Un grand merci à Jaiga Urana pour sa correction.
Caprice
Ranulf s'étira de tout son long. Ses oreilles frémirent sous la caresse du soleil matinal. Ses paupières demeurant fermées, il s'amusait à identifier chaque son, chaque mouvement qu'il pouvait ressentir dans les environs. Le château de Gallia fourmillait d'activité, même en ce matin de printemps. Il pouvait distinguer le chant de chaque oiseau, les pas de chaque laguz... Il se laissait bercer par tous ces sons qui, pour lui, représentaient la vie, l'avenir de son peuple.
Il aurait pu rester des heures ainsi...
Seulement, ses obligations l'appelaient. Après tout, il était désormais le bras droit du nouveau roi de Gallia. Skrimir s'acquittait merveilleusement bien de sa tâche, laissant son côté impulsif pour un caractère plus sage et mesuré, qui lui permettait de régner justement sur son royaume. Bon, parfois, Ranulf devait avouer qu'il avait à gérer le lion. Bien que calmé depuis la guerre, il n'en était pas moins Skrimir impossible de le changer totalement. Il semblait évident que jamais la vie ne serait totalement paisible pour les félins tant qu'ils auraient pour dirigeants des individus qui partaient bille-en-tête. Enfin, cela mettait un peu d'ambiance dans le pays, ce n'était pas plus mal. L'existence serait morne, sans ça.
D'un geste souple, il se leva, s'étira. Sa chambre dans le palais donnait plein Sud sur Gallia. La forêt en contrebas verdoyait tendrement en réponse au printemps. La sérénité qui s'en dégageait prônait la paix, l'agréable sentiment de liberté s'éprenait de son être alors qu'une envie folle de se transformer en chat et de courir parmi les arbres lui passait par la tête. L'instinct, le côté animal de son existence si propre aux laguz, soufflait son appel une douce tentation.
Mais pour le moment, il fallait travailler. La reconstruction n'était pas une chose aisée. Les séquelles de la guerre demandaient toute son énergie. Il fallait œuvrer main dans la main avec les beorcs rien de bien facile, considérant les conflits qui les avaient opposés de génération en génération. Consolider les relations avec Crimea était une priorité, avant de pouvoir envisager de négocier plus amplement avec l'impératrice de Begnon. Les orphelins devaient être recueillis, les dégâts réparés. Il fallait baser les nouvelles relations du continent sur l'entraide, palier les pertes, encourager la fin du racisme. Et telle loi par-ci, et telle loi par-là… La politique des beorcs était on ne peut plus harassante.
Ranulf poussa un long soupir, se dirigeant d'un pas lent vers la salle du trône. Une journée si prometteuse, gâchée par tant de responsabilités.
— Ranulf !
Ah, il avait aussi oublié ce genre de détails, qui lui compliquaient la vie. C'était Lyre qui le hélait depuis le bout du couloir, sans se soucier du bon réveil de son supérieur.
— Lyre, tu devrais déjà être partie…
Elle était leur contact chez les Mercenaires de Greil, occupés à terrasser toute résistance à la reconstruction, les réfractaires à l'unité de Tellius, et toutes les petites milices qui nuisaient à la paix. Gallia avait besoin d'un rapport régulier, afin de se faire une idée globale de l'opposition.
— Je ne veux plus y aller ! Trouve quelqu'un d'autre !
Inspirer. Expirer. Ranulf tenta tout d'abord une approche plus ou moins diplomatique, mais cela nécessitait quelques informations sur la raison d'un tel refus.
— Et pourquoi donc ?
— Il y a le guignol en armure qui ne me lâche plus ! C'est insupportable de rester chez ces Beorc !
Mais de quoi diable parlait-elle donc ? Peu lui importait, dans le fond. Il se savait parti pour des heures et des heures de plaintes et de feulements excédés s'il la poussait à approfondir la question. Il n'avait pas tout ce temps à lui accorder.
— Lyre, je suis désolé, mais je n'ai personne d'autre que toi à envoyer.
— Lethe !
— Lethe et Kyssha sont occupés aux frontières, tu le sais bien.
Mettre Lyre à la place de sa sœur à la tête d'un groupe de Chats et de Tigres sur les nerfs ? Jamais elle ne saurait les tenir. Il avait donc préféré confier cette délicate mission à des gens plus posés, capables de conserver leur self-control.
— Mordecai ?
Il la fixa avec intensité. Non, évidemment que non ! Mordecai était certes bien plus proche des beorcs et des Mercenaires qu'elle, mais il ne maîtrisait pas suffisamment la langue pour pouvoir être absolument précis dans ses rapports. Lyre étant loin d'être bête, il en déduisait qu'elle était sur le point de lui faire un caprice stupide. En général, le silence était la meilleure arme contre ce genre de comportements.
Mais, Ranulf…
Je ne compte pas envoyer quelqu'un d'autre, Lyre.
Elle grimaça, se hérissa.
— Très bien ! Je vais me débrouiller avec Ike pour être tranquille ! Ne t'étonne pas si les mercenaires refusent de nous aider, à l'avenir !
Elle tourna les talons, ses traits empreints d'une moue digne et vexée, s'apprêta à partir. Ranulf soupira, étira son bras et d'un geste preste, lui saisit le poignet. Butée, elle refusa de lui faire face et essayait, feulant et protestant, de se dégager de la poigne de son supérieur et ami. Quelle ne fût pas sa surprise lors que Ranulf déposa un baiser sur sa joue, un éclat mutin dans son regard vairon et qu'il lui glissa :
— Merci, Lyre.
Elle devint instantanément rouge tomate, jusqu'aux racines des cheveux et elle se hérissa.
— Je vais le dire à Lethe ! s'offusqua-t-elle.
Il haussa les épaules, désinvolte, et la gratifia d'un sourire amusé avant de s'étirer à nouveau, tout en prenant la direction opposée. Au détour d'un patio, le soleil folâtra à nouveau dans ses cheveux puis sur sa peau, l'honorant de ses rayons suaves et enjoués. La quantité de travail ne l'inquiétait plus tellement, pas plus que la réaction de Lethe une fois que Lyre aurait fait son récit quant au comportement du chat. Encore moins les idées farfelues de Skrimir ou son habituel emportement. Peu lui importait. Il allait juste savourer cette journée de plus. Une journée pour Gallia.
