Les voilà tous de retour, tous les personnages, ou presque, de « Pirates des Caraïbes ». Patience toutefois, car il va me falloir quelques chapitres pour les rassembler. Et en star qui se respecte, Jack sera bon dernier à intervenir vraiment, malgré une très courte apparition dans le troisième chapitre.

Comme promis, cette fic est officiellement la suite du Premier voyage du capitaine Turner.

Il n'est toutefois pas absolument nécessaire d'avoir lu la première pour comprendre celle-ci : il suffit de savoir que James Norrington est devenu le second de Will à bord du Hollandais Volant et qu'après que Beckett et Mercer aient tenté de s'en emparer, Calypso a décidé de se charger d'eux personnellement. On ne sait ce qu'elle leur a fait, elle a juste précisé « qu'ils avaient rejoint Davy Jones, ce traître qui l'a livrée à la confrérie ».

C'est donc parti pour 11 chapitres durant lesquels chacun des personnages aura la vedette à son tour.

Bonne lecture.

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Lorsqu'on marche à la nuit tombante dans une rue déserte, en voyant autour de soi les dizaines de lampes qui sont allumées derrière les fenêtres closes des maisons, on éprouve généralement un certain sentiment de solitude.

L'homme qui s'acheminait d'un pas las vers la sortie de la ville, ce soir là, n'échappait pas à la règle. Il avançait assez péniblement, d'une part parce qu'il était fatigué, d'autre part parce que sa jambe gauche était toujours restée raide d'un méchant coup de sabre reçu au genou quelques années plus tôt.

La route montait à présent vers la falaise et les maisons s'espaçaient. En soupirant, l'homme chercha du regard la dernière d'entre elle, un peu à l'écart de toutes les autres.

Il espérait que l'adresse était la bonne. Il ne comptait plus le nombre de gens auxquels il avait demandé où trouver la personne qu'il cherchait. Il est vrai qu'il la demandait sous son ancien nom, ce qui évidemment avait compliqué les choses.

Il y avait de la lumière derrière les volets clos. L'homme frappa à la porte. Au bout d'un instant, il entendit des pas et le battant s'ouvrit sur une silhouette féminine. Le visiteur porta deux doigts crasseux à son vieux chapeau cabossé, décoloré par le soleil et les embruns, en un vague salut.

- Capitaine Swann ? s'enquit-il d'une voix pleine d'espoir.

Elisabeth accusa visiblement le coup. Elle ne s'attendait assurément pas à s'entendre appeler ainsi, ici et après toutes ces années.

- C'est le capitaine Teague qui m'envoie, reprit l'homme.

La jeune femme hésita. Lorsqu'elle était jeune fille, elle ne s'était jamais souciée ni de son rang ni de sa « respectabilité ». Mais ce qu'elle n'avait pas fait pour elle-même, elle le faisait à présent pour son fils. Et si elle se mettait à recevoir des pirates sous son toit… Elle haussa imperceptiblement les épaules et s'écarta.

- Entrez, dit-elle.

Elle conduisit son visiteur au salon. Comme toute la maison, la pièce était modeste mais chaleureuse et confortable. Elisabeth n'avait jamais jugé bon de retourner à Port-Royal. Elle y avait trop de souvenirs. Et puis elle y était trop connue, les commérages auraient été bon train. Seule héritière de son père, elle avait récupéré la fortune familiale, acheté cette maison, l'avait meublée et y élevait son fils, menant une existence très simple avec l'assistance d'une unique domestique.

Le visiteur s'assit avec précaution sur un coin de siège, emprunté dans ce décor si différent de ceux dans lesquels il évoluait habituellement.

- Voilà, commença t-il, la confrérie va se réunir, et le capitaine Teague m'envoie vous chercher.

Elisabeth plissa les yeux et secoua la tête :

- Après toutes ces années ? Ca n'a pas de sens. Je me suis retirée de tout cela.

- Vous êtes la reine des pirates, protesta l'homme. Vous devez absolument être présente !

- Que se passe t-il donc, pour que la confrérie veuille se réunir à nouveau ?

Ses mains jointes coincées entre ses genoux, l'homme baissa la tête en soupirant.

- Nous avons des… soucis, commença t-il. De très gros soucis.

Il expliqua que depuis quelques temps, une force mystérieuse semblait s'attaquer aux navires des frères de la côte qui, l'un après l'autre, disparaissaient mystérieusement, corps et biens, sans laisser la moindre trace. Toutes les victimes sans exception appartenaient à la piraterie. Pire encore, plusieurs des seigneurs eux-mêmes étaient au nombre des victimes.

- Nous pensons que le kraken est revenu, acheva l'homme.

- C'est absurde, protesta Elisabeth.

- Mais capitaine, vous le savez comme moi, un combat, un naufrage, cela laisse des traces. On retrouve une épave, des débris, même des corps. Là, il n'y a rien ! Comme si ces navires avaient été engloutis par le néant. La confrérie doit se réunir pour décider comment lutter contre ce nouveau danger.

- Je regrette, soupira Elisabeth. Je ne peux vous accompagner. Croyez-moi, je regrette. Mais tout cela, c'est terminé pour moi.

Le pirate laissa passer quelques secondes. L'avisé capitaine Teague avait bien pensé que la jeune femme déclinerait « l'invitation » et il avait donné à son messager des instructions précises.

- La dernière victime était le Black Pearl, dit-il.

Elisabeth changea de visage.

- Jack ?! souffla-t-elle, anéantie.

L'homme approuva silencieusement, en évitant de croiser son regard. Teague avait bien précisé qu'Elisabeth devait croire que Jack Sparrow était toujours le commandant du Pearl.

- Je ne peux pas le croire ! souffla la jeune femme, bouleversée. Ce n'est pas possible ! Pas Jack !

L'homme fit signe que si, toujours sans croiser son regard. Puis, baissant la voix comme malgré lui, il ajouta presque dans un murmure :

- Nous aimerions également demander son aide au… au… -il semblait hésiter à prononcer les mots- au capitaine du Hollandais Volant, finit-il par dire. Le capitaine Teague pense que vous êtes la mieux placée pour le contacter.

Cette fois, les yeux d'Elisabeth se chargèrent d'orage.

- La mission du Hollandais Volant est de convoyer les âmes vers l'autre monde ! fit-elle sèchement. Ce qui se passe dans le monde des vivants ne le concerne pas.

- Mais c'est grâce à lui que nous avons vaincu la flotte de lord Beckett, autrefois. Et à cette époque c'était lui qui commandait au kraken, alors…

- C'était le précédent capitaine, qui commandait au kraken. Et ils sont morts tous les deux.

- Nous avons affaire à une force que nous ne connaissons pas, capitaine Swann. Quelque chose de maléfique qui n'appartient pas à notre monde. C'est pourquoi…

- Non. Je m'y refuse. Et je vous interdis de tenter quoi que ce soit en ce sens !

La jeune femme ne savait que trop bien ce qu'il adviendrait de Will Turner s'il renonçait à accomplir sa mission. C'était le choix qu'avait fait Davy Jones.

- Un seul jour, tous les dix ans, cita-t-elle. Depuis presque sept ans, j'attends le retour de mon mari. Mon fils n'a encore jamais vu son père. Lorsqu'il fera sa connaissance, je veux qu'il voit l'homme qu'il est réellement, pas un monstre marin ! Je ne laisserai personne…

Elle s'interrompit brusquement et tourna légèrement la tête vers une porte entrebâillée, au fond de la pièce.

- William ! dit-elle d'un ton sévère. Ne devrais-tu pas être au lit ?

La porte s'ouvrit un peu plus grande et un garçonnet à la frimousse éveillée entra, en chemise de nuit.

- J'ai entendu du bruit, Maman, et je suis venu voir, expliqua t-il avec aplomb.

- Eh bien maintenant que tu as vu, retourne te coucher.

L'enfant fit passer alternativement son regard brun de sa mère au visiteur.

- Ce serait merveilleux que nous allions voir les pirates et que nous rencontrions Père, dit-il d'un ton plein d'espoir.

- Mais nous n'allons nulle part, répliqua Elisabeth. Surtout pas toi. Maintenant, retourne te coucher. Cette conversation ne te concerne pas.

L'enfant quitta la pièce, visiblement à regret. Dès que le bruit de ses pas se fut éloigné et que sa mère eut refermé la porte, le pirate reprit :

- Vous ne pouvez pas refuser de vous rendre à l'appel de la confrérie, capitaine Swann. A moins de désigner un successeur et de lui remettre votre pièce de huit.

- Cessez de m'appeler « capitaine Swann », voulez-vous ? fit la jeune femme, agacée. Ce titre n'a jamais voulu dire grand-chose, de toute manière. Il m'a été conféré par un mourant et il n'a jamais eu de valeur réelle.

- Mais vous êtes la reine des pirates. Vous avez été élue.

- Oui, admit-elle.

Elle le regarda un moment, fixement, sans parler. Son tempérament bouillant et son goût pour l'aventure se heurtaient en elle à son rôle de mère.

Elle pensa à Jack Sparrow. Disparu ? Mort, peut-être ? Elle frissonna.

Puis elle pensa à Will. Pas question qu'il renonce à sa mission. Or, elle savait pertinemment bien que les pirates se passeraient de son consentement et de son aide : s'ils pensaient pouvoir convaincre Will, ils le feraient.

- Jamais ! songea la jeune femme. Je ne les laisserai pas faire.

oOo

Le vent marin secouait portes et fenêtres et sifflait de manière lugubre autour de la forteresse de la Baie des Naufragés. Dans la rade bien abritée, trois navires se balançaient sèchement sur des vagues courtes, pressées, qui venaient lécher le quai avec un raclement saccadé.

Dans l'une des chambres de la forteresse, quelques notes de musique troublaient seules le silence, s'égrenant sous les doigts du musicien comme s'écoulait le temps, lentement et immuablement.

L'homme soupira et changea de position. Le chien couché à ses pieds leva la tête pour lui jeter un coup d'œil et eut un bref battement de queue.

- Je suis bien vieux, songea l'homme en attaquant machinalement une nouvelle mélodie sur son instrument. J'ai vécu bien trop longtemps. J'aurais aimé ne jamais voir le déclin de la piraterie, hélas, il est bien entamé et sa fin inéluctable. Le Code lui-même finira par sombrer dans l'oubli.

Il songea à ceux qu'il attendait dans les semaines à venir. Arriveraient-ils jusqu'ici ou bien la force sournoise et implacable qui semblait s'acharner sur les frères de la côte les faucherait-elle en cours de route ?

Il récapitula les noms des membres du tribunal et sa pensée s'attarda sur Elisabeth Swann-Turner. Il espérait qu'elle se laisserait convaincre et parviendrait à la Baie sans encombre. Il ne pouvait préjuger des décisions qui seraient prises, néanmoins, si les choses tournaient ainsi qu'il comptait le préconiser, la jeune femme aurait un rôle important à jouer. L'ennui, avec elle, c'était qu'elle était imprévisible.

Teague n'avait pas eu besoin de la voir longtemps ni de parler avec elle pour le comprendre. Le genre de filles qu'il n'aurait pas supporté auprès de lui autrefois : à la fois trop indocile et assurément dangereuse.

Elle pouvait à n'importe quel moment décider de faire une chose totalement inconsidérée. Mais elle pouvait aussi décider d'une ligne de conduite dont rien ne la ferait démordre et qu'elle appliquerait sans faillir. Elle l'avait amplement prouvé lors de la bataille qui avait mis la Compagnie des Indes en déroute.

- Elle est aussi folle que Jack, hein Doggy ? grommela Teague.

Si elle venait, serait-ce un atout ou le contraire ?

Le vieux gardien du code soupira à nouveau. Peut-être après tout la disparition des membres de la confrérie n'était-elle rien d'autre qu'un nouveau signe du destin : la grande époque de la flibuste était bel et bien passée et ils étaient tous condamnés à disparaître à court ou moyen terme.

Déposant son instrument, Teague se leva, sans déranger l'animal couché près de lui. Il se faisait âgé, lui aussi. Puis le pirate se dirigea vers la fenêtre et jeta un coup d'œil vers le large.

Peut-on imaginer plus noir que l'océan la nuit ? A haute voix, il récapitula :

- Villanueva, Aman, et maintenant Barbossa.

Disparus avec leurs bâtiments, sans laisser la moindre trace. Comme d'ailleurs un certain nombre de « simples » pirates n'appartenant pas à la confrérie.

- Qui sera le suivant ? se demanda t-il à voix haute, les yeux perdus au loin dans l'obscurité insondable qui recouvrait la mer.

Il ignorait qu'il n'était pas le seul à scruter les ténèbres en ce même instant. Il faisait totalement noir, au fond de cette crevasse obscure dans laquelle, même en plein midi, la lumière du soleil ne parvenait pas. Le bruit incessant des vagues troublait seul le silence, mais ici, il devenait sinistre. Le flot se heurtait sans relâche aux parois de pierre et contre la coque malmenée du navire, pareil à la langue d'une monstrueuse créature minant peu à peu sa résistance.

Pourtant, il n'y avait pas que cela.

En vérité, il y avait pire.

Et l'homme qui se tenait rigoureusement immobile sur le pont, les mains crispées comme des serres sur le bastingage, en sentait l'approche. Par toutes les fibres de son corps, chacun de ses nerfs pourtant solides, de toute son âme endurcie de boucanier, il le sentait.

Cela commença par un léger changement dans le bruit lancinant du ressac. Il fallait avoir l'oreille exercée d'un marin pour le percevoir, mais pour Hector Barbossa c'était aussi évident que si quelqu'un lui avait crié : « Attention ! ».

Ensuite, il y eu ce bruit… pas bien terrible en lui-même mais devenu, au fil des jours, le cauchemar de tous ces hommes pourtant endurcis : un long, un sinistre raclement d'écailles contre les parois rapprochées de la crevasse. La créature peinait à passer… comme toujours.

Puis, il y eu un clapotis sinistre et une sorte de chuintement, comme celui que produirait le souffle d'une créature sortant la tête de l'eau pour respirer. Un bruit qui en lui-même n'était ni menaçant ni même très fort mais qui fit bondir le pirate, tous les nerfs tendus :

- Ils sont là !! hurla t-il. Aux armes !!

On aurait pu croire que chacun de ceux qui restaient à bord de l'épave s'étaient jusque là tenus immobiles dans la seule attente du signal. En un instant, des lampes-tempête s'allumèrent dans tous les coins, des silhouettes se mirent à courir en tous sens, il y eu des bruits de métal, épées fiévreusement dégainées, pique d'abordage hâtivement saisies, et des hommes amaigris, hâves, aux yeux caves se précipitèrent sur le bastingage, les dents serrées, la peur au ventre.

Un choc terrible ébranla l'épave. Si elle n'avait pas coulée depuis longtemps, c'était uniquement parce que les récifs qui avaient mordu profondément dans sa coque la maintenaient encore. Elle trembla cependant sous l'impact et le pont, déjà incliné par la position du navire, eut un soubresaut de bête à l'agonie.

L'un des pirates, qui se penchait avec des yeux agrandis par une terreur fiévreuse au-dessus du bastingage, sa pique à la main, déséquilibré, ne put se retenir et tomba. Il poussa un hurlement strident, un hurlement dans lequel la peur le disputait à l'horreur, tout son corps se contorsionnant dans le vide, puis il toucha l'eau dans une grande gerbe d'éclaboussures. Il ne cessa pas de crier pour autant : son hurlement s'intensifia au contraire, suraigu soudain, et il n'y avait pas à s'y méprendre, c'était un hurlement d'agonie. L'eau bouillonna, un sifflement rauque se fit entendre, puis le malheureux disparut dans un dernier remous, happé par une force invisible.

Avec un bref chatoiement de miroir englouti dans la lueur des lampes, quelque chose affleura fugitivement la surface agitée de la mer puis disparut à son tour.

Comme un automate, d'une voix quasiment désincarnée, l'un des survivants commença à compter à voix haute.

Personne ne lui demanda pourquoi, personne ne dit rien. Le souffle court, les doigts tremblants, tous étaient suspendus au décompte. Lorsque l'homme parvint à vingt, tous crispèrent instinctivement leurs mains sur leurs armes tout en s'assurant une position aussi stable que possible.

Vingt-cinq. Plus personne à bord ne respirait.

Trente.

- Là !

Un cri étranglé, une main vite tendue.

Quelque chose jaillit de l'eau, une chose noire et souple, sinueuse, qui s'éleva d'un coup à une hauteur incroyable et frappa soudain, vive comme un serpent, malgré les armes acérées frénétiquement maniées contre elle. Un homme hurla. Dans la lumière vacillante des lampes, le sang qui inondait son visage déchiqueté paraissait presque noir. Désespérément, les pirates repoussèrent leur assaillant qui prit un peu de recul puis se ramassa sur lui-même pour un nouvel assaut.

- Le deuxième ne doit pas être loin ! souffla quelqu'un d'une voix blanche.

Comme pour lui donner raison, tous sentirent que quelque chose râpait la coque par dessous.

Et le cauchemar recommença.