CHAPITRE 1

Première partie

Je suis morte. J'ai eu un magnifique enterrement et tout le monde a bien pleuré. La grand'tante, Élisa et sa mère ont montré leurs visages affligés comme il se doit. Les autres je suppose qu'ils étaient tous sincères. Niel particulièrement semblait le plus triste et pourtant ... je ne lui ai pas rendu la vie facile ces derniers mois. Albert a été parfait mais je n'en attendais pas moins de lui.

Candy Neige André est morte place à ... qui déjà ? Je tire ma carte d'identité pour la énième fois, comme un trésor. Je suis Jessie André et j'habite à présent à New York. Mon bienfaiteur a bien fait les choses grâce à ses relations. J'ai un travail à l'hôpital, j'habite un appartement modeste mais bien situé et à présent j'ai la paix. Comment j'en suis arrivée là vous demandez-vous ? Comme ça ... simplement comme ça ... comme une évidence.

C'était la fin de l'après-midi, nous étions tous là, Albert, moi et nos amis, à la maison de Pony. Albert a remarqué que j'étais quelque peu ailleurs. Il m'a regardé en fronçant les sourcils, inquiet.

- À quoi penses-tu ? Tu n'es pas si enjouée que ça contrairement à ce matin.

- Vrai. J'ai regardé par delà l'horizon et j'ai pensé que ma vie à Chicago allait reprendre avec son train-train et surtout ses soucis et surtout un et de taille : Niel Legan.

- Tu penses à ce garçon, Niel ... je me trompe ?

- Non Albert lui ai-je répondu d'une petite voix. Je savais qu'il allait continuer de me harceler c'était évident. Qu'est-ce qui m'avait pris aussi de l'aider par deux fois ? Aucune idée. Il me révulsait c'était comme ça. Je ne pouvais m'empêcher de penser à tout ce qu'il m'avait fait subir, lui et sa sœur par le passé, c'était comme un kyste dans mon cerveau. « Pourtant il est indéniablement attirant » soufflait en moi une petite voix du genre tentatrice.

- Hum ... je n'aime pas te voir comme ça. S'il continue j'agirais. Je trouverais une solution pour l'éloigner de la ville.

Pourquoi cette phrase a t-elle déclencher en moi une drôle de pensée ? Je me suis dit que les morts avaient la chance d'être en paix ... si je l'étais je pourrais repartir de zéro comme si de rien n'était ... oui c'était ça l'idée ! Une idée géniale et pour la première fois depuis que l'idée de retourner en ville s'était immiscée, je souris. Je fixais Albert, sans doute le regard brillant, les lèvres étirées dans un sourire resplendissant.

- Qu'est-ce qui t'arrive ?

- Merci Albert, tu viens de me donner une idée.

- Laquelle ?

- Je dois mourir.

- HEIN ?

- Tu as très bien entendu. Nous allons organiser ma mort et ainsi j'aurais la paix.

- Tu divagues !

- Du tout. Seul toi et moi le saurons.

- Et tes amis ?

- Nous aviserons ... plus tard.

- Mais ...

- Il faut que je meure Albert. Niel Legan se trouvera une autre fille, Élisa et sa mère ne songeront plus à me nuire. Je fronçais les sourcils. Évidemment il allait me falloir une toute nouvelle existence, des papiers, un travail, un nouveau passé mais le plus urgent était de me faire « mourir ». Il faut que ce soit soudain ... que personne ne me voit à part toi ... je sais ! Je vais m'engager comme infirmière militaire !

- Jamais je ne l'accepterais.

- Il me faut des papiers, de l'argent ... je me mordillais la lèvre inférieure tout en réfléchissant à toute vitesse. Je vais disparaître et puis tu recevras une lettre genre officielle qui déclarera mon décès ... et ensuite ... je levais mes mains en l'air ! Hop je n'existe plus.

Albert ne répondit pas. C'était faisable. Il lâcha un soupir las.

- Tu es sûre de ce que tu veux faire ? Vraiment sûre ?

- Oui. C'est la seule solution. Je te rembourserais.

- Là n'est pas la question !

- J'y tiens. Alors ?

- Hum ... Laisse-moi le temps de la réflexion tu veux bien ?

- Une semaine. Une semaine ensuite on se revoit dans un endroit où personne ne nous verra. Ensuite – si tu es ok – en route pour le plan.

Il eut un petit rire.

- Pour toi ça semble évident que je vais être d'accord.

- Albert ... je ne vois que ça pour être enfin tranquilles. Nous pourrons toujours nous voir ... avec ma nouvelle identité.

- Ok. Je suis partant.

- Je croyais que tu aurais besoin de la semaine pour réfléchir !

- De toute façon tu feras comme tu voudras ... je préfère être à tes côtés que te laisser te mettre en danger, comme en Angleterre.

Ah oui ! L'Angleterre ... quand j'avais décidé de retrouver mon amour coûte que coûte et retraverser l'océan ! Il n'avait pas oublié ! J'avais du lui faire une peur bleue.

- Bien. Puisque ta décision est prise reste plus qu'à. Fais courir le bruit vers la fin de la semaine comme quoi je m'engage dans nos forces armées ...

- Niel ... Niel Legan va sans aucun doute accourir pour te faire entendre raison, je pense qu'il t'aime sincèrement. Si c'est sa famille que tu crains il n'y a pas de quoi, j'ai pris – je te rappelle – les rennes de la famille.

- Je n'aimerais jamais Niel Legan. « En es-tu sûre ? » Souffla une voix que je m'efforçais de refouler. « Évidemment que j'en étais sûre ! Avec ses airs suffisants, de Dandy, il me révulsait, voilà ... c'était dit ! ». Albert ... je sais ce que je fais !

- Ok. Promets-moi de ne pas t'engager pour de bon !

- Non !

La semaine avait passé. J'avais été me présenter dans le lieu de recrutement pas pour m'y inscrire mais pour qu'on m'y voit bien. Une charmante jeune femme brune m'avait remis un formulaire et prétextant un manque de temps avait promis de le redonner rempli pour la fin de la semaine. Conformément au plan j'avais demandé un entretien avec Albert à Lakewood. Toujours afin que l'on m'y voit afin qu'aucun doute ne plane sur mes intentions. Pour donner plus de véracité Albert avait convié la grand'tante Elroy. Le visage toujours aussi aimable et d'humeur qui transpirait la gaité elle n'avait pourtant pas mit beaucoup de vigueur à me rebuter dans mes intentions, contrairement à Albert. Je partis une heure plus tard, plus que satisfaite, jusqu'à ce que je rencontre mon morpion préféré. Niel Legan ne me lâcha pas jusqu'au portail imposant et me proposa même de me raccompagner en voiture tout en essayant de connaître le but de ma visite. « De routine et pour régler certains points » lui avais-je répondu le plus évasivement possible.

Je disparus le samedi de la semaine suivante, le 16 Juin 1917. Une photographie ornait les tabloïds le lundi montrant tous les courageux volontaires partants pour sauver l'Europe du monstre Hitler. Albert en ange gardien impeccable, fit en sorte qu'un article paraisse me concernant deux jours avant mon départ. Y a pas à dire les relations ça aide. Ainsi habillée comme infirmière militaire je me pris pour quelques instants pour une Pin-up et donna le change comme une femme qui s'engage pour sa patrie. Je fis la « Une ». Une fois le journaliste et son photographe partis de chez moi, je quittais moi-même ma petite maison. Je vis le propriétaire songeur accroché au balcon. Je me trompais peut-être mais lui aussi paraissait soucieux.

Le Docteur Martin accueillit la nouvelle par un malaise. Je le réanimais non sans mal. Il su tout de suite d'où venait ce « changement ».

- C'est ce garçon ... le fils Legan ... c'est à cause de lui que vous partez !

- En quelque sorte. Je laissais planer le silence comme une raie Manta qui étale ses ailes dans la pièce où nous nous tenions. Je soupirais tout en lui souriant, je tenais à avoir l'air fort et pourtant ... un affreux doute commençait à s'insinuer en moi. Je veux être utile à ma patrie.

- Allons Candy ! Je vous connais assez pour savoir ... il fouilla du regard la pièce qui faisait office de bureau «sans doute à la recherche d'alcool » soupirais-je intérieurement. Ma petite ... « Allons bon ... jamais il ne m'a appelé comme ça ! », ma petite ... prenez garde ... la guerre ... il se passa les mains dans les cheveux puis se mit à triturer sa moustache. Revenez vivante !

Je faillis faiblir. Je faillis lui avouer que ce n'étais qu'une mise en scène, que je montais un théâtre de marionnettes pour un seul spectateur, mais l'alarme hurla au fond de mon cerveau et je me tus.

- Je vous le promets fis-je, l'air le plus convaincu qui soit. « Terrence Grandchester, tu peux te tenir à carreau, comme actrice je suis au top ».

- Mes petits patients vont vous regrettez ... vous le savez ... votre engagement ... enfin ce n'est peut-être pas trop tard pour ... le déchirer !

- J'ai donné ma parole Docteur Martin. Je me levais et pris congé.

Ce fut le moment le plus redouté qui enfin se présenta comme une hache prêt à trancher une tête sur un billot. Le coiffeur. Les larmes montèrent mais je m'ordonnai de les faire évaporer sur le champ. Ce n'était pas le moment de faiblir maintenant ! La voix moins ferme que je l'aurais souhaité, je lui demandais de couper le plus court possible. Il me fixa les yeux ronds et je me pris pour une fraction de seconde pour un Extra-Terrestre qui ne parvient pas à se faire comprendre.

À mon retour le propriétaire de mon logement m'attendait de pied ferme. Mon cœur se serra. Lui aussi tenta bien de me faire entendre raison mais je tiens ferme. Il était convenu qu'Albert lui solderait mon mois de loyer.

Dans ma salle de bain, le miroir me renvoya l'image d'une inconnue. Jessie André me faisait face et je vis mes yeux devenir plus brillants, briller d'un feu nouveau, une sorte de renaissance par hologramme interposé. Je fus galvanisée. Tellement d'ailleurs que le sommeil joua longuement à cache-cache.

Enfin le 16 Juin 1917, j'embarquais. Tout du moins en magicienne expérimentée, j'en eu l'air. Je pris le train de New-York la veille. Georges m'apporta dans un café de la ville, au milieu du brouhaha des clients, mon billet, mes papiers, les clefs de mon logement (« Il avait même pensé à ça ! Moi qui comptais loger à l'hôtel ! ») ainsi qu'une recommandation du Directeur de l'hôpital Ste-Johanna (« Tiens donc ... ! »). Je devais me présenter dans l'hôpital le plus en vue de la ville. Parfait. Je remerciais George puis partit pour la gare. Habillée de ma salopette en Jean, mes cheveux coupés à la garçonne je n'étais plus qu'une ombre. Pas la voiture de Niel. Je le vis sortir plus pâle que d'ordinaire, du bureau des engagés pour l'Europe. Mon cœur rata un battement. Il n'allait pas ... puis il remonta dans son bolide, son regard passa sur moi sans qu'il daigne faire une halte et repartit en trombe.

Le train fut à l'heure. Je pris de quoi manger car il me faudrait trois jours pour arriver, sans compter les haltes. Mon cœur se mit à battre plus vite lorsque je présentais mes nouveaux papiers (les anciens avaient été remis à Georges chargés de les remettre à Albert qui devait les détruire). On me souhaita un excellent voyage dans la compagnie des Chemins de Fer et je montais. Il était près de midi et les voyageurs étaient peu nombreux. L'énorme machine cracha, s'ébouriffa et s'élança. Je ne daignais pas regarder en arrière, je ne le voulais pas tout au fond de moi, j'étais prête à croquer dans une nouvelle pomme.

Deuxième Partie

Une lettre officielle annonçant ma mort arriva début septembre. Albert m'en avertit par courrier et je ne pu que sourire devant cette missive. Niel allait enfin me lâcher les basques.

Ma vie se déroule désormais à merveille. Je travaille, je fais mes courses comme à Chicago mais la boule au ventre en moins. Je suis heureuse, enfin. Albert m'a invité à assister à mes funérailles. Dans un premier temps j'ai failli refuser. Puis je me suis dis que ça pouvait être amusant de les revoir pour la dernière fois. J'ai donc vu mon cercueil avalé par la terre, les visages de circonstances de ma « famille ». J'ai eu un petit pincement lorsque j'ai vu le visage d'Annie et d'Archibald ravagé par les larmes. Un drôle de sentiment est venu me chatouiller lorsque j'ai vu Niel s'attarder sur ma tombe. Sa sœur (que cette corvée avait rendu encore plus exécrable que d'ordinaire) vint l'arracher à sa morbidité au bout de quelques minutes. J'ai alors quitté mon poste de surveillance pour reprendre mon train. J'ai réajusté mon pardessus, ma casquette et j'ai regagné la gare.

Même morte, on ne peut pas tout contrôler mais ça à l'époque je l'ignorais. J'ai repris ma petite vie, normale sur tous les plans. Je ne cherchais plus à faire des rencontres, je pensais que j'avais eu mon quota d'aventures masculines et les déconvenues qui allaient de paire.

Au même moment à Chicago, la vie n'était pas rose pour tout le monde. Niel avait perdu le goût de tout sans que personne ne sache de quel mal il souffrait. Ou plutôt si. Tout le monde savait. Il passait ses journées à se rendre sur la tombe de celle qu'il avait aimé. La seule qu'il avait réellement aimée. Comment se pouvait-il qu'elle l'ait abandonné ? Qu'elle eut refusé sa fortune ? Il ne parvenait toujours pas à comprendre. Depuis sa vie était comme un puits sans fond, dans lequel il tournoyait.

Ne mangeant plus il se mit à perdre du poids et pour la première fois de sa vie, madame Legan eut peur pour la vie de son fils. Elle l'envoya chez son père, au Ranch afin que le « bon air » lui redonne des forces et une meilleure mine afin que son charme redevienne opérationnel. Niel était l'antithèse de sa sœur. Élisa prit très bien le fait que Candy ne soit plus et se mit à avoir un bon coup de fourchette ce qui fit qu'elle prit bien trois tailles en un an.

La vie au Ranch ne fit aucun bien à Niel tout aussi morose. Son père ne sut bientôt plus quoi faire et le ramena à Chicago tout en faisant un détour vers le chef de la famille. Niel avait le visage creusé et il fit peur à Albert. Que pensait ce jeune homme au regard triste ? Le mettre à travailler pour lui changer les idées avait été un échec révéla son père. Niel à ses côtés paraissait complètement absent. Bientôt un bruit de fond lia les voix, il ne les entendit plus et c'était mieux comme ça, il préférait retourner à son « obsession ».

« - Candy ! Si seulement tu étais encore là ! » Il soupira. Depuis son départ pour la guerre et sa mort il avait perdu tout goût de vivre. Sa famille lui faisait l'effet d'un boulet qui le retenait prisonnier et plus d'une fois il avait pensé la quitter, mais encore et encore ce « problème » de courage, cette peur du risque et pourtant cette entrave familiale lui pesait tous les jours un peu plus. Du coup de l'œil il vit son père et Albert se lever, il entendit vaguement une invitation à laquelle il ne daigna pas répondre et resta là à ruminer. Il vit à peine une domestique entrer. Il sentit un contact doux, puis plus fort, enfin il tourna son visage blafard vers l'irresponsable. Elle était jeune, agréable à regarder mais rien à voir avec le fantôme de ses pensées.

- Qu'est-ce que vous me voulez ? Lâcha t-il dans un soupir, comme si parler était une torture.

- J'ai entendu parler de vous. Elle regarda à droite et à gauche, méfiante avant de revenir à lui. Je sais que vous avez aimé la fille de mon patron.

Il ricana.

- Ce n'est pas un scoop. Maintenant vaquez à vos occupations et fichez-moi la paix.

- Ce n'est pas un scoop, mais moi j'en ai un.

- Laissez-moi tranquille.

- Comme vous voudrez mais ... l'information que je détiens pourrait vous aider concernant cette fille à laquelle vous ne cessez de penser.

« Encore une mytho ... ! Qui croit pouvoir m'impressionner ! » Gronda sa petite voix intérieure.

- Et ? Combien me coûtera votre soit-disant « scoop » ?

Elle fit la moue. Karen pensa à ses parents qui avaient du mal à joindre les deux bouts.

- Cinq mille Dollars.

Niel sourit pour la première fois depuis six mois.

- Je déciderais si votre information vaut ce prix-là.

- Vous n'allez pas être déçu.

Ils se turent en entendant un bruit. Il s'avéra que ce n'était rien et qu'il s'était produit à l'étage inférieur.

- Alors votre information ?

- Jurez-moi que j'aurais mes cinq mille dollars.

- L'information d'abord.

Karen faillit lui dire d'aller se faire voir puis se ravisa.

- Bon ... votre Candy Neige André ... elle n'est pas morte.

« Bien sûr qu'elle se jouait de moi ! J'ai presque donné cinq mille dollars pour une information complètement fausse, mensongère, la garce ! ». Niel se sentit reprendre des couleurs, une chaleur nouvelle envahissait ses joues.

- Je n'aime pas trop que l'on se fiche de moi.

- Je ne me fiche pas de vous.

Niel expira fortement. Cette conversation avec cette fille commençait à l'ennuyer fortement.

- Ok, prouvez-moi vos dires.

Karen ne se démonta pas et ouvrit un tiroir duquel elle sortit toute une liasse de papier. Prudemment elle la déposa sur une surface vierge et brillante du bureau occupé par le patriarche mais qui en ce moment discutait affaires avec son père.

- Regardez vous-même. Merci de me remettre les cinq mille dollars au nom de Karen Vanger, ici à Lakewood.

Niel hocha la tête tout en se dépliant. Karen le vit parcourir les différents papiers avec de plus en plus de vigueur.

Sous ses yeux il parcourait la vie de sa bien-aimée. Les documents relatifs à son adoption, puis d'autres courriers envoyés à des personnes qui lui étaient inconnus avec des sommes plus ou moins importantes, un nom et un prénom revenant de plus en plus souvent qu'il imprima en lui : Jessie André. Quel était cet organisme tenu par un Orwell Mc Alistair ? Se pourrait-il que ... que Candy ait organisé sa propre mort ? À cause de lui ? Il regroupa les papiers et les rangea à son tour dans le tiroir, la mine songeuse. Il jeta un coup d'œil à la pendule qui trônait sur le meuble en compagnie d'autres bibelots et livres de toutes sortes, seulement un quart d'heure venait de s'écouler. Un quart d'heure pour qu'une lueur d'espoir apparaisse dans son humeur mélancolique qui se confinait au désespoir le plus total. Il se rassit mais inconsciemment ses muscles sans force et énergie à l'arrivée s'étaient regorgés d'une sorte de liquide de jouvence invisible, il se tenait plus fermement, le regard à présent comme habité d'un feu intérieur appelé « espoir ».

Karen arborait une mine des plus satisfaite à son retour dans l'ère réservée aux gens de maison. Son habitude d'enfance d'écouter les secrets d'autrui venait de lui faire gagner gros. Elle se garda bien de modifier son humeur classée « taciturne » ou « lunatique » pour ses collègues, elle savait garder les bonnes choses pour elle seule. Elle attrapa un vase avec des fleurs fatiguées dans le couloir qui menait au salon d'apparat pour faire mine d'avoir quelque chose à faire devant les yeux de fouineuse de la plus vieille des domestiques.

Le père de Niel sentit inconsciemment un changement inexpliqué en Niel mais il n'y prêta pas attention. Il le vit plus ferme, contracté, plus « vivant » mais ne sachant pas la raison, il se dépêcha d'ignorer cette impression. Au fond de lui il lui tardait de remettre son « incapable » de rejeton à sa mère et à « la veille » en gros de s'en débarrasser. Albert n'était pas loin de son avis, Niel de prometteur était passé au dernier barreau d'une échelle, celui qui ramasse la poussière et la boue des bottes, ce barreau qui existe mais qui n'est pas indispensable au grimpeur. Que faire de lui ? L'envoyer à l'étranger ? « Cela ne ferait que le mettre en danger ! » avait soulevé son père tirant sur son cigare et tenant dans son autre main un verre de whisky. Albert avait convenu que vu le tempérament du garçon ce n'était effectivement pas une bonne idée. Ils étaient revenus au point de départ : Niel était une sorte d'handicapé de la vie dont on ne pouvait absolument rien tirer.

Niel avait l'air d'un corps non habité, une sorte de zombie sorti du clip de Mickael Jackson « Thriller » ou presque, mais à l'intérieur un volcan venait de se réveiller, ce qu'il avait lu lui donnait une force nouvelle. Il lui fallait surtout vérifier que les documents ne mentaient pas, vérifier que Jessie André était en réalité Candy Neige André. Karen s'interposa et il songea aussi à lui payer son information qui venait de se révéler capitale. Il avait de l'argent sur son compte personnel, beaucoup même, qui dormait depuis sa naissance et dont il n'avait jamais eu l'usage, c'était maintenant ou jamais de s'en servir. Sa réflexion le conduisit tout naturellement à l'anticipation. L'argent oui, mais ça fond vite comme neige au soleil, il lui fallait un moyen de maintenir son compte à flots et quoi faire d'autre à part ... travailler ? Ce mot lui fit tordre ses lèvres entourées d'une barbe naissante qui lui donnait un aspect plus que négligé. Les deux hommes étaient à présent partis sur d'autres hauteurs qui concernaient : l'agriculture, les armes, les bateaux, et ne faisaient à présent plus attention à lui. « Un meuble, ni plus ni moins voilà comment je suis perçu ! ». Doucement il se déplia et décida de prendre l'air.

« Un plan, voilà, réfléchis à un plan ! Avant tu étais un géni pour lui faire du mal ! Maintenant il te faut un plan pour la retrouver ... si les papiers ne mentent pas ... ». Il leva les yeux lorsqu'il entendit un croassement lugubre s'élever au-dessus des cyprès nus près du lac, l'hiver implacable les ayant dépouillés de leur manteau feuillu. Il décida qu'en marchant et en faisant le tour de la surface calme et lisse comme le plus pur des miroirs, ses idées, son inspiration redeviendraient comme autrefois. Le vent de mars ne lui laissa pas de répits, le mordant, le faisant reculer par des bourrasques plus fortes parfois, mais rien ne fit faiblir sa détermination toute neuve. Il s'obligea à laisser de côtés les motivations de Candy sur l'organisation de sa propre mort. Il savait pourquoi, il le savait mais refusait de mettre le doigt sur ce qui lui faisait le plus mal. Un cygne majestueux vint atterrir avec grâce et troubler le miroir aquatique de quelques cercles parfaits.

Les deux hommes étaient tournés vers la fenêtre, ne quittant pas Niel des yeux.

- Je ne sais pas ce qu'il lui a prit soudain ... d'habitude il faut le traîner pour qu'il daigne sortir.

- Hum ... . Le visage d'Albert laissa apparaître une micro-seconde une sorte d'angoisse. Il avait failli et n'avait pas brûler les papiers relatifs à l'ancienne vie de « sa » fille. Il se rassura en se disant que peu de monde savait. Georges, Candy et lui-même connaissaient la vérité. Personne d'autre n'avait été mit dans la confidence et il s'en félicitait. Niel à moins d'avoir une intuition hors du commun n'avait pû connaître son secret. Il hocha la tête. Peut-être que quelque chose, un souvenir, l'a réveillé ?

- Mon fils c'est la princesse Aurore du conte pour enfant «La belle au bois dormant ». Seule Candy pourrait l'embrasser et le réveiller mais sauf si elle revient d'entres les morts si vous voulez mon avis ... c'est bel et bien foutu !

- Je vous vois bien pessimiste. Ça lui passera ... il tombera amoureux « d'une fille comme il faut » comme dit sa mère (monsieur Legan leva les yeux au plafond).

- C'est ça. Vous avez sans doute raison. Il retourna à son observatoire et vit son fils revenir. D'un pas nettement plus dynamique que d'ordinaire ne pût-il s'empêcher de constater.

- Niel à l'air plus vigoureux qu'à son arrivée, non ?

- Hum ... je ne suis pas un optimiste de base, nous verrons à l'usage.

Niel vit les deux hommes l'attendre sur l'esplanade. Il avait son plan. C'était une chose mais il lui fallait surtout ne pas éveiller les soupçons. Il veilla à avoir l'air aussi peu communicatif que d'ordinaire.

- Niel ? Je suis très content que tu aies voulu faire une promenade ! Fit d'une voix un peu trop enjouée son père.

- Je ... ça m'a fait du bien. J'ai conscience que quelque part je suis un boulet.

- Allons ...

Niel resserra les pans de sa gabardine. Le froid comme un serpent vicieux parvenait à se faufiler jusqu'à mordre sa peau.

- J'ai décidé de reprendre ma vie en main. Ça vous embête si nous nous mettons à l'abri ?

- Du tout fiston !

Ils se dirigèrent tous les trois au fumoir dans lequel planaient encore les effluves sucrés des cigares qu'ils avaient goûtés une heure plus tôt.

- Alors ? La voix de son père avait quelque chose d'engageant.

- J'ai décidé de trouver du travail.

Cette phrase eut un drôle d'effet sur les deux hommes. Son père ouvrait des yeux ronds comme des soucoupes tandis qu'Albert avait la mâchoire entrain de se décrocher.

- J'ai l'impression que je vous étonne ... il s'obligea à dissimuler sa satisfaction.

- D'accord mon fils. Que ... quel travail ?

- N'importe. Je ... je reprendrais bien des études de management ... ou dans la finance ... mais je vous ai déjà coûté assez cher à toi et à maman (« Et je n'ai pas de temps à perdre »).

- Non ... nous ne souhaitons que ton bonheur !

- Il n'y avait qu'une seule personne qui avait le pouvoir de me l'apporter. Il avait parlé bas, mais avec un drôle de ton, un ton déterminé.

- Je sais mais Candy n'est plus ... tu ne peux pas baser ta vie sur ... sur une sorte de fantôme Niel.

Il fixa son père, mais son regard parut le traverser, comme s'il n'était qu'un hologramme.

- Laisse-moi le temps de me reprendre. J'ai pris conscience que je ne pouvais pas continuer comme ça. J'ai besoin d'être ... libre !

- Libre ?

- Je veux ... je ne veux pas retourner voir maman et Élisa. Je veux que vous me laissiez tous tranquilles.

- Niel ... tu es incapable de faire couler ton bain tout seul, de te faire à manger, que sais-je ... tu es le premier à appeler les domestiques pour la moindre chose !

- Je vous promets (« Es-tu sûr de ce que tu vas dire ? »), je vous promets que dès maintenant vous ne reconnaîtrez plus le Niel que j'ai été. Il ravala sa salive. Il avait enfin compris que « le changement c'est maintenant » et qu'il avait assez remit au lendemain les efforts à faire de son côté.

- Bonne décision Niel. Je ... je ne te cache pas que je suis surpris que tu es décidé à ce point de prendre ta vie en main ! « Mon fils a le feu dans ses yeux, un feu que je ne lui connais pas ...que c'est-il passé pour qu'il y ait ce changement ? ».

- Je vais dès demain me chercher un emploi. Je ... père, mon oncle, je compte quitter la ville. Il joua quelques secondes avec ses doigts. Oui c'était ça qu'il fallait faire, quitter la ville, quitter les roulettes qui stabilisent un vélo quand on est enfant, quitter son confort et enfin avancer dans la vie. Candy n'en reviendrait pas du changement qui se serait opéré en lui. C'était une certitude. Fini le cocon anesthésiant de la famille, l'heure était venue qu'il devienne un papillon.

Son père et Albert le fixaient comme s'il n'était plus lui-même pour le coup. D'où lui venait cette détermination ?

- Niel ... je ... enfin comment c'est opéré ce ... enfin ce changement ? Ça fait des mois que je l'espérais et là ... j'avoue ne pas comprendre.

- Il ne s'est rien passé. J'ai compris dans ma cellule, dans ma tête, que j'étais comme prisonnier de quelque chose, que j'étais enfermé et comme affamé de quelque chose. J'ai compris que j'étais entouré de murailles, des leurres.

- Oui mais avant ... avant ça ne te dérangeait pas ! Ta mère (il secoua la tête à présent manifestement en proie au doute), ta mère va refuser.

- Qu'elle essaie. Niel fixa le meuble qui contenait la clé de sa vie puis vivement fixa un autre point afin de ne pas attirer l'attention.

- Niel comprends-nous bien ... nous voulons t'aider et ... d'accord pour te trouver un travail ... mais en dehors de la ville est-ce bien prudent ?

« Vous essayez de me dissuader, vous êtes comme les autres, vous voulez me maintenir sous votre coupe ... si je n'avais pas vu les papiers de votre duperie – à vérifier – je serais encore sous anesthésiants ... je viens de comprendre que vous voulez me laisser enfin vivre, vous allez voir ce dont je peux être capable ». Niel les fixait, poker face. Oui il allait trouver un travail, oui il allait en plus de ça le trouver tout seul, dès demain il viderait son compte. Il paierait en premier cette Karen, - discrètement ça va sans dire – puis il prendrait le premier train et irait voir cet Orwell Mc Alistair dont l'adresse était à N-Y, il en apprendrait peut-être un peu plus, puis il dénicherait un appartement et se mettrait en quête d'un job. Restait un hic. Malgré ses résolutions il serait toujours Niel Legan. Son regard se voila alors tandis qu'il montait aux côtés de son père dans la voiture splendide qui le conduisait dans le fief de la tante Elroy. Il repensa à Jessie André, à l'enterrement et soudain il comprit que la solution était sous son nez. Si c'était la vérité alors elle le fuirait à nouveau ... sauf si ... sauf si elle le voyait autrement, sous une autre identité.

Sa mère et sa sœur l'attendaient sur l'esplanade inondée par une averse en cours. Leurs mines arboraient une affliction de circonstance, par le spectacle de sa déchéance qu'elles constateraient sans aucun doute. « Ne pas les décevoir, surtout ... vous avez détruit ma vie et celle de Candy, votre heure viendra ou vous paierez, j'en fais la promesse devant Dieu ». Il descendit au ralentit. La pluie s'écrasait sur sa nuque mais cela l'indifférait les gouttes s'évaporaient au contact de son corps désormais brûlant d'un renouveau extraordinaire. Il mit son masque dépressif et les salua brièvement. Sa sœur faillit le faire grimacer mais il parvint à taire son dégoût. Élisa était devenu hideuse à ses yeux. Elle avait toujours ses anglaises mais son visage était désormais bouffi perforés de deux yeux méchants, cherchant désormais à s'accrocher à tout ce qui pouvait mériter ses griefs. Sa robe orange ne lui rendait pas justice. Il sentit son regard méprisant s'accrocher à lui comme une sangsue lorsqu'il entra dans le hall du manoir.

Bientôt l'été désormais, ça se sent dans les rues de New York. Je me suis fait quelques amis dans mon immeuble, et j'adore discuter principalement avec Debby ma voisine de palier. Elle aussi est infirmière mais pas dans le même service que le mien. De temps en temps je reçois des nouvelles de mon ancienne vie et ça me fait toujours bizarre. La dernière que j'ai reçu date de mars et Albert m'informe qu'il a reçu la visite de Niel et de son père, jusque là rien d'extraordinaire mais j'ai tout de même ressenti comme un petit pincement lorsqu'il m'a fait part d'une sorte de mutation chez Niel. Je me rappelle avoir pensé « Il peut bien faire ce qu'il veut, ça m'indiffère totalement ! » une partie de moi semble s'être réveillée, comme inquiète et pourtant je sais que personne n'est au courant puisqu'ils étaient tous là lors de mes funérailles. Un doute cependant, récurrent vient souvent m'envahir : Albert a t-il détruit toutes les preuves ? Mon ancienne vie administrative a t-elle disparue dans les flammes d'un feu de cheminée ? « Bien sûr que oui ! » je me réponds comme pour me rassurer et souvent je m'efforce de faire partir de moi, ce doute, cette faille qui pourrait tout détruire.

Voilà ce premier chapitre ^^, j'espère que je ne vous ai pas trop dérouté ! Je tente le « Je » pour la première fois

J'attends avec impatience vos impressions. Bisous et à bientôt pour la suite.