Bonjour fandom de Voltron :D Ce projet est la première chose que j'écris depuis plusieurs années, ça m'avait beaucoup manqué. C'était à la base censé être un OS, mais il s'est révélé beaucoup plus (trop ?) long que prévu, je poste donc la première partie. Lance est mon personnage préféré et j'adore l'Angst, je trouvais que les deux allaient plutôt bien ensemble 8D (Sortez vous musiques larmoyantes.)

Bonne lecture.


...


Les lumières étaient un peu trop éblouissantes, ces derniers temps. Froides aussi, lorsqu'elles projetaient leurs ombres d'hôpital au coin des murs. La cuillère de Lance était glacée entre ses doigts et la gelée encore plus insipide que d'habitude. Le silence semblait peser sur ses épaules comme le poids d'un millier de mots.

Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait là, ou du moins, il ne savait plus. Les visages autour de la table étaient tous aussi fermés que le sien, portant le fardeau amer d'une perte qui n'avait pas de sens.

Lance ne pouvait pas se résoudre à lever les yeux pour contempler le vide qui stagnait sur la chaise face à la sienne. C'était la place de Shiro, et le fantôme de sa présence frémissait encore dans l'air, comme une plainte languissante qui perçait des trous à travers sa peau, son cœur. Il pouvait presque entendre l'écho de leur peine résonner à travers ses oreilles. C'était drôle, d'être aussi assourdi dans une pièce qui bruissait à peine du cliquetis des couverts.

Lance avait envie de vomir, envie de partir, envie de l'océan dans son sourire. Il cherchait désespérément une paire d'yeux dans lesquels se retrouver, comme un miroir de ses tourments, mais seul le murmure du martèlement de son cœur lui répondait.

Alors il se taisait et regardait les autres s'effondrer en silence. Il ignorait la morsure du sel au coin de ses yeux et s'efforçait d'être la main qui recollait les morceaux d'une équipe amputée. Littéralement.

Au fond, il savait qu'il n'était pas le plus touché. Il avait remarqué la douleur qui dansait dans les yeux d'Allura et les brisures de sa voix les jours un peu trop difficiles. Il avait remarqué les assiettes pleines qui s'éternisaient à la place de Keith et le tressaillement de ses muscles surmenés lors des entraînements.

Mais il n'était que Lance, le garçon avec des étincelles au fond des yeux, Lance, les sourires qui avaient la couleur du soleil et Lance, qui ne pouvait pas comprendre. Evidemment, il faisait ce qu'on attendait de lui, même si ses taquineries à demi effacées semblaient plus que jamais résonner dans l'immensité du château.

Cela allait bientôt faire trois semaines que Shiro avait disparu. Trois semaines qu'ils cherchaient désespérément un moyen de le retrouver. Malgré eux, un semblant de routine recommençait à s'installer.

Lance n'aimait pas cette idée, c'était un peu comme se résoudre à avancer sans Shiro. C'était comme cracher sur sa mémoire. Etrangement, il s'était surpris à apprécier le sentiment lancinant qui brûlait sa gorge lorsqu'il se souvenait des moments insouciants passés avec leur leader. Parce que ça voulait dire qu'il n'oubliait pas, non ? Lance était terrifié à l'idée d'oublier.

Parfois, il passait la nuit à répéter les noms de ses sœurs et de son frère en boucle, les lèvres tremblantes et l'estomac noué, comme une litanie qui emporterait toute sa culpabilité dans un flot dévastateur. Ses cauchemars étaient peuplés du vide de l'espace et de rires qui s'éteignaient lorsqu'il en approchait les doigts. Il se réveillait habituellement lorsque le néant refermait ses serres sur gorge et qu'il suffoquait. Plus rien, plus de souvenirs et plus de sable contre ses pieds, juste Zarkon et une poignée de vies entre ses mains.

Ces derniers temps, il y avait aussi le casque noir de Shiro qui projetait son ombre menaçante jusque dans ses nuits. Lorsque Keith l'avait découvert sous le tableau de bord du lion déserté et qu'il l'avait pressé contre sa poitrine, ils avaient décidé de le poser là où ils pourraient tous le voir. Sur une étagère de la salle à manger, comme une relique qui leur donnerait l'espoir dont ils avaient tant besoin.

Lance pouvait sentir son regard le suivre et brûler des trous béants dans sa peau. Il lui demandait ce qu'ils faisaient, au juste, pourquoi ils n'étaient toujours pas venus le chercher. Il avait fini par tourner le dos au casque, parce qu'il préférait sentir la culpabilité frissonner le long de sa nuque plutôt que de l'affronter en face. Il se trouvait lâche, dans ces moments-là.


Lance avait fini par en avoir assez. Sa chambre n'avait plus l'aura réconfortante de son enfance qui apaisait son cœur lorsqu'il se réveillait en sursaut. Les murs semblaient tomber au-dessus de lui, l'encerclant dans une étreinte menaçante. Il étouffait. Ses doigts tremblaient fiévreusement et sa respiration erratique butait contre le papier de sa gorge.

Il sentit les muscles de son épaule le lancer douloureusement lorsqu'il tendit le bras pour ouvrir la porte qui menait au couloir. Rien d'alarmant, ils étaient rentrés quelques heures plus tôt et l'absence de Shiro pesait sur leur conscience autant que sur l'efficacité de leurs missions. Il avait dû se cogner lorsque que son Lion était entré en collision avec une des trop nombreuses falaises qui peuplaient la planète qu'ils avaient sauvée.

Un sourire amer lui échappa lorsqu'il se rendit compte que le visage des habitants ou bien la couleur de leur soleil avait disparu de sa mémoire. Se mélangeant dans son esprit avec les souvenirs de leur dernier sauvetage, et puis aussi celui d'avant. Des volutes d'existences qui ne semblaient même plus concrètes.

Il avait fini par se dire que ça faisait partie du métier. Il avait découvert en quelques mois plus de visages qu'au court de toute sa vie, mais ça n'empêchait pas son cœur de saigner un peu lorsque qu'il réalisait que la destruction était devenue si banale. Encore plus maintenant que Voltron était fragilisé.

Pas qu'il rejette la faute sur qui que ce soit, et surtout pas sur leur prétendu leader. Il n'avait pas grand-chose à lui reprocher, si ce n'était ses épaules comprimées par le poids d'attentes qui le dépassaient. La manière qu'il avait de ne plus répondre à ses piques avec la même verve qu'avant, aussi. Mais Lance n'était pas un monstre, et il n'était pas aussi écervelé qu'il voulait bien le faire croire, il comprenait.

Keith avait été proche de Shiro, plus que quiconque au sein de leur équipe. Peut-être même plus qu'Allura, et il avait surpris les regards brillants de tendresse qu'ils échangeaient lorsqu'ils pensaient être seuls. Il ne disait rien, parce que Keith était comme une énigme qui glissait au travers de ses doigts lorsqu'il essayait de s'en approcher. Il y avait un mur entre lui et le monde qu'il n'était pas sûr de pouvoir abattre. Au fond, il avait peur que Keith ne soit en train de se briser devant ses yeux et qu'il ne s'en rende pas compte.


Une étrange légèreté planait dans les couloirs du château, la nuit. Comme si le silence n'était soudainement plus alourdi par le poids de leur peine. Les ombres se détachaient sur le mur face à lui, immenses et acérées, c'était l'obscurité qui reprenait ses droits.

Lance trouvait cela un peu ironique, étant donné que ce n'était pas vraiment la nuit, mais seulement une ambiance artificielle créée par le château. Il avait toujours eu une relation assez conflictuelle avec la nuit, aussi loin qu'il s'en souvienne. Il avait peur du noir et il se souvenait encore des pleurs de son petit frère, mais la lumière de la lune et le ressac de l'océan avaient su lui tenir compagnie lorsqu'il ne trouvait pas le sommeil. Comme une berceuse.

Il ne savait pas vraiment où il allait, il cherchait juste un moyen d'éloigner ses cauchemars et de vider sa tête. De ne plus penser à rien, pendant un instant. Il marchait doucement, laissant le silence caresser sa peau et l'envelopper dans une étreinte réconfortante.

Il pensa aux boucles et aux robes bariolées de sa mère.


La lumière lécha le bout de ses chaussures lorsque Lance s'approcha doucement de la porte entrouverte. Il avait déambulé dans le château assez longtemps pour avoir oublié de compter les minutes qui s'écoulaient. Lorsqu'il avait vu un rai de lumière s'échapper de la salle d'entraînement, il n'avait pas pu s'empêcher d'être attiré, comme un papillon. Sauf qu'il n'allait pas se brûler les ailes, du moins il espérait. Il était curieux, ce n'était pas comme si les membres de l'équipe Voltron avaient pour habitude de s'entraîner à des heures si avancées de la nuit. Ou du matin, question de point de vue.

Il poussa silencieusement la porte et glissa sa tête dans l'ouverture, étudiant minutieusement la salle. Il fut surpris de n'y trouver que le vide et l'odeur salée de la sueur. Les murs blancs étaient un peu trop éblouissants par rapport à l'obscurité des couloirs, et il dut enfouir son visage dans son avant-bras pour se protéger des ampoules aveuglantes.

Son cœur s'emballa curieusement tandis qu'il franchit les quelques mètres qui le séparaient du centre de la salle. Un robot désarticulé gisait à ses pieds, les câbles s'emmêlant à l'endroit où son bras amputé aurait dû se trouver. Un grésillement électrique bourdonnait dans l'air et se fraya un chemin le long de son échine.

Lance sentit son estomac se nouer et jeta un regard paniqué autour de lui. Il arrêta de respirer lorsqu'il remarqua la forme sombre étendue au fond de la salle. Cela ne lui prit qu'une poignée de secondes pour se ressaisir, et une autre pour accourir vers son ami.

« - Keith, mec, ça va ?! »

Il n'avait pas dû attendre d'être arrivé pour reconnaître la forme caractéristique de ses cheveux, ou le bayard écarlate qui gisait à quelques centimètres de son corps. Il s'agenouilla, se rattrapant de justesse au mur lorsque la vitesse de sa course lui fit perdre l'équilibre. Le sol trop dur frottait douloureusement contre ses genoux, mais il s'en rendait à peine compte.

La panique voilait sa voix et ses doigts tremblaient tellement qu'il dû s'y reprendre à deux fois pour retirer le casque de l'autre pilote. Rouge, parce que le noir avait la couleur de la mort et qu'elle pesait déjà infiniment sur ses épaules lorsqu'il prenait les commande du lion de Shiro. Rouge, comme une traînée de sang sur la pureté du sol.

Lance crispa ses mains sur les épaules de Keith et ses ongles heurtèrent le métal. Il ne se souvenait plus comment réfléchir, il était pétrifié. La brûlure de l'air était douloureuse contre ses yeux écarquillés et l'angoisse se répercutait comme un poison mortel dans ses membres paralysés.

« - Putain, Keith, réponds moi ! S'entendit-il implorer »

Des images de vaisseau vide et de casque noir accusateur défilaient dans sa tête avec la force d'un ouragan, et il suppliait l'univers de ne pas leur prendre un deuxième membre. Il savait qu'il était irrationnel, au fond. Le sang de Keith colorait toujours ses joues et Lance sentait son souffle mourir contre son menton. Mais la blessure était trop fraîche, trop récente, et les plaies à vif n'avaient même pas eu le temps de devenir des cicatrices.

Il déglutit difficilement lorsque le garçon entrouvrit les yeux et lui lança un regard désorienté. La fatigue creusait des poches sous ses yeux et laissait sa peau abîmée, fine comme du papier. Ses paupières semblaient trop lourdes, son teint blafard trop maladif. Le grognement qu'il poussa ensuite sortit Lance de sa transe et il se recula légèrement lorsque Keith tenta de se dégager de l'étau de ses doigts.

Les cheveux noirs du paladin rouge s'éparpillaient sur son front dans un enchevêtrement confus. Lance pouvait voir la sueur tremper ses tempes et faire briller son visage, comme de la fièvre.

Il pinça la bouche dans une tentative désespérée de réprimer les mots qui se pressaient derrière ses lèvres. Il avait l'impression qu'il ne briserait pas seulement le silence s'il se mettait à parler maintenant.

Ses yeux se perdaient dans le regard éteint de Keith. Il voulait crier, frapper, secouer, hurler les mille questions qui obstruait sa gorge. Même si au fond, il pouvait trouver toutes ses réponses dans l'air extenué de son rival, dans les excuses chancelantes qui tremblotaient au fond de ses yeux.

Lance était aussi prudent que les autres en ce qui concernait les sentiments, si ce n'est plus. Il était juste plus doué pour le cacher. Keith était vulnérable, mis à nu, de la plus cinglante des façons. Peut-être était-ce l'intimité étrangère du moment, ou la terreur qui faisait encore tambouriner son cœur, mais il n'osa pas bombarder le garçon de ses interrogations. Un garçon dont, il réalisa, ne connaissait que les railleries et les rares sourires qu'il cachait derrière sa main. Du moins pas maintenant, peut-être la lumière du jour ramènerait avec elle son lot de colère et d'indignation.

Lance revint à lui lorsqu'il vit Keith s'écrouler, sa joue rencontrant durement sol. Son bras droit était pressé contre son torse, n'ayant pas supporté la pression de son corps quand il avait tenté de se redresser.

Il se précipita et releva le corps inerte du jeune homme, l'appuyant contre le mur. Keith prenait soin d'éviter son regard.

Voltron était l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes, qui sauvait des vies autant qu'elle volait la leur. Ils n'avaient été que des enfants, au fond. Une poignée d'existences à sacrifier contre la paix dans l'univers, Lance pouvait comprendre. Mais l'amertume de la guerre avait remplacé la douceur de la fierté, et parfois, il n'était plus un paladin, mais juste un garçon qu'on avait jeté au milieu d'un conflit qu'il comprenait à peine. Il essayait de ne pas penser à toutes les vies qu'il avait dérobées.

Au début, il avait pris ça un peu comme un jeu. Parce qu'il était soudainement aux commandes d'un robot géant et que des extra-terrestres lui expliquaient qu'il était le dernier espoir de plus d'un millier de mondes. C'était trop inespéré et merveilleux pour ne pas qu'il s'extasie devant la magie de sa nouvelle vie. Il avait compris bien après que le revers de la pièce était aussi sombre qu'il paraissait brillant, et il était déjà trop tard pour laver tout le sang qui tâchait ses mains.

Toutefois, il était déterminé à mener sa mission à bien, et le sentiment de fierté qui submergeait son estomac lorsque les yeux ébahis des populations aliens se posaient sur lui n'avait pas changé.

Parfois, il prétendait toujours que c'était un jeu, et il faisait l'inventaire de tous les trésors qu'il ramènerait à sa famille. Parce que c'était beaucoup plus facile.

Alors que Keith utilise son corps comme le réceptacle de sa douleur, il pouvait comprendre. Chaque bleu, chaque muscle ankylosé, comme un hurlement silencieux. Un appel au secours qu'ils avaient tous manqué, pourtant si évident dans ses yeux creusés comme des ecchymoses.

Pas qu'il l'acceptait, cependant. Il refusait de laisser Keith se détruire, quelles que soient les raisons qui l'animaient.

Doucement, il tendit les doigts et chassa les mèches humides de son front. Elles étaient encore plus sombres que d'habitude, Lance se demanda comment c'était possible. Son geste força Keith à le regarder à nouveau, et il se surprit à vouloir effacer tous les tourments qu'il lisait sur son visage.

La solitude était plus que jamais présente au sein du vaisseau, chaque membre isolé malgré lui dans sa bulle de chagrin. Mais Lance était fatigué, et il en avait assez de se lamenter tout en regardant les autres se consumer à petit feu. Il avait toujours la chaleur réconfortante de Hunk et le sarcasme de Pidge, évidemment, mais eux non plus n'avaient pas été épargnés par la disparition de Shiro. Les longues discussions autrefois si faciles avaient soudainement semblées éreintantes, le temps devait encore panser leurs blessures.

Keith était le pire d'entre eux.

Il lui offrit un petit sourire, tordu et un peu vacillant, mais les coins de ses yeux se plissèrent pour la première fois depuis longtemps.

« - Je vais te ramener dans ta chambre, okay ? Souffla-t-il. »

Il ne prêta pas attention au froncement de sourcils incertain du pilote et glissa ses bras autour de sa taille, l'aidant à se relever. Il s'écroula contre son épaule mais pouvait toujours plus ou moins marcher.

Leur avancée dans les couloirs était longue et silencieuse, les murs soutenant leurs pas chancelants. Lorsque Lance fit mine de se diriger vers la salle qui leur servait d'infirmerie, Keith gronda contre son épaule et tenta de se dégager faiblement. Peut-être la peur que les autres découvrent, peut-être la brûlure de ses muscles à vif trop réconfortante. Ou peut-être d'autres choses et tout ça à la fois. Lance ne savait pas.

Il lâcha un soupir démesuré, une habitude qui ne le quittait pas. Il se demanda ce qui le poussait à garder ses apparences grandiloquentes dans un moment pareil. Après tout, il n'y avait que lui, le corps à moitié inerte de Keith et le château assoupi pour l'observer. Personne à impressionner et personne de qui se cacher. C'était sûrement lui qu'il cherchait à rassurer, finalement.

« - T'as l'air vraiment pas bien, je n'ai pas envie que tu meures à cause de moi, j'aurais trop de problèmes après, tenta Lance. »

Il poussa doucement son épaule contre celle de Keith.

« - Je … juste dormir. »

La voix gutturale du paladin rouge lui arracha un sursaut, il ne s'attendait pas à une réponse. Ses mots semblaient râper contre la sécheresse de sa gorge, portant à peine plus loin que le bout de ses lèvres. Après quelques secondes de non réaction, Keith s'impatienta et essaya maladroitement d'échapper à l'étreinte d'acier de son rival.

« - Wow, wow, fais gaffe, s'étrangla Lance, d'accord, c'est bon, je te ramène mais arrête de bouger. »

Il se jeta trop brusquement sur Keith et leurs jambes s'entremêlèrent lorsqu'il essaya de le rattraper. Le mur amortit leur chute, ou peut-être était-ce le crâne de Lance au moment de l'impact, il n'était pas sûr. Son menton était douloureux après avoir percuté le front de l'autre garçon, et l'irritation qu'il lisait dans son regard mis clos n'aidait pas vraiment.

Il retroussa le nez, ne sentant plus que les pulsations de douleur à l'arrière de sa tête. Il s'entendit gémir faiblement, et lorsqu'il retrouva un semblant de lucidité, sa peau était brûlante et son univers rempli d'une autre personne. Il pouvait sentir toutes les odeurs étrangères qui l'assaillaient, le chatouillement de cheveux qui s'éparpillaient dans son cou et la pression sur son bras lorsque le plus petit s'accrocha à lui comme à une ligne de vie.

Il sentit le battement d'un cœur contre le sien, et il avala le rire qui frémissait dans sa gorge. Inattendu, saisissant, nerveux, aussi. Il n'était pas certain que Keith apprécie, à en juger par son air indigné. Mais Keith n'était certainement pas en état de penser grand-chose, et Lance s'autorisa un instant pour apprécier ce contact humain qui lui avait tant manqué. C'était égoïste et probablement bizarre, parce que Keith était au bord de l'inconscience, mais il pouvait à peine se souvenir de la dernière fois qu'il avait été aussi proche de quelqu'un.

Alors il serra ses bras plus fort contre le dos du jeune homme et laissa le frisson qui l'envahit propager sa chaleur jusque dans le bout de ses doigts. La plainte surprise qui s'échoua contre sa clavicule élargit un sourire qu'il ne pouvait plus contrôler. Il avait envie de rire. Rire au silence qui pensait pouvoir l'engloutir, rire aux murs blancs qui regardaient sans rien dire, et rire à la solitude qui assiégeait son cœur.

Il resta silencieux et se laissa engloutir par une vague de sensations oubliées.

Il serra pendant des secondes qui durèrent toute une éternité, et soudainement, il ne savait plus qui de lui ou Keith s'accrochait à l'autre.


De longues minutes et une marche éreintante plus tard, il laissa glisser Keith entre ses draps défaits. Son épaule était engourdie et il ne pouvait plus sentir son avant-bras. Il s'assit sur le bord du matelas, arrangeant les couvertures pour qu'elles couvrent la totalité du corps de son ami. Il n'avait pas pris la peine de lui retirer ses vêtements, mais ce n'était pas comme si ça importait. Il avait pris l'habitude de border ses frères et sœurs lorsque sa mère rentrait trop tard, et dans le noir, le corps de Keith semblait tellement plus petit.

Il s'était assoupi dès que sa tête avait touché l'oreiller. Ou peut-être un peu avant, il avait pesé plus lourd dans les bras de Lance durant les derniers mètres de leur périple. Son visage était encore plus pâle sous les lumières bleues diffuses qui luisaient au-dessus de son lit. Les ombres qui jouaient le long de son nez lui donnaient un air ciselé de statue de cire, on aurait dit un cadavre.

Lance fronça les sourcils. Les longues respirations et le pouls qui battait sous les draps soudainement suffocants. Il savait que Keith était vivant, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il en aurait pu être tout autrement. C'était sûrement irrationnel. Pouvait-on mourir d'épuisement ? Il se disait que ça ne leur arriverait pas à eux.

Il approcha doucement ses doigts des cheveux de Keith, un poids dans son estomac accompagnant le geste. Sa main tremblait, tout autant secouée par l'effort qu'il avait dû fournir que par les sentiments qui s'entrechoquaient dans sa poitrine. Au fond, ce qu'il avait devant lui, ce n'était rien d'autre que le témoignage d'une évidence qu'il s'obstinait à éviter. Soudaine et brutale, comme une douche froide.

Leur équipe allait mal, privée d'un leader, privée d'un point d'accroche, elle était en chute libre dans un espace sans gravité. Et ce n'était pas les plaisanteries douteuses auxquelles il se cramponnait désespérément qui allaient combler le vide que laissait l'absence de Shiro.

Ses doigts effleurèrent les mèches noires avec hésitation, comme l'action dérobée d'un enfant une fois le dos de ses parents tourné. Il mordilla sa lèvre inférieure. C'était plutôt doux, humide de la sueur qui luisait sur son front, aussi. Il laissa sa main se perdre dans les profondeurs des cheveux d'encre.

La chaleur du contact était étrangement réconfortante et contrastait avec la tension qui les enveloppait quelques minutes auparavant. Lance expira doucement, ses épaules se libérant lentement de l'emprise de l'angoisse. Il y avait toujours ce sentiment acide et mordant au fond de son estomac, mais il était un peu plus détendu.

Il expira, se complaisant dans le calme de la chambre. Son regard glissait sur le visage de Keith, et là, une fois son anxiété apaisée, il ne put refouler le sentiment de fierté qui l'assaillit. Sans lui, il serait toujours étendu sur le sol froid de la salle d'entraînement, les lumières aussi pénétrantes que dans un bloc opératoire. Il avait été utile, même avec ses blagues d'un goût discutable. Même avec ses peurs qu'il ne montrait pas et la solitude qui menaçait de l'asphyxier.

Il laissa un sourire étirer le coin de ses lèvres et étouffa un bâillement de sa main libre. Il était épuisé, triste et un peu perdu, mais il se sentait vivant. Parce que l'équipe avait besoin d'un lien qui l'empêcherait de tomber en morceau, et que Lance en avait assez de se taire pour respecter le silence des autres. Il s'était isolé autant qu'eux, au fond, il aimait juste se persuader qu'il l'avait fait pour leur bien. Pour ne pas se mêler à leur chagrin alors qu'ils avaient autant besoin d'une présence à leurs côtés que lui. Et que quelqu'un se devait de faire le premier pas.

Lorsque sa tête commença à dodeliner et que ses pensées ne furent plus qu'une vaste toile incohérente, sans début ni fin, il se dit que peut-être le lit était assez grand pour deux. Il s'allongea sur le bord du matelas, les jambes toujours dans le vide, et accueillit le picotement désagréable des yeux trop fatigués avec délectation.


Le hurlement d'une sirène tira Lance de son sommeil de plomb, et s'il était toujours engourdi, le claquement fracassant des portes le réveilla totalement. Il sursauta violemment, geignant lorsque ses articulations ankylosées protestèrent. Paniqué, il regarda autour de lui, et lâcha un cri quand les draps se mirent à bouger sous ses doigts. Une seconde plus tard, il était debout, son cœur comme un marteau dans sa poitrine. Le regard confus et à moitié fermé de Keith n'était pas quelque chose qu'il s'attendait à trouver.

Il relâcha la respiration qu'il avait retenue inconsciemment et laissa les souvenirs affluer à son cerveau. Il avait dormi là, d'ailleurs ses muscles ne se faisaient pas prier pour lui rappeler. La forme de son corps était imprimée dans les plis des couvertures. C'était juste Keith, il n'avait pas à s'inquiéter.

Les cernes qui s'étalaient sous ses yeux étaient toujours aussi sombres, mais ses joues avaient repris un peu de couleur. Si blanc fantôme comptait comme une couleur, évidemment. Il n'avait plus tout à fait l'air d'un défunt sous la lumière plus chaude du matin.

Lance ouvrit la bouche, mais la voix qui tonna dans l'interphone interrompit toute tentative de communication. Il reconnut immédiatement la voix d'Allura, bien que masquée par les grésillements parasites d'un équipement millénaire. Il ne comprit pas ce qu'elle disait, juste un vague sentiment d'urgence qui commençait à ramper le long de son échine. Il resta immobiles quelques secondes, le regard abasourdi de Keith comme un miroir de sa propre expression. Soudain, il reconnut l'alarme qui mugissait dans ses oreilles.

« - Oh merde ! Glapit-il. »

Il fit volte-face et se précipita vers la sortie. Ses mains agitées par la précipitation eurent du mal à trouver la poignée, et la porte claqua tellement fort qu'elle rebondit contre l'encadrement. Sa propre chambre était tout proche, il n'aurait pas de mal à enfiler sa combinaison et à se presser vers le hangar. Il serra les dents. C'était bien le jour pour une attaque Galra. Cela faisait à peine une journée qu'ils étaient rentrés de mission.

Il utilisa le mur pour amortir sa vitesse avant de pénétrer dans la petite pièce qui contenait toutes ses affaires. Un juron s'échappa de ses lèvres lorsqu'il ne trouva pas sa combinaison. Pourtant, Lance était quelqu'un d'organisé. Il regarda frénétiquement de droite à gauche, son cœur affolé tambourinait dans sa poitrine. Les cris de Pidge quelques mètres plus loin ne faisaient qu'accélérer son pouls déjà ivre d'adrénaline.

Quelques secondes horriblement longues plus tard, il se souvint que ses vêtements étaient tous disposés au même endroit. Il se jeta sur son placard y découvrit sa combinaison, parfaitement rangée et prête à l'accueillir. Il prit à peine le temps de se fustiger pour avoir cédé à la panique, et courut vers le Lion bleu, son casque sous le bras.

Hunk manqua de le percuter au détour d'un couloir, l'air aussi halluciné que lui. Il avait sûrement eu une nuit moins mouvementée, cependant. Ses cheveux pointaient dans tous les sens au-dessus de son bandana mal ajusté. Lance lui lança un sourire éclatant, les coins tirés par une étincelle de malice.

« - Bien dormi ? »

La question semblait presque ironique étant donné son propre épuisement. Le tressaillement dans la paupière de son ami et le long grognement qui suivit répondirent à sa place. Hunk n'avait jamais été très performant le matin, c'était une des nombreuses raisons qui les avaient rapprochés. Ils furent rappelés à la réalité par la sirène qui hurlait, et se hâtèrent ensemble vers le hangar.

Lorsqu'ils arrivèrent, les autres paladins étaient plongés dans une discussion animée avec Coran et Allura. Lance s'appuya contre la grande porte de métal pour reprendre son souffle. Son regard incrédule tomba sur Keith. Il fronça les sourcils, les souvenirs de la veille imprimés dans son esprit. Il avait l'air fonctionnel, et si les cernes qu'il arborait ne trompaient personne, elles pouvaient facilement être expliquées par une insomnie particulièrement coriace.

Il déglutit, les évènements de la nuit si facilement brisés par la réalité. Les déflagrations des tirs ennemis et le métal froid contre ses doigts. Le fait que Keith soit miraculeusement arrivé en premier dans le hangar et la manière qu'il avait de se tenir droit, comme si rien n'était jamais arrivé. Lance pouvait voir ses épaules s'affaisser sous le poids des regards avides de réponses qui le scrutaient. Keith n'avait jamais été doué en stratégie.

Hunk s'avança vers le groupe et le cliquetis métallique de ses pas contre le sol attira l'attention vers eux.

« - Ce n'est pas trop tôt, s'agaça Allura, son corps tout entier raidi par la tension.

- Désolé, je ferais plus vite pour toi la prochaine fois, princesse, répliqua Lance de son insouciance presque insolente. »

Le sourire qu'il lui adressa mangeait une partie de son visage. Personne ne remarqua ses yeux ternes et le tremblement de sa lèvre inférieure.

La jeune femme haussa un sourcil irrité, sûrement plus par la situation urgente que par les flatteries du pilote. Elle ferma les yeux une brève seconde, toute trace d'énervement disparue lorsqu'elle les rouvrit. Ses traits se durcirent, et elle était devenue la princesse autoritaire et tenace qu'ils connaissaient bien.

« - Tous à vos Lions, paladins, il est temps de défendre ce château ! Cria-t-elle d'une voix forte. »

Elle jeta un bref regard à Keith, presque instinctif, comme pour lui poser une question silencieuse. C'était lui, le successeur désigné par Shiro, après tout. Et Allura se révélait bien moins à l'aise aux commandes d'un des lions que dans la sécurité de son château. Pas qu'elle était mauvaise, juste inexpérimentée, et tout aussi perdue que les autres. Ils se dispersèrent et s'installèrent à leurs places respectives.

Lance avait hérité de Rouge et Allura pilotait Bleu. Il se plaisait à dire que ça ne le dérangeait pas, mais ça lui brisait le cœur. Seulement c'était pour le bien de tous, et il était le seul à avoir apprivoisé Rouge.

Il renversa sa tête contre le siège étranger et prit une profonde inspiration. Les manettes n'étaient pas modelées à la forme de ses mains, les vrombissements de la machine ne se mélangeaient plus aux battements de son cœur comme avant. Et pourtant, la présence qui titillait les coins de son esprit semblait vaguement familière. Comme un vieux parent, lointain et oublié. Assez proche pour en saisir les nuances mais tout de même hors de portée. Lance se força à ne pas penser à Keith et à sa manière de toujours se tenir à distance de sécurité. Plutôt difficile lorsque tout ce qui l'entourait criait son nom.

Il crispa les doigts sur les commandes et frissonna d'anticipation lorsque le Lion bondit dans l'espace. Ils avaient peut-être vaincu Zarkon, mais les attaques n'avaient jamais cessé. Que ce soit les dernières troupes d'une planète colonisée ou les convois qu'ils avaient le malheur de croiser. Cette guerre avait un étrange arrière-goût d'inachevé, et Lance redoutait ce qui allait venir ensuite.

Il vira brusquement sur la gauche lorsqu'un vaisseau fonça dans sa direction. Un flot d'excuses quitta ses lèvres quand il entendit les cris de Pidge dans son casque. Il avait failli la percuter. Le Lion rouge était bien plus léger et agile que Bleu, et il avait encore du mal à s'y faire.

Les tirs ennemis fusèrent dans sa direction, et il fronça les sourcils de concentration. Il pouvait le faire, il était le meilleur tireur de l'équipe, le « sharp shooter ». Ce n'était pas quelques coups manqués qui allaient l'arrêter. Il jaugea la situation rapidement, les yeux fébriles. Vif et froid, il tirait sur tous les vaisseaux qui avaient le malheur d'apparaître sur son radar.

Cependant, ils avaient beau être les prétendus sauveurs de l'univers, ils n'étaient que cinq, et le nombre avait souvent raison d'eux. Ils ne pouvaient pas encore former Voltron, la présence d'Allura trop récente contre l'ombre de Shiro qui planait à la lisière de leurs esprits. Lance grommela, une mer de machines violette et sombre qui semblait s'étendre à l'infini devant les yeux.

« - Vous avez vu ça ? Ils sont combien ?! S'énerva-t-il dans le micro.

- Je ne sais pas, mais on ne va pas pouvoir tenir longtemps comme ça, lui répondit la voix légèrement paniquée de Hunk. »

Un vaisseau se dirigeait droit sur lui, beaucoup trop proche. Il grinça des dents en avisant la collision imminente. Le craquement du métal était assourdissant et la violence de l'impact coupa sa respiration quelques secondes. L'aéroplane Galra ne survécut pas, et les débris fusèrent dans toutes les directions. Lance sentit son Lion secouer la tête, comme un chat qui s'ébroue.

« - Lance, Lance ! Ça va ? Appela la voix d'Allura, si forte qu'il grimaça de douleur. »

Toujours protectrice, la princesse. Ferme et solide, à la manière des adultes. Le Lion Bleu vint s'arrêter à côté de lui, son visage familier tourné vers le sien.

« - Oui, ça va, c'est de ma faute, je n'ai pas réussi à l'éviter à temps. Le lion n'a rien, tout va bien. »

Il n'avait pas couru, mais il était à bout de souffle. Trop appliqué à regagner une respiration et un pouls régulier, il n'avait pas remarqué les trois autres lions qui flottaient en demi-cercle autour d'eux. Ils étaient cachés par la taille du château et les tirs lumineux de Coran.

« - Ils sont beaucoup trop, il faut trouver une solution, on ne peut pas continuer, déclara Keith pour la première fois depuis le début de la mission.

- Je suis d'accord, mon Lion ne pourra pas encaisser beaucoup plus de tirs, ajouta Pidge.

- Et qu'est-ce que tu proposes ? Demanda Allura. »

Le silence crépita dans les casques, lourd d'attentes. Lance entendit Keith déglutir silencieusement, il se demanda si les autres l'avaient aussi remarqué.

« - J'ai vu une planète d'où partaient les vaisseaux tout à l'heure. Je ne sais pas s'ils viennent tous de là, mais si on détruit leur base, ce sera plus facile de s'en débarrasser, annonça finalement le paladin rouge.

- C'est une bonne idée, approuva Lance, on pourra sauver les habitants en même temps.

- On te suit, Keith. »

Lance ne savait pas qui avait prononcé les derniers mots qui grésillèrent dans ses oreilles, mais il se laisser docilement escorter par le Lion noir. C'était leur seule solution. Ils auraient pu fuir facilement, mais ils ne mériteraient pas le titre de défenseurs de l'univers s'ils abandonnaient une planète innocente aux mains des Galra.

Lorsqu'ils entrèrent à nouveau sur le champ de bataille, il dû slalomer entre les tirs et les débris de métal qui jonchaient l'espace devant eux. Keith les guida rapidement sur le côté, évitant la majorité de l'action. Hunk, qui fermait leur cortège, se débarrassa des quelques vaisseaux qui les avaient pris en chasse.

Rapidement, la planète apparut dans leur champ de vision. Plus petite que la Terre, recouverte de végétation. Les constructions Galra formaient des tâches obscures dans le vert de la forêt, comme un fruit rongé par la moisissure. Les arbres pourraient leur servir de camouflage, même si l'atterrissage s'annonçait compliqué.

Soudain, le cœur de Lance chuta dans sa poitrine comme un boulet de canon. Ou peut-être était-ce le goût de la bile qui envahit sa bouche.

« - Oh non … »

S'il n'avait pas été protégé par son lion, il aurait sûrement senti le souffle de l'explosion fouetter son visage.

Le son arriva après les flammes, et la violence de la déflagration résonna dans son corps tout entier. Ils étaient assez proches de la planète pour voir la fumée s'élever dans le ciel, noire et épaisse comme un orage. Elle gagnait du terrain, projetant son ombre menaçante sur tous les arbres alentours.

Lance pouvait presque sentir la fumée s'infiltrer dans sa gorge, de longs doigts noirs et sinueux qui serpentaient jusque sa bouche. Le crépitement assourdissant du feu résonnait dans ses oreilles alors qu'il voyait à peine les flammes rougeoyer au loin. Un hurlement silencieux retentit dans l'espace, une plainte désespérée qui n'avait pas de mots.

Lorsqu'il regagna le contrôle de ses membres, ce fut pour crier dans son casque.

« - C'était quoi ça ?! Ils brûlent la planète ? Pour quoi faire ? »

L'incrédulité dans sa voix était aussi palpable que la colère. Il agrippa les manettes de toutes ses forces, prêt à foncer dès qu'il en avait l'occasion.

« - Allura ? Tu sais quelque chose ? Demanda-t-il une seconde fois. »

La princesse millénaire avait eu assez à faire à la dévastation des Galras pour connaître leurs coutumes et leurs rituels de guerre. Bien que Lance ait du mal avec le mot « coutume », parce que ça impliquait une civilisation, avec ses mères aimantes et ses enfants abandonnés. Avec toute la douleur et les plaies purulentes qui attendaient d'être pansées. Parce que ça en faisait des êtres comme lui, pas des ennemis définis par leur soif de sang. Pourtant, ils n'avaient encore rien vu d'autre que les hommes et la mort de la part des Galras.

Le silence des autres était angoissant, il avait l'étrange impression d'être victime d'une mauvaise blague qu'il ne comprenait pas. Ses muscles se crispaient si fort qu'il n'était plus qu'un amas de nerfs à vif.

Lance avait toujours détesté l'injustice. C'était une des seules choses qui lui faisait réellement perdre son sang-froid. Il était celui qui partageait lorsque ses petites sœurs se disputaient autour d'un morceau de brioche, celui qui endossait le plus de tâches pour alléger les épaules des autres. Il avait un désir ardent de rendre le monde plus beau, de chasser la tempête dans le ciel de ceux qu'il aimait. Sûrement parce qu'il avait deux fois plus d'amour à donner qu'il en avait pour lui-même, et qu'il trouvait dans les sourires de gratitude l'illusion d'un but à atteindre.

Il avait appris à ses dépens que la vie était rarement juste, et que parfois, il était condamné à contempler la mort dans les yeux sans pouvoir rien y faire.

Il entendit la respiration de la jeune femme se perdre quelque part entre leur connexion.

« - C'est- Les habitants … »

Elle s'efforçait de garder un ton inébranlable, mais Lance pouvait sentir sa détermination s'effilocher, comme les notes d'un instrument mal accordé. C'était incroyablement plus difficile d'assister à un massacre en direct plutôt que depuis la protection d'un écran, et la jeune femme savait plus d'une chose sur les massacres. Princesse sans peuple et couronne qui n'avait plus de sens. Un lit à baldaquin pour bercer ses nuits et une chambre assez grande pour y héberger les cauchemars de toute une civilisation.

Pidge réagit la première.

« - Quoi ? S'exclama-t-elle.

- La forêt, c'est les habitants, mon père avait une alliance avec ce peuple. Les Galras … Ils savent qu'ils ont perdu, ils brûlent la planète parce qu'ils n'ont plus rien à perdre. »

Lance pensait que l'horreur n'avait pas de visage.

Il écarquilla les yeux, et la seule chose qui l'empêcha de crier fut l'éclair de lumière dans son champ de vision lorsque Keith fonça en direction de la planète. La moiteur de ses mains rendait sa poigne glissante sur les manettes de commande, mais il n'avait jamais enfoncé l'accélérateur avec autant de force.

Son corps ne répondait plus aux avertissements qui clignotaient comme des néons à l'arrière de sa tête, une marionnette dont on aurait coupé les fils. Les hurlements des autres étaient couverts par la violence de sa propre voix.

« - Keith qu'est-ce que tu fous ? Reviens, c'est trop dangereux ! »

Mais la gueule du loup était un incendie dévastateur et il se jetait dedans la tête la première, les griffes métalliques de son Lion frôlant la queue de Noir. La lumière rouge des flammes se rapprochaient à une vitesse alarmante, bientôt rejointes par l'éclat violet des tirs ennemis. Il fallait qu'il arrête Keith avant qu'un désastre de plus n'arrive, avant que l'équilibre précaire sur lequel ils tenaient miraculeusement ne soit anéanti pour de bon.

Le crissement des lasers contre son Lion retentissait aussi sinistrement que des os brisés.

« - Va-t'en, idiot, tu vas te faire tuer, gronda Keith avec colère. »

Les mots allumèrent en Lance un feu dévastateur. Parce que Keith pensait qu'il avait le droit de mourir, parce que Keith était assez égoïste pour vouloir rafler toute la gloire et s'éteindre prématurément. Il était trop important pour Voltron et pour l'univers, il n'avait pas le droit, il n'était pas un héros. Il avait la carrure d'un leader et les capacités d'un soldat.

Lance n'avait rien de tout ça, il était le garçon qui avait promis à sa famille de revenir couvert d'honneurs alors qu'il espérait tout juste survivre. Il était le pilote qui avait fini premier de sa classe parce que la légende avait déserté. Il était le menteur qui cachait son manque d'assurance dans les coins de ses sourires. Il était l'admirateur qui avait un jour vu Keith Kogane marquer le score le plus élevé au simulateur et qui avait oublié de respirer.

« - Parce que tu crois qu'il n'y a que toi qui sait piloter ? Me fais pas rire, mulet, cracha-t-il, une once de défi dans la voix. »

Heureusement, Rouge était plus agile que Noir, et rapidement, Lance entendit le grincement caractéristique du métal contre le métal. Le bras droit de Voltron referma ses pattes sur le dos du Lion de Shiro et tira en arrière. La vitesse qu'ils avaient accumulée était trop importante, et ils avaient du mal à ralentir, mais c'était un tout petit peu plus rassurant que de tomber aveuglément dans les bras d'une mort certaine.

Lance trouvait cela ironique, que celui à calmer les ardeurs destructrices de Keith soit son propre Lion, piloté par son rival. Il était le genre de personne à réfléchir après l'action, une fois l'adrénaline du combat retombée, une colère sourde dans les veines et un tempérament explosif directement connecté à ses muscles. Lance ne pouvait pas s'empêcher de penser que sa nature plus calme aidait à catalyser la fougue du lion indomptable.

« - Arrête ! Laisse-moi m'en occuper, on ne peut pas les laisser tuer autant de gens. »

Il avait probablement raison, et c'était tellement douloureux que ça en devenait aveuglant. Ou alors la lumière des flammes était bien plus proche que ce qu'il croyait. Ou alors la rage et la panique qui le consumaient lui faisaient perdre la raison.

« - Et t'as l'intention de mourir toi aussi ? Super plan, putain, hurla-t-il pour couvrir les sons du combat autour de lui. »

A cette distance, Lance pouvait voir les arbres se convulser sous l'assaut du feu, les nœuds du bois ouverts comme des bouches béantes qui appelaient à l'aide. Son cœur se souleva douloureusement, la bile acide au fond de sa gorge.

Il ne savait pas si les autres avaient suivi, trop concentré sur tout ce qui se passait autour de lui. Il n'entendait même plus leurs cris paniqués, obnubilé par l'arrière du Lion Noir et la danse mortelle des flammes qui occupaient tout son champ de vision.

Et peut-être était-ce les nuits sans sommeil qui le rattrapaient, ou la morsure de l'horreur qui avait fini par avoir raison de lui, mais il sentit sa vision se brouiller, un filtre flou se déposer devant ses yeux.

Les sirènes hurlaient dans l'habitacle, les tirs ennemis fusaient dans tous les sens, le touchant plus de fois qu'il ne pouvait compter. Il se sentit être propulsé contre le dossier de son siège et eut à peine le temps de voir Keith foncer sur un vaisseau plus gros que les autres. Son crâne résonnait plus fort qu'une caisse claire, la douleur insupportable là où il avait heurté le métal. Ses doigts s'accrochaient aux manettes comme à une bouée de sauvetage, persuadé que c'était la seule chose qui l'empêcherait de sombrer.

Il voulait hurler à Keith de rentrer, mais il ne pouvait plus entendre sa propre voix.

Il tomba dans l'inconscience sur un décor de fin du monde.


Lance avait sept ans et déjà assez de frères et sœurs pour combler tout le vide qui occupait leur petite maison dans le Sud de Cuba. Trois petites sœurs et un bébé frère qui ne voulait jamais arrêter de pleurer. Une mère qui cachait ses yeux fatigués sous une couche de maquillage trop épaisse et un père statue qui avait les mots aussi tranchants que des rasoirs. Il n'avait que très peu de souvenirs de son père, mais les seuls fragments qu'il lui restait étaient amplement suffisants.

On lui avait toujours répété qu'en tant qu'aîné, il se devait de donner l'exemple, d'être un modèle pour les plus jeunes. Comme un guide dans la nuit, lui murmurait sa mère au-dessus de livres remplis d'étoiles scintillantes dans le noir. Alors il embrassait son rôle à cœur ouvert, et ça le rendait tellement fier que tous ses tourments disparaissaient sous une vague de gratitude, comme si les sourires qu'il recevait valaient toute la tristesse du monde. Emportés par les bouffées de bonheur qui gonflaient dans sa poitrine.

Il enfilait des robes à dentelles sans rechigner parce que ça amusait les filles et il leur faisait découvrir la mer au creux des coquillages qu'il ramassait au bord de l'océan. Il tenait des mains deux fois plus petites que les sienne le long de la plage, et lors des grandes occasions, il volait le maquillage bon marché de sa mère pour s'en barbouiller le visage.

Les cris du bébé résonnaient toujours dans le silence, comme un écho étouffé par la force de leurs rires. Une mélodie grinçante qui ne s'arrêtait jamais, toujours dans un coin de leur tête.

La maison qu'ils habitaient n'était pas conçue pour accueillir une famille aussi nombreuse. Elle était trop étroite, avait des murs lézardés qui sentaient la moisissure et des planchers pleins d'échardes. Mais Lance aimait la moindre de ses fissures, parce que c'était son enfance et que l'odeur du sel avait fini par imprégner le bois de la porte d'entrée.

Comme il y avait plus d'enfants de que chambres, ils devaient partager. Ses trois petites sœurs ensemble pour qu'elles puissent s'échanger les poupées et les vêtements, et lui avec Joaquin. Ou bien le « bébé », comme il l'avait longtemps appelé. Au début, il avait été heureux parce que ça voulait dire que sa mère passerait plus de temps dans sa chambre. Il ne la voyait plus vraiment, ces derniers temps. Juste une main dans ses cheveux quand elle rentrait trop tard du travail. Toujours dédiée à ses tâches. Les plus petits, son emploi, les hurlements de son mari.

Et puis il s'était rendu compte que les cris de Joaquin étaient trop puissants pour qu'il puisse les étouffer avec son oreiller. Ses sœurs n'avaient jamais pleuré autant, ou peut-être qu'il avait été trop jeune pour s'en rendre compte. Il ne savait plus. Quand la nuit était noire et que même le ressac des vagues ne bruissait pas plus haut qu'un murmure, Lance se disait que les braillements de son frère étaient semblables aux sirènes des bateaux dans la tempête. Bruts, désespérés, tout droit sortis du berceau. Il n'était pas certain de vouloir comprendre, alors il pressait l'oreiller plus fort contre ses oreilles et il prétendait compter les étoiles par la fenêtre.

Lance avait huit ans et les murs étaient devenus trop fins pour contenir les disputes sans fin de ses parents. Il commençait à regretter les hurlements du bébé.

Le soleil rayonnait toujours aussi intensément sur Cuba, et les reflets dans l'océan n'avaient rien perdu de leur magie. Alors il faisait comme le soleil et l'océan, il lançait des sourires éclatants lorsqu'il avait envie de pleurer et ne cessait jamais de briller. Il riait assez fort pour couvrir le bruit des disputes qui augmentait de jour en jour et faisait de longues balades dans le sable chaud lorsque les cris de rage devenaient des cris de douleur. Là, il s'asseyait contre un rocher immense et comptait à ses frères et sœurs des histoires d'étoiles qui scintillaient dans le noir.

Parfois, il se demandait ce qu'ils étaient. Des enfants ciment, des enfants brisés, des enfants dans une famille avec au moins autant de fissures que les murs de sa chambre. Mais il avait appris à l'école que les enfants de pays lointains mourraient de faim et que d'autres faisaient la guerre à cinq ans, alors il ravalait ses sanglots et se complaisait dans les sourires des autres. Il avait des amis, assez de compagnons de jeux pour ne jamais se sentir seul et de la nourriture dans son assiette, il n'avait pas le droit de se plaindre.


Son corps tomba en avant, il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche pour crier. Il se prépara à l'impact, plissant les yeux dans l'attente de la douleur. Il grogna faiblement lorsqu'il rencontra la surface mouvante d'un corps qui vacilla sous son poids. Plus agréable que le sol, mais il ne reconnut pas immédiatement les odeurs d'épices et de produits d'entretien qui envahirent ses narines. Le bout de ses doigts était couvert de cristaux de glace et il ne pouvait pas encore sentir l'intégralité de ses membres. Il battit doucement des paupières.

« - Jolie chute, mon garçon. »

Il leva la tête et reconnut le sourire chaleureux de Coran. Sa nuque craqua douloureusement lorsqu'il se recula et s'appuya maladroitement sur le bras de son ami pour retrouver l'équilibre. Il tenta de répondre mais sa voix s'éteignait dans sa bouche sèche comme du papier. Il jeta un bref coup d'œil à la pièce qui l'entourait, essayant de chasser le voile qui floutait sa vision. Son estomac vide était tordu dans un nœud serré et il sentait le soupçon d'une nausée au fond de sa gorge.

Il secoua la tête dans une tentative désespérée d'éclaircir son esprit. Mauvaise idée, un éclair de douleur traversa son crâne et soudainement, il ne savait plus distinguer le sol du plafond. Il faillit s'effondrer en arrière mais Coran le rattrapa une deuxième fois.

« - Lance, doucement, tu es sûr que ça va ? Demanda-t-il, son accent encore plus appuyé sous l'effet de l'inquiétude. »

Une fois sa stabilité retrouvée, il passa une main dans ses cheveux, s'attardant sur le haut de sa nuque. Ses muscles étaient noués et engourdis, toujours sous l'emprise du froid. Un sourire trouva ses lèvres, et il se racla difficilement la gorge.

« - Ouais, merci, Coran, j'aurais été bon pour une autre nuit dans un de ces trucs sans toi, plaisanta-t-il en désignant les capsules de régénération. »

Le compliment agit comme un rayon de soleil sur l'expression de l'Altéen.

« - Oui je sais, je suis absolument indispensable au fonctionnement de ce château, s'exclama-t-il en gonflant le torse, sa moustache frémissante de fierté. »

Il regarda autour de lui et se reprit rapidement, comme s'il semblait se souvenir de quelque chose.

« - Dommage que tu te réveilles seulement maintenant, les autres étaient là il y à peine une heure. »

Lance fronça les sourcils à la mention de l'équipe. La réalité retomba sur ses épaules ave la force d'une enclume. Il prit pleinement conscience de sa situation, les souvenirs du combat comme un couteau tranchant à travers la brume de son esprit. Flashs de lumière. Tonnerre d'explosions. Keith et le feu destructeur. Keith puis la mort qui leur ouvrait ses bras pleins de promesses. Les hurlements languissants des arbres et le noir qui l'avait englouti. Il tenta de contenir à la fois la bile qui remontait le long de sa gorge et la peur panique qui tordait ses entrailles.

« - Est-ce que K-

« - Il va bien, le coupa Coran en levant les mains, il est sorti de sa capsule il y a déjà deux jours. D'ailleurs, je crois qu'Allura attends ton réveil avec impatience, elle était si furieuse que même les vieilles histoires sur son père que je lui ai racontées n'ont pas réussi à la calmer. »

Un liquide dégoulina le long de son cou. Il ne savait pas si c'était des gouttes de sueur ou la pointe de ses cheveux qui dégelaient.

Il avala sa salive acide. Son regard chercha instinctivement une horloge sur les murs immenses de l'infirmerie, en vain. Coran sembla sentir sa détresse et sortit de sa poche un appareil dont le fonctionnement avait toujours été un mystère pour Lance.

« - Il est une heure vingt-trois du matin, heure humaine. Ça fait environ trois rotations de votre Terre que tu es dans la capsule. »

Sa voix était chaude et rassurante, comme un feu de cheminée qui crépitait dans l'âtre. Ou du moins l'idée qu'il s'en faisait ; il n'avait jamais passé d'hiver inférieur à quinze degrés.

Déjà deux jours … ?

Ses yeux étaient à peine fuyants.

« - Merci, je pense que je vais aller finir ma nuit, du coup. Je verrais les autres demain matin, répondit-il en étouffant un bâillement exagéré. »

Il étira longuement ses bras au-dessus de sa tête, prenant le temps de faire rouler ses épaules, les paupières closes. Quelques secondes plus tard, il lançait un clin d'œil et un sourire espiègle à Coran.

« - Il faut bien entretenir ce corps de rêve, après tout. »

Le rire franc et rauque du conseiller résonna dans la pièce, réchauffant le cœur de Lance par la même occasion. L'homme aux mille fonctions était le seul qui trouvait ses blagues aussi amusantes qu'au premier jour. Il ne savait pas si c'était réellement sincère ou s'il jouait la comédie pour lui faire plaisir, mais il appréciait le geste.

Coran attrapa son épaule, les yeux toujours plissé d'hilarité.

« - C'est hors de question, tu n'as rien avalé depuis trois jours. Il y a plein de restes de la gelée de ce soir. »

Lance retroussa le nez à la mention de la gelée, le souvenir du goût pâteux engluant sa langue. Il n'eut pas le temps de protester.

« - Non, je ne veux rien entendre, les capsules te maintiennent en vie mais n'apportent aucun nutriments. Il faut que tu te nourrisses si tu veux sauver l'univers ! S'esclaffa l'altéen. En plus j'ai essayé une nouvelle recette, tu me diras ce que tu en penses. »

Il lâcha un long soupir de résignation et céda. Il se dirigea vers la sortie sous le regard suspicieux de Coran et lui certifia une dernière fois qu'il irait avaler quelque chose, non sans pousser quelques plaintes outrées. Il avait envie de s'écrouler sur son matelas et de dormir jusqu'au bout du monde.


Lorsque tout était silence, il trouvait ça plus facile, de réfléchir. Il pouvait presque entendre ses pensées ricocher aux quatre coins des murs, l'ensevelissant sous une vague de solitude. Ce n'était pas vraiment douloureux, pas le genre de sentiment lancinant qui vous déchirait en deux, juste une mélancolie aigre-douce qui étreignait son cœur. Il avait besoin d'être seul, au fond. Pour dissiper le brouillard qui ombrageait son esprit. Ce n'était pas qu'il ne ressentait rien, mais qu'il ressentait trop de chose à la fois.

La gelée était poisseuse dans sa bouche. Le goût avait beau être légèrement différent, mais après des mois passés à manger la même chose, la simple vue de sa couleur verdâtre l'écœurait. L'horloge de la salle projetait ses nombres digitaux d'une lumière bleutée sur l'ensemble de la pièce.

Il finit par se perdre dans son esprit, les yeux grands ouverts mais aveugles à tout ce qui l'entourait. Il pensa à Keith étendu comme un cadavre dans la salle d'entraînement, à la manière qu'il avait eu d'être parfaitement fonctionnel le lendemain. Il pensa à ses regards fuyants et à ses épaules crispées lorsque l'équipe levait sur lui des yeux pleins d'espoirs. Il pensa à Shiro qui lui manquait mais il essaya d'oublier le casque qui prenait la poussière derrière lui.

Le lien qui unissait le paladin rouge et le paladin noir n'avait échappé à personne. C'était plus fort que l'amitié, pas aussi passionné que l'amour. C'était toute l'affection et la tendresse d'un frère à un autre, d'une famille qui ne s'était pas construite par le sang.

Lance pouvait comprendre ce que c'était, l'amour de sa famille. Il avait toujours des photos de la sienne dans une boîte à trésors qu'il cachait au fond de son armoire. Il chérissait leur souvenir avec une bienveillance sans limite, parfois un chagrin terrible lors des jours difficiles.

Cependant, ce n'était pas tout à fait la même chose, et il avait du mal à saisir ce qui unissait Keith et Shiro. Sa mère était la seule personne qu'il avait jamais vraiment pu admirer. Son père les avait laissés avec une famille à l'image murs de leur maison ; abîmée et un peu vacillante, mais résistant éternellement aux vents de tempêtes. Il avait à peine neuf ans à l'époque. Il avait fini par fuir lorsque sa mère avait menacé d'appeler la police et n'avait plus donné signe de vie. Lance supposait que c'était lui, le grand frère, et c'était censé lui suffire.

Cela aurait pu finir par être Shiro, l'objet de son adoration. Son auto-proclamé « héros » depuis la cérémonie d'entrée à la garnison et ses sourires si bienveillants qu'il n'était pas sûr de les mériter. Mais Shiro avait déjà Keith, et il n'était pas certain de comprendre toutes les attentes et les promesses silencieuses qui circulaient entre eux. La confiance aveugle et la fierté de voir son protégé sortir de sa coquille.

Mais plus que tout, Lance était furieux. Pas de la colère ardente et impulsive qu'il avait éprouvé lorsqu'il avait vu Keith s'élancer vers la planète en flamme, c'était quelque chose de plus insidieux. Comme si ses sentiments étaient de la lave en fusion et qu'ils avaient eu le temps de ralentir leur course folle. Mieux camouflés, un peu plus noircis mais tout aussi destructeurs.

Il les avait tous mis en danger, sans exception. Il ne savait pas comment ils s'en étaient sortis tous les deux, ni si les autres allaient bien. Voltron aurait pu disparaître à cause de l'égoïsme de Keith.

Pourtant, Lance savait que c'était bien plus complexe que ce que ça en avait l'air. Plus qu'un simple désir de gloire et plus qu'un tempérament mal géré. Mais il lui en voulait bien trop pour y prêter attention. Keith pouvait blâmer l'univers, pouvait s'isoler et se bousiller la santé si ça lui chantait, mais il n'avait pas le droit de laisser ses actions impacter leurs missions. Il jouait les chevaliers pliés à leurs devoirs mais il n'était qu'une princesse coincée tout en haut de sa tour d'émotions, et il était à deux doigts de basculer par la fenêtre.

Il était en colère parce que c'était tellement Keith de se détruire à petit feu sans qu'aucun d'eux ne s'en rende compte. Sans que lui-même ne s'en rende compte, peut-être. Il était assez arrogant pour penser qu'il s'en sortirait seul, puis quand il s'était rendu compte qu'il était au bord de la noyade, il avait été trop fier pour attraper leur main. Lance avait envie de vomir, mais il avait aussi envie de pleurer.

La situation remuait en lui des choses un peu trop profondément enfouies pour qu'il reste objectif. La terreur qui l'étreignait lorsqu'il sentait quelque chose lui échapper pour ne jamais lui revenir. Le sentiment d'impuissance qui l'étouffait lorsqu'il voyait s'écrouler ce qui lui était cher malgré tous ses efforts. L'abandon qu'il avait ressenti quand il avait vu Keith foncer vers la mort. Il savait que ce n'était pas contre lui, qu'il ne devait pas le prendre personnellement, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Keith n'avait pas le droit de partir, il n'avait pas le droit parce que tout ce à quoi Lance accordait de l'importance finissait par disparaître, et ça la terrifiait bien plus qu'il ne voulait l'admettre.

Au final, il se rendait compte que ça en revenait souvent aux mêmes choses, avec Keith. Il avait soit envie de lui hurler dessus, soit envie de l'embrasser.


La porte de la cuisine coulissa bruyamment, et Lance sursauta si fort qu'il en fit tomber sa cuillère.

Il était resté plus longtemps que prévu, il n'aurait pas réussi à dormir de toute façon. L'heure projetée sur le mur indiquait deux heures trente-deux.

Son regard tomba sur la mine incrédule de Keith, figé dans l'entrée. Il ne prit pas la peine de ramasser sa cuillère.

Sa respiration se perdit contre son palais, comme étouffée par le silence. Bon. Il s'était promis de rester calme et peut-être même de l'ignorer un moment pour faire bonne mesure. Mais il ne s'attendait pas à une confrontation aussi rapide, et il avait toujours été du genre à se faire plus de promesses qu'il ne pouvait en tenir.


...


N'hésitez pas à laisser une review si ça vous a plu ! J'ai un peu peur que ce soir OOC, mais je suis terrifiée par l'OOC de toute manière donc bon ;_; La partie deux devrait arriver très prochainement.