Merci docteur

Un gigantesque champ stérile recouvrait le corps ensanglanté, ne dévoilant aux yeux perçants du seul autre homme présent dans la salle que les lambeaux d'un bras difforme. Le chirurgien pesta. Il n'aimait pas exercer ainsi, dans ces conditions, dans la hâte et la précipitation. Le patient n'avait même pas pu être désinfecté entièrement, du sang continuait de sécher sur son corps meurtri. L'homme s'imaginait sans peine tous les microbes s'infiltrant dans les moindres recoins du bloc opératoire. Evidemment il y aurait des infections post chirurgicales dans les semaines à venir. Parce que le patient n'avait pas été désinfecté entièrement ! Il pesta à nouveau mais calma les battements de son cœur. Il devait se concentrer sur ce semblant de bras. Il connaissait le patient parfaitement. Il savait quelle serait sa réaction à son réveil.

Il soupira à travers son masque alors qu'il commençait les sutures. Il saisit avec précision l'aiguille et le fil qu'il noua d'un geste assuré.

Le champ stérile cachait le reste du corps allongé sur la table. Il avait pu apercevoir brièvement ce visage familier au moment où il le plongeait dans un profond sommeil. Revoir ces mèches rousses, ces lèvres fines, même recouvertes de sang et de terre, lui avait fait du bien. Il s'était rassuré rapidement sur l'état de santé du patient grâce à son expertise affutée par les années d'expériences : le bras du roux était le plus mal en point. Pour le reste il s'en sortirait avec les quelques sutures et pansements qu'il avait déjà mis en place.

Il coupa le fil qu'il venait de nouer pour la dernière fois et reposa l'aiguille sur le plateau à sa droite. Le chirurgien se releva, ôta ses gants, arracha sa blouse, son masque et toutes les autres protections pour les jeter dans la poubelle dans le coin de la pièce. Il se lava les mains, distrait.

Etrangement il n'était pas satisfait. L'opération avait été un succès, le capitaine devrait se réveiller dans quelques heures, valeureux comme un bœuf, et pourrait repartir massacrer des marines dans quelques semaines. (Sauf s'il choppait une satanée infection parce qu'il n'avait pas été désinfecté correctement). Mais son cœur se serra.

Il aurait aimé rester dans ce bloc plus longtemps. Les moments seuls avec lui étaient devenus tellement rares… Il n'avait pas le moins du monde envie de passer les portes et devoir affronter l'Autre. Il aurait pu rester enfermé dans cette pièce froide et couverte de sang pendant des heures si cela pouvait lui octroyer quelques heures avec lui. Et laisser l'Autre patienter comme un imbécile dehors, seul sur une chaise inconfortable.

Il se sécha les mains et s'approcha du patient. Il passa ses doigts fatigués dans la chevelure rousse flamboyante. Le contact des mèches lui procura un bien fou. Cela faisait tellement longtemps…

Il ouvrit la porte et se relava les mains.

Bepo entra dans le sas séparant le couloir du bloc opératoire. Trafalgar lui cita mécaniquement le protocole à suivre pour le reste de la prise en charge d'Eustass Captain Kid. L'ours nota scrupuleusement les indications du chirurgien.

Son regard s'assombrit. Il soupira et passe la dernière porte. A peine eu t'il le temps de sentir l'air frais des générateurs d'air du navire que Killer bondit de sa chaise et se rua sur le chirurgien. Law le tint à distance d'un regard noir.

« J'ai du amputer. Irrécupérable. Il se réveillera dans quelques heures. Tout va bien. »

Law n'attendit même pas le solennel « Merci docteur » ou tout autre variante qui accompagnait la fin de chacune de ses tirades. Il s'éloigna de l'Autre et s'engouffra dans les profondeurs de son sous-marin.

FIN.