Allongé à plat ventre sur son lit, un adolescent de presque 16 ans tentait vainement d'étouffer un bruit de perceuse à l'aide de son oreiller plaqué contre ses oreilles. En dessous du coussin, on devinait des mèches de cheveux noirs en bataille. Le tissu d'un vieux T-shirt délavé et trop large se soulevait faiblement à intervalles réguliers. Son jeans, tout aussi déformé et usé que le T-shirt, demeurait quant à lui immobile. Respirer, manger (quoique sans appétit) et dormir (peu et mal); voilà en quoi avait consisté la vie de Harry Potter depuis qu'il était revenu à Privet Drive, c'est-à-dire depuis maintenant deux semaines.

Harry se souvint vaguement d'être entré au numéro 4, précédé par son oncle, et d'être monté directement dans sa chambre. Il ne se sentait pas d'humeur à affronter un tête à tête avec les Dursley. Sa sécurité dépendait du fait qu'il retourne chaque été chez eux, soit. Mais après tout, rien ne l'obligeait à subir leur compagnie. Il avait donc décidé de s'isoler le plus possible dans sa chambre, ne la quittant qu'au moment des repas.

Ceci convenait très bien aux Dursley. Eux aussi s'étaient tenus à bonne distance de Harry après l'avertissement de certains membres de l'Ordre du Phénix, à la gare de King's Cross. Même à table, ils évitaient de lui adresser la parole. Tante Pétunia se contentait de s'assurer qu'il avait mangé à sa faim avant de le débarrasser de son assiette (comble des attentions).

Toutefois, la solitude ne semblait pas réussir à Harry. Une fois seul face à lui-même dans sa chambre, il avait bien du mal à éloigner de son esprit le visage de Sirius et la voix bizarre du professeur Trelawney récitant la prophétie qui liait son destin à celui de Voldemort, le Seigneur des Ténèbres. Les jours passant, il se refermait de plus en plus sur lui-même. Il n'avait ni envie de parler, ni envie d'écouter. Il ne voulait plus penser à rien et surtout pas à Sirius ni à la prophétie.

Toute réflexion au sujet de son parrain ravivait une souffrance aiguë dans son âme et dans sa chair. Harry était pourtant habitué à la douleur. Sa cicatrice en forme d'éclair ne lui avait pas laissé beaucoup de répit l'année passée. Des picotements aigus se faisaient sentir pratiquement en permanence depuis le retour de Voldemort et les récents événements ne laissaient présager aucune amélioration.

Mais le souvenir de Sirius, le faisait souffrir d'une manière bien plus terrible. Harry ne supportait plus de repenser aux circonstances tragiques de sa disparition. Il ne pouvait accepter l'idée d'en être en partie responsable. Peu lui importait ce que Dumbledore lui avait dit à ce sujet. Peu importait que le vieil homme se soit désigné comme seul coupable à blâmer. Harry était convaincu que cette mort aurait pu être évitée cent fois, que les événements n'auraient pas dû se produire de cette manière, et tout cela lui était intolérable.

Quant à la prophétie, celle-ci faisait naître des sentiments mêlés et confus dans le cœur d'Harry. Il pressentait qu'il devrait bientôt faire un choix, un choix terrible : tuer ou être tué. Il ne se sentait pas prêt à prendre une telle décision. Et d'ailleurs, avait-il vraiment le choix ? Harry savait que bien des vies humaines, des vies innocentes dont celles de ses amis dépendaient de lui. Il était au moins sûr d'une chose : il ne supporterait pas de perdre un autre de ses proches. Alors, surgissaient d'autres questions. Serait-il un jour assez puissant pour espérer vaincre Voldemort ? Le mage noir lui laisserait-il le temps de le devenir ? Et quand la confrontation finale viendrait, trouverait-il en lui suffisamment de détermination pour tuer son ennemi ? Le Voldemort ressuscité était-il susceptible de mourir ? Et éliminer Voldemort pour de bon, ferait-il de lui, Harry Potter, un assassin, un être aussi méprisable que le Seigneur des Ténèbres ? Serait-il un jour à nouveau en paix avec lui-même ?

Ces questions se bousculaient dans sa tête sans qu'il ne soit capable d'y fournir un début de réponse. C'est pourquoi, Harry s'appliqua à retarder le plus possible le moment où il aurait à y repenser.

Il avait donc laissé flotter son esprit dans le vide, le vide qu'il ressentait dans son cœur. Il avait observé les ombres se dessiner sur les murs de sa chambre et écouté distraitement les sons qui lui parvenaient, sans vraiment chercher à les interpréter. Il était devenu un peu apathique. Le monde extérieur ne l'intéressait plus réellement puisqu'il avait l'étrange impression de ne plus en faire partie.

Harry avait à peine lu les lettres de Ron et Hermione, ses meilleurs amis. Il y avait répondu par quelques banalités, quelques formules toutes faites, leur disant qu'il allait bien et qu'il espérait les voir bientôt.

Hermione lui avait téléphoné quatre jours auparavant, visiblement inquiète de son état. C'était Oncle Vernon qui avait décroché le téléphone. Il était monté personnellement prévenir Harry, le visage exceptionnellement pâle et il avait laissé la porte du salon entr'ouverte pour s'assurer qu'Harry ne se plaindrait pas de sa famille.



Le bruit de perceuse s'arrêta, plongeant la maison dans un calme cotonneux, bientôt troublé par des pas pesants dans le couloir du rez-de-chaussée. Harry leva la tête en direction de son réveil. Il indiquait 12h38. Il était presque l'heure du déjeuner. D'autres pas, encore plus lourds, dévalèrent les marches de l'escalier. A coup sûr, Dudley avait réussi à prendre 5 kilos de plus. Le championnat junior de boxe devait avoir lieu dans trois semaines et le cousin de Harry comptait beaucoup sur son gabarit de sumo pour remporter la victoire. De son côté, Tante Pétunia ne demandait pas mieux que de servir à son fiston « une saine nourriture ».



- « Il me fait tellement plaisir, en mangeant de si bon appétit » avait-elle déclaré, les yeux humides, lors d'un précédant repas. Pétunia semblait avoir conservé de grandes angoisses au sujet de la santé son « Duddlinouchet chéri » depuis l'attaque des détraqueurs.

- « On ne peut pas en dire autant de l'autre » avait rétorqué Oncle Vernon. « Il ressemble vraiment de plus en plus à un attardé, avec son regard vitreux et fatigué » avait-il ajouté, comme si Harry n'était pas présent à leur table.

- « Chhhuuuuuut !!! Vernon !!! », s'était exclamée Tante Pétunia, l'air effrayée. Elle avait ensuite parcouru frénétiquement la pièce du regard pour s'assurer que personne n'avait pu entendre les mots de son époux.

Mais, comme Harry semblait ne rien avoir entendu et ne montrait aucun signe de désaccord ni de rébellion, les Dursley oublièrent peu à peu leurs craintes. Ils n'osaient pas le priver de quoi que ce soit mais, en revanche, ils avaient tendance à redevenir secs et méprisants.

La voix de Tante Pétunia s'éleva du corridor, troublant ainsi le vide de ses pensées.

- « Le dîner est prêt !!! Dépêche-toi si tu veux manger quelque chose ».

Harry se décida à se lever et prit ses lunettes rondes qui étaient posées sur la table de chevet.

Dans la cuisine, Dudley reprenait déjà une deuxième assiette pleine de ragoût. Oncle Vernon exposait à son épouse son point de vue sur les personnes qui étaient récemment venues leur proposer d'acheter un porte-clés en faveur des sans-abri.

- « Des gens qui ne reculent devant rien pour s'introduire chez vous et violer votre vie privée », glapit-il.

- « Sans compter les babioles inutiles et hors de prix qu'ils veulent vous forcer à acheter », renchérit Tante Pétunia.

- « Comme si les clochards voulaient qu'on s'occupe d'eux. Ils ne demandent qu'à boire du tord-boyaux et à dormir dans de vieux cartons sales », conclut Oncle Vernon.

Harry s'assit sans se faire remarquer, se servit machinalement une louche de ragoût et contempla son assiette sans bouger.



Oncle Vernon sembla enfin prendre note de sa présence, puisqu'il se tourna vers lui et lui lança un regard courroucé.

- « Toi, dit-il en le montrant du doigt, tu te dépêches de vider ton assiette. C'est déjà bien charitable à ta tante et moi de t'épargner l'orphelinat, alors il ne faudrait pas faire la fine bouche ».

- « Et puis, après le dîner, tu iras faire un tour dehors », ajouta Tante Pétunia. « Ton oncle a besoin d'avoir le champ libre dans la seconde chambre de Dudley. Tu verras mon chéri, tu vas avoir un vrai bureau de PDG », susurra-t-elle à son fils.

Dudley émit une sorte de grognement dubitatif. Les yeux de Harry se posèrent sur l'énorme salopette de l'Oncle Vernon.

- « Toi, ne me regardes pas comme ça », menaça-t-il. « De toute façon, tu n'es jamais là et dans 2 semaines maximum, les tarés de ton espèce viendront probablement te chercher, comme à leur habitude. Dudley a besoin d'un bureau où il pourra étudier à son aise », déclara-t-il d'un ton qui signifiait que la conversation était close.

Oncle Vernon s'adressa ensuite à Dudley.

- « Quand tu auras l'estomac bien rempli (Harry se demanda si cela arriverait un jour), je te montrerai comment bricole un homme, fiston. Et puis, ça va faire gonfler tes muscles pour le championnat. Je te vois d'ici brandir la coupe du vainqueur ».

Harry avait plus ou moins deviné la cause de cette nouvelle lubie à propos de bureau. Dudley semblait avoir eu pas mal d'ennuis. Non seulement ses résultats scolaires étaient très en dessous de la moyenne, mais en plus, certaines personnes du quartier étaient venues menacer les Dursley de porter plainte contre leur fils si celui-ci s'avisait encore de toucher ou d'effrayer leurs enfants. Mr et Mrs Dursley, aveugles comme à l'accoutumée, avaient mis la violence et les délits de leur rejeton sur le dos de ses fréquentations.

- « Je le savais qu'on n'aurait jamais dû le laisser en compagnie du jeune Polkiss. Il a une tête de fourbe comme son père », avait dit un soir, Oncle Vernon.

- « Il aura réussi à entraîner notre Duddy chéri dans ses combines. Pauvre ange, il est encore si timide et influençable à son âge. Il aura eu peur de perdre tous ses amis, s'il ne les suivait pas », l'avait excusé Tante Pétunia.

Néanmoins, concernant les résultats scolaires de Dudley, ils furent obligés d'admettre que leur fils adoré n'avait pu passer assez de temps à étudier, compte tenu du nombre d'après-midi et de soirées où il avait traîné dans la rue. Les Dursley avaient donc décidé d'offrir à Dudley un bureau tout neuf et équipé du matériel professionnel dernier cri. Ils espéraient ainsi le voir redoubler d'efforts. C'est ainsi que depuis plusieurs jours déjà, Oncle Vernon sciait, ponçait et perçait des planches de chêne massif dans le garage. Il avait pris des jours de congés expressément pour cela. A moins que ce soit pour mieux surveiller le téléphone.

Harry se força à avaler son assiette de ragoût. Tante Pétunia avait encore eu la main lourde avec le sel. Dudley quant à lui, ne semblait pas s'en soucier. Harry le vit se resservir pour la troisième fois.

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Quelques instants plus tard, Harry sortit de la maison. Il hésita un moment, puis se dirigea vers l'aire de jeux. Une triste grisaille assombrissait le ciel au-dessus de lui et une brise légère lui ébouriffait les cheveux. Il trouva l'aire de jeux déserte. Les enfants qui en général l'occupaient bruyamment, étaient tous encore à table. Pendant une bonne partie de l'après-midi, Harry contempla les arbres, le mouvement des feuilles et les remous de l'eau de la fontaine. Puis, voyant que le ciel s'obscurcissait davantage et qu'une averse se préparait, il se leva pour rentrer chez les Dursley.

L'esprit ailleurs, il ne prêta pas attention au jeune Mark Evans qui l'observait avec intérêt avant de détaler à son approche. Il ne remarqua pas non plus qu'une silhouette le suivait dans la rue.

- « Bonjour mon garçon ! dit une voix familière.

Harry sursauta et en se retournant, il vit qu'une vieille dame se tenait derrière lui. Elle portait une robe à fleurs et un gilet mal assortis. Elle avait visiblement encore oublié de troquer ses vieilles pantoufles contre une paire de chaussures avant de sortir de chez elle. Un chat trottait à côté d'elle et reniflait avidement son filet à provisions.

- « Bonjour Mrs Figg », répondit Harry, l'air absent.

Mrs Figg s'approcha de lui et leva la tête pour mieux l'observer. Les yeux du jeune homme étaient creusés par des nuits de mauvais sommeil et il lui parut encore plus maigre que l'année précédente.

- « Hum… Ca n'a pas l'air d'aller, tu as une petite mine », dit-elle. « Accompagne moi à la maison, j'ai préparé un cake pour le goûter ». Harry la suivit, sans se demander s'il en avait envie ou pas.

Sur le chemin de la maison de Mrs Figg, les personnes qu'ils croisaient les regardaient d'un air bizarre avant de changer de trottoir ou de rentrer précipitamment chez eux. Mrs Figg sembla ne pas les voir. De fines gouttes de pluie commençaient à tomber. Elle trottina jusqu'au pas de sa porte et fit entrer Harry après avoir jeté un coup d'œil derrière eux.

Assis dans le salon de Mrs Figg, Harry regarda autour de lui. Les nombreux chats de la vieille dame se pelotonnaient sur des coussins ou des guéridons recouverts de napperons brodés. La pièce ne comportait aucun objet magique. Le seul indice de l'appartenance de Mrs Figg au monde des sorciers était un vase rose posé sur le manteau de la cheminée et rempli de poudre de cheminette qui devait passer pour une sorte de vulgaire sable, de poussière ou de cendres aux yeux des moldus. Une délicieuse odeur de gâteau entrecoupée de relents de chou bouilli flottait dans l'air. Le mélange était plutôt écœurant.



Mrs Figg entra dans la pièce, l'air satisfaite, portant un plateau chargé de thé et d'un énorme cake aux pommes.

- « Mange, mon garçon », dit-elle en lui servant une grosse part de cake. « J'espère que cela te plaira, je ne t'ai jamais demandé ce que tu préfères en matière de cuisine ».

- « En revanche, je parierais que vous adorez le chou », répondit Harry d'une voix monocorde.

- « Le chou ? », s'interrogea Mrs Figg. « Ho ! J'y suis, tu dis cela à cause de l'odeur ? J'espère qu'elle n'est pas trop forte. L'as-tu détectée avant d'entrer dans la maison ? » s'enquit-elle, soucieuse.

- « Non », répondit-il en se demandant pourquoi elle s'inquiétait tout-à-coup de l'odeur de sa maison.

- « Tant mieux » dit Mrs Figg, soulagée. « Tu comprends, depuis ton audience au Tribunal des Sorciers, le ministère s'est beaucoup intéressé aux cracmols, et à moi en particulier. Ils m'ont posé plein de questions sur ce que je savais faire au juste en magie, pour mieux me l'interdire et me surveiller ensuite. Fudge tient absolument à contrôler toutes les activités magiques. Il veut faire croire qu'en répertoriant les cracmols, le ministère repérera plus facilement les activités magiques illicites et les mouvements des mangemorts. C'est une aberration bien entendu », déclara Mrs Figg en remuant son thé avec sa petite cuillère pour faire fondre le sucre. « Comme je te l'ai déjà dit l'année dernière, je ne suis malheureusement pas très douée en magie. Mais j'avais l'habitude de me préparer une potion dérhumatisante, pour mes douleurs lombaires. Elle n'est pas trop compliquée à réaliser et je ne peux plus m'en passer sous peine d'être bloquée dans mon divan pour une semaine, chaque fois que je vais faire mes courses. Alors, je continue à la préparer en cachette. Mais l'inconvénient, c'est qu'elle dégage une forte odeur de chou », expliqua la vieille dame. « J'ai déjà eu un avertissement du ministère. Ils ont peur que je ne me fasse remarquer par les moldus. Et je dois admettre que depuis quelques mois, les gens du quartier se comportent de façon étrange avec moi. On dirait qu'ils m'évitent », dit tristement Mrs Figg.

- « Je pense que l'odeur de votre cake couvre assez bien celle du chou », dit Harry pour la rassurer. Son regard fut alors attiré par une brochure insolite qui était rangée avec des revues de tricot. Elle était intitulée 'Prévention et autodéfense contre les mages noirs' et dans le bas de la couverture, était écrit 'Le Ministère vous informe et vous protège'. « Le ministère vous a envoyé une brochure ? », demanda Harry.

- « Ho non, Fudge a décidé que les cracmols ne devaient pas être impliqués dans la résistance contre « Tu-Sais-Qui ». Dumbledore s'est fâché quand il a découvert que je n'avais rien reçu. C'est lui qui m'en a fait parvenir un exemplaire. Enfin… Tu sais, de toute façon, en cas d'attaque cela ne changera pas grand chose. Mais j'y pense… Tu veux sans doute connaître les dernières nouvelles de notre monde », demanda Mrs Figg, comme si la réponse allait de soi. « Et bien que dire… Fudge s'est finalement décidé à prendre des mesures pour contrer « Tu-Sais-Qui ». Il recrute sans arrêt de nouveaux aurors. Certains ont été affectés à au gardiennage d'Azkaban, d'autres patrouillent dans les endroits forts fréquentés ou perquisitionnent le domiciles des personnes qu'ils soupçonnent. Je me demande où ils ont trouvé si rapidement tous ces sorciers qualifiés pour ce travail. Mais même ainsi, le Ministre a beaucoup de mal à maintenir le calme parmi notre communauté. La semaine passée, il a dû faire évacuer Gringott. C'était la panique. Les gens venaient tous vider leur compte pour acheter autant de provisions que possible. Ils craignent une pénurie, tu vois. »

Harry écouta ainsi Mrs Figg lui parler, comme si elle avait été privée de compagnie depuis des mois.

« Dumbledore les a rassurés de son mieux, mais de son côté Fudge enrage de voir que son soi-disant rival ait retrouvé tant d'influence sur notre monde », continua-t-elle. « Il est plus parano que jamais. Il tient à être au courant des faits et gestes de chaque personne dans tous les départements du ministère, dans toutes les institutions, à Ste Mangouste comme à Poudlard. Bien sûr, il ne fera plus rien pour contrarier les plans de Dumbledore. Il a trop peur de perdre sa place maintenant. Et puis, il semble avoir compris qu'en tant que Ministre de la Magie, il sera une cible de choix pour « Tu-Sais-Qui ». Il traite donc Dumbledore avec plus de courtoisie. Il espère ainsi mériter sa protection. »

- « Et … Heu… Voldemort ? », interrompit soudain Harry, une lueur de crainte mêlée de haine avait remplacé le vide de son regard.

Mrs Figg frissonna, but quelques gorgées de thé pour se réchauffer et prit son chat préféré sur ses genoux.

- « Ho, il n'a pas encore mené d'actions importantes pour le moment. Dumbledore pense qu'il est en train de reconstituer ses troupes de mangemorts, mais rien ne le prouve. La Gazette du Sorcier a bien rapporté quelques activités suspectes ici et là à l'étranger, mais rien de sérieux depuis leur effraction au Ministère. »

La vieille dame se tut soudain, se rendant probablement compte des pénibles souvenirs que ses mots avaient dû éveiller chez son interlocuteur. Un lourd silence s'installa entre eux, seulement rompu par les ronronnements du chat qui se trouvait sur les genoux de Mrs Figg.

- « Encore une tasse de thé ? », demanda-t-elle pour changer de sujet.

Harry secoua la tête négativement.

- « Non, merci », dit-il. Sa voix avait retrouvé un ton monocorde. « Je pense que je vais rentrer maintenant. »

Il prit congé de Mrs Figg et se dirigea vers la maison des Dursley.

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Dehors, la pluie avait cessé. Les timides rayons du soleil couchant faisaient reluire la chaussée humide.

Sur le chemin du retour, Harry croisa Dudley qui avait laissé son père 'bricoler comme un homme' tout seul, pour se livrer à son nouveau passe-temps. Il avait fait installer une mini caméra sur l'une de ses voitures téléguidées, de manière à pouvoir observer les gens à distance. Quand Harry passa à sa hauteur, sur le trottoir d'en face, son cousin fixait l'écran de sa télécommande avec grand intérêt, les yeux écarquillés et le visage défiguré par un étrange rictus. Harry vit que la petite auto était stationnée quelques mètres plus loin et dissimulée sous une haie, à la hauteur de deux jeunes filles en grande conversation. Toutes les deux portaient des mini-jupes et des petits débardeurs laissant voir leur nombril que l'une d'elles venait de faire percer.

Harry soupira. D'un côté, il ne se sentait pas vraiment concerné par les bêtises de son cousin. D'autant plus que depuis l'épisode des détraqueurs, celui-ci ne lui avait plus adressé la parole. Il s'était contenté de poursuivre ses activités de jeune délinquant avec sa bande, du moins jusqu'au jour où des voisins en colère étaient venus protester chez ses parents.

Mais de l'autre côté, pensa Harry, s'il intervenait et s'il empêchait Dudley de jouer les voyeurs, peut-être que le visage de Sirius cesserait de le hanter pendant un moment.

Harry traversa la rue sans savoir exactement ce qu'il allait faire. Arrivé derrière Dudley, il s'arrêta et vit par-dessus son épaule, les longues jambes hâlées que montrait son écran. Elles s'élevaient vers ce qui semblait être une culotte de fille. Dudley, absorbé par son écran, n'avait toujours pas remarqué sa présence. Comme il lui tournait le dos, Harry ne pouvait plus voir l'étrange rictus sur son visage porcin. Il était toutefois persuadé que si Dudley continuait à fixer l'écran, celui-ci serait bientôt souillé de bave.

- « Alors, on se documente sur les filles ? », demanda soudain Harry d'une voix froide. Son cousin fit volte face et put se rendre compte de l'expression écœurée qu'Harry lui adressait.

- « Du vent, l'attardé », répondit Dudley d'un ton qui se voulait détaché. Il n'avait manifestement pas envie d'entamer une discussion avec Harry. Mais ce dernier ne bougea pas. Dudley se tourna à nouveau vers son écran, bien décidé à l'ignorer.

- « Veux-tu que j'aille leur demander si elles sont d'accord de faire ta connaissance ? Ainsi, tu pourrais les regarder sous un autre angle », proposa Harry, moqueur mais toujours aussi froid.

- « Laisse-moi, je t'ai dit », grogna son cousin. « De toute façon, je parie que tu n'y connais rien aux filles. »

- « Qu'est-ce que tu en sais ? », répliqua Harry, en haussant les épaules. Il regrettait que Dudley n'ait pu le voir en compagnie de Cho Chang, l'année passée. Cho était certainement l'une des plus belles filles de Poudlard.

- « D'ailleurs, celles de ton espèce ne comptent pas », poursuivit Dudley, comme s'il avait lu dans ses pensées. « Tout le monde sait qu'elles sont hideuses, ces filles-là, avec des verrues plein la figure, le nez crochu, le dos bossu et les jambes arquées. Quand elles n'ont pas une allure de vieille folle comme ta Mrs Figg. »

- « C'est toi qui est allé colporter des horreurs sur Mrs Figg ? », interrogea Harry, se rappelant du comportement inhabituel des gens envers la vieille dame.

- « Ho, il se peut que j'en ai discuté avec maman à l'occasion », répondit-il, fixant toujours l'écran de sa télécommande. Harry savait que Tante Pétunia n'était jamais aussi heureuse que lorsqu'elle avait l'occasion de casser du sucre sur le dos d'une personne du quartier. Cela pimentait ses réceptions lorsqu'elle invitait des voisines à prendre le thé.

« Enfin, pour en revenir aux filles de ton genre, maintenant je comprends mieux pourquoi ton père a choisi ta mère », reprit-il, satisfait de sa répartie.

- « Laisse mes parents en dehors de ça », prévint Harry, les mâchoires et les poings serrés.

- « C'est toi qui es venu me déranger », dit Dudley. Il se détourna de son écran et observa Harry quelques secondes. Son visage afficha alors une mine triomphante. « Et puis, que feras-tu pour m'empêcher de parler? Tu n'as même pas ton sale truc pour te défendre », lança-t-il.

Dudley avait raison. Harry n'avait pas pris la précaution d'emporter sa baguette avec lui. En fait, il l'avait rangée dans sa malle à son arrivée à Privet Drive et il n'en avait plus rien sorti depuis, excepté quelques vêtements. Il valait mieux éviter d'y toucher puisqu'il ne pouvait l'utiliser en dehors de Poudlard. Et puis, si la magie était incapable de lui ramener son parrain, une partie de lui n'était plus très sûre de vouloir en faire. Une partie de lui se moquait bien de prendre des risques en sortant sans sa baguette. Après tout, s'il était tué, il retrouverait peut-être les personnes qu'il aimait le plus au monde. Peut-être même était-ce sa destinée puisque de Voldemort ou lui, l'un des deux devait disparaître.



Son cousin le regarda d'un air mauvais. Il était coincé et Dudley le savait. Harry recula.

- « Tu fais moins le fier, maintenant, hein ? », dit Dudley en savourant la situation. Que dirais-tu si nous reprenions notre petite discussion de l'année dernière ? Tu tenais tellement à ce que je te cogne. C'est l'occasion de voir ce que tu vaux comme boxeur. Pas grand chose, sûrement. Il paraît que ton père était un freluquet aussi chétif que toi. Pas étonnant qu'il se soit fait étaler par ce psychopathe. Il n'a même pas été capable de protéger sa famille. A mon avis, il… »

Dudley n'eut pas le temps de terminer. Il vit Harry s'élancer sur lui, les yeux plein de haine. Mais au moment où il allait lui porter un coup, Harry poussa un cri perçant et s'effondra sur le sol, les mains plaquées sur son front.

A demi aveuglé par la douleur, il vit son cousin s'enfuir en direction de la maison, puis tout devint noir. Il avait perdu connaissance.