Apprivoise-moi, dit le Renard.

« Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu
ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de
ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose… »

Le Petit Prince, Saint Exupéry


Le capitaine Harlock avait mené bien des combats pour sa planète bleue et bien des hommes l'avaient suivi. Pour qui savait voir au-delà des apparences, cet amoureux de la liberté avait des attaches plus solides et plus profondes que son drapeau ne le laissait supposer.

Affranchi des lois, des règles et des contraintes de sa terre natale, il lui restait pourtant d'une fidélité absolue, disparaissant du paysage lorsqu'elle n'était pas menacée jusqu'à ce que parfois, certains en viennent à douter de son existence, et réapparaissant tout aussi inexplicablement dès lors qu'un danger risquait de venir troubler les paisibles humains qui la peuplaient.

Pourtant, la Terre n'était pas une Atlantide, pas une terre d'accueil. Le laxisme, l'inconscience, l'égoïsme avaient terni beaucoup de son charme. Et les terriens avaient la mémoire courte et le jugement hâtif.

Rares étaient les fois où l'homme banni venait en fouler le sol, pourtant jamais il ne l'avait reniée.


Ses doigts effleurèrent la rose rouge qu'Emeraldas avait laissé à son attention sur l'îlot de l'Ombre morte, il prit place devant le grand piano noir et oublia un instant le sang, les larmes et les combats. Chaque touche s'enfonçant sous ses doigts tintait dans le silence d'un son cristallin qui semblait s'amplifier dans l'étrange acoustique de ce lieu isolé du monde.

Evidemment, si quelqu'un avait observé cette scène, il aurait été bien surpris devant cet inhabituel tableau, comme si la noirceur de son uniforme, les blessures sur son visage, sa détermination au combat supposaient nécessairement que son âme soit aussi froide.

Harlock en fait, n'avait jamais été seul. Il n'était pas un mercenaire. Sa solitude était le refuge de fantômes bienveillants dont l'amitié éternelle emplissait son cœur d'une vraie richesse. Parmi ceux-là, une rose bien différente de toutes celles qu'Emeraldas pourrait laisser sur le piano…

Y aurait-il un jour d'autres roses dans son cœur ? C'était difficile à dire. Fidèle à des promesses, il veillait sur une planète qui avait fait naître bien des raisons de se battre. Et loin de l'anéantir, ses souvenirs avaient renforcé ses idéaux et adouci son âme. En somme, son cœur n'était pas vide.

Alors, lorsqu'il était parmi les vivants, le capitaine Harlock ne regardait pas vraiment les autres fleurs qui lui tendaient les bras, il n'en avait pas vraiment besoin puisqu'il était riche du souvenir de sa rose. Et c'était suffisant. Du moins, pour le moment.

Bien sûr il avait senti leurs ondes positives et leur chaleur, à ces autres fleurs, il y avait même parfois goûté. Mais rien ne pressait...

Parmi elles, patientes à ses côtés, une joueuse de harpe complice et une jeune officier en second dans son uniforme rose dont la ferveur ne tarissait pas malgré les années…

Mais après tout, à chacun son tour. Il était peut-être temps de se laisser apprivoiser et longue peut être l'approche pour qui veut apprivoiser un renard de l'espace…


– Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit Le Petit Prince.
On ne peut pas mourir pour vous.
Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble.
Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes […] puisque
c'est ma rose.

Le Petit Prince, Saint Exupéry