[CHAPITRE 0] – LE DRAPEAU ROUGE

Les Dieux étaient en colère. Rares étaient les fois où le Ramirez avait eu à fendre des flots enragés, comme en ce Jour des Morts. Déchaînées, libérées dans une fureur intense, les vagues du Pacifique heurtaient la coque et les ponts du navire militaire Mexicain en cherchant absolument à le renverser sur les récifs et lui faire connaître le même sort que tout ceux qui osaient s'approcher de cet endroit que les marins et pêcheurs qualifiaient de «maudit».
Mais l'équipage du Ramirez en avait vu d'autres. C'était dans ce genre de météo qu'ils étaient les meilleurs pour les missions de sauvetage. Lorsque tout se déchaînait contre eux, et que l'espoir semblait perdu. Ils avaient beau être fouettés par les flots et la pluie, soumis à un vent qui pouvait les glacer jusqu'à l'os, cette bande de têtes brûlées continuait à chanter des chansons paillardes pour s'encourager mutuellement, alors qu'ils se mettaient tous à leurs postes.

Dans le poste de commandement, le capitaine Antonio Del Avarez fumait un énième cigare, de la fumée épaisse sortant de son nez rougi par la Tequila et les années d'expérience. Ses yeux gris perle semblaient vitreux, voilés par l'alcool, mais demeuraient aussi vif qu'il était possible d'imaginer, pour un loup de mer dont la soixantaine d'années n'étaient plus très loin.
Assit près de la radio, il regardait le charivari des vagues et le fracas de la tempête au-dessus d'eux, avant de boire une nouvelle lampée d' alcool et soupira un coup, faisant frémir ses moustaches et sa barbiche soigneusement entretenues.
Un choc plus violent que les autres se fit ressentir, manquant de renverser le précieux breuvage sur la seule carte maritime dont ils disposaient pour se rendre sur les lieux de la mission, et il se redressa pour aller près du timonier dont les mains expertes parvenaient à manœuvrer la barre et le navire.

«Pas trop dur, gamin?» Del Avarez demanda. «Regarde-moi ça, Miguel... J'ai jamais vu une tempête de ce genre. Les Dieux sont bien en fureur, ce soir. Quelqu'un a dû contrarier Ekahau.»
«Le Dieu des Marchands et des Voyageurs?» Miguel dit, sa voix calme et douce semblant presque aussi impassible que son visage. «Une chance que les hommes aient le cœur bien accroché.»
«C'est pour ça que je les ai engagés, gringo.» Del Avarez ajouta avec une grande fierté dans la voix.

Le Ramirez était réputé pour engager tout ceux dont l'armée ne voulait pas. Soit pour leur comportement trop violent, insubordination, faits et mœurs lors de missions, ou parce qu'ils avaient échoués aux tests officiaux. Les plus motivés et ceux qui parvenaient à prouver qu'ils avaient malgré tout les tripes pour les missions périlleuses étaient recommandés à Antonio qui leur posait simplement une question.

«Est-ce que tu es capable de te lancer dans les missions les plus folles, sans discuter et sans te chier dessus?»

Ceux qui hésitaient à répondre n'étaient pas engagés, car selon lui, une fraction d'hésitation pouvait mettre une mission en péril. Les autres montaient à bord, le cœur fringant et les cordes vocales prêtes à se déchirer en chantant des chants de beuveries parlant d'îles remplies d'or, de femmes, et de désirs plus fous les uns que les autres.
Mais Miguel n'était pas comme eux. Et bons dieux qu'il était content de l'avoir rencontré.

Quelques jours plus tôt, alors que le Ramirez mouillait au port de Manzanillo et que l'équipage profitait d'un repos bien mérité après avoir rempli une série de missions, Avarez était, comme toujours, assit à sa place préférée à la Libra Esperanza, la taverne du port où un coin lui était réservé. Fumant cigares sur cigares et avalant des litres de cocktails, riant des blagues et anecdotes que venaient lui amener de jeunes recrues, racontant ses propres histoires, et surtout, écoutant ce qu'il se passait sur la fréquence de la Marine Mexicaine. Tendue entre les cendriers et les bouteilles, il avait une carte maritime si détaillée et tant observée qu'il la connaissait par cœur, mais il aimait la garder sous les yeux.
Et c'était là qu'il l'avait entendu. L'appel à l'aide le plus déchirant de sa vie.
Le signal était de très mauvaise qualité, la fréquence horriblement brouillée et la voix si faible qu'il avait l'impression qu'elle allait disparaître d'un instant à l'autre. Tant et si bien qu'il avait sifflé et intimé le silence dans toute la taverne et incité les responsables de la communication de la fréquence militaire de «Fermer leur claque-merde» lorsqu'il répondit à l'appel.

«Mayday, mayday ! Est-ce que quelqu'un m'entend?!» La voix répétait avec une frénésie désespérée. «Je vous en prie, répondez ! Je vous en prie!»
«Ici le Commandant Antonio Del Avarez, de la Marine Mexicaine, j'écoute.» Le vétéran répondit, surpris d'entendre la voix d'une jeune femme de l'autre côté de la ligne. «Quel est le problème?»
«La Marine... Oh merci mes dieux !» La voix murmura, semblant gorgée d'un espoir ému. « Je... J'ai échoué sur l'Archipel de Sussuro Rojà... L'île est infestée de mercenaires et... Je... Je vous en prie, venez me chercher!»
«Comment... Comment avez-vous fait pour aller vous perdre là-bas?!» Del Avarez demanda.
«Le naufrage de l'Annoit...» Elle dit, peinant à respirer.

Avarez n'aimait pas ça. Il avait l'impression qu'elle cherchait à économiser ses forces en parlant le moins possible, qu'elle venait de traverser quelque chose qui se rapprochait d'un enfer sans nom.

«Êtes-vous blessée?» Il demanda à nouveau. « Mademoiselle, êtes-vous blessée?»
«Oui...» Elle répondit après un temps d'hésitation. «Mais ça va. Je saurais encore me déplacer...»
«Quel est votre nom?»
«Nora...» La voix articula. «Nora Rickman.»
«Mademoiselle Rickman, gardez cette radio près de vous... Nous viendrons vous chercher pour vous ramener chez vous.» Del Avarez dit. «Tenez bon. Nous arrivons.»
«Merci... Je... Merde!»

La communication se coupa sur un coup de feu qui fit blêmir Antonio. Les conversations reprenaient lentement, et le barman lui avait amené une nouvelle bouteille de tequila en lui disant que c'était sur le compte de la maison.
Le poids de l'âge semblait tomber sur les épaules du commandant qui se frotta le visage avant d'allumer un nouveau cigare. Il connaissait toutes les îles du Pacifique. Toutes. Sauf celle-ci.
Sussuro Rojà, le murmure rouge. Une île maudite dont personne n'osait s'approcher, où une gamine qui devait avoir l'âge de sa petite fille était coincée, blessée et désespérée.
Bien sûr que c'était une mission pour le Ramirez ! Une de ces missions périlleuses où les militaires de la Navy officielle feraient encore des paris pour savoir s'ils échoueraient et s'ils seraient débarrassés d'Antonio et de sa clique.
Mais il y avait un problème majeur. Antonio avait beau regardé la carte dans tout les sens, il n'arrivait pas à estimer la localisation de l'Archipel. Ce qui le fit jurer dans ses moustaches.

Jusqu'à ce qu'il n'arrive. Ce jeune homme aux longs cheveux bruns, au teint clair et aux lunettes de soleil épaisses. Il portait un simple jean un peu déchiré par endroit, une chemise sur un t-shirt noir, une ceinture avec quelques chaînes pendantes, des bottes de motard et il y avait un petit « je ne sais quoi » chez lui qui inspirait une forme de respect.
Et, sans un mot, il avait posé le doigt sur un emplacement de la carte.

«Bouge ta main, gamin, je suis occupé à chercher -»
«L'Archipel du Murmure Rouge. Si vous le cherchez, c'est là qu'il faut vous rendre. Mais les flots sont dangereux, il y a de nombreux récifs.» Il dit, d'une voix terriblement calme et empreinte d'un accent étrange.
«Et tu vas me dire que tu es capable de manœuvrer un navire militaire pour nous y mener sans heurts?» Antonio demanda avec une pointe de sarcasme.

Et il avait dit oui. Il avait non seulement proposé ses services en tant que timonier, mais aussi en tant que médecin de bord. D'après son histoire, il avait été refusé à la Marine car ses yeux avaient été jugés trop abîmés par des éclats de verres reçus lors de l'explosion de sa maison, et il avait été traité de psychopathe parce qu'il ne ressentait rien.
Pour Antonio, ce gamin était du pain béni que lui envoyait la mère des Dieux, aussi Miguel Esposito fut engagé à bord du Ramirez qui quitta le port le 25 octobre.

Et bons dieux, ce qu'il était content de l'avoir à bord dans un tel cataclysme météorologique!

«Croyez-vous que vos supérieurs soient contrariés de voir que vous partez en mission sans leur aval?» Miguel demanda.
«S'ils le sont, grand bien leur fasse. Qu'ils s'asseyent sur leur frustration jusque à ce que ça devienne une démangeaison chronique.» Del Avarez dit en riant. «Ils pleureront le jour où je mourrais, car plus personne ne sera volontaire pour partir dans de telles missions suicides!»

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La foudre fendit le ciel et se fracassa sur un récif qui vola en éclat, alors que Miguel tournait la barre à bâbord pour contourner les roches escarpées. Il se pencha alors pour regarder le ciel, soupira, et reporta son attention sur l'océan, estimant l'arrivée dans deux heures.
Le temps pour Antonio de parvenir à joindre Nora, dont l'état semblait avoir empiré, et convenir d'un point de chute pour venir la chercher. Sachant les récifs trop dangereux pour pouvoir jeter l'ancre, ils décidèrent de se rejoindre à la falaise au Sud-Ouest de l'île, là où le chemin était plus dégagé pour les navires.

«Tiens bon, gamine. Il faudra que tu te démarques pour qu'on sache exactement où tu te trouves, une fois qu'on t'aura en visuel, on pourra déterminer une façon de te ramener à bord.» Antonio dit.
«Cherchez après un drapeau rouge...» Nora murmura, le souffle court. «Un drapeau rouge.»

La communication se coupa une fois de plus, et Antonio prit une longue lampée d'alcool après avoir posé le casque sur le poste de communication. Il appuya alors sur un bouton et demanda aux machinistes de pousser les moteurs au maximum, faisant toute confiance à Miguel pour manœuvrer à grande vitesse. Il n'aimait pas ça. Il avait l'impression que ce qu'il découvrirait dépasserait l'entendement humain.
Il ne savait pas à quel point il était loin de la vérité.

La tempête avait redoublé d'intensité, si toutefois c'était possible. Antonio voyait ses hommes commencer à perdre de leur engouement pour devenir sérieux comme jamais, blêmes, trempés jusqu'aux os, ils avaient tous le regard fixé sur l'horizon où brûlait l'Archipel.
Un brasier infernal que la tempête ne savait pas éteindre, le vent violent levant les flammes si haut dans le ciel qu'on pouvait penser qu'il cherchait à les envoyer dans les nuages, la pluie et les vagues martelant la falaise où se trouvait ce qui semblait être un Temple. Et dans cette averse tombaient une multitude de pétales rouges comme le sang, donnant en cet instant une vision proche d'une apocalypse.
Antonio en lâcha sa bouteille qui s'écrasa au sol, déversant l'alcool à ses pieds, mais il n'en avait que faire. Il s'appuya sur le rebord de la fenêtre, livide, et regardait cette scène irréelle.

«Les enfers se sont déchaînés...» Il murmura.
«Si on marche sur l'enfer, autant continuer à avancer.» Miguel dit, se rapprochant au maximum avant de couper les machines et jeter l'ancre.
«Tu cites Churchill, maintenant?» Del Avarez s'étonna.
«Il avait quelques bonnes répliques.» Le timonier répondit.

Le brun de cheveux prit les jumelles et regarda par la fenêtre, comme les six vigies postées dans les nacelles, tous cherchant après ce fameux drapeau rouge dont Nora avait parlé.
Une explosion violente s'éleva de la falaise, faisant sursauter certains membres de l'équipage qui commençaient à sentir la peur les envahir, distillée comme un souffle glacial dans leur nuque et leur être. Certains criaient à la malédiction sur l'île, et qui pouvait les blâmer ? C'était bien là un endroit abandonné par les cieux.

«Où est-elle?» Antonio murmura d'une voix sifflante. «Aller, gamine. Montre toi...»

Il attrapa la radio, cherchant à la joindre, cherchant la fréquence qui pouvait lui permettre de communiquer avec cette demoiselle en détresse. Il entendit alors Miguel laisser tomber les jumelles sur la table et quitter la salle des commandes en courant, sortant sur le pont pour grimper dans la plus haute des nacelles où il attrapa l'occultant du spot lumineux pour le monter et l'abaisser à répétition, dans un message en morse destiné à signaler leur présence, et encourager Nora à dévoiler sa position.
Miguel aperçu une étincelle rouge, puis la lumière d'une fusée de détresse qui s'agitait de droite à gauche, alors que résonnait une voix décharnée portée par un ancien haut-parleur.

«JE SUIS LA!» Nora hurlait depuis la falaise.
«Il était temps...» Miguel murmura, tournant le spot sur elle pour la révéler à la lumière.

Elle était là, silhouette titubante agitant cette fusée de détresse en continuant à s'époumoner dans le haut-parleur, battue par la pluie et le vent qui faisait voler ses longs cheveux écarlates, tel un morceau de tissus. Non. Tel un Drapeau.

«On t'a en visuel, Nora! Content de te voir, gamine! Est-ce que tu as quelque chose qui te permette de descendre sans risques?» Antonio demanda.
«Non.. Mais j'ai une idée!» Elle balbutia. «Ne bougez pas!»
«On ne va nulle part sans toi, gamine!» Antonio assura.

Il vit la fusée être lancée dans le vide, et entendit la radio être coupée... Et la silhouette de Nora disparu de la lumière. Miguel et quelques matelots partirent avec un canot de sauvetage au plus proche de la falaise, l'instinct du timonier lui disant que la demoiselle avait une idée peu commune pour descendre et qu'elle n'y arriverait pas seule.
Et l'attente s'installa. Une attente dont le silence pesant était seulement cassé par la tempête qui ne cessait de s'abattre sur les lieux, et sur le grondement furieux de l'incendie qui ravageait l'île. Chaque explosion mettait les soldats sur le qui-vive, parés à affronter des ennemis ou à voir un pan de la falaise s'écrouler après trop de temps à supporter ce désastre.

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Debout sur le canot, faisant fi de l'intempérie, Miguel regardait le sommet de la falaise les lèvres pincées dans une forme d'impatience, jusqu'à ce qu'un tremblement et une explosion plus puissante que les autres ne le force à se protéger les yeux. Lorsqu'il regarda en l'air, il vit la silhouette de Nora être trimballée dans les airs par un parachute qui se déchirait, la secouant comme une poupée de chiffon et la conduisant sur des récifs sur lesquels elle se cogna, et tomba à l'eau, emportée par les vagues qui la traînaient vers le fond.

«Merde... » Miguel siffla, amenant le canot au plus proche. «Amenez la lumière ici!» Il demanda, utilisant son talkie-walkie pour communiquer avec la vigie.

Le spot éclairant l'endroit de la chute, le timonier retira ses lunettes qu'il confia à un mousse, avant de plonger, ses bras musclés lui permettant de descendre rapidement pour attraper la jeune femme qui coulait à pic. Il décrocha le parachute de son dos, et nagea vers la surface dans des gestes puissants, étonnés que la demoiselle soit aussi lourde à remorquer.
Les gros bras à bord du canot l'aidèrent à remonter à bord alors qu'il se secoua la tête, reprenant ses lunettes et les mettant sur son nez avant d'attraper le manche du canot pour le diriger sur le Ramirez où attendait l'équipage et Antonio.

«La baignade était bonne, gamin?» Antonio demanda avec une pointe d'humour.
«Délicieuse. Vous voulez y aller?» Miguel répliqua, prenant Nora sur son épaule et montant à l'échelle de corde pour la remorquer à bord.
«Je passe mon tour.» Le commandant avoua.

Toutes les lumières se dirigèrent sur le pont où Miguel allongea la jeune femme, un murmure d'horreur se propageant d'un matelot à l'autre à voir dans quel était cette pauvre fille. L'eau ruisselant d'elle était teintée de sang, du sang qui s'écoulait de tant de blessures que l'un d'eux se signa d'un signe de croix, priant son Dieu de prendre soin d'elle.
Miguel l'allongea sur le dos, remarquant le curieux équipement métallique accroché à ses hanches, son dos et ses bras en comprenant que c'était ce qui avait pesé si lourd dans la remontée, et mit deux doigts sur son cou, cherchant un pouls qu'il n'y avait pas.

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«Elle ne respire pas... » Il marmonna. «Oh, tu n'as pas intérêt à nous faire ce coup-là, Nora...»

Sans plus attendre, il commença un massage cardiaque, alternant avec le bouche à bouche, marmonnant dans une langue que l'équipage ne comprenait pas, continuant son massage jusqu'à ce que la rouquine ne crache eau et sang dans un gémissement piteux, et qu'elle ne se tourne sur le flanc pour continuer à cracher tout ce surplus de liquide, ouvrant des yeux verts comme des émeraudes, mais vitreux par la fatigue et la fièvre sur les deux personnes qu'elle avait face à elle, le souffle dangereusement court, haletant.

«Mademoiselle Rickman... Bienvenue à bord du Ramirez. » Antonio dit, posant sa grande main rugueuse sur sa joue. «C'est terminé, gamine... Tu rentres chez toi.»

Nora ouvrit la bouche pour parler, mais la seule chose qui s'échappa de ses lèvres fut un nouveau gémissement, puis un hoquet, un sanglot, et un cri. Un hurlement déchirant mêlé aux pleurs de quelqu'un qui en avait trop vécu sur trop peu de temps.
Del Avarez regarda la pauvre fille en pleurs, quelques larmes menaçant de partir de ses yeux ridés, comme pour certains de ses matelots qui ne se détournaient pas de la scène, comme si vouloir cacher la souffrance de la jeune femme était un crime abominable.
Après de longues minutes, cependant, son cri se calma, et elle perdit connaissance, emportée par Miguel qui la mena dans ses quartiers, là où il pourrait commencer des soins précaires pendant que le second timonier du navire reprenait la barre, prenant la direction du Japon, où il accosterait dans quatre jours au port d'Emyael.

Il l'allongea sur le lit après avoir retiré cet équipement composé de lames maintenues par des gâchettes, de grappins et de ce qui semblait être un dispositif constitué de gaz pour se propulser, et commença à enlever ses vêtements en lambeaux. Miguel remarqua alors quelque chose, accroché à son bras en bandage de fortune. Un bandeau rouge marqué d'un cercle blanc où trônait le plus tristement célèbre symbole de la folie humaine. La croix gammée. À la différence près, que celle-ci était en plus frappée d'un pion d'échec, ce qui tira un frisson morbide à l'impassible qui fourra l'insigne Nazi dans le fond de sa poche et jeta les habits portant ce symbole sinistre par la fenêtre du navire, ne souhaitant même pas les avoir dans sa poubelle.

«J'en connais un qui aurait adoré être sur cette île pour s'y promener.» Il marmonna, commençant les soins.

Horrifié de voir autant de blessures sur le corps de la demoiselle, sentir et voir autant d'os brisés dans les bras, les jambes, la hanche et le dos, de retirer autant d'éclats de balles, de verre et de métal de sa peau halée, Miguel s'affairait avec une concentration presque religieuse pour suturer et bander tout ça. En particulier sa poitrine qui était frappée d'une plaie qui ne cessait de suinter, violacée marbrée de doré, pulsant et se propageant sur sa peau, et sans aucun doute dans son organisme.
Il se décida à s'asseoir après avoir posé des baxters pour l'hydrater, l'alimenter, et un troisième pour distiller dans son sang de la morphine pour canaliser la douleur, puis un masque à oxygène pour lui permettre de respirer un peu plus facilement.
Miguel se frotta ensuite le visage, jusqu'à se lever à voir Del Avarez entrer dans ses quartiers.

«Reste assis, gamin. Tu as fait plus que ta part, ce soir.» Le vieux Commandant dit, en amenant une couverture supplémentaire qu'il posa sur l'endormie. «Vous venez du même pays, pas vrai?»
«Comment l'avez-vous compris?» Miguel demanda.
«Vous avez presque le même accent.» Le Mexicain dit en riant doucement. « Elle va enfin rentrer au bercail.»
«Mais elle ne reconnaîtra pas le pays qu'elle a quitté. La guerre est en train de changer Emyael jusqu'à sa structure. Si elle survit à ça, et qu'elle se réveille, ce sera dans un pays complètement chamboulé et différent.» Miguel soupira, l'air las.
«Tu as l'air déçu.» Del Avarez remarqua.
«Ils étaient deux Rickman à être monté à bord de ce navire en partance du pays. Deux... Et on n'en ramène qu'un. J'avais un peu d'espoir de ramener les deux.» Il avoua, regardant Nora. «Et dans quel état on la ramène. J'ai l'impression d'avoir échoué.»
«Mais au moins, elle rentre. Le succès n'est pas final, l'échec n'est pas fatal: c'est le courage de continuer qui compte. » Le vétéran dit.
«Je ne suis pas le seul à citer Churchill on dirait.» Miguel dit. «Mais aura-t-elle le courage de continuer après ça...»
«On ne le saura qu'en ayant de ses nouvelles. J'espère en avoir, en tout cas.»

Antonio quitta la pièce, laissant Miguel seul avec Nora qui se réveillait en toussant et en demandant à boire.
L'impassible s'assit sur le lit, lui souleva un peu la tête, et utilisa une petite théière pour lui donner à boire de l'eau tiède.

«Est-ce qu'il faut prévenir quelqu'un en particulier que tu rentres chez toi?» Il demanda.
«Mon père... Alan...Rickman.» Nora articula, les yeux clos sous les bandages posés par Miguel.

Il s'en était douté. Miguel soupira encore, prenant son téléphone dans sa table de nuit pour composer le numéro qu'elle lui dictait, mit le téléphone en haut-parleur et s'écarta pour lui laisser un peu d'intimité.

«Cabinet du Docteur Rickman. J'espère que vous avez une PUTAIN de bonne raison pour appeler sur ce numéro ! Et si vous êtes un journaliste, allez vous faire enculer!» La voix bourrue et rauque d'un homme au lourd accent roumain dit, clairement ennuyé de cet appel.
«Dimitri... » Nora articula d'une voix brisée.
«Putain... C'est... Ne bouge pas. Ne raccroche pas... ALAN!» Le roumain nommé Dimitri dit, soudainement plus nerveux.

Ils entendirent des portes qui s'ouvraient avec fracas, des pas précipités, et une nouvelle porte qui s'ouvrit à la volée alors que Nora tremblait.

«Dimitri, je t'ai déjà dit de ne pas interrompre ce genre de réunion.» La voix d'Alan Rickman dit d'un ton sec.
«Ouais, je sais. Mais faut que tu répondes.» Dimitri dit. «Prends ce coup de fil.»
«Ils attendront. Maintenant -» Alan voulu dire.
«Putain de merde, Alan! Prends ce putain d'appel et arrête de faire chier!» Dimitri insista en lui fourguant le téléphone dans les mains. «Les croulants, tout le monde dehors! Allez, dégagez!»
«Sortez.» Alan dit d'une voix sifflante. «Qui que vous soyez, j'espère que vous avez une bonne raison d'insister autant pour me déranger.» Il ajouta une fois le téléphone près de son oreille.

Miguel vit Nora se tendre, trembler encore plus. La voix d'Alan Rickman semblait aussi tranchante qu'un stiletto près à poignarder celui ou celle qui avait le toupet de le déranger en plein travail... L'impassible décida de quitter la pièce pour lui laisser toute l'intimité dont elle avait besoin, portant une dernière fois son regard sur ces longs cheveux rouges qui leur avaient permis de la retrouver, alors qu'elle parvint à articuler ces mots qu'elle avait tant espérer pouvoir prononcer.

«Papa... Je rentre à la maison.»

– MUSIQUES –

* «United States of Smash» © Yuki Hayashi «Boku No Hero Academia OST3)
* «Feeling of Pairing» © Yuki Hayashi («Boku No Hero Academia OST3)