Il est mort. Il est mort. Il est mort. Juste mort. Plus de lui. Plus sa voix. Plus ses mots. Plus sa tendresse. Plus son rire. Sourires sucrés et éclats de vie en pochette surprise. Plus d'cet espoir infini et puis juste l'amour d'la vie. Plus d'cette âme lumineuse, passions au coin des lèvres. Les yeux pétillants. Cheveux en bataille qui danse au son de Der Letzte Tag. Plus d'lui. Plus d'Andréas.

Ça fait maintenant trois jours que j'ai appris sa mort, et j'crois que je n'ai pas encore vraiment réalisé que c'était fini. Vous savez la mort c'est vraiment quelque chose d'effrayant. Qui m'effraie, moi. J'ai juste son souvenir, le souvenir de son odeur d'amoureux du monde et ses cascades de rires qui m'évadaient quand rien n'allait. Mais après avoir vécu toutes ces choses ensemble, j'me rend compte qu'il n'y a plus rien. Juste une pensée, deux, parce que Bill y pense aussi. Juste ça au fond d'nos cœurs et ça ne vaut pas grand chose quand on y pense vraiment.

Andréas c'est un rayon d'pluie qui porte la vie dans son regard. Enfin, c'était. J'ai beau savoir qu'il n'est plus ici, pour moi c'n'est pas qu'un souvenir. Il bat tellement fort dans nos cœurs qu'il ne sera jamais vraiment mort. Mais voilà. J'me retrouve seul.

Dire ça j'trouve ça abominable parce que Bill est là et c'est un peu le trahir que de penser une chose pareille. Pourtant j'suis tellement paumé que je n'arrive pas à penser à l'endroit. Il est là pourtant, mais ça n'marche pas. Il essai de me porter mais j'crois qu'il est trop lumineux pour mes idées noires et il se brûle avec mon désespoir.

OoO

Je suis allongé sur mon lit dans un chambre d'hotel de luxe. Un luxe dont je ne jouis plus vraiment.

Encore une journée vide, à n'rien faire, juste à penser à lui et à me morfondre. À souffrir. À regarder ce couteau qui n'attend que mon bras.

« Tom…? »

Et c'est encore lui, encore Bill. Je déteste l'entendre comme ça, gémissant, implorant, parce que je sais que je vais lui répondre trop brusquement, trop sèchement. Et pourtant je l'aime, Bill… Mais… Je n'sais plus vraiment où j'en suis.

« Tom, réponds, je sais qu't'es là.

- Vas t'en.

- Tom, arrête. Ouvre.

- Laissez tomber Bill, j'suis très bien ici. »

Et il tourne les talons. Encore une fois. Il me laisse ici et j'm'en veux une nouvelle fois de l'abandonner. De lui causer du soucis alors qu'il est tout aussi marqué que moi par la mort d'Andréas.

« Komm und rette mich Bill… »

Et le couteau sur ma peau. Froid. Répugnant. Et s'enfonce. Progressivement, en douceur. Mais comment parler de douceur alors que je m'apprête à me charcuter le bras ?

Toujours est-il que je n'ai pas résisté longtemps. J'avais toujours dis que je ne ferais jamais une telle chose. Que c'était inutile. Douloureux et inutile. Mais justement. Heureusement, c'est douloureux. J'ai la peur qui me tiraille le ventre et ma casquette enfoncée sur ma tête me pèsent de plus en plus. Comme si le monde s'abattait un peu plus sur mes épaules. L'apesanteur s'intensifie, ma parole.

La lame froide est devenue brûlante. C'est assez bizarre, cette sensation. Et puis mon cœur bat de plus en plus fort. Peut être pour que mon sang sorte un peu plus vite.

« Komm und rette mich,

Ich verbrenne innerlich,

Komm und rette mich,

Ich schaffs nicht ohne dich »

J'me sens ridicule, étendu sur mon lit, à chanter ces paroles que Bill fait vivre, et que j'suis juste capable de massacrer. J'me sens pathétique et ça intensifie mon geste. Je m'acharne sur mon bras.

Liquide poisseux sur mon poignet. Immonde et délectable, et mes pensées me font si peur que j'enfonce encore, encore la lame, pour oublier, avoir mal, oublier la douleur d'mon cœur. Mais ça m'explose encore plus l'âme que de prendre conscience de mon acte. Pourtant j'continu, peut être pour me dégoûter encore un peu, un peu plus, à travers un plaisir écœurant au milieu de mes sens en vrac.

J'ai troqué ma guitare contre une lame chauffée à blanc.

Tout tourne. Trop d'images qui zigzagent dans mon parallélisme hallucinatoire. J'délire au passé composé et découpe mes photos déformées. J'suis en train de m'enfoncer dans je ne sais trop quel néant et ça me plait de plus en plus. J'me défonce juste à la souffrance. L'amour de la mort j'trouve ça vraiment pas humain. Alors j'suis peut être pas humain. J'ai peut être juste envie de le rejoindre. Mais, y'a Bill. J'vais le perdre. J'le perdrai si j'meurs.

Mais c'est juste une illusion, je n'ai pas assez déchiré ma peau, pourtant noire de sang. Juste des écorchures superficielles et trop peu de sang perdu. Juste un rêve torturé ou un cauchemar un peu trop doucereux. Andréas n'est pas là et je n'vais pas encore le retrouver. La mort… Quelle connerie.

Et je reste ici, le bras dans le vide à compter les secondes en même temps que les gouttes,. Tic tac, tic tac, et je me vide de cette vie comme de mes souffrances trop à vif. Les minutes, et les éternités. Je n'sais plus trop compter. J'attend ma mort qui n'viendra pas et de toute façon, j'crois que plus rien ne m'importe.

« Tom ? »

Encore Bill. Encore et toujours, et à jamais Bill.

« On a une répétition… tu viens, ou pas ?

- Une autre fois.

- Tom…

- Une autre fois j'te dis.

- Tom mais bouge toi bon Dieu !

- Qu'il aille se faire foutre, Dieu. »

Je me trouve exécrable. Pourquoi est c'qu'il revient à la charge ? Juste pour se faire taper sur les doigts ? Pour s'en prendre plein la figure et sûrement souffrir un peu plus ?

Petits bruits indistincts. Cliquetis. Il essai d'ouvrir la porte. Merde, s'il me voit comme ça ce sera terrible. J'veux pas qu'il voit ça. Surtout pas.

« Non, Bill, entre pas.

- Qu'est c'que tu fout ?

- J'suis pas présentable.

- C'est bon, on a vécu neuf mois dans le même ventre, et ce sera pas la première fois que j'te verrai nu. »

C'était vraiment pas une bonne excuse de ma part. J'suis débile quand j'm'y met.

« Entre pas, point barre.

- J'm'inquiète Tom.

- Tu devrais pas, y'a aucun problème.

- Arrête, j'ai mal moi aussi, j'sais que t'es pas bien. Laisse moi entrer.

- Non. »

Non, non, non, non, et non Bill. Jamais j'te laisserai me voir comme ça, jamais. Je me lève, chancelant, la tête qui tourne et les idées pas vraiment claires, un peu comme quand j'buvais trop, un peu comme quand j'allais bien et que j'faisais la fête. Avant, quand Andréas vivait et riait avec nous. Quand j'me tuais pas à coups de couteaux dans l'bras. Quand j'étouffais pas à coups de larmes à l'âme.

Je change rapidement de vêtements, et sans trop réfléchir je pose mon peignoir sur la tâche écarlate qui s'étale sur le sol. Je dois être livide. Mais tant pis.

« Bon, entre. »

Il ouvre la porte et me regarde, un peu désarçonné par mon allure chétive. J'pense que mon frère n'm'a jamais imaginé aussi faible. Et ça lui fait un sacré choc.

« Allez, on y va. »

Il fait comme si ça lui était égal, je n'sais pas trop pourquoi, mais dans sa voix j'ai entendu comme un soulagement.

« J'voudrais prendre une douche avant. J'ai le droit ?

- Fais c'que tu veux tant qu'tu fermes pas la porte à clé. J'veux être sûr que tu ne vas pas te défiler. »

Je hausse les épaules d'un air qui se veut désinvolte. Mais je suis mort de trouille qu'il découvre la tâche par terre ou qu'il voit que du sang coule le long de ma main. Il soupire, l'air attristé. Je le déçois je crois. J'en suis même sûr. Et c'est une des pires choses dans cette histoire.

« Dépêche toi.

- Oui, t'inquiète. »

Je suis allé prendre ma douche en vitesse, en prenant bien soin de nettoyer mes plaies et d'enfermer mon bras dans un bandage propre. C'est paradoxal de prendre autant soin de moi juste après m'être torturé pendant près d'une heure. Mais peut être que je fais ça pour Bill. Pour qu'il m'aime encore, ne serait-ce qu'un peu.

« Tom !

- J'arrive, c'est bon ! »

J'descend les marches quatre par quatre et arrive devant mon frère, le front coupé d'un pli d'inquiétude.

« T'en as mis du temps. Depuis quand tu prends soin d'ton corps comme moi ?

- Depuis qu'Andréas est mort. »

Ce genre de phrase qui met un froid immédiat entre nous deux. J'entre dans la voiture et Bill me lance un regard entre frustration et amour. C't'amour qu'il me porte et qu'il n'arrive pas à m'exprimer, à l'instant, alors que j'en ai plus que besoin. Amour dont lui à besoin, mais que je ne suis pas capable de lui donner. On tourne en rond et moi j'enfonce un peu plus de clou. Je n'suis qu'un minable.

La voiture roule et nous consevrons le silence le plus complet. Aucune parole, aucune remarque, aucun regard, même. Silence de mort. Je m'enfonce dans les idées qui s'assombrissent un peu plus chaque jour, histoire de continuer ma chute vers le néant.

OoO

« Allez on recommence…

- Non c'est bon, laissez tomber j'y arriverai pas.

- Tom… Ca va pas, hein ?

- Non.

- Allez, rentre à l'hôtel. T'as meilleur temps.

- Ouais… »

Mais ça, c'était comme me pousser à m'charcuter. C'était comme me hurler à la figure d'aller m'faire du mal et d'vider mon sang un peu trop impure. C'était m'inciter à m'saouler à la souffrance, à gerber mes sentiments un peu trop exacerbés.

« Tom ? J'te rejoins, ok ?

- Non, t'inquiète c'est pas la peine. Ça va passer. »

Mais c'est ce que j'attendais, c'est ce que je voulais, qu'ils m'incitent tous à m'tuer à petit feu parce que j'voulais pas me retenir. J'voulais qu'on me plaigne et qu'on m'pousse à crever doucement.

Ça fait un mois qu'Andrés est mort. Nous sommes à Londres, pour enregistrer notre deuxième album en anglais. Mais les répétitions ne ressemblent plus à rien, Bill n'a plus l'envie et moi j'joue de travers. Les notes sont fausses. Y'a plus de passion. Plus d'envie. Non, aucune envie. À part celle de s'tirer vite, très vite.

Je monte dans la limousine et traverse Londres, la tête entre mes mains tremblantes. C'est bien joli de s'faire du mal, mais j'n'ai plus aucune force et je sens que ça devient de plus en plus dur de bouger. Mes sens me font défaut et je n'sais plus vraiment ce dont je suis capable physiquement. Je ne marche presque plus, je prend toujours une voiture. Je stagne. J'agonise.

Et puis soudain, j'n'ai plus du tout envie de rentrer à l'hôtel, j'voudrais sortir, voir du monde, bouger, danser, m'saouler, j'voudrais rencontrer des inconnus et les serrer dans mes bras sans autre raison que la folie qui me hante. La nuit est tombée sur la ville et je vois par la fenêtre les lumières s'allumer peu à peu. Ça me donne envie de la parcourir à pied sans réfléchir à rien.

« J'descend là.

- Vous êtes sûr ?

- Oui, John, sûr.

- Ca ira ?

- Oui, merci de t'inquiéter. Ça ira.

- Prenez soin de vous.

- J'ferai de mon mieux, t'inquiète pas John. »

John c'est juste le chauffeur. Mais John c'est l'gars qui dit rien mais qui pense tellement fort qu'on l'comprend à demi mot. John fait des sourires dans son rétroviseur et roule doucement quand je suis dans la voiture. Il veut prendre soin de moi à sa façon. Il a même mit une couverture dans la limousine, histoire que j'me glisse dessous que je tremble un peu trop. John, je crois même qu'il met des pansements dans l'air, et quand j'monte avec lui c'est comme renfermer un peu mes cicatrices.

Il se range sur le côté et me laisse sortir avant de repartir dans la nuit. Les rues sont bondées et les gens tournent la tête sur mon passage. Certains m'ont peut être reconnu, mais je marche vite et pour le moment personne ne m'a interpellé. J'entre dans la première discothèque qui se présente à moi. J'regarde même pas le nom, c'n'est pas vraiment important. Ici, les gens commencent à être un peu plus intrigués par mon apparence. Ils se disent qu'ils m'ont déjà vu quelque part. Mais pour la plupart ce ne sont pas des gens qui écoutent notre musique, pas vraiment de raison de m'en soucier.

Je m'installe au bar et commande la première boisson alcoolisée qui me passe par la tête. Un Gin Tonic. Je le bois d'une traite. Puis un deuxième. Un troisième.

Et puis je monte sur la piste de danse et j'commence à me déchaîner. Tout ça je le fais presque automatiquement, c'est devenu un réflexe. Sauf qu'avant, j'aimais ça. Maintenant je fais semblant. Une habitude qui me dépasse. Qui ne me passionne pas vraiment. Qui agace un peu.

« Hey, salut toi.

- Salut…

- Tu danses ?

- Si tu veux. »

Un peu toujours le même cinéma, on se frotte l'un à l'autre et on s'enivre chacun de notre côté comme si l'on n'avait rien à voir ensemble. Juste danser ensemble, et encore. Juste coucher ensemble, corps à corps mais chacun pour soit, son plaisir avant tout et l'autre on s'en fout.

Je me remémore tout ces moments passés à séduire des filles qui n'en valaient pas la peine, tout ces moments à boire jusqu'à en oublier mon nom, à faire l'amour sans sentiment, à n'aimer le sexe que pour le sexe, l'alcool que pour l'alcool, et ma célébrité uniquement pour profiter de tout ça. J'avais l'impression, en y repensant, que mon amour de la musique s'était échappé je ne sais où, englouti par ces vices qui faisaient que je m'oubliais peu à peu.

Je crois que ce soir, j'ai compris que cette vie, je voudrais juste l'oublier.

OoO