Les yeux ouverts. Le plafond tâché. Le temps immobile, suspendu au crochet aigu de l'ennui. Angoisse. Cela faisait bien longtemps désormais qu'il ne savait plus dormir ; comme une connaissance ancienne perdue, broyée entre les murs de la prison d'Azkaban.

Sirius Black souffla ; étrange bruit dans la monotonie sonore de la nuit. La nuit. Vivre enfermé dans l'abominable demeure de ses ancêtres était déjà bien assez difficile quand le jour aplanissait toute chose ; mais dans l'allongement des ombres de la nuit, c'était à la limite du supportable. Il se redressa, incapable de rester allongé plus longtemps. La pression sur sa poitrine s'allégea un peu, à peine. Merlin que la nuit était épaisse à respirer.

Il existe un sentiment universel, quand un adulte qui se croit libéré de ses racines se retrouve allongé dans sa chambre d'enfant. Ce sentiment étrange d'être enfermé dans le musée dénaturé de souvenirs ensevelis dans une épaisse poussière asphyxiante. Une sensation d'enterré-vivant. Pour Sirius, ce sentiment prenait des proportions inquiétantes : incapable qu'il était d'interrompre le flot tortueux de ses pensées.

Il était certainement fou. Oui, ce devait être ça. Après tout il n'y avait là rien d'étonnant après douze longues années sous l'emprise des Détraqueurs. Bon sang, il lui fallait de l'air ! Du vrai, pas de ce substitut artificiel que cette horrible baraque infusait dans les poumons de ses habitants.

Au bord de la nausée, il se leva enfin ; fuir ce lit de chaînes. Sirius appelait ça ses démangeaisons nocturnes. Des plaques purulentes de folie, voilà ce qui le recouvrait jour après jour, nuit après nuit. Eczéma de la raison. A la lueur de sa baguette, il descendit les escaliers, prudemment, comme un convalescent. La nausée mentale existait-elle ? Il se sentait prêt à vomir de l'intérieur. Chassant ses pensées saugrenues – après tout il était fou – il se concentra sur l'idée de boire un bon thé chaud, là-bas, dans la cuisine. La sensation du liquide brûlant s'écoulant en lui depuis ce qui semblait être la réalité lui reposait les pieds – et les idées – sur terre, parmi les hommes. Un fil d'Ariane à la bergamote.

Silencieux, discret comme on n'aurait pu le soupçonner de savoir l'être, il avança jusqu'à la porte, déjà un peu libéré de ses cauchemars – ceux qu'il faisait sans même dormir, avant, pendant, après ; les petits bourreaux de ses nuits. Alors qu'il allait entrer sans plus de cérémonie, son souffle nouveau gela dans sa poitrine. Une lueur. Une autre baguette. Un lumos indésirable flottant entre sa position cachée et la théière magique qui devait le ramener parmi les vivants. Et la nécessité, le besoin viscéral : interrompu par la banalité de la cohabitation. Et merde !

Dansant d'un pied sur l'autre, déjà redescendu des brumes douloureuses de ses pensées, happé par la réalité, Sirius tentait d'apercevoir qui partageait visiblement ses insomnies. La cuisine était sombre et son homologue était une ombre dans le gris, comme lui. Loin de ses voix accusatrices, loin de ses fantômes envahissants, il se demandait si cette autre ombre était de celle avec qui la sienne prendrait plaisir à partager un thé, son thé magique. Il se pencha un peu, juste pour voir, pour satisfaire sa curiosité.

Un profil sec, dur, désagréable. Snape. Un rictus de dégout envahit les traits de Sirius. Qu'est ce que ce sale Mangemort trafiquait là, seul en plein milieu de la nuit. Dégouté mais pas d'humeur à remettre l'autre à sa place, Sirius bifurqua vers le salon. Un livre ferait tout aussi bien l'affaire. Si le thé le rendait à la chair, un bon livre pourrait l'en délivrer un instant. Il suffisait d'y croire.

Là, tranquillement assis dans un vieux fauteuil, un livre à la main, son esprit était toujours dans la cuisine. Qu'est ce qui pouvait empêcher l'espion de l'Ordre de dormir ? Voilà ce que Sirius se demandait au lieu de lire son roman, inintéressant par ailleurs. En même temps, quand on était un meurtrier : dormir devenait plus compliqué. Il ricana. Mais lui avait une conscience pour le faire souffrir, qu'est ce qui se chargeait de punir l'autre ?

Imaginer Severus Snape torturé par sa conscience le fit ricaner un peu plus. Un Mangemort avec une conscience ! Il ne manquait plus que ça ! Soudain hilare, Sirius reposa son livre sur le bras du fauteuil. La lune filtrait à travers les rideaux sombres – à quoi pouvait-on s'attendre d'autre dans cette foutue maison – et le rire devint glacé, se figea et fut remplacé par la douleur. Remus devait trouver la nuit bien longue enfermé dans sa chambre…

Puisque la cuisine était proscrite, un peu de compagnie pourrait remplir la nuit et remplacer l'angoisse. Finalement, pour lutter contre la glace des Détraqueurs, Sirius avait compris qu'il lui fallait des choses qui tenaient chaud : du thé, un peu de fourrure… Des choses comme ça.