépêche-toi. »
« C'est trop flou ! »
« Maintenant ! »

Et elle était partie.
Crispée contre la main de Bobby, elle avait perdu le contrôle. Mais elle avait réussi.

* . * . *

Avril 2005

Ce que ça faisait de se téléporter ?
A peu près la même chose que naître. A un détail près.
Vous étiez déjà là.

Marie fit face à son alter ego du passé. Tenter de lui expliquer n'aurait servi à rien. Il suffisait de lui montrer. Et doutez-vous bien que ça ne lui faisait pas plus plaisir que cela.

Marie vit la jeune fille qu'elle avait été ouvrir de grands yeux égarés, mais ne perdit pas de temps.
Avec un frisson d'appréhension, l'aînée attrapa la plus jeune par les épaules dénudées.
La réaction ne se fit pas attendre. Elles s'aspirèrent réciproquement, dans un même cri, jusqu'à ne faire plus qu'une.

« Bordel, ça fait mal ! »

Marie mit plusieurs minutes à desserrer le noeud de larmes dans sa gorge. Quand elle fit face à son reflet dans son miroir, elle vit sur son visage des traits encore enfantins, des joues rougies, des lèvres abîmées par la morsure de ses dents, des yeux coulant à flots.
Oh, génial.

Une fois calmée, elle s'arrangea de manière plus présentable, puis elle se regarda sous toutes les coutures. Elle avait bien perdu deux bonnets, dans l'histoire. Bon, ils finiraient par revenir, de toutes façons.
La bonne nouvelle, c'est qu'elle avait gardé son expérience de self-control. Elle ne mettrait sûrement qu'une petite semaine à contrôler parfaitement ses flux de pouvoir.
Une bonne chose de faite.

Il ne restait qu'à trouver Bobby, et découvrir l'ampleur des désastres.

* . * . *

Une silhouette aux épis blonds longeait distraitement le couloir du premier étage, les doigts parcourant le mur comme une caresse.

« Bobby ? »

Il se retourna, et sur le coup, Marie crut s'être trompée.
Elle regarda sa bouille de petit garçon avec insistance. Ce n'était pas lui. Si ?
Vu la manière dont il se grata la nuque en s'approchant d'elle, c'était bien de Bobby dont il s'agissait. Son Bobby, moins quatre ans, une barbe nonchalante et une grande gueule.
Elle mettrait du temps avant de s'y faire.

« Mm ? » marmonna-t-il à moitié endormi. « Un problème, Marie ? »

C'était définitivement lui.
La bouche pâteuse et les paupières lourdes, mais réveillé avant l'aube.

« T'as pas quelque chose à faire, là ? » lui demanda-t-elle gravement.

La surprise l'interrompit dans son bâillement.

« Genre quoi ? »

Était-il vraiment réveillé ? Difficile à dire.
Elle attendit avec patience qu'il y réfléchisse un peu plus.

« John, ça te dit rien ? »

« Bobby, tu me fais peur, dis quelque chose, s'il te plaît. »
« J'vais m'coucher. »

Bon, okay, peut-être pas à cinq heures du mat'.
Ça lui laisserait le temps de mieux comprendre où elle avait atterri.

Marie allait descendre les escaliers quand elle entendit une voix familière tempêter.

« Nan mais tu rigoles ? Brûler le drapeau de l'école ! Tu vas quand même pas laisser passer ça ! »
« Arrête, Scott. Bobby n'est pas du genre à chercher les ennuis. Ça cache un malaise bien plus profond. »
« Brûler le drapeau de l'école, Storm ! Que veux-tu que ça veuille dire, à part qu'on a un nouvel anarchiste dans l'école ? »
« Stop. Il ne l'a pas fait en plein jour, d'abord. Il n'a influencé personne. Il l'a fait sur un coup de tête. Peut-être même qu'il était en plein somnambulisme. »
« Un pyromane somnambule ! Dans l'école ! »

Marie laissa échapper un ricanement, et s'accroupit à côté des barreaux pour mieux voir la scène. Scott agitait les bras dans tous les sens, donnant l'impression qu'il nageait autour de Storm, impassible comme toujours.

« Tu l'as déjà collé trois heures, Scott. »
« Il avait l'air de s'en foutre royalement, si tu veux tout savoir ! »
« Oui, bon, peut-être un peu, » avoua Ororo avec un petit sourire amusé.
« Pyro était déjà incontrôlable, et l'école est bien plus calme depuis qu'on en est débarrassé. Mais si Bobby s'y met, on est mal ! Tous les deux, on ne sait jamais ce qu'ils ont vraiment dans la tête ! »
« Arrête, tu exagères. Ça faisait des années qu'ils étaient dans la même chambre. Normal que ses nuits soient tourmentées. »
« Des années qu'ils se tapaient dessus, oui ! Et puis moi aussi, j'ai du mal à dormir ! Bobby n'a pas été le seul à perdre quelqu'un. »
« On sait. Mais tu sais, ton étroitesse d'esprit ne l'aide pas du tout. Tu es le mieux placé pour le comprendre, Scott. Profites-en. Allez, retourne te coucher, et oublions ça. »

Marie attendit que le bruit de leurs pas s'éloigne et descendit enfin les escaliers. Elle alluma la télévision pour se raviver la mémoire sur la situation actuelle.
Déjà à l'époque, c'était pas bien joyeux.
Elle était arrivée le 7 avril 2005. Presque dix semaines après le départ de Pyro. Elle avait vraiment raté sa seule chance de l'en empêcher.
Sauf qu'elle n'abandonnerait pour rien au monde. Même s'il devait ne jamais lui en être reconnaissant, elle ramènerait John à l'école. De force s'il le fallait.
Mais elle ne comptait pas avoir fait tous ces efforts pour rien.

Elle jeta un dernier coup d'oeil à l'horloge du four.
Elle donnait encore deux heures à Bobby. Juste dans l'éventualité où il serait vraiment mort dans leur époque à cause de son saut dans le temps.