Prologue

Le ciel était dégagé, dévoilant une lune rouge sang accompagnée des étoiles qui brillaient d'une lueur lugubre. Si les nuits comme celle-ci mettait mal à l'aise les humains, il en était tout autre pour les créatures nocturnes. Une ombre sortit d'entre les arbres, s'approchant lentement des premières maisons du village. Assez grande, à la carrure plutôt masculine d'un jeune homme presque adulte, cette silhouette était vêtue d'une longue cape noire un peu défraîchie, on ne distinguait pas ses traits cachés sous une grande capuche. On pouvait tout de même remarquer la pâleur du peu de peau visible au niveau de ses mains qui enserraient fermement la cape, et une partie de ses mollets. Ses pieds étaient enfermés dans de piètres mocassins usés qui disparaissaient presque entièrement sous la neige. On pouvait discerner une certaine hésitation lorsque la silhouette s'arrêta près d'une fenêtre de la première maison. Une lumière chaleureuse s'échappait de cette dernière et des discussions animées se faisaient entendre comme un écho lointain. La silhouette se détourna de la fenêtre avec difficulté.

Il ne pouvait pas. Il ne DEVAIT pas. S'il s'approchait davantage, ça serait un drame. Il resserra les pans de sa cape autour de lui et frissonna. Il n'avait pas froid. Non. Même si la neige avait recouvert les paysages environnant depuis bien deux mois et que les températures avaient rarement été aussi basses. A vrai dire, il avait cessé de craindre le froid depuis quelques semaines déjà. Il frissonnait parce qu'il avait peur. Peur et... faim. Mais il ne pouvait pas se nourrir. Non. C'était impossible. Même s'il avait été relâché pour ça. Même si c'était la première fois depuis qu'il était ainsi qu'il sortait à l'extérieur. IL le lui avait pourtant ordonné. IL lui avait dit que c'était cette nuit qu'il pouvait être complet et qu'il pourrait se libérer de cette souffrance. Mais alors... Pourquoi avait-il un mauvais pressentiment ?

Un corbeau croassa, dissimulé dans la cime des arbres proches. Il tourna les talons pour rejoindre le sous-bois. Il n'aimait pas ça. Il sentait le danger. Pas un danger extérieur, mais le danger, la chose qui grognait à l'intérieur de lui, qui lui tordait douloureusement l'estomac et qui asséchait sa gorge. Il devait partir. La panique commençait à le gagner. Mais alors qu'il avait fait quelques pas en s'éloignant de la maisonnette, un léger bruit raisonna derrière lui. Comme le grincement d'une porte qui s'ouvre.

- Woohyun hyung ?

Une petite voix, enfantine et hésitante, mais pourtant très claire, fit écho au silence de la nuit. Il se retourna lentement, et aperçut un petit garçon, d'environ huit ans, seul sur le pas de la porte de la maison. A peine vêtu d'un pyjama rapiécé qui ne le protégeait pas vraiment du froid de l'hiver, pieds nus dans la neige, le petit garçon aux cheveux chatain clair et aux petits yeux qui n'étaient pas seulement dû à la fatigue, semblait à la fois surpris et méfiant, comme s'il ne croyait pas à se qu'il voyait. Il appela encore une fois en faisant un pas en avant.

- Woohyun hyung ? C'est toi ?

Un coup de vent balaya les ruelles du village et atteignit les deux garçons, faisant tomber en arrière la capuche du plus vieux qui dissimulait partiellement son visage. Les deux garçons restèrent quelques secondes immobiles, sous le choc, avant que le plus jeune se mette à courir vers l'autre en pleurant à chaudes larmes.

- Woohyun hyung ! Hyung ! Hyung ! C'est vraiment toi ! Vrai de vrai !

Il aura voulu s'enfuir, faire demi-tour et courir, ou bien disparaître complètement. Mais il n'y parvenait pas. Au lieu de ça, il resta figé comme une statue, debout, jusqu'à ce que le petit garçon percute ses jambes et le serre contre lui dans un geste désespéré. Woohyun sentit un étau compresser sa poitrine. Il sentit une larme rouler sur sa joue et baissa les yeux sur son frère. Il lui semblait que cela faisait des années qu'il ne l'avait pas vu, alors qu'en réalité, quelques semaines s'étaient écoulées. Quelques semaines où il n'avait fait que de se sentir seul, souffrant, dévoré par un mal qui ne l'avait plus quitté depuis. Ce mal qui l'empêchait de retrouver sa vie d'avant.

Il se laissa tomber à genoux et pris le petit garçon contre lui, ignorant sa faim qui avait resurgit à l'instant même où il avait vu son frère sortir de la maison. Il serra tout contre lui tandis que l'autre continuait de pleurer bruyamment.

- Tu m'as manqué Sunggyu... Je suis là... Hyung est là...

C'était si bon... De ressentir de nouveau un sentiment qu'il ne pensait plus possible. L'amour, l'affection, sentir son cœur qui s'emballait alors que d'autres larmes glissaient sur ses joues pour tomber sur le pyjama de l'enfant et former des petits cristaux de givre. Il était si chaud, si plein de vie, et il sentait si bon aussi... Woohyun n'avait jamais remarqué que son petit frère dégageait ce doux parfum de menthe et chocolat... Il glissa son visage dans son cou pour humer cette douce odeur enivrante. C'était revigorant, et faisait frissonner son corps d'un sentiment de plaisir et... d'excitation.

Il se jeta brusquement en arrière, surprenant le petit garçon qui tomba lui aussi à genoux dans la neige. Horrifié, Woohyun observa son petit frère, qui semblait tout aussi étonné que lui. Tout ses sens en alertes, il essayait de calmer les battements de son cœur tout en se relevant rapidement pour s'éloigner au maximum. L'odeur de menthe et chocolat flottait toujours à ses narines et déclenchait chez lui une réaction qui l'effrayait et le dégoûtait. La faim. Il avait faim. Terriblement. Il ne parvenait plus à avaler correctement sa salive pour s'hydrater un minimum. C'était une sensation insupportable. Intenable. Ça le faisait souffrir.

Le petit Sunggyu se releva tant bien que mal pour rejoindre son frère qui continuait à s'éloigner à reculons. Il ne comprenait pas.

- Woohyun ! Ne pars pas ! Je veux pas que tu disparaisse encore ! J'ai peur quand tu n'es pas là !

Woohyun secouait la tête en essayant de mettre de l'ordre dans son cerveau de plus en plus obscurcit par sa faim qui le tiraillait.

- Ne t'approche pas ! Woohyun est mort ! Il n'est plus là ! Je ne suis pas celui que tu crois ! Va-t-en !

Il avait hurlé cette dernière phrase, désespéré, alors qu'il tentait vaillamment de lutter contre ses démons. Mais son frère continuait d'avancer avec lui dans l'obscurité, jusqu'à ce qu'il trébuche contre une racine. Il tomba à plat ventre en lâchant un cri de surprise. Woohyun se figea. L'odeur... L'odeur de menthe chocolatée était plus forte. Là. A l'instant. Paniqué, il se précipita sur son frère pour l'aider à se relever. Sa vision nocturne était aussi parfait de nuit que de jour. Et c'est avec horreur qu'il vit une longue balafre rouge barrer l'avant-bras de Sunggyu.

- Aïe... chouina l'enfant essayant d'y voir quelque chose.

- Il... Il faut te soigner... Maintenant...

Sa respiration était devenue difficile, hachée. Il fixait intensément cette ligne rouge qui luisait d'un reflet hypnotique.

- H...hyung... Pourquoi tes yeux sont rouge ? Et, pourq.. Aïe !

Woohyun ne l'entendait plus. Ses yeux à présent pourpres restaient concentrés sur les quelques gouttes de sang qui glissaient le long de cette peau fine et si blanche... Il serrait sans s'en rendre compte, le poignet de son frère qui essayait de lui faire lâcher prise. Sans tenir compte de sa force de mouche, il approcha son visage de la blessure, et lentement, il fit courir sa langue dessus. Un long frisson exquis lui traversa l'échine. C'était un goût unique. Savoureux, sucré, doux. Woohyun n'avait jamais autant apprécié cet sensation qui l'assaillait à présent. Pourquoi n'y avait-il jamais goûté auparavant ? C'était comme si tout ce qu'il avait pu mangé par le passé ne ressemblait qu'à du vulgaire pain sec et sans aucun goût. Fade. Ce goût si parfait, il en voulait plus. Encore et encore. Il n'entendit même pas les cris de son frère qui pleurait de nouveau, enfermé dans ses bras, tel une prison d'acier. Il n'avait d'yeux que pour cette saveur qu'il lui fallait absolument. Il donnerait n'importe quoi pour la sentir encore couler dans sa gorge et apaiser ces brûlures, rassasier cette faim...

Ce fut le silence qui le sortit de sa torpeur. Un silence glaciale. Effrayant. Où était-il ? Que faisait-il au milieu de la forêt, assis sur le sol ? Paniqué, il tenta de se relever pour retrouver ses repères. Mais quelque chose sur ses genoux le bloquait. Il baissa les yeux et il se figea de stupeur.

On aurait dit une poupée de porcelaine, immobile sur le tapis rouge que formait maintenant le sol enneigé sous eux. Si pâle et fragile. Et froid. Froid comme la neige qui les entourait. Son frère gisait là, sur ses genoux, les yeux fermés, lui donnant un air d'enfant angélique simplement endormi.

- S... Sunggyu... ?

Effrayé, il lui secoua le bras légèrement. Aucune réaction ne lui revint. Il le secoua un peu plus fort, sentant la panique commencer à s'emparer de lui. Le corps du petit garçon roula sur le sol et se qu'il vit termina de l'effrayer. Une morsure, sanglante et sauvage, barrait la gorge de son frère. Soudain, Woohyun compris pourquoi le petit garçon était aussi pâle. Et la raison pour laquelle il l'était le tétanisa sur place. Ce n'était pas possible. Il faisait un cauchemar. Tout ça n'était pas réel. Il allait se réveiller, tranquillement au petit matin aux côtés de Sunggyu, dans leur lit de la petite chaumière du village. Sunggyu allait encore lui grimper dessus en lui criant de lui préparer son petit déjeuner préféré. Patate douce sucrée. Et ils se chamailleraient encore pour savoir qui devrait aller chercher l'eau au puit.

Un hurlement strident le sorti de sa torpeur. La nuit était de retour, les arbres et la neige se calquant encore sous ses yeux. Il réalisa qu'une petite troupe arrivait en face d'eux, torches en main. Le cri qu'il venait d'entendre provenait d'une femme d'âge mûr, en tête de file, accompagné d'un homme grand et baraqué. Ses parents. Les autres villageois s'étaient regroupé derrière eux, et tous affichaient un air horrifié et choqué. Tout comme lui l'était. Pendant quelques secondes qui parurent être une éternité, personne ne bougea. Seules les flammes des torches crépitaient et découvraient son visage pâle aux yeux cramoisis, la partie inférieure étant couverte de sang. Le sang de son frère. Puis ce fut le chaos. Son père hurla au démon et se rua dans sa direction. Les autres suivirent le mouvement. Pris de panique, son seul réflexe fut de se relever et courir. Courir pour s'enfuir. Il ne mit pas longtemps avant de s'échapper, les cris et hurlements diminuant rapidement. Il courait aussi vite que le vent, slalomant entre les arbres, sautant par-dessus les bosquets. Il ne se rendait même pas compte que les larmes dévalaient ses joues comme un torrent sans fin. Il avait tué son frère. Sa chair et son sang, sa famille. Il était un meurtrier, un monstre, et seule la lune semblait l'accompagner dans sa douleur, luisant d'un reflet rouge, tout comme le sang qui couvrait son corps.