C'était une fraîche soirée d'avril, de celles qui annoncent un été prometteur. Le soleil déclinait lentement sur le comté de Somerset, donnant des tons pastel au paysage. On pouvait au loin voir la calme Brue s'écouler lentement vers la mer, les ruines de l'abbaye et la Tor s'imprégner des dernières lueurs de soleil. Les verts champs de blés s'inclinaient doucement sous la brise qui soufflait sur le village. Un impressionniste se serait régalé des nuances de ton et des jeux de lumière sur les hauts de Somerset, les collines qui entouraient le village.
Euh, excusez-moi, mais que faites-vous sur les hauts de Somerset ? Ce n'est pas du tout là que commence notre histoire ! Attendez, je vous redirige sur le bon chemin. Voilà, retournez-vous, il faut descendre dans le village. Alors, regardez, vous voyez le grand manoir lugubre qui dépasse des toits ? Bon, c'est déjà ça. La plupart des habitants ici ne le voient pas. Il me paraît pourtant assez imposant… Bref, c'est ici, qu'est en train de naître notre héroïne, en ce 25 avril 1926, dans le manoir des Glastonbury. Elle n'a pas encore de nom à cette heure.
La famille Glastonbury est la plus vieille famille de Sangs-purs du village, descendante des plus grands sorciers selon les croyances du comté. Je vous laisse donc imaginer le degré d'arrogance des membres de ladite famille ! Les plus anciens se croient directement héritiers de Merlin… Et agissent donc en conséquence…
Bon, revenons à nos moutons. Cela faisait maintenant presque douze heures que le manoir entendait d'atroces cris de douleurs faire trembler ses murs. Murs plutôt crasseux et poussiéreux, soit dit en passant. C'est incroyable ça, on dirait que la noblesse sorcière se sent tellement supérieure qu'elle ne peut pas prendre la peine de décrasser ses murs. Attendez, quel travail dégradant… De si purs esprits n'ont pas le temps de s'attarder sur de tels détails matériels… Hum. Bon, rentrons dans la chambre du premier étage.
De là où nous sommes, nous pouvons voir une femme en sueur. Mais la magie du récit fait que cette femme ne nous voit pas héhéhé. Euh… Bon, cette femme s'appelle Enid Elizabeth Madeleine Fitzgerald De Ros, Glastonbury de nom d'épouse. Ne l'embêtez pas trop, elle a tendance à être désobligeante. Elle me fait penser à un serpent, personnellement. Toujours laconique à propos de tout, mais prête à mordre si on l'agace un peu. Bref. A ses côtés, on peut trouver sa mère, Elizabeth, ainsi qu'une sage-femme qui sont venues l'aider à supporter l'accouchement. Elizabeth est faite du même acier que sa fille : elle ne supporte pas le dérangement et est donc assez intransigeante avec ses petits-enfants. Encore une famille qui respire l'amour, me direz-vous ! Je ne pourrais malheureusement qu'approuver. Ah, attendez, on a l'air d'arriver à la fin là ! Voyons voir…
Hohohoho, bien vu chers lecteurs ! Enid se redresse péniblement. Elle a l'air plutôt épuisée, ce qui peut paraître normal après toute une nuit de travail. (Sans blague !) On peut entendre le bébé crier après une gifle de la sage-femme (mais qu'est-ce qu'il lui prend à celle là ?).
Enid a toujours son air je-m'en-foutisme qui lui est habituel. C'est vraiment dingue, cette femme a le même degré d'expression qu'un robot ! La sage-femme et sa mère, Elizabeth, lui font un grand sourire en lui tendant le poupon, pauvre petite chose qui ne sait pas encore dans quel univers elle a débarqué. La mère prend l'enfant dans ses bras presque à contre cœur.
La pauvre femme se retrouve donc avec un bambin tout ridé et crasseux entre les bras. Elizabeth se tourne vers elle, inhabituellement radieuse (ça leur arrive !), et se met à hurler comme une poissonnière :
-Je ne sais pas de qui elle est celle-là, mais elle est bien plus réussie que les deux premiers !
Ah, oui, je ne vous ai pas précisé : Elizabeth a toujours été affectueuse avec ses petits-enfants, leur donnant souvent les doux surnoms de « imbécile heureux », « crétin du dimanche », pour faire soft, ou « espèce de petit rat », dans ses grands jours. J'avoue que je ne peux qu'être surprise par une telle maxime sortant de la bouche d'Elizabeth Fitzgerald De Ros. Ce serait presque un compliment !
-Comment allez vous l'appeler, Mrs ? demande poliment la sage-femme.
Hahaha… Kof Kof… Excusez-moi… Mon rire s'étrangle devant la naïveté de la sage-femme, qui n'a toujours rien compris à la famille de sentimentaux dans laquelle elle est tombée. Enid ne prend a priori même pas la peine de répondre et continue d'examiner son rejeton pendant qu'Elizabeth se charge de gentiment remercier la médicomage.
Il est vrai que cette chose qu'elle tient dans les bras pourrait paraître harmonieuse pour un nouveau-né, mais rien à faire, je pense qu'elle n'aura jamais d'affection pour elle. La petite est assez grande et grosse, comme prête à affronter la vie de dehors. Elle bat déjà des bras et a l'air d'avoir énormément d'énergie à revendre. Mais connaissant Enid, je pense qu'elle est plus dégoutée par l'état de saleté de la nouvelle-née qu'admirative devant sa soudaine ardeur.
Connaissant les gestes maternels, Enid ouvre doucement sa robe et présente son misérable sein au poupon (Je n'ai pas pu me retenir, désolée !). La petite avale le lait avec une voracité surprenante. C'est marrant, les deux premiers étaient plutôt apathiques… Ca fait du bien de voir enfin un peu de vitalité dans cette morne maison ! Ah attendez, Elizabeth vient de revenir.
-Eh bien, on peut dire qu'elle en veut ! s'exclame-t-elle en voyant que l'enfant tétait déjà goulûment sa mère.
Enid acquiesce gentiment.
-Je peux faire rentrer les garçons ?
Dilemme. J'imagine déjà ce qui doit se passer dans la tête d'Enid à cette question. Elle hausse les épaules pour toute réponse, comme indifférente. Je pense qu'elle ne doit pas spécialement avoir envie de les voir, aimante comme elle l'est. Les pauvres petits Clarence et Bartholomew ne sont vraiment pas tombés dans la bonne famille !
Bon, de toute façon Elizabeth appelle déjà les aînés de sa fille. Les enfants accourent presque immédiatement, excités comme des puces mais ne sachant réellement comment se comporter. Leurs parents leur avaient inculqué que le calme et la discrétion étaient deux grandes qualités à ne jamais négliger, mais allez dire à des enfants de cinq et trois ans qui viennent d'avoir une petite sœur qu'il faut rester digne et réservé… Leur grand-mère les amène devant le lit et leur présente leur petite sœur.
-Et voilà mes enfants, vous avez maintenant une petite sœur… tenta-t-elle de murmurer de sa voix de commerçante des faubourgs.
-Grand-mère… s'écria Clarence, le benjamin, elle est toute petite !
-Mais bien sûr qu'elle est toute petite, triple buse, elle va grandir ! lui répondit la vieille femme, passablement agacée. (Déjà !)
-Beurk… C'est dégoûtant… riposta Bartholomew en voyant la tête sale de sa sœur.
-C'est vrai qu'on aurait pu demander à cette incapable de sage-femme de la nettoyer. Quels bons à rien ces médicomages ! Juste bons à poser des J.O.U.R.N.E.E.S. … (Journées Optionnelles Unilatérales de Repos Nécessaires à l'Equilibre et à l'Euphorie Sorcières)
-Et comment elle s'appelle ? demanda Clarence.
Enid hausse les épaules. A dire vrai, personne n'en avait aucune idée, et je pense que la jeune mère s'en moquait royalement. La petite aurait aussi bien pu s'appeler Carabosse ou Père Fouettard, sa mère lui aurait donné autant d'attentions. Heureusement qu'Elizabeth est là pour assurer un minimum d'ordre. La grand-mère se rend d'ailleurs compte de l'état de latence de sa fille et propose aux garçons de trouver des idées pour les occuper. Malheureusement pour elle, les enfants se mettent aussitôt à chercher, et ce à haute voix.
-Matthew m'a raconté une histoire où Rapunzel faisait glisser ses cheveux par la fenêtre pour… commence Bartholomew.
-Rapunzel ? Oh non, c'est moche ! grimace alors son jeune frère.
-Bah proposes-en un si t'aimes pas ! reprend l'autre, vexé.
-Moi je préfère Guenièvre, comme la femme du roi Arthur !
-Guenièvre ? Ca fait vieux ! rigole Bartholomew
-Pas du tout, riposta Clarence.
-C'est pas parce qu'on habite Glastonbury qu'on doit appeler tous nos enfants par des noms de la table ronde, tu sais, gamin, intervient Elizabeth d'un ton exaspéré.
Elizabeth est l'une des seules à ne pas adhérer au délire mystique des Glastonbury. Peut-être parce qu'elle-même ne fait pas partie de la famille à part entière, me direz-vous. Néanmoins, elle avait beaucoup aidé Erec, feu le mari de sa fille, à limiter ses accès de fièvre chevaleresque lors de la naissance de ses fils. Leurs deuxièmes prénoms n'ont pas eu autant de chance…
-Mais grand-mèèèèèèèèère… Alleeeeeeeeeeezz ! Clarence commence à monter dans les aigus.
Ohlala je sens la catastrophe venir… Heureusement pour la fragile santé mentale de leur mère, la porte sonne à ce moment. Elizabeth, qui commençait à regretter sa suggestion, leur demande immédiatement d'aller accueillir le visiteur. Les enfants se mettent à courir dans le hall d'entrée, ravis d'aller annoncer la bonne nouvelle au visiteur, qu'il soit concerné ou non. Les deux femmes soufflent alors, soulagées d'avoir un peu de répit. Au bout d'un moment, la grand-mère demande poliment à sa fille :
-Alors, dis-moi comment tu veux l'appeler cette gamine ?
Enid ne répond pas, comme à son habitude depuis quelques mois. Depuis que son mari est mort, il y a de ça quelques mois, je ne l'ai pas entendu proférer une syllabe. Ah je vous préviens tout de suite : lorsqu'Enid est tombée enceinte, son cher et tendre époux était malade comme un chien et… disons qu'il aurait eu quelques difficultés à… Euh bref, vous voyez quoi ! La légitimité du troisième gosse Glastonbury a donc été légèrement remise en cause, quoi.
Bref, le mutisme de sa fille agace Elizabeth immédiatement.
-Tu ne vas pas terminer ta vie muette quand même ? Je commence à être vraiment agacée par ton délire de mutisme ! Donne-moi le nom de cet enfant avant que je m'énerve !
Enid a un sourire sarcastique. Je crois que ça fait des mois que sa mère lui fait le même type de colères. Elizabeth a dû d'ailleurs sentir qu'elle ne faiblirait pas, comme d'habitude. Merlin que sa fille est bornée ! Malheureusement pour Enid, s'il y a bien une chose qu'Elizabeth abhorre, c'est de ne pas avoir d'emprise sur quelqu'un. Elle se décide donc fermement à lancer le pire ultimatum qu'une mère puisse donner à sa fille :
-C'est simple, si tu ne me donnes pas le nom de cet enfant dans la seconde, je lui donne le nom de ta belle-mère !
Mouhahahahaaaaa cette femme est un génie ! Mais la menace n'a pas l'air de prendre… Enid grimace mais ne flanche pas. Elle détestait certes cordialement feu sa belle-mère, Mrs Glastonbury, dont elle partageait déjà le glorieux nom de famille, mais je crois qu'elle est dans un tel état de désintéressement que peu lui sied d'obéir à sa chère mère. Heureusement pour la grand-mère, ses petits-fils accourent bruyamment dans la chambre, traînant un homme par la manche.
-On a trouvé Oliver qui traînait dans le couloir, mère-grand ! s'écrie Bartholomew.
Youhouuu ! Chouette, j'adore Oliver ! Il fait partie de la seule branche de la famille dotée de sens et de sentiments. C'est en fait le fils de Duncan Fitzgerald de Ros, le frère d'Enid, qui est décédé il y a 13 ans je crois. Oliver n'a que 7 ans d'écart avec Enid, qui est née assez tard. Oliver est simplement génial : toujours une blague aux lèvres et une bêtise à faire, ce qui est un comportement qui peut paraître un peu détraqué dans la famille Glastonbury-Fitzgerald. Et pour preuve, Oliver et son père ont toujours été traités comme des désaxés… Ce sont pourtant d'après moi les plus sages et les plus savants de la famille. Duncan était un grand ami de Dumbledore, ils ont mené des milliers de recherches ensemble, jusqu'à sa mort en 1913.
Bon, revenons à nos moutons maintenant que je vous ai rapidement présenté la famille Fitzgerald De Ros. Sur le lit, Enid est à la fois ravie et furieuse de cette bruyante diversion, qui l'empêche certes de se prendre une soufflante, mais qui je le pense, va lui résonner un moment dans les oreilles (Les deux enfants ont dû hériter des gènes marginaux de Duncan et Oliver).
-Bonjour ma chère cousine, la salue Oliver. Toutes mes félicitations! S'exclame-t-il rayonnant, les bras ouverts pour enlacer sa tante.
Enid jette un simple regard à son neveu, arrêtant net ses chaleureuses effusions. Oliver commence à avoir l'habitude de ce genre de regards polaires, qu'il subit depuis son plus jeune âge. Il hausse les épaules, apparemment et se tourne vers la petite:
-Alors c'est lui le petit dernier de la famille ?
-C'est une fille, patate, répond Bartholomew en rigolant.
Oliver lui envoie un sourire éclatant en retour. De mémoire, il a toujours adoré les naissances et les enfants, au contraire de sa tante qui déteste cordialement tout ce qui peut la déranger dans son quotidien. Or, il est bien connu que les enfants ne sont pas renommés pour leurs habiletés ménagères… Des enfants légèrement turbulents comme Clarence et Bartholomew, qui passent leurs journées à glisser sur la rampe des marches, à éclater des coussins dans les couloirs et à se courir après ne peuvent convenir à Enid Glastonbury ! Oliver ébouriffe gentiment les cheveux de ses jeunes cousins et se tourne vers sa grand-tante Elizabeth.
-Alors elle n'a toujours pas parlé ? demande-t-il discrètement
-Devine ! lui répond-elle aimablement.
Depuis la mort de leur père, Erec, six mois auparavant, avec qui ils étaient très complices, les petits Glastonbury ont beaucoup été livrés à eux-mêmes, au grand désespoir d'Oliver. Il avait voulu proposer à sa famille de les prendre en charge quand sa cousine, enfin, sa tante, leur avait annoncé la grossesse d'Enid. Il avait été un peu surpris au départ, étant donné qu'Erec avait été très malade dans les derniers mois de sa vie. Enfin bon, ce naïf petit Oliver se disait qu'ils étaient magiciens tout de même, et que donc rien n'est impossible.
La nouvelle-née anonyme se détache soudainement du sein de sa mère, qui prend alors mécaniquement soin de la faire roter. Elle jette un nouveau regard fort agréable à sa famille pour leur faire signe de prendre congé avant de prendre froidement l'enfant contre elle et de fermer les yeux. J'imagine que la dernière question d'Oliver a dû l'énerver royalement :
-Il a un nom au moins cet enfant ?
Vous allez adorer la réponse d'Elizabeth, qui s'en est tenue à sa résolution d'emmerder sa fille:
-Ebony. Ebony Glastonbury.
Oliver jette un regard amusé à sa cousine. Il connaissait très bien la vieille Ebony, une mégère de la plus belle espèce (encore plus que les autres, si, si !). Enid devait enrager intérieurement ! Ils sortent tous, laissant la mère se reposer (quoique je doute que cette charognarde d'Enid eût besoin d'un quelconque sommeil).
-Je file au ministère la déclarer. Vous avez besoin de quelque chose ? propose Oliver, sachant que les deux femmes étaient seules.
- Oh oui par pitié ! Emmène les garçons avec toi…
Oliver fait une grimace, regrettant aussitôt sa proposition. Je sais qu'il adore les enfants mais disons que ce n'est pas spécialement facile de traîner des mômes surexcités dans les bureaux du ministère… Elles ont de ces idées ces vieilles folles…
-Euh… Disons que ce n'est pas très pratique d'emmener des enfants plutôt… euh… actifs dans un bureau…
Elizabeth le supplie du regard, la vilaine. Elle a passé la journée à entendre courir les garçons dans le manoir entre deux contractions d'Enid… Oliver comprend je pense.
-Bon très bien, je les déposerai à la maison…
Il aime bien ses cousins après tout, hein, même s'ils sont difficilement tenables. Et c'est sur leur départ par poudre de cheminette que nous allons terminer ce chapitre !
Au même moment, au-dessus des nuages…
-Gryffondor !
-Oui Merlin ?
-Où sont les autres ?
-On est là, Merlin.
Salazar, Serdaigle et Poufsouffle sortent de leur cachette timidement pour faire face au grand sorcier. Merlin les jauge du regard.
-Quel est l'abruti qui a fait naître cette gamine ? Elle a au moins quarante ans d'avance !
