Prologue

Derrière son comptoir, Elodia soupirait. Si cela continuait ainsi, elle devrait mettre la clé sous la porte. Même ses ventes en arrière-boutique ne lui rapporteraient bientôt plus assez. Celui qui disait que le marché noir pouvait faire vivre en temps de guerre se mettait le balai dans l'oeil jusqu'aux branches. Elodia posa le menton dans sa main et soupira encore. Son regard vert teinté de touches noisette s'égara sur les étagères et caressa la petite araignée qui tissait soigneusement et sereinement sa toile. Qu'est-ce qu'elle ne donnerait pas pour cette sérénité ! Malheureusement son âme elle l'avait déjà vendue et son coeur elle l'avait égaré quelque part, alors il ne lui restait sûrement plus rien à donner. Un bruit retentit dans la ruelle. Elodia se redressa et saisit sa baguette. Elle attendit, tendue, aux aguets. Plus rien ne se passa, le silence retomba. Avaient-ils encore éliminé quelqu'un ? En un instant, en un éclair, avant de disparaître comme ils étaient apparus ? Serait-elle la suivante ? Elodia reposa sa baguette sous son comptoir et attendit, contemplant le travail de la besogneuse araignée. La jeune femme écoutait le tic-tac de la pendule, pensait à ce qu'elle pourrait faire au lieu d'être là à attendre. Attendre un client, attendre un messager, attendre la Mort peut-être. Soudain, Elodia se redressa une seconde fois et posa la main sur sa baguette. Son ouïe fine avait perçu un bruit au-dehors. Elodia plissa ses yeux en amande et attendit, encore, les sourcils froncés. Elle vit alors un homme emmitouflé dans une cape noire avancer vers son magasin. Il rabaissa son capuchon et Elodia reposa sa baguette, rassurée. Le jeune homme poussa la porte, faisant tinter l'allègre carillon. Un son si joyeux leur parut bien étranger à tous deux. Le jeune homme lui sourit et la salua :

- « Elodia... »

- « Bonjour Draco... »
Le jeune homme posa sa baguette sur le comptoir. C'était pour ainsi dire devenu une règle de poser ainsi sa baguette dans une échoppe, afin que le commerçant puisse l'avoir à l'oeil. La commerçante le questionna pourtant :
- « Dis-moi dans quel café nous avons été à notre troisième rendez-vous. »
- « Le troisième rendez-vous? » La langue de Draco siffla légèrement entre ses dents. « Elles sont de mieux en mieux tes questions... L'Expresso Patronum. » Par la corne d'un érupent, s'il s'était trompé, elle allait le détruire d'un sort muet et d'un coup de baguette. La jeune femme sourit pourtant et acquiesça. C'était bien lui. Draco vint alors déposer un baiser sur sa joue fraîche.

- « On m'a demandé de t'apporter ça... »

Draco lui tendit un parchemin. Elodia le déplia et le parcourut rapidement. Ses lèvres tremblèrent.

- « Je ne peux pas faire ça... »

Elodia lui montra ce qui était écrit sur le parchemin. Draco le lut et garda le silence un moment, avant de lui dire :

- « Mais tu es la seule qui puisse ! Elle te fera confiance. »

- « Et je trahirai cette confiance ! Je ne peux pas faire ça. »

- « Elodia, tu sais qui elle est devenue. »

- « Oui ! Oui, je sais. Mais... mais... Qui nous dit qu'elle ne fait pas comme toi ? »

- « Tu crois vraiment ça possible ? »

Elodia baissa les yeux.

- « Draco, j'ai déjà du sang sur les mains, et je vis avec, mais ça ne je ne peux pas. Pas elle ! Pas moi ! »

- « Qui d'autre si ce n'est pas toi ? »

- « Peu importe, n'importe qui. »

- « Sois raisonnable Elodia ! Tu crois que nous on a le choix ? Que moi j'ai le choix ? Tu crois que ça me plaît ? Mais je préférerais avoir ce genre d'ordres de mission de sa part que de la part de Tu-Sais-Qui. »

- « Tu ne comprends pas qu'à mes yeux trahir sa confiance est pire que tuer ? On était proches ! »

- « C'est pour ça que tu es la seule qui puisse le faire. Et tu le sais. Elle te fera confiance. Elle ne se fiera à personne d'autre. Tu dois réussir à l'approcher, regagner sa confiance, tu dois maquiller l'assassinat.»

Elodia inspira profondément. Elle savait tout cela... Elle savait qu'à cause de cette femme froide et terrible des innocents mourraient sûrement à Azkaban, mais pourrait-elle tromper ainsi une personne qui avait été une amie alors qu'Elodia n'était encore qu'une enfant ? Elle ne comprenait pas comment elle pouvait avoir changé ainsi, par amour de la politique, du pouvoir... Elle savait que cette amie d'enfance n'était plus qu'un monstre, mais la trahir ainsi, pour l'assassiner ? C'était lâche, tellement lâche ! Et pourtant elle le devait. Elle savait qu'elle était la seule capable de le faire.

Elodia acquiesça.

- « Parfait. » dit Draco. Il lui reprit le parchemin et le détruisit. « Je t'admire tu sais... »

- « Je sais. Et moi je me hais. Bon, aies un peu de pitié et achète-moi quelque chose. »

Draco sourit d'un air goguenard et sortit un autre papier de sa poche.

- « Aujourd'hui j'ai une liste. »

- « Eh bien ! Voyons cela. »

Elodia parcourut la liste.

- « Je vois... Je vais te chercher ça. »

Encore une fois elle ne vendrait rien de ses rayons, ne préparerait aucune potion qu'elle pourrait avouer avoir concocté. L'arrière-boutique, encore et toujours. Draco regarda Elodia s'éloigner et soupira. Encore une fois il avait été porteur de mauvaises nouvelles. Il avait l'impression d'être celui qui la blessait à chaque fois et il ne pouvait le supporter. Il l'avait aimée, à sa façon, et il ressentait toujours de la tendresse à son égard. Ils n'avaient pas été heureux ensemble, pourtant ils auraient pu... Il caressa ses boucles rousses et sa silhouette délicate d'un regard triste. Il baissa les yeux, son regard gris reprit sa froideur habituelle et il attendit qu'Elodia revienne. La jeune femme revint quelques minutes après avec d'obscures flacons, un grimoire bleu nuit et un petit sachet de toile.

- « Tu as de la chance, je ne les avais pas tous encore la semaine dernière. J'ai bien fait d'aller m'approvisionner plus tôt. »

- « C'est pas pour rien qu'on vient pour ton arrière-boutique... Toi tu sais où chercher. »

- « Je préférerais vendre ce qu'il y a dans mes rayons. »

- « Je sais oui... »

Draco paya et rangea les ingrédients de mort dans sa cape.

- « Elodia... »

- « Oui ? »

- « Je suis désolé... »

Elodia sut de quoi il parlait.

- « Moi aussi tu sais. » Elle serra sa main avec tendresse, puis le regarda sortir et disparaître dans l'allée.

Oh que tout cela finisse, vite ! Elle était fatiguée de cette tension, de cette hostilité et de cette méfiance omniprésente, fatiguée d'attendre, de craindre, de regretter... fatiguée de devoir agir contre sa conscience. Toutefois, Elodia avait un tempérament déterminé et une fois qu'elle s'était fixé un but elle s'investissait pour l'atteindre au plus vite. Dans moins d'un mois, Cassiodore serait morte. Elle savait déjà comment elle lui prendrait la vie. Elle avait tout ce qu'il fallait dans son arrière-boutique.

En effet, il ne lui fallut pas un mois pour remplir sa mission. Deux semaines plus tard, Cassiodore fermait les yeux et expirait pour la dernière fois. Les experts n'y virent que du feu. La pauvre femme était morte d'une rupture d'anévrisme dans son sommeil. Elle n'aurait pu être sauvée.