Le temple des brumes
Auteur : Shizuka Kurai
Genre : shônen-ai, darkfic, cross-over avec Wolf's rain, X et Kingdom Hearts (KH pour les intimes) dans les prochains chapitres
Série : Gravitation
Pairing : Yuki Eiri / Shindô Shûichi
Disclaimer : Persos de Maki Murakami pour ceux de Gravitation
Commentaires : Cette fic un peu étrange sera bel et bien un cross-over avec d'autres univers totalement différents de celui d'origine, à savoir Gravitation. C'est d'ailleurs l'écriture de cette fic qui a accaparé toute mon inspiration pendant de longues semaines, avant que je connaisse une période de creux. J'espère que vous la lirez malgré le fait qu'elle est beaucoup retardé la sortie du chapitre 12 de « Bring me to the light », mais je ne sais pas si le sujet vous accrochera. On verra. Moi je l'ai aimé, et si vous l'aimez, je débuterai pour de bon la suite que j'ai déjà prévu à cette fic, un véritable cross-over de la mort-qui-tue ! (mais vraiment hyper complexe à mettre en chantier… Kusoooo, dans quoi me suis-je lancée…? ). Allez, bonne lecture quand même !
Pour info, j'ai écrit cette fic avec pour fond sonore un cd d'ambiance de bruits d'orage. Franchement, ça rend l'histoire très réaliste et on est tout de suite plongé dans l'univers des personnages…
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Chapitre I : L'excursion
- « Yukiiiiiii ! Attends, onegai shimasu !! »
- « T'as qu'à te dépêcher un peu, kuso no ko ! bougonna le jeune homme blond. Je t'avais dit de pas venir, mais comme d'habitude, tu n'en as fait qu'à ta tête. Alors maintenant tu te tais et tu marches en silence. »
- « Mais… »
- « URUSAI ! »
- « Yuki ! ATTENTION !! » s'écria soudain l'adolescent.
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Quelques jours plus tôt, à Tokyo…
- « Tadaimaaaa ! Yukiiiiii ! » s'écria un jeune homme à la chevelure rose fuchsia en pénétrant dans l'appartement où il habitait depuis deux ans avec son amant, l'illustre romancier Yuki Eiri.
Pour toute réponse, le chanteur n'obtint qu'un silence absolu, mais le rai de lumière qui filtrait par-dessous la porte du bureau trahissait la présence de son colocataire. Bah, peu lui importait d'avoir une réponse finalement, car lorsque l'autre occupant de ces lieux daignait lui adresser la parole, c'était généralement pour l'envoyer bouler. L'écrivain devait donc être particulièrement bien luné ce soir. L'adolescent retira ses chaussures en fredonnant la mélodie qu'il avait travaillée dans l'après-midi avec son groupe, avant d'enfiler ses pantoufles et de se diriger vers le salon où il se délesta de son sac à dos. Il fit ensuite demi-tour, et partit rejoindre son compagnon dans le bureau.
Yuki était comme à son habitude installé devant son ordinateur portable, ses yeux dorés rivés sur l'écran tandis qu'il sirotait une tasse bien dosée en caféine. Shuichi ne se lassait jamais de ce spectacle pourtant habituel et des plus banals, mais qu'il vénérait avec une dévotion quasi religieuse. Comment quelqu'un pouvait être aussi divinement beau et superbe ? Sa seule réponse : il fallait être Yuki Eiri, l'homme le plus resplendissant et le plus merveilleux que l'Humanité ait jamais connue. Un homme ? Non, un dieu ! Yuki Eiri était vraiment un dieu, il était SON dieu, et personne ne pourrait le lui voler ou lui faire du mal. Le musicien ne permettrait jamais ça, tellement il aimait son compagnon. Il s'était même surpris depuis peu à penser qu'il serait capable de tuer pour protéger le romancier.
« Allons, Shindô Shûichi !se gourmanda intérieurement l'artiste. Ne dis pas des choses pareilles ! Ce n'est pas bien de tuer des gens, même pour le bonheur de ton amant. Et pourtant… »
Pourtant, son cœur était parfois le berceau d'un ouragan de sentiments dont il n'arrivait plus à contrôler l'ampleur. Et parmi ces sentiments, il y avait cette émotion poignante, ce sentiment étrange, cette haine intense qui le submergeait parfois sans aucune raison… Il n'y avait alors plus que Yuki qui comptait, et cette envie de détruire toute menace autour de lui qui importait. Shuichi était en train de sombrer lentement dans les ténèbres d'une furie sans nom, et Yuki était la seule lumière qui l'attirait, telle une lampe attire le papillon dans la nuit. S'étant à nouveau laissé emporter dans le tourbillon de ses tourments, l'artiste n'avait pas remarqué que son compagnon s'était levé, agacé par son regard insistant, et s'était approché pour le tancer (1) vertement. C'est en voyant le regard terrible et l'aura sombre que semblait dégager l'adolescent que l'écrivain frémit et s'inquiéta.
- « Oï, baka ! Est-ce que ça va ? » demanda-t-il sur un ton moins sec que d'habitude qui trahissait son inquiétude.
L'artiste ne lui répondit pas. Gardant un silence pesant, Shuichi semblait être totalement ailleurs. Ses yeux perdus dans le vague affichaient une effrayante lueur…
- « Oï ! Shuichi ! » l'interpella à nouveau le blond en le secouant par l'épaule.
Le gamin eut un sursaut de surprise, et il ferma les yeux en se retenant au chambranle de la porte pour ne pas tomber. Sa respiration se fit haletante, et il resta ainsi, tête baissée, pendant au moins une bonne minute. Eiri s'inquiétait de plus en plus, mais soudain le musicien ouvrit ses yeux d'un bleu profond et les leva vers lui.
- « Yuki ? s'étonna ce dernier. Que… Qu'est-ce qu'il y a ? »
- « C'est plutôt à moi de te poser la question, baka ! répliqua le blond. Tu avais un comportement bizarre et brusquement, tu es devenu blanc comme un linge. T'es sûr que ça va ? »
- « Hein ? Ben bien sûr, Yuki, répondit l'autre, l'air perplexe. Pourquoi tu me demandes ça tout d'un coup ? »
- « Parce que t'as eu comme une absence avant de manquer t'évanouir dans mes bras, baka ! »
- « Oooooh ! C'est vrai ça ? fit le musicien, émerveillé. J'aurais dû m'évanouir pour de bon alors, si j'avais su que tu allais me rattraper. »
- « … Me dis pas que t'as joué la comédie ? »
- « Ben non, je crois pas. »
- « Hein ? Comment ça ? Tu ne rappelles pas ? » l'interrogea Eiri.
- « Me rappeler de quoi ? Je viens d'arriver, j'ai posé mes affaires et je venais te faire un petit bisou avant d'aller au lit, » lui répondit l'artiste.
- « … »
Shuichi ne semblait conserver aucun souvenir de ces quelques minutes où son comportement avait été des plus singuliers… L'écrivain était de plus en plus intrigué, et lui qui pourtant n'était pas du genre à se faire du mouron pour si peu, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une appréhension certaine. Ce qui n'était pas pour l'arranger alors qu'il s'apprêtait à partir en voyage. D'ailleurs, il ne l'avait pas encore annoncé à son compagnon. Comment allait-il pouvoir lui apprendre la nouvelle ? Et comment ce gamin écervelé allait-il la prendre ? Avec force cris et jérémiades très certainement. En poussant un soupir fatigué d'avance, le romancier retourna s'installer devant son ordinateur, son chanteur d'amant sur les talons.
- « Shuichi, j'ai pas vraiment le temps là… fit le blond d'un ton qu'il fit le plus doux possible pour éviter une crise de larmes du musicien. Je dois partir demain matin pour la région de Nagano, dans les Monts Kiso (2), et je n'ai toujours pas réussi à trouver d'hôtels à proximité. »
- « C'est là que tu vas ? l'interrogea l'artiste en montrant une grande forêt entourée d'un cercle rouge au milieu de la carte affichée sur l'écran du pc. Y a peut-être pas d'hôtels, mais je peux te certifier qu'il y a un village. Et t'auras même pas besoin de payer ton logement, parce que mon grand-père y tient une maison d'hôte, et que je peux te faire loger gratis. »
Au grand étonnement de l'écrivain, Shuichi n'avait même pas exprimé un semblant de désespoir à l'annonce du départ de son amant. L'adolescent semblait même étrangement calme. Eiri ne savait pas pourquoi mais il l'avait l'impression que ça cachait quelque chose. Il n'eut pas à attendre longtemps pour voir ses soupçons se confirmer.
- « Bon, je téléphone à mon grand-père, et je prépare mon sac, lança soudain le musicien avec un grand sourire malsain qui semblait dire " Tu trouveras jamais un toit où dormir si tu m'emmènes pas avec toi". Au fait, tu vas faire quoi dans ce coin perdu ? »
- « C'est pas tes affaires, baka… » rétorqua froidement le blond.
- « Oh zut ! Je crois bien que Ojii-chan n'a plus le téléphone depuis la semaine dernière avec l'orage qu'il y a eu. Je ne sais pas s'ils ont eu le temps de réparer la ligne. Et si je ne le préviens pas de notre arrivée, il ne pourra pas nous garder une chambre… » fit le chanteur sur un ton badin qui contrastait avec la menace implicite qu'il venait de faire à son compagnon.
Eiri garda un silence agacé mais perplexe, le regard tourné le musicien. Shuichi n'était pas du genre à se venger du mauvais caractère de son amant, mais l'écrivain sentait qu'il le regretterait amèrement s'il partait seul. Et puis, l'attitude du chanteur lui paraissait vraiment insolite. Et ce n'était pas seulement ce soir. Cela faisait déjà quelques temps qu'il avait remarqué chez l'artiste une agressivité qui ne lui était pas commune. De plus, une sensation diffuse de puissance émanait parfois du chanteur. Un charisme nouveau qui lui donnait un air sérieux et terriblement attirant. Pendant qu'il observait l'adolescent, Yuki n'avait pas remarqué que celui-ci parcourait activement la zone ciblée sur la carte, tout en consultant les précédentes recherches de l'écrivain.
- « C'est pas vrai… » souffla soudain Shuichi qui venait de découvrir les intentions de l'écrivain, après avoir jeté un rapide coup d'œil aux précédentes recherches du romancier sur le net.
- « Quoi ? » s'enquit le blond.
- « Tu cherches le temple Kirishima ? Dit aussi "le Temple des Brumes"…»
- « Oui, et alors ? »
- « Alors, ce temple renferme un secret qui nous dépasse tous. Selon la légende, il est "le lieu sacré où s'ouvre les portes vers d'autres mondes"… Mais quiconque serait avisé d'y pénétrer serait aussitôt réduit à néant, son cœur noirci par d'obscures ténèbres disparaissant dans les limbes d'un chaos infernal… »
Shuichi avait récité tout ce monologue d'une voix monocorde, le regard figé sur un point précis de la carte qu'il désignait de son doigt. Il semblait de nouveau à 3 millions de kilomètres d'ici.
- « Je dois y aller… » ajouta l'adolescent dans un souffle avant de s'effondrer brusquement.
- « Oï ! » s'exclama le romancier en le rattrapant.
Y aller ? Mais aller où ? Au temple ? Eiri n'eut même pas besoin d'emmener son amant jusqu'à la chambre que celui-ci reprenait déjà conscience.
- « Shu… Shuichi… balbutia le blond en aidant l'artiste à se relever. Ça va ? »
- « Heuuu… Haï… Enfin je crois… répondit le musicien d'un ton hésitant. J'ai juste eu comme un black-out… Bah, ça doit juste être un peu de fatigue, ajouta-t-il pour rassurer son compagnon. Et puis, j'ai pas beaucoup mangé à midi, alors j'ai dû faire une petite crise d'hypoglycémie. »
Comme pour confirmer ses dires, son estomac émit soudain une série de sons disgracieux. Yuki grimaça de dégoût autant que de dépit, tandis que l'adolescent rougissait furieusement avec un sourire gêné, et le blond éteignit son ordi avant d'aller préparer à manger. Pendant le repas, Shuichi ne cessa de l'interroger sur les raisons pour lesquelles il voulait voir ce temple. Yuki lui répondit évasivement qu'il avait besoin de renseignements pour son prochain roman, et que les mystères circulant autour de ce lieu saint l'intriguaient au plus haut point. Les légendes à son propos disaient que ceux qui avaient perdu la voie, pouvaient revenir sur le droit chemin en faisant une offrande bien particulière au temple. Quelle offrande devait-on faire ? Et surtout quel dieu ou déesse vénérait-on là-bas ? Etait-ce bien un temple bouddhiste comme le prétendait son père ? Personne ne le savait, et Eiri, en tant que fils de moine, ne pouvait s'empêcher de se sentir intéressé et concerné par cette aura de mystère…
C'était par son père que l'écrivain avait entendu parler de ce temple dans son enfance, mais il l'avait depuis longtemps oublié. Il avait fallu un nouveau roman en prévision, et l'allusion de son frère Tatsuha à ce temple il y a quelques jours, pour qu'Eiri s'en rappelle et décide d'en faire le sujet dudit roman. Mais pour cela, il avait besoin d'un peu plus de détails que les bribes d'informations qu'il avait trouvé jusqu'ici, et c'était pourquoi il avait décidé d'aller voir lui-même sur place pour enquêter. Son seul problème résidait surtout dans le fait que personne ne connaissait l'emplacement exact du temple, et qu'il allait sans doute devoir passer plusieurs jours là-bas.
Cela signifiait donc qu'il allait devoir dormir sur place. Et l'idée de faire du camping sauvage pour rechercher un bête temple, même empli de mystères, ne l'enchantant pas vraiment, il se doutait bien qu'il allait devoir accepter la proposition et surtout la présence du musicien. Il n'avait pas trop envie de s'encombrer de ce poids mort, mais pour un fils de bourgeois comme lui n'ayant jamais vécu autre part que dans les plus grandes mégalopoles du monde, et habitué à une vie aisée, il allait avoir besoin d'aide pour ne pas se retrouver à la rue, enfin, plutôt perdu en pleine nature. D'autant plus qu'il ne connaissait absolument pas les lieux, et même la carte qu'il avait téléchargée sur le net ne lui servirait pas à grand-chose, vu qu'il ne savait pas la lire. Il avait déjà tellement de mal avec une carte routière qu'il utilisait toujours le GPS, alors avec une carte forestière, bonjour les dégâts. Finalement, de deux maux, il valait peut-être mieux choisir le moindre…
- « Dis-moi, Shuichi… » demanda soudain le blond à son compagnon.
- « Haï ? »
- « Tu connais bien les environs là-bas ? »
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C'était donc ainsi que Yuki avait embarqué le musicien dans sa folle épopée à travers les pentes boisées des Monts Kiso. L'écrivain avait bien objecté que Shuichi avait ses enregistrements au studio, mais l'artiste lui avait annoncé qu'il avait quartier libre pour tout le week-end, et comme on était déjà vendredi le jour du départ, il pouvait se permettre une petite balade en amoure… se permettre d'accompagner son amant. Après quelques heures de trajet en train, les deux jeunes hommes étaient arrivés dans le village de Kamiki (3), un patelin tellement paumé que même l'auteur de cette fic et les bouquins de géographie ignorent où il se trouve. L'après-midi avait été consacré aux préparatifs de leur excursion du lendemain, et aux réjouissances organisés par l'ancêtre Shindô. Ils avaient ensuite passé la nuit dans la maison du grand-père, et s'étaient levés très tôt (9h du matin, c'est extrêmement tôt pour Yuki. Hihi !… BLAM !! Aïeuh… fichu dico…) avant de partir à l'aventure.
Yuki s'était équipé du strict minimum vital pour une randonnée censée durer à peine une journée selon l'écrivain, et son sac faisait vraiment pâle figure à côté de celui de Shuichi. À voir la taille de son sac à dos, on aurait pu croire qu'il partait en expédition pour 15 jours dans la jungle amazonienne. L'écrivain n'avait même pas eu le courage de lui demander quel barda le chanteur pouvait bien transporter là-dedans. D'ailleurs, le blond se demandait comment Shuichi pouvait bien réussir à porter ce sac quasiment aussi grand que lui et certainement presque aussi lourd, sinon plus.
- « On ne sait jamais ! » lui avait dit le musicien pour le convaincre.
Mouais… Yuki se disait plutôt que son amant s'encombrait pour rien, mais le musicien le fatiguait déjà tellement par sa bêtise qu'il ne voulait pas s'épuiser en vaines discussions juste avant leur excursion. Après quelques instructions de dernière minute données par le grand-père Shindô sur la météo instable qui annonçait des orages pour la fin de la journée, ils étaient donc enfin partis sur le coup des 11h du matin. Le soleil brillait de mille feux au dessus des montagnes Kiso, promettant aux deux randonneurs, sinon la découverte du fameux temple des brumes, au moins une agréable promenade en cette fin de mois d'août.
Le romancier marchait droit devant lui, suivant le sentier qui s'étendait sous ses pas. Comme Shuichi lui avait dit qu'il y avait de nombreuses antennes-relais dans le coin, il avait emmené son téléphone portable avec lui, tout comme Shuichi l'avait fait. Bien qu'ils aient attentivement étudié la carte des environs la veille au soir en compagnie de Shindô Naotoka, il y avait toujours un risque qu'ils se perdent. De plus, il était plus prudent d'avoir un moyen de communication avec la civilisation en cas de problème. Seulement, le blond ne s'attendait pas à ce que son amant en fasse une autre utilisation.
BIDIBIDIP ! BIDIBIDIP !!
- « Bon sang, Shuichi ! Tu vas arrêter ton cirque oui ? hurla l'écrivain au chanteur qui était bien évidemment à la traîne. Tu vas finir par user toutes les batteries de nos portables avant qu'on ait vraiment un problème ! »
- « Maiiiiiiis ! Yukiiiiiii ! Tu vas trop vite, j'arrive pas à te suivre ! » se plaignit l'adolescent qui le rejoignait avec peine sur le sentier escarpé.
- « C'est pour ça que je t'avais dit d'emporter moins de bordel, baka ! rugit le blond en s'arrêtant un instant pour l'attendre. On sera de retour ce soir, alors tu n'avais pas besoin de tout ça ! »
- « Et moi je te soutiens le contraire ! T'es vraiment un gars de la ville, toi ! lui rétorqua Shuichi. La zone où est supposé se trouver le temple est super vaste. Le temps d'y aller, on sera déjà en plein après-midi, et si on veut le chercher, on n'aura jamais le temps de revenir avant la nuit. On va devoir dormir sur place. »
- « Pfff ! C'est pour ça que tu as emporté ton sac de couchage ? » grinça froidement le blond.
- « Que j'ai emmené NOTRE sac de couchage, mon Yuki ! répondit le gamin tout fier de lui. C'est un sac deux-places, » ajouta-t-il avec un grand sourire baveur.
- « … (soupir)… » se désola le romancier avant de reprendre son chemin, le musicien sur les talons.
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Ils étaient partis depuis deux bonnes heures déjà. Le temps qui s'était maintenu au beau fixe jusqu'ici, annonçait déjà les signes avant-coureurs d'une perturbation. Une légère brise s'était levé alors que les deux amants s'étaient arrêtés pour la pause déjeuner, et des nuages d'un gris inquiétant étaient apparu derrière le Mont Koma (voir 1°) que l'on pouvait apercevoir à travers l'épaisseur du feuillage. Quand Shuichi avait suggéré au blond de faire demi-tour pour ne pas se prendre l'orage, celui-ci lui avait rétorqué que la chaîne de montagne ferait barrage et que l'orage ne viendrait pas jusqu'à eux. Le musicien, qui connaissait sans doute mieux le climat montagnard que son compagnon, était convaincu du contraire, mais il savait que sa bourrique d'amant ne l'écouterait pas, et continuerait quand même. Celui-là alors, quand il avait une idée dans la tête, il ne l'avait pas ailleurs. Enfin… si parfois… Mais dans d'autres circonstances que Shuichi était bien loin de détester…
Bref, les deux randonneurs continuèrent leur chemin malgré les avertissements du musicien. Plus l'après-midi avançait, plus les nuages semblaient défier les prévisions de l'écrivain. Les énormes masses cotonneuses avaient depuis longtemps dépassé la barrière des montagnes censée les protéger, et l'on pouvait même entendre au loin comme un grondement sourd qui se répercutait en écho à l'infini dans les défilés rocheux des hauteurs. Le tonnerre… Le chanteur se demandait s'ils arriveraient à rejoindre à temps la grotte où son grand-père l'emmenait parfois quand il était petit, quand ils partaient ensemble camper dans la forêt. Il y avait aussi un abri de montagne destiné aux randonneurs comme eux, mais Shuichi n'était pas sûr de pouvoir retrouver l'endroit exact, et ce, avant l'arrivée de la pluie. La grotte semblait la meilleure solution.
Depuis longtemps déjà, Eiri avait laissé les commandes au musicien, se laissant guider par celui-ci à travers la forêt. L'artiste n'avait pas encore dit à son compagnon où il le conduisait, se doutant bien que ce dernier refuserait certainement de s'y rendre, convaincu qu'il était de pouvoir trouver le temple avant l'orage et de s'y faire loger pour la nuit. Car il était maintenant évident, même pour le romancier, qu'ils n'auraient pas le temps de rentrer à Kamiki avant la nuit, et que d'ici peu, ils allaient être pris dans la tourmente s'ils ne trouvaient pas rapidement un abri. Après avoir emprunté des sentiers particulièrement abrupts pendant un long moment, Yuki commença à se demander où l'adolescent le conduisait. Un temple avait besoin d'un terrain plat d'assez grande superficie, pas d'arêtes acérées comme celles qui se dessinaient à quelques centaines de mètres au-dessus d'eux.
- « Oï, baka ! Tu m'emmènes où là ? T'es sûr que le temple est dans cette direction ? » demanda-t-il abruptement à son compagnon.
- « Heuuu… ben… En fait, on va pas tout à fait dans… dans la direction du temple… » avoua le musicien , sans oser se retourner pour regarder son amant.
- « Quoi ? éructa le blond, hors de lui en retenant l'artiste par le bras. Où tu m'emmènes alors ? »
- « On n'aura jamais le temps d'aller jusqu'au temple avant l'orage ! se défendit le musicien. Mais je connais un endroit où on pourra s'abriter ! Une grotte pas loin d'ici où…»
- « Tsss ! le coupa sèchement Eiri. Qu'est-ce t'en sais d'abord ? Personne ne sait exactement où se situe ce fichu temple. Si ça trouve, on est juste à côté. Je croyais que je pouvais te faire confiance pour me guider, mais finalement, je me suis trompé. Tu pourras rentrer chez ton grand-père, ou aller à ta fichue grotte, mais moi je vais chercher le temple. Salut ! »
- « At…Attends ! Yukiii ! » cria Shuichi en partant à la suite de l'écrivain qui s'était engagé à travers les buissons jalonnant le bord du sentier dans ce qu'il estimait être la bonne direction.
- « Ton grand-père a dit que pour rejoindre le temple, il fallait marcher tout le long de cette grande montagne, » fit le blond en désignant le plus haut sommet du massif.
- « Oui, c'est le Mont Koma. On s'en sert toujours comme point de repère par ici, expliqua l'adolescent en essayant de se frayer un chemin dans les pas de son compagnon. Mais le temple est censé se situer près de la crête du Héron Blanc (4), là-bas, ajouta-t-il en désignant un à-pic rocheux assez loin vers l'ouest. On n'aura pas le temps d'y arriver, Yuki. »
- « Si on se dépêche, on y arrivera, bougonna le romancier. Mais c'est sûr qu'avec ton fourbi sur le dos, ça va pas mal nous retarder. Laisse-en un tas dans le coin, et on reviendra y chercher demain au retour. »
- « Yukiiiiiii ! Attends, onegai shimasu !! »
- « T'as qu'à te dépêcher un peu, kuso no ko ! bougonna le jeune homme blond. Je t'avais dit de pas venir, mais comme d'habitude, tu n'en as fais qu'à ta tête. Alors maintenant tu te tais et tu marches en silence. »
- « Mais… »
- « URUSAI ! »
- « Yuki ! ATTENTION !! » s'écria soudain l'adolescent.
Shuichi avait voulu le prévenir que c'était une très mauvaise idée de sortir du sentier pour s'engager à la légère dans les buissons, surtout quand on savait que le coin regorgeait d'à-pics vertigineux déchirant soudain la forêt comme s'ils avaient été découpés au couteau. Et bien évidemment, en bon citadin qu'il était, Eiri n'en avait fait qu'à sa tête et avait foncé tête baissée vers la mort. Ou plutôt le nez levé un peu trop haut par rapport à ses pas. Le sol se déroba brusquement sous les pieds du romancier alors qu'il sortait d'une futaie obscure, et il se sentit basculer dans le vide. Shuichi, qui s'était aussitôt délesté de son sac quand il avait vu son amant se diriger vers la falaise, avait réussi à éviter à son compagnon une chute mortelle. Cependant, ils étaient malgré tout dans une fâcheuse posture. L'artiste avait agrippé le poignet de l'écrivain et retenait celui-ci qui cherchait des appuis sur la façade rocailleuse. Cependant, l'écrivain était plus grand et plus massif que le gabarit de pin's du chanteur qui avait de plus en plus de mal à le retenir. Pourtant, l'adolescent tenait bon, avec une détermination qui rougissait ses joues sous l'effort et faisait blanchir les articulations de ses mains. Yuki savait que le gamin ne résisterait pas longtemps, et peut-être même, serait entraîné avec lui dans le gouffre.
- « Shuichi, l'appela le blond. Tu n'arriveras jamais à me remonter, alors lâche-moi. »
- « Il n'en est… pas… question ! » refusa tout net l'artiste d'une voix étranglée.
- « Lâche-moi, espèce d'imbécile ! Tu vas finir par tomber avec moi ! »
- « Si tu veux pas que je tombe, t'as qu'à arrêter de gesticuler et me donner ton autre main pour que je puisse te remonter ! »
Shuichi avait crié ces mots presque avec colère. Comment l'écrivain pouvait-il croire qu'il le laisserait chuter dans le vide pour sauver sa propre vie ?
- « Tsss ! T'es vraiment idiot ! » pesta Yuki.
- « NON ! C'est toi qui est vraiment idiot et stupide ! s'écria le musicien. Comment tu peux penser une seule seconde que je te laisserai tomber ? Pourquoi tu ne me fais pas confiance ? Hein ? Pourquoi ? Je t'aime plus que tout ! Alors me demander de te lâcher, c'est me demander de me jeter moi-même dans ce ravin ! »
- « … »
- « Jamais je ne pourrais te laisser tomber, Yuki… murmura l'adolescent, les yeux soudain humides. Je t'aime trop pour ça…Yuki…»
Deux gouttes d'eau vinrent s'abattre sur le visage du blond. Un instant, il crut que la pluie commençait à tomber, mais il s'aperçut bien vite que c'était son amant qui pleurait à présent à chaudes larmes. Troublé, l'écrivain avala lentement sa salive et plongea ses yeux dans le regard d'azur infini du musicien. Dedans, il pouvait y lire une profonde tristesse mêlé d'une intense conviction : Shuichi préfèrerait mourir que de le laisser tomber.
- « Tsss… Baka… » lâcha le blond avec un sourire nanoscopique avant de tendre son autre main vers l'artiste et de s'aider de ses pieds pour remonter.
Shuichi tira de toutes ses forces les poignets de son amant, malgré la douleur qui lui taraudait l'épaule. Peu importait la souffrance, la seule chose qui comptait était de sauver son compagnon. Un dernier effort, un cri de hargne pour se donner du courage, une puissante poussée sur ses jambes, et avec une force dont il ne se serait jamais cru capable, l'artiste ramenait l'apprenti Spiderman (5) sur le plancher des vaches. L'adolescent eut seulement le malheur de mettre trop d'ardeur dans son sauvetage, et emporté dans son élan, l'écrivain lui retomba lourdement dessus. Les deux amants restèrent quelques minutes ainsi, vautrés pêle-mêle l'un sur l'autre, reprenant lentement leur souffle et se remettant de leurs émotions.
- « Yuki… »
- « Haï ? »
- « T'es lourd… »
- « Ah gomen ! » s'excusa aussitôt le blond en se redressant.
Enfin débarrassé du poids qui compressait sa poitrine, Shuichi prit une grande inspiration de soulagement, puis il leva ses deux perles violines vers l'écrivain et lui demanda :
- « Ça va, Yuki ? »
- « Tsss, baka… Bien sûr que ça va… Grâce à toi… »
- « Yokata… » murmura l'artiste en refermant les yeux.
Le musicien les rouvrit aussitôt quand il sentit deux lèvres chaudes et humides se poser sur les siennes. Ses paupières se rabaissèrent quand la langue vint effleurer la sienne, puis s'enrouler autour avec passion. L'artiste savoura l'instant quelques secondes avec délectation, mais ce ne fut que quelques trop courtes secondes car Yuki rompit soudain le baiser, se releva et le tira par le col de son T-shirt pour le redresser.
- « Bon, on repart, fit le blond un ton monocorde en repartant en direction de la crête du Héron Blanc. Sinon, on va vraiment finir par se le prendre, ce fichu orage. »
- « Héééé ! Mais… Yukiiiii ! Atteeeeends !! » cria Shuichi en se précipitant pour récupérer son sac.
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À suivre…
Dans le prochain épisode : L'orage
1°- Tancer : faire une remontrance à quelqu'un
2°-Les Monts Kiso : Les montagnes Kiso, également appelées Alpes centrales, sont une chaîne de montagnes moyennement âgées, composées de granite, étendues sur 20 km de l'est à l'ouest, et 80 km du nord au sud. Cette chaîne se situe entre la vallée Kiso et le bassin Ina dans le sud du département de Nagano. Les montagnes sont couvertes de forêts et de fleurs alpines. Le plus haut pic est le Mont Koma avec 2956m de haut, juste au-dessous duquel conduit une télécabine.
3°- « Kamiki » : ce village n'existe que dans l'imagination de l'auteur (c'est-à-dire Moi, la Grande et Exceptionnelle Shizuka, HOHOHOHOHO), et accessoirement j'ai emprunté ce nom à un village du jeu vidéo Ookami (où l'on incarne la déesse Amaterasu qui évolue sous la forme d'un grand loup blanc)
4°- « La crête du Héron Blanc » :ne cherchez pas, c'est moi qui ai inventé le nom de cette crête. J'ignore comment peuvent se nommer les différentes crêtes et autres à-pics de ce massif (Je ne connais que le Mont Koma)
5°- « Spiderman » (note de Shuichi) : Huuuuum… Je verrais bien mon Yukiki en collants moulants rouges et bleus… baaaaaaaaaveeeeeuuh….
Commentaires de fin : Ce n'est qu'un début, mais si j'avais posté la fic telle quelle en un seul chapitre, ça aurait plus d'une trentaine de pages… Et encore, elle n'est même pas encore terminée. Je vais me remettre tout de suite au travail, tant que j'en ai la volonté. A bientôt !!
Lexique :
Baka : imbécile, idiot, crétin
Gomen / Gomen Nasaï : pardon, désolé, excuse(z)-moi
Haï : oui
Kuso no ko : sale gamin
Ojii-chan : grand-père
Onegaï / onegaï shimasu : s'il te plaît / s'il vous plaît
Tadaima : je suis là, c'est moi, je suis rentré
Uke : le « dominé » dans le couple homosexuel, du verbe « ukeru » recevoir, généralement plus petit et plus efféminé que le seme
Urusaï : Ta gueule, ferme-la, tais-toi
Yokata : ouf ! Quel soulagement !
