Bienvenue chez les Anges

Le médecin sortit de la chambre d'hôpital suivis de plusieurs infirmières.

- Je suis désolé, dit-il à la jeune femme qui attendait dans le couloir. Il n'a pas survécu à ses blessures, toutes mes condoléances. Vous pouvez aller le voir une dernière fois avant qu'on ne l'emmène.

Riza hocha la tête d'un air hagard et entra lentement dans la pièce. Sur le lit, reposait le corps désormais sans vie de son supérieur. Le drap de coton blanc n'était remonté que jusqu'à sa taille livrant à la vue de tous, les plaies et les traces de sang partiellement nettoyés. La vue de son supérieur dans cet état, pâle et couvert de sang aurait dû la choquer mais elle avait vu tellement de cadavres depuis qu'elle travaillait sous ses ordres qu'un de plus ou de moins… Enfin c'est ce qu'elle se répétait en boucle depuis le moment où il était entré au bloc opératoire avec une infime malchance pour qu'il n'en ressorte jamais. Elle s'approcha et effectua son salut malgré l'indifférence totale du colonel. Il avait toujours été indifférent avec elle de toute façon... A part ce fameux soir.

La guerre avait éclaté à l'Est, une répétition de la guerre d'Ishbal qui sera nommée dans le futur la guerre de Lior, quartier général des rebelles. L'équipe du colonel Mustang venait d'arriver sur les lieux en renfort. Première journée sur le front, l'horreur, le sang et quelques morts. La fin du jour arriva enfin, une journée au front c'est épuisant et la nuit venue il faut bien trouver où dormir entre les tentes-hôpital et celles des officiers. Plus grâce à son influence qu'à son grade, le colonel avait réussi à trouver une petite place dans une tente commune pour ses subordonnés.

Les hommes du colonel étaient sommairement installés parmi les autres soldats. De simples paillasses étaient alignés le long d'une allée centrale et tandis que certains s'y étaient allongés tirant à eux ici une vielle couverture, là une veste militaire ; les autres jouaient aux cartes ou aux dés pour tromper la peur, la solitude et l'attente de l'aube et de la reprise des combats. Des cinq hommes qui composaient l'équipe du colonel aucun ne trouvaient le sommeil ; ils savaient tous que le colonel avait été envoyé sur le front pour que ses supérieurs puissent le supprimer discrètement et eux, fidèles hommes, le suivait loyalement dans la tombe jusqu'enfer. Même s'ils étaient tous morts de peur et parfaitement conscients de n'avoir que peu de chances de réchapper de cette guerre, ils n'auraient laissé leur place à personne et pour rien au monde parce qu'ils savaient tous pourquoi se battait leur supérieur. Parce qu'ils savaient tous que c'était une bonne cause. Une cause pour laquelle on pouvait donner sa vie.

Soudain les tentures de l'entrée de la tente s'écartèrent brusquement, révélant le colonel Mustang. Il s'avança parmi les jeunes soldats, chair à canon de l'armée, rejoignit les paillasses de ses hommes et s'assit sur celle de son premier lieutenant. Ses hommes s'étaient levés mais Riza n'eut pas le temps de rejeter sa couverture qu'il attrapa doucement son visage et l'embrassa voluptueusement sous les yeux du régiment.

- J'ai toujours rêvé de faire ça depuis que vous êtes sous mes ordres, avec votre visage sévère et vos remontrances.

Il se tourna ensuite vers le reste de son équipe et parla haut sans faire attention aux autres soldats qui pourraient les écouter sous la tente immense.

- Je me doute que la raison pour laquelle je me retrouve au front ne vous est pas inconnue. Si je suis ici c'est parce que l'armée manque de renfort et accessoirement parce que je gêne… Mais vous… Fuery ! Lança-t-il soudain.

- A vos ordres !

- Que vont devenir les petits chiens errants de Central sans vous ?

Les quatre autres eurent un sourire triste devant la pointe d'humour. Fuery, lui, courba l'échine alors il poursuivit :

- Havok ! N'avez-vous pas une nouvelle petite amie que vous avez laissé à Central ? Riza que va devenir Black Hayate ? Breda ! Avec qui le commandant Armstrong va-t-il bien pouvoir organiser ses concours de gros bras ? Et vous Falman ! Que vont devenir les éditeurs de dictionnaires sans votre aide ?

Nouveau sourire parmi l'assemblée mais pas d'éclats car s'ils avaient saisi l'ironie, Mustang venait de bien leur faire comprendre qu'ils allaient tous mourir s'ils persistaient à vouloir le suivre jusqu'au bout.

- Je ne vous donne pas l'ordre mais le droit de vous en aller, poursuivit-il.

Le silence se fit plus pesant encore et plus long aussi, chacun imaginait en pensée ce que cette chance de seconde vie pourrait leur apporter. Mustang était tout à fait capable de les faire radier de l'armée pour leur éviter la cour martiale pour désertion. Puis Falman prit la parole.

- Colonel, je crois parler au nom de tous en vous répondant : c'est hors de question.

Les autres hochèrent la tête et Falman continua sur sa lancée.

- Nous avons passé notre vie sous vos ordres, à vos côtés, à vous protéger. Nous ne savons rien faire d'autre et ne voulons rien faire d'autre.

Roy soupira. Qu'est-ce qu'il les aimait tous les cinq, ses fidèles hommes, les piliers de sa réussite, les panneaux indicateurs qui les avaient menés malgré eux vers cette fin tragique. Il leur devait tant, il devrait leur ordonner de partir mais il n'en avait pas la force.

- Même vous Lieutenant ? Demanda-t-il.

- Surtout moi colonel, répondit-elle dans un sourire.

- Bon, ben alors au lit, demain on se lève tôt.

- Vous dormez avec nous mon colonel ? S'étonna un jeune soldat en voyant un gradé s'allonger à même le sol parmi ses subordonnés.

- Comment t'appelles-tu ?

- Soldat Smith, à vos ordres !

- Sais-tu que tu vas sûrement mourir demain ?

- Oui, mon colonel.

- Et bien moi aussi je vais sûrement mourir et je n'ai pas envie de passer ma dernière nuit avec des gros bonnets. Je préfère largement être ici avec vous.

Le silence se fit à nouveau sous la tente, tous avaient les yeux fixés discrètement sur ce gradé qui préférait dormir dans la boue plutôt que de manger des langoustes à une bonne table. Et tout ça pourquoi ? Pour ses hommes.

- Colonel ! S'exclama Smith.

- Oui ? Demanda-t-il d'une voix déjà ensommeillée.

- Je veux pas mourir. Prenez-moi sous votre commandement.

- Qui est votre supérieur ?

- Il se fait appeler l'alchimiste écarlate.

- Vous êtes mal tombés, mes pauvres. Je verrais ce que je peux faire pour vous… si je survie, ne pût-il s'empêcher d'ajouter.

Il se tourna ensuite sur le côté, terminant la conversation. Peu à peu les lampes s'éteignirent sous le dortoir de tissus. Mais Roy distinguait quand même les contours du visage de son premier lieutenant qui lui faisait face, les yeux grands ouverts dans le noir. Malgré la guerre ambiante, elle lui souriait et il lui répondit. Il ne savait pas trop s'il devait appliquer son fameux carpe diem, qu'il venait d'exposer et de défendre avec tant de vigueur, sur ses sentiments pour elle et il ne savait pas non plus si elle considérait son baiser de tout à l'heure comme une simple fantaisie pour détendre l'atmosphère ou comme une véritable déclaration. Au moment où il allait prendre la décision de laisser tomber elle se tourna de l'autre côté. Le cœur de Roy bondit de joie dans sa poitrine car il connaissait assez bien Riza Hawkeye pour savoir qu'elle ne lui tournait pas le dos malgré les apparences mais qu'elle s'offrait à lui en lui accordant l'immense privilège d'assurer ses arrières. Dans le métier qu'ils faisaient on ne confiait pas ce genre de missions à n'importe qui et Roy était heureux qu'elle l'ai choisie. Il se rapprocha doucement dans l'obscurité, passa son bras autour de son ventre dans un geste protecteur et rassurant et colla son visage dans son cou respirant le parfum naturel de sa peau et de ses cheveux. C'était un moment unique et il regrettait de ne pas pouvoir le vivre chez lui en temps de paix. Il regrettait aussi que ce soit le dernier.

Le lendemain ils étaient envoyés à la boucherie et quelques jours plus tard Roy croisa l'Ecarlate en pleine crise de folie sur un champ de bataille et tenta de l'arrêter. Voilà ce que ça donnait : il se retrouvait à mort, à moitié explosé et elle se retrouvait seule au monde… non pas complètement seule. Havok, Falman, Fuery et Breda entrèrent à leur tour dans la pièce. Havok prit Riza contre son cœur, Fuery se blottit contre elle et Falman lui pressa simplement l'épaule tandis que Breda recouvrait le visage blanc du colonel que l'on emmenait. Ce soir ils iraient boire ensemble pour fêter l'entrée parmi les anges du colonel Roy Mustang.