Chapitre 1: All the Lonely People

Tom se rappelait bien comment ça avait été, le jour où il était arrivé à Poudlard. Sur le chemin du bureau de Dumbledore, Emilie l'enguirlandait parce que sa chemise dépassait de son Dockers, parce que les lacets de ses derbys étaient défaits, parce que ses cheveux n'avaient pas été lavés depuis une semaine et bouclaient tristement sur son front trop pâle. C'est qu'elle était sur les nerfs, depuis qu'ils étaient revenus en Angleterre, comme s'il avait risqué quelque chose à traîner dans les rues de Londres avec les autres garçons. « Tu-sais-qui est mort depuis longtemps, » avait-il rétorqué avec son ton acide d'adolescent malheureux, « et de toute façon, qu'est-ce qu'il pourrait bien me faire de plus ? » Emilie l'avait précédé dans le bureau du directeur et lui avait suivi en traînant les pieds, les mains dans les poches. Il était resté silencieux, tout le temps que Dumbledore et Emilie avait parlé, de comment ça allait depuis la mort de sa mère, de si Tom avait des bonnes notes à Beauxbâtons. Dumbledore l'interrogeait indirectement, de ses yeux bleus perçants. Et puis il avait attrapé le Choixpeau sur l'étagère, et Tom savait ce que c'était, ce machin moisi, et il avait réagi :

« Ma mère était à Gryffondor je veux y aller aussi. »

Dumbledore avait suspendu son geste et dit d'une voix grave : « Ton père aussi était à Gryffondor. » Qu'est-ce que c'était, de la compassion ? De la pitié ? Pauvre gosse, ses parents l'ont abandonné ? « Je n'ai pas de père. »

Emilie avait tiqué, mais sans protester. Elle connaissait trop la rengaine pour provoquer l'adolescent instable dont elle avait hérité. Tom savait qu'il était injuste avec elle, qu'elle l'aimait profondément, qu'elle avait beaucoup sacrifié pour lui, mais trop souvent il l'agressait juste pour vomir un peu de sa rancœur, un peu de sa tristesse sur elle. Qui d'autre avait-il à blâmer ?

Dumbledore avait dit : « Gryffondor, alors, » et il avait reposé le Choixpeau sur l'étagère. Comme s'il avait senti quelque chose, quelque chose dans la tête de Tom ou plutôt dans le secret de son cœur, quelque chose de si douloureux que si le Choixpeau ne l'avait ne serait-ce qu'effleuré, cela aurait déclenché une catastrophe terrible. Albus Dumbledore se rappelait s'être demandé, à ce moment-là, alors qu'il donnait à Tom Black l'uniforme de sa maison, si le garçon ne lui donnerait pas encore plus de fil à retordre que sa mère.


Il y a une chanson populaire, un refrain que l'on fredonne au coin du soir, et cette chanson s'appelle l'amour. Elle hante les plus durs d'entre nous et elle ronge les plus fragiles, et le vieux tourne-disque de notre cœur la répète sans fin, et elle nous donne la nausée à force, oh oui, elle nous sort par les yeux, on n'en vient à ne plus demander que le silence, mais on aime encore, encore, à cœur crevé. Est-ce qu'elles se voient, sur un visage, les notes de la chanson ? Est-ce qu'il se voit, sur les traits si juvéniles de Tom, le dernier point d'orgue, la note de la souffrance que l'orchestre tient depuis presque six ans ? Les autres en tout cas, ont eu l'air de la voir dans le gouffre de ses yeux, car ils se sont écartés de son chemin. Mais ça, c'était avant qu'il tombe sur Charlie Weasley. Son regard à lui pétillait pour deux.

Charlie Weasley était l'attrapeur de l'équipe de Quidditch de Gryffondor, et c'était, genre, le dieu du balai. A chaque match, il écrivait une nouvelle ligne de sa légende. Aîné de six frères et sœur, il avait le naturel stratégique et autoritaire, et dans un an ou deux, il serait sans doute capitaine. Et puis, ses épaules larges et son sourire facile faisaient des ravages parmi les jeunes filles, mais le bougre se montrait un peu maladroit vis-à-vis de cette notoriété il passait la plupart du temps en compagnie de sa meilleure amie, Myrtille, ou dans la cabane du garde-chasse à se passionner pour le soin aux créatures magiques. Un être à la fois exceptionnel et empoté, donc Tom l'avait rencontré aux essais pour devenir poursuiveur, et en même temps qu'un poste dans l'équipe, il avait gagné un ami.

C'était un matin au petit déjeuner. Charlie était occupé à peigner en arrière sa flamboyante tignasse pour ne pas qu'elle trempe dans son chocolat chaud. Sa cravate rouge et or jurait horriblement avec les boucles rousses qui la chatouillaient. Charlie était un toujours peu négligé dans sa tenue, notamment à cause de sa tendance à traîner dans la forêt interdite pendant les récréations ce matin-là, il avait de la terre sous ses ongles courts et des écorchures plein les mains.

« C'est qui, ce type ? », fit Tom.

« Qchi ? », répondit Charlie en avalant une impressionnante bouchée d'œufs brouillés.

« Lui. »

Tom désignait un garçon aux cheveux très blonds qui venait de croiser de Myrtille alors qu'elle s'apprêtait à les rejoindre. Elle semblait hors d'elle.

« Ah, lui. C'est Janus Malfoy. »

« Malfoy ? » répéta Tom d'un air ahuri.

« Malfoy ! » s'exclama Myrtille en jetant son sac sur la table. « Cet enfoiré visqueux, ce rat, ce calamar moisi, ce… »

« Mais Malfoy, comme dans Lucius Malfoy ? »

« Oui ! Tu ne sais pas ?! Janus est le petit bâtard de Lucius Malfoy. »

« Ne recommence pas, Myrtille… »

« Quoi ?, » rétorqua la jeune fille pour agresser Charlie à son tour. « Il rabaisse tout le monde alors que lui, si ça se trouve, c'est un sang-mêlé ! Sérieux, Charlie ! Il paraît que sa mère était une moldue et que Lucius ne savait pas, et qu'il a eu tellement honte quand il l'a su qu'il l'a tuée et qu'il a gardé le gamin mais… »

« Oh la ferme. Tu es vraiment… »

« C'est mon cousin. »

Les deux amis arrêtèrent soudain de se crêper le chignon pour se tourner vers Tom.

« Tu es de la famille de ces détritus ambulants ?, » s'offusqua Myrtille.

« Mais comment tu le sais, puisque tu ne l'as jamais vu ?, » demanda Charlie en la faisant taire d'un geste. Vexée, Myrtille attrapa son sac et s'éloigna d'un pas rageur.

« Lucius Malfoy était le cousin germain de ma mère. Donc si Janus est son fils, c'est mon cousin. Il faut absolument que j'aille lui parler ! »

Charlie n'avait pas l'air de comprendre comment on pouvait être heureux d'avoir un tel cousin. Tom ne lui expliqua pas. Avec deux parents et six frères et sœur, bien sûr qu'il ne comprenait pas mais lui, il venait de se trouver un lambeau de famille. Il n'était plus seul au monde, enfin.


Il fallut plus d'une semaine à Tom pour trouver le courage d'aller parler à Janus Malfoy. D'abord, en l'observant, il remarqua qu'à quinze ans, son cousin était déjà le bourreau des cœurs de Poudlard et que, par conséquent, il fallait pour l'approcher franchir un rempart de jeunes demoiselles gloussantes et rougissantes et Tom était un peu effrayé par ce genre de créatures. Ensuite, Janus Malfoy avait un garde du corps, Jimmy Broadbent, qui avait approximativement la taille et le gabarit d'un basketteur de NBA à côté de lui, Tom aurait eu l'air d'avoir douze ans et demi, et il ne tenait pas vraiment à se rendre ridicule devant son cousin. Enfin, Janus Malfoy était un être plutôt occupé, puisqu'il était préfet, attrapeur de son équipe de Quidditch et un excellent élève qui passait beaucoup de temps à la bibliothèque. Il convient aussi de préciser que Janus Malfoy était à Serpentard.

Tom passa donc toutes ses soirées dans la salle commune à échafauder des plans pour aller parler à Janus d'une manière qui le mettrait en valeur, à créer des circonstances telles que dès que son cousin le verrait, il ne pourrait que mourir d'envie de le connaître et d'être proche de lui. Durant ces soirées, Tom dut endurer les remontrances de Myrtille qui s'entêtait à vouloir lui prouver que « le bâtard » était un être abominable, un rejeton de l'enfer, je t'assure, tu verras.

« Mais fous-moi la paix, Myrtille, bon sang ! » avait-il explosé le jeudi soir. « Tu ne sais rien de lui, et tu ne sais rien de moi non plus ! »

Il avait fait semblant de ne pas voir les larmes lui monter aux yeux. Elle avait souhaité bonne nuit à Charlie, avec raideur, et elle était montée se coucher.

« Mec, » avait soupiré Charlie en se laissant glisser du fauteuil jusqu'au sol, à côté de Tom. « T'es aveugle, ou quoi ? »

« Quoi ? » avait grogné Tom d'une voix distraite. Ce soir-là, il cherchait comment obtenir le mot de passe de la salle commune des Serpentards, pour rendre à son cousin une visite privée.

« Mais elle craque pour toi, bouffon ! »

« Hein ?! »

Un instant, Tom oublia l'affaire Janus. Myrtille, cette enquiquineuse qui ne cessait de lui faire des reproches, qui était toujours de mauvais poil et jamais satisfaite de rien ni de personne, et encore moins de lui, Myrtille était amoureuse de lui ?

« Mais… tu crois ? »

« Mais bien sûr, » rit Charlie. « Elle me l'a dit dès je t'ai présenté, qu'elle te trouvait joli garçon, et qu'en plus, tu avais un air mélancolique si craquant… »

« Oh la ferme. » Tom se détendit. Il trouvait ça drôle que Myrtille soit amoureuse de lui c'était comme un nouveau jeu.

« Bon, et toi, elle te plaît ? »

« Euh… »

Est-ce qu'elle lui plaisait ? Il n'avait jamais fait attention à elle. Myrtille Kensington était la fille du célébrissime Jo Kensington, créateur de la marque éponyme de chaudrons réputés incassables. Elle était chiante, elle parlait tout le temps, elle portait l'uniforme comme les autres filles. Et elle était née avec les cheveux violets, sans qu'on sache vraiment comment c'était arrivé peut-être simplement que voilà ce qui arrive quand on appelle sa fille Myrtille.

« Je sais pas. »

« Tu vois, c'est ça ton problème, » dit Charlie en attrapant un chocolat. « Tu pourrais faire une peinture de ton cousin les yeux fermés, mais tu n'as jamais fait attention à Myrtille. »

Tom n'écoutait plus. Il devait se concentrer sur Janus Malfoy.


Lorsque Tom arriva en retard au cours de potions, ce matin-là, Myrtille le suivit d'un œil blessé jusqu'au premier rang où il s'effondra, le col de chemise en bataille, les cheveux encore plus tristement ternes que d'habitude, des cernes enfonçant ses yeux dans son visage trop pâle. Pathétique, se dit-elle, il a veillé toute la nuit en pensant à son cousin. En même temps qu'elle le maudissait, sa gorge était serrée. Il lui avait tellement plu tout de suite, ce Tom que Charlie lui avait présenté il y a quelques semaines, avec son visage de poupée de porcelaine, ses lèvres framboise, ses boucles châtain qui coulaient dans son cou et son regard rêveur, un peu triste… on aurait dit un personnage de roman, il la fascinait. Elle aurait voulu faire partie de sa tragédie.

« Tu dois lui laisser du temps, » chuchota Charlie en voyant qu'elle pelait depuis bientôt dix minutes la même figue sèche maintenant sérieusement rabotée, le regard dans le vague. « Il vient d'arriver, il est un peu paumé. Quand il aura trouvé ses repères et qu'il aura à nouveau les yeux en face des trous, il verra à quel point tu es exceptionnelle. »

Elle sourit. Charlie était son meilleur ami depuis le premier jour à Poudlard et il savait depuis longtemps voir au-delà de la façade d'enquiquineuse à laquelle les autres s'arrêtaient.

« J'espère, » répondit-elle d'une voix étranglée.

« Miss Kensington, si vous ne revenez pas tout de suite à votre chaudron, je vous assomme avec et nous verrons bien alors lequel des produits Kensington est le plus incassable. »

Le ton de Rogue était toujours si doucereux que l'on ne savait jamais ce qui tenait de la vérité dans ses menaces aussi le reste de la classe se déroula-t-il dans le plus grand silence.

Quand la cloche sonna, Tom avait l'esprit tellement occupé qu'il ne l'entendit pas tout de suite ce n'est qu'en voyant les autres jeter leurs affaires pêle-mêle dans leurs chaudrons qu'il se leva à son tour.

« Un instant, Tom. »

Les yeux noirs de Rogue le dévisageaient avec insistance depuis son bureau. Intimidé, Tom acquiesça et attendit que tout le monde soit parti pour rejoindre son professeur sur l'estrade.

« Vous êtes le fils de Demenda, n'est-ce pas ? »

Bien sûr. Cet homme toujours en noir, avec ses longs cheveux semblables à des ailes de corbeaux et sa voix mielleuse, il l'avait aperçu autrefois, dans le petit appartement de Tottenham, une nuit où des cris de dispute l'avaient réveillé et où il était descendu, silencieusement, voir ce qui se passait. La force du souvenir de sa mère lui étreignit le cœur comme un étau. Il déglutit et acquiesça.

« Vous la connaissiez bien ? » osa-t-il.

Il sentait que, contrairement à tous ses camarades, il n'avait pas à avoir peur de cet homme.

« Nous avons travaillé ensemble, » répondit Rogue au bout d'un moment. « Je lui ai sauvé la vie plusieurs fois, » ajouta-t-il avec un semblant de sourire.

« Pas assez de fois, alors. »

La voix de Tom était acide soudain. Rogue se figea en apercevant l'ouragan qui couvait dans les yeux du garçon.

« Est-ce que vos camarades savent ? »

« Non. »

Rogue ne releva pas l'insolence. Fragile et impétueux, le garçon lui rappelait trop sa mère. Il le congédia d'un signe de tête. Un long moment, il resta immobile, assailli par des vagues de souvenirs d'une époque révolue mais si proche, une époque si sombre et pourtant, si vivante. Il se rappelait la gniaque de Demy King, la vie dévorante qui tourbillonnait en elle, il se rappelait à quel point le gosse était, bien plus que son enfant, son copilote, son partner, sa raison d'être. Le gamin avait perdu tout ce qui faisait sa vie lorsqu'il avait perdu sa mère. Rogue se demanda, sombrement, ce que deviendrait cette génération qui avait grandi dans la noirceur d'un monde en guerre : qu'est-ce que c'était, leur éducation, sinon la peur, sinon la haine ? Qu'est-ce qu'il savait, ce Tom, sinon la colère et la douleur ? Dumbledore aurait dit que c'était la mission de Poudlard, de les éduquer à un monde de paix et de sagesse mais Severus Rogue doutait qu'un gamin pétri de souffrance et de rancœur puisse désirer quelque chose qu'il ne comprenait pas.

Déjà en retard pour le cours de métamorphose, Tom avait renoncé à y aller en sortant de son entrevue avec Rogue. Comme un somnambule, il errait dans les couloirs sans but particulier, ruminant de sombres pensées. Il se trouvait dans une partie du château qu'il n'avait jamais visitée lorsque la statue de chevalier à sa gauche bascula pour en laisser sortir Janus Malfoy dans une vague de vapeur et de parfum de sève et de savon noir.

Tom pila. Malfoy tourna vers lui un regard mi-interrogateur, mi-calculateur. Il boutonnait encore sa chemise sur son torse pâle et dessiné par les muscles et sur lequel Tom suivait du regard, fasciné, le fin duvet blond qui courait d'entre les pectoraux jusqu'au nombril et s'épaississait plus bas pour disparaître dans la ceinture du pantalon. Le jeune homme, qui dépassait Tom de cinq ou six bons centimètres, remarqua ce regard et s'autorisa un sourire goguenard. Il passa ses doigts dans ses courts cheveux blonds encore humides, leur donnant l'air savamment décoiffé.

« Tu voulais la salle de bain ? » demanda-t-il finalement.

Sa voix surpris Tom au contraire de la dureté des yeux pâles, elle était douce, chantante, avec cet accent légèrement précieux, mais tellement agréable de la bonne société anglaise. « Non, je… Tu es Janus Malfoy ? »

L'autre acquiesça en fronçant légèrement les sourcils. Tom rassembla tout son courage pour ne pas bafouiller.

« On est cousins. Je suis Tom Black, le fils de Demy King. »

Janus le fixa de longs instants durant lesquels Tom ne put s'empêcher de se sentir évalué et fortement mal à l'aise, comme si ce regard le déshabillait en même temps, le jeune homme dégageait une aura presque magnétique qui l'hypnotisait. Janus passa sa langue sur ses lèvres rose pâle avec un air méditatif.

« Si tu descends des Black et des King, effectivement, il est clair qu'on est cousins. Ton sang est très pur, » ajouta-t-il en tendant la main.

Tom n'observa qu'une seconde les longs doigts aux ongles manucurés avant de remettre vigoureusement sa main dans la poigne de son cousin.

« Ecoute, » ajouta Janus après un instant de réflexion, « ce soir on fait une petite fête dans la salle commune, avec des amis. Viens, je te présenterai. Le mot de passe, c'est « chasse aux sorcières ». Vers huit heures, okay ? »


Tom avait été extraordinairement silencieux pendant tout le dîner. Comme Myrtille lui en voulait encore de l'avoir envoyée sur les roses le soir précédent, elle ne lui parlait pas non plus. Et comme Charlie était fatigué d'essayer de les raccommoder, il avait décidé de manger sa tourte à la citrouille en silence. L'arrivée tonitruante du professeur MacGonagall de leur côté de la table des Gryffondors fut donc un bouleversement d'autant plus spectaculaire.

« Monsieur Black, est-ce que je peux savoir pourquoi vous n'étiez pas à mon cours de ce matin ? »

Les têtes se tournèrent d'un seul mouvement vers Tom, dont le visage s'était complètement fermé. En revanche les traits du professeur McGonagall se décomposèrent lorsqu'elle comprit la bourde qu'elle venait commettre.

« Black ? Tu t'appelles Black ? Comme dans Sirius Black ?!, » s'écria Myrtille de sa voix aigüe, mettant les deux pieds dans le plat.

Les mâchoires se décrochèrent. Des têtes que Tom n'avaient jamais vues se mirent à le fixer avec des yeux ronds, partagés entre le choc et la répulsion.

« TU ES LE FILS DE SIRIUS BLACK ? »

A suivre.