Elle avait suivi Barry de près pendant plusieurs heures. Elle l'avait perdu pendant quelques temps pour le retrouver bien plus tard par pur hasard. Comme elle avait été soulagée. Elle faisait tout pour rester sur sa piste. Elle ne devait surtout pas le laisser lui échapper.


Milla et Barry sortaient ensemble depuis plusieurs mois. Ce dernier avait tout de suite mis les choses au clair. Ils ne se verraient pas beaucoup et jamais très longtemps. Milla ne posa pas de question et accepta, par amour sans doute. Et jamais Barry ne lui expliqua la ou les raisons derrière cette demande. Mais il a parfois eu tendance à oublier lui-même ses paroles et restait plus longtemps que prévu. Cependant, à chaque fois que cela arrivait, Milla le sentait plus nerveux, plus préoccupé. Alors elle s'inquiétait et il findait un sourire en lui déclarant que tout allait bien.

Ensemble, ils avaient pris l'habitude de traîner dans des friperies. Ils cherchaient tissus et autres accessoires un peu partout. Milla adorait le voir à l'œuvre. Il connaissait si bien ses goûts qu'il finit pas lui refaire toute une garde-robe. Il était doué, oui, mais il refusait toujours de montrer son atelier à Milla. Quand il devait travailler ensemble, il venait toujours chez elle. Jamais il ne la laisser entrer chez lui.

Il savait qu'au bout d'un moment, ces quelques petits détails finiraient par essouffler son couple. Il savait que, Milla avait beau accepter beaucoup de choses, elle finirait par se lasser de ce rythme et de ces bizarreries.

Ces quelques détails, en plus du manque de contact de plus en plus pesant, elle décida, bien qu'elle su que c'était mal, de suivre Barry pour savoir ce qu'il faisait de ses journées quand il ne voulait pas les passer avec elle. Que faisait-il qui lui empêcher de donner des explications sur ses absences ?


Et nous y voilà. Cela faisait à peu près une demi heure qu'il était entré dans un immeuble situé au cœur d'un jolie quartier. Lorsqu'il ressortit enfin, il était accompagné d'une femme. Milla aurait pu être jalouse. Elle l'était d'ailleurs très souvent, surtout avec le comportement de Barry. Mais cette femme était plus âgée, l'air bienveillante et sans rien à cacher. Milla poussa un soupir de soulagement mais sa tête était toujours remplie de mille et une questions. Barry s'éloigna de l'immeuble et finit par quitter le quartier.

Milla aurait peut-être du réfléchir sur le moment. Mais elle avait tellement peur de passer à côté de quelque chose d'important qu'elle fit quelque chose qu'elle n'aurait jamais fait avant : foncer. Elle sorti de sa cachette et apparut de derrière un mur. Elle se dirigea vers cette dame qui n'était pas encore rentrée tout en vérifiant bien que Barry n'était plus dans le coin. Son pas se faisait pressé. Et plus elle s'approchait, plus sa peur grandissait. Lorsqu'elle en fit plus qu'à quelques centimètre de la dame qui avait déjà tourner les talons pour rentrer chez elle, elle tendit la main et agrippa son bras. La femme se retourna et ne fut que très surprise de découvrir cette jeune fille au regard désespéré derrière elle.

- Que vous arrive-t-il ? lui dit-elle avec toute la bienveillance du monde.

Milla ravala sa salive. Elle prit le peu de courage qu'elle avait au fond d'elle pour poser sa question.

- Comment connaissez-vous Barry ? demanda-t-elle essoufflée.

La vieille dame ouvrit de grands yeux. Elle réfléchit un moment avant de répondre. Cette jeune fille connaissait Barry. Elle devait en être plutôt proche pour s'inquiéter de la sorte pour lui. De ce fait, elle pouvait comprendre que Barry ne lui ait rien dit. Mais la pauvre enfant semblait si angoissée que la dame finit enfin par lui répondre.

- Je suis le Docteur Fletcher.


Madame Fletcher avait emmené Milla chez elle. Elles buvaient un tasse de thé dans le silence le plus total.

Jamais le docteur Fletcher n'aurait imaginé une chose pareille. Milla s'était présenté auprès d'elle et c'était un fait, Barry avait une petite-amie.

La doctoresse était tenue au secret professionnel mais de telles circonstances devait lui faire repenser ses méthodes. Il était évident que Milla n'avait aucune foutu idée de ce qui avait conduit Barry chez cette thérapheute. La pauvre jeune fille angoissait de plus en plus. Elle finit par ne plus pouvoir se retenir et sortie son hôte de ses pensées.

- Est-ce que Barry a des problèmes ? dit-elle d'une voix à peine audible.

Le Docteur Fletcher ne savait pas comment réagir. Elle ne pouvait se résoudre à laisser cette gamine dans l'ignorance de ce qu'elle côtoyait mais n'arrivait pas à trouver comment aborder le sujet. Elle posa sa tasse sur la table basse qui lui faisait face et entama un début de conversation.

- Barry est... un garçon fascinant, plein de ressources et de générosité.

Milla esquissa un sourire.

- Mais s'il vient ici, ce n'est pas vraiment pour lui. Disons qu'il vient... pour eux.

- Je ne comprend pas, répliqua Milla en faisant disparaître son sourire.

S'en suivit une longue conversation ou Milla ne dit plus un mot, écoutant attentivement les paroles de la psychiatre en train d'essayer de lui expliquer que Barry n'était pas seul dans ce corps et qu'il n'en était d'ailleurs même pas le réel propriétaire. Elle tentait de faire comprendre à quel point il était impressionnant de voir que ces différentes identités existaient bel et bien et avaient chacune leur vie. Qu'elles se connaissaient, se parlaient. La preuve en était Milla elle-même. Le docteur Fletcher voulait que la jeune fille comprenne que Barry était réel, qu'il avait ses propres émotions, ses propres capacités. Elle lui parla de Kevin, de la horde, de pourquoi c'était Barry qui venait assister aux séances, de sa capacité à "allumer" et "éteindre" la lumière, de la pression qu'il pouvait recevoir des "autres".

Tout avait l'air à la fois tellement simple et tellement compliqué. Milla ne savait pas si elle devait être choquée ou fascinée. Une fois que le docteur eu finit son explication, Milla pris une grande inspiration. Elle se mit à réfléchir sur sa situation. Puis elle pris enfin la parole.

- Est-ce que... c'est pour ça qu'on ne peut pas se voir beaucoup ?

- Oui.

- Est- ce que c'est pour ça qu'il ne m'a jamais présenté ses amis ?

- Oui.

- Est-ce que c'est pour ça qu'il parle très peu de lui ?

- Je pense.

- Est-ce que c'est pour ça qu'il ne m'a jamais emmené chez lui ?

- Sans doute.

- Je vois... Je vous remercie Docteur Fletcher, je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

Milla se leva du fauteuil et s'apprêter à se diriger vers la porte quand la femme l'arrêta.

- Milla, vous avez l'air d'une jeune fille attentionné et intelligente. Ne prenez pas peur de ce que vous venez d'apprendre. Barry est une personne. Il est là, il est réel et il vous aime sans doute. Prenez soin de lui. Il ne le fait pas lui-même.

Milla lui sourit tristement et quitta la pièce.

En descendant les escaliers, elle repensa à toutes cette folle conversation. Tantôt elle accélérait quand un détails la saisissait, tantôt elle ralentissait quand quelque chose la faisait réfléchir. Elle se retint de fondre en larmes une fois sortie dans la rue.

Elle et Barry s'étaient donné rendez-vous le lendemain, de vive voix, mais la jeune fille, encore sous le choc, ne put s'empêcher d'envoyer un appel au secours à son amant. Elle voulait le voir le plus vite possible. Elle avait oublié comme il était difficile d'obtenir une rencontre imprévue avec Barry et son message n'eut jamais de réponse.


Lorsque Hedwig entendit une portable sonnait, il était dans sa chambre en train de dessiner en écoutant de la musique.

Le jeune garçon suivit la sonnerie jusque sur le bureau ou se trouvait chaque croquis de Barry. Coupure de magasines accrochés au mur, matériel de couture éparpillé un peu partout, ce désordre semblait plutôt organisé.

Hedwig et son esprit aussi curieux que vicieux s'empressa d'ouvrir le message de Milla.

"Je dois vraiment te voir au plus vite, rappelle moi s'il te plaît"

Il jubila en voyant ces mots. Il ricanait tout haut. "Oh, je devrais peut-être en parler à Mademoiselle Patricia, elle me féliciterai"

Le jeune garçon était en quête permanente de reconnaissance mais il était bien plus apte aux bêtises qu'à la gloire. Il savait de qui venait le message et quiconque se serait trouvé à sa place l'aurait su aussi. Eux, ils savaient tous qui était Milla. La majorité était d'ailleurs plutôt rempli de joie pour Barry. Mais la horde... La horde se méfiait comme toujours. Dennis et Patricia prenait un malin plaisir à convaincre Barry de rester avec eux. Et comme très souvent, Hedwig prenait un malin plaisir à effacer le message de Milla au lieu d'en parler aux autoritaires qui lui donnaient l'impression d'être important.

Ce n'est que le lendemain que Barry pensera avoir repris le contrôle. Il inspectera son téléphone sans y voir le moindre signe de Milla. Il attendra leur rendez-vous comme prévu sans savoir que la jeune fille angoissait depuis bien des heures.


- Barry doit penser qu'il a encore complètement le contrôle.

- Il ne mettra pas longtemps à s'apercevoir que quelqu'un lui dérobe peu à peu. Il n'est pas naïf à ce point et tu sais comme moi qu'Hedwig n'est pas le dernier à commettre de erreurs.

Dennis caressa son crâne en signe de réflexion. Il s'agitait un peu trop pour Patricia qui lui demanda de se calmer.

- Laisse le vivre sa vie pour l'instant. Si tu penses qu'il préfère se détacher de nous plutôt que de protéger Kevin...

- J'aurai raison ! Il est inconscient.

Patricia se tus. Comme si elle approuvait cette dernière remarque de Dennis. Comme si elle en comprenait tous les enjeux, ainsi que les insinuations. Intérieurement, elle souriait tandis que Dennis bouillonnait en tentant de réfléchir à une solution. Il n'en trouvait aucune qui n'impliquait pas quelques sacrifices.


Milla attendait Barry sur le banc du petit parc où ils se retrouvaient de temps en temps. Elle était rongée par l'angoisse. Restée sans nouvelles de son amant, elle ne savait plus quoi penser après les révélations de la veille.

Soudain, elle aperçut Barry traverser le portail d'entrée du parc. Il se dirigeait d'un air nonchalant vers la jeune fille sans savoir l'état dans lequel elle se trouvait.

Il s'essaya auprès d'elle après avoir déposer un baiser sur son front. Il avait maintenant remarqué ses yeux rouges et cernés par la terrible nuit de doute qu'elle venait de vivre. Il l'interrogea aussitôt.

- Milla, ça ne va pas ?

La jeune fille avait passé les longues heures séparant leurs deux rencontres à se demandait comment elle devait réagir, quelle attitude adopter et quelles questions poser.

- Depuis combien de temps ?

- « Depuis combien de temps » quoi ?

- Depuis combien de temps je sors avec 23 personnes ?

Barry se figea. Elle savait. Elle ne devait pas savoir mais elle savait. Il aurait voulu remonter le temps et faire beaucoup plus attention pour prévenir cette situation mais il devait maintenant faire face à sa plus grande crainte. Il devait surtout assumer et rassurer Milla.

- Écoute, tu ne sors pas avec 23 personnes, tu sors avec moi. Nous nous différencions, nous existons indépendamment les uns des autres.

- Oui, j'avais cru comprendre ça. Mais comment savoir à qui je parle ?

- Bon, je sais que tout cela doit te paraître très étrange, frustrant et sans doute irréaliste mais tu me connais bien. Ne penses-tu pas que si l'un des autres cherchait à prendre ma place auprès de toi, tu ne t'en apercevrais pas ? Et d'ailleurs, je ne vois aucune raison pour qu'ils puissent faire ça.

- Oui, mais eux, justement, ils te connaissent sûrement mieux que moi. Et ça me fait peur.

- As-tu seulement peur de ne pas avoir à faire à moi ? Le reste ne te dérange pas ?

Milla pris une grande inspiration qui fit couler une unique larme le long de sa joue, ce qui toucha Barry plus qu'il ne l'aurait cru.

- J'ai beaucoup réfléchi et je comprend la situation. Je sais que ça me dérangerait qu'un des autres sorte aussi avec quelqu'un car, après tout, cela reste ton corps, mais je me dis que ce n'est pas toi, et ça me rassure légèrement. Mais ce que je sais, c'est que je t'aime et qu'au moins maintenant, il y a pleins de choses que je comprend mieux par rapport à ton comportement. Mais j'aimerais avoir la certitude que tu es bien toi.

Le discours de Milla avait ému Barry au plus haut point. Les yeux humides et le nez coulant, il pris sa tête entre ses mains en respirant très fortement. Milla n'arrivait pas à interpréter cette réaction mais elle su à ce moment-là qu'elle n'était pas la seule à devoir être rassuré. Elle prit la main de Barry et lui sourit tendrement.

Pendant le temps qu'il leur restait, Barry pris soin d'expliquer le fonctionnement à sa petite-amie. Il lui dit qu'il contrôlait la lumière mais subissait des pressions pour la passer. Il lui dit qu'ils ne s'entendaient bien sur pas tous, que certains acceptaient la situation tandis que d'autres tentaient de s'en échapper. Puis, il prit soin de décrire chacune des autres identités qu'abritait ce corps. Il alla dans les moindres détails pour rassurer la jeune fille et lui donner tous les éléments nécessaires pour reconnaître un éventuel imitateur. Il lui dit que certains auraient aimer la rencontrer et Milla se sentit flattée. Elle approuva cette idée et Barry se sentit rassuré à son tour.

Après ces explications et pris d'un soudain élan de courage, le jeune homme proposa une expérience à son amie.

- Je vais donner la lumière quelques courts instants à l'un des autres, d'accord ?

Plongée au cœur des choses subitement, Milla appréhenda la rencontre mais fini par laisser Barry faire. Il ferma les yeux quelques secondes puis les rouvrit doucement. Milla sentit qu'il n'était plus là. Cela se voyait à son visage, son expression, même son regard avait changé. Ce qui surprit le plus Milla, c'est qu'elle eut immédiatement l'impression d'être confronté à une fille. Lorsque l'inconnu releva la tête en direction de la jeune fille et l'aperçut, un grand sourire se forma sur son visage et ses mains vinrent saisir celle de la jeune fille.

- Tu es Milla ?

Elle dit « oui » de la tête.

- Je suis Jade. Cela me fait vraiment plaisir de te rencontrer. C'est génial que Barry ait bien voulu me donner la lumière pour te voir. Étonnant mais génial.

- Barry m'a dit que vous étiez tous très différents et que vous aviez chacun vos propres capacités.

- Ma pauvre, ma différence à moi, c'est le diabète. Bordel, c'est l'éclate total. Merci beaucoup. Des capacités mon cul oui !

Milla eut la sensation bizarre de visualiser Jade rien qu'à sa manière de parler et de se mouvoir dans l'espace. C'était très étrange mais elle était contente de parvenir à l'apprécier.

Lorsque Barry reprit le contrôle, il s'inquiétait beaucoup de ce qui avait pu se passer mais Milla le rassura et il sourit comme il savait si bien le faire, en laissant voir ses dents, accompagnant son regard espiègle. Il posa sa main sur sa tête en signe de soulagement et poussa un soupir toujours le sourire aux lèvres. C'était fou à quel point on pouvait le reconnaître. Pas un seul instant Milla n'avait doutait de la présence de Jade avec elle et pas un seul instant elle douta du retour de Barry. Avant qu'ils se quittent, Milla s'interrogea sur un point.

- Tu m'as beaucoup parlé de Dennis, Patricia et Hedwig dans tes descriptions. Pourquoi ce n'est pas un de ces trois que tu m'as présenté ?

Barry aurait voulu éviter le sujet mais quitte à tout révéler à Milla, autant qu'elle sache cela aussi. Cela pourrait se révéler important.

- Disons que ces trois là ne sont pas les plus appréciés par la majorité d'entre nous. Ils ont… des idées, et des envies… bizarres. On se méfie un peu d'eux en fait. Après tout, dans une coloc entre 23 personnes, il faut bien quelques conflits, non ?

Il tenta de la rassurer, et de se rassurer aussi, sur le ton de l'humour, mais Milla avait bien vu que Barry ne plaisantait pas. La jeune fille ne demanda pas plus d'explications sur ce sujet mais avant de laisser partir son amoureux, Milla pensa à quelque chose.

- Au fait, pourquoi tu ne m'as pas répondu plus tôt ?

- Répondu à quoi ?

- Je t'ai envoyé un message en urgences hier soir.

- Je n'ai rien sur mon téléphone.

- Il y a peut-être eu un dysfonctionnement.

Barry, qui s'était levé, s'apprêtant à partir, réfléchi quelques secondes à ce détail. Soudain, il ouvrit de grands yeux et se figea.

- Quand on vit dans une organisation comme la nôtre, je peux t'assurer que ce n'est pas une dysfonctionnement. A tous les coups, je n'avais pas le contrôle quand tu as envoyé le message et un petit malin a du l'effacer volontairement.

- Un petit malin ?

- Ou un grand dérangé. Je dois faire plus attention.

Puis les deux amants se quittèrent sans vraiment savoir quand ils pourraient se revoir. Barry ne savait pas s'il devait se réjouir ou s'inquiéter mais à présent que Milla connaissait son secret, la situation ne semblait plus si difficile, non ?