Nuits de folie
I
Un rapide coup d'œil à droite puis à gauche la rassurant sur le calme des lieux, la jeune fille continue de progresser dans le noir, la pointe luisante de sa baguette sa seule source de lumière. La carte magique d'Harry lui aurait permis d'éviter toutes ces précautions mais son ami refuse de s'en séparer. Elle fait la moue. Ce n'est pourtant pas comme si elle lui avait demandé un service impossible à rendre ! Une voix nasillarde s'élève suivie d'un feulement inquiétant, ensuite une ombre tordue accompagnée d'une autre féline et hirsute viennent glisser sur les murs du couloir perpendiculaire à celui où elle se trouve. Les lumières conjuguées de la lune qui se déverse dans le château par le biais des immenses fenêtres et de la lanterne du vieux gardien lui font craindre d'être découverte ses lèvres remuent et sa baguette cesse aussitôt de briller. Rusard et son âme damnée Miss Teigne font leur ronde quotidienne à la recherche d'étudiants qui auraient eu la mauvaise idée de braver le couvre-feu imposé. Son cœur bat un peu plus fort, et elle se renfonce davantage dans le coin où elle a jugé préférable de se cacher. Une fois que Rusard est reparti, et que la lumière de sa lanterne n'est plus visible, elle sort de derrière la statue qui lui a servi d'abri anti-Rusard rusé et continue d'avancer sur la pointe des pieds jusqu'à se trouver derrière une porte qu'elle ouvre en prononçant la formule adéquate. Elle se glisse promptement dans l'interstice créé et referme la porte derrière elle en tâchant de faire le moins de bruit possible. Elle condamne ensuite l'accès à la pièce où elle se trouve avant de soupirer d'émerveillement face au spectacle des chandeliers flottants qui s'allument seuls, des hauts murs aux moulures exquises, et respire avec délice le parfum de fleurs qui s'épanouit dans l'air. Avec des frissons de volupté, elle se dirige vers l'immense baignoire qui occupe le centre de la pièce et actionne leviers et robinets le bassin se remplit d'une eau délicieusement chaude et moussante. Une fois débarrassée de ses vêtements, elle se glisse avec plaisir dans son bain, sa chevelure folle maintenue au sommet de son crâne par une multitude d'épingles. Enfoncée dans l'eau jusqu'au cou, elle se détend complètement et entonne un air gai. Elle revit alors sa journée dans les moindres détails, revient sur ce qui a pu attirer son attention et se met à décomposer, analyser. A cette heure avancée de la nuit, son esprit est toujours plus clair et plus brillant encore. Ses amis se moquent toujours d'elle et de son côté élève modèle, ils la perçoivent même comme une machine à étudier qui aurait oublié son humanité première. En tous les cas, à leurs yeux, elle n'est clairement pas une femme. Pourtant, s'ils pouvaient le voir, son reflet dans le grand miroir est bien celui d'une toute jeune femme au corps déjà défini, à la chevelure floue et à la pose alanguie. Elle aussi a ses fêlures, ses faiblesses et ses doutes mais contrairement à ses amis elle n'est pas capable de les exprimer au grand jour. C'est tous les soirs, dans son bain, que la studieuse et moralisatrice demoiselle Granger tombe le masque. Oui. Elle n'a pas d'amies proches de sexe féminin et n'a donc personne à qui confier les troubles de son cœur, ses premiers émois. Personne à qui confier que le regard clair d'Harry est troublant mais que celui de Ron, si maladroit, est plus craquant encore. Parfois, ce sentiment lui pèse et elle donnerait n'importe quoi pour une amie avec qui échanger. Et c'est ce moment que choisit Mimi pour faire son apparition.
- Ouh ! Ouh ! Mais n'est-ce pas là, l'insupportablement intelligente Miss Granger ?
Hermione roule des yeux avant de tourner la tête sur sa droite, en haut. Le fantôme de Mimi Geignarde est penché vers elle, les mains sur le cœur et ses cils papillonnant à outrance.
- Mimi ! Cela faisait longtemps. Que puis-je faire pour toi ?
- Rien. Si ça avait été Harry j'aurais pu répondre « plein de choses » mais malheureusement… Lorsque je me suis aperçue que quelqu'un était entré malgré le couvre-feu, j'ai pensé qu'il s'agissait de lui. Tu sais, Harry a l'habitude de se trouver à de drôles d'endroits à des moments encore plus drôles.
Hermione médite un instant sur les propos de Mimi avant de placer une mèche de cheveux derrière son oreille.
- C'est vrai. Je suis désolée de te décevoir…
- Oh ! Mais Mimi n'est pas du tout déçue. Au contraire ! J'ai trop peu souvent l'occasion de parler… tu sais, entre filles. J'ai toujours rêvé pouvoir le faire un jour mais je n'aurais jamais pensé réaliser ce vœu après ma mort. La vie est quand même pleine de surprises !
Malgré elle, un petit sourire vient se plaquer sur ses lèvres et Hermione se dit en effet que la vie est pleine d'ironie.
- Tu sais Mimi, moi aussi je ressens parfois le besoin de parler. Par exemple, je me vois mal dire à Harry ou bien à Ron que je trouve le chanteur des Deadly Hot Wizzards trop mignon et que je passerais volontiers une soirée et une nuit entières avec lui !
Mimi Geignarde ouvre de grands yeux, sa bouche prenant la forme d'un grand « O ».
- ça alors ! Je ne pensais pas que tu pouvais t'intéresser à ce genre de choses.
- Et pourquoi donc ? Je ne suis peut-être pas aussi mignonne que Cho ou Parvati mais je n'en reste pas moins un être de sexe féminin. Mais qu'est-ce que vous avez tous ? J'ai déjà assez des réflexions des deux autres benêts pour t'entendre dire…
Elle est agacée. Profondément. Et la colère qu'elle ressent lui fait venir les larmes aux yeux. Elle se détourne de Mimi et s'empresse de frotter son visage des deux mains.
- Excuse-moi Hermione. Je ne voulais pas te faire de la peine.
- De la peine ? Mais qui a de la peine ici ?
- Tu sais, mon ancienne vie n'était pas très amusante, loin de là. La sensation d'être transparente, de ne pas exister aux yeux des autres… Pour moi, c'est du vécu. Et aujourd'hui encore, regarde-moi ! Peut-on faire plus pâle et transparent qu'un fantôme ?
- Je suis désolée…
- Ah ! Non. Je ne te demande pas ta pitié. Pas non plus ton amitié, je n'oserais jamais. Je sais bien que je suis repoussante et sans intérêt. Mais… Si un jour ou une nuit comme celle-ci tu as besoin de parler, ce sera avec plaisir.
- Hum ! Merci Mimi.
- Au fait Hermione, il y a une question que j'aimerais te poser. Que penses-tu d'Harry ?
- Eh bien ! Je ne sais pas trop quoi répondre. Harry c'est Harry ?
- Oui, mais encore ? N'as-tu jamais pensé à l'embrasser ?
Hermione n'en croit pas ses oreilles. Elle avec Harry ?
- Mais non ! Bien sûr que non. Ce serait comme embrasser mon frère ou un membre de ma famille. Quelle horreur ! Mais je t'accorde qu'il n'est pas mal. Et il a de très beaux yeux verts…
- Ah ! Les yeux d'Harry… Je pourrais m'y noyer et mourir une seconde fois.
Hermione éclate de rire tandis que Mimi qui n'a pas encore geint depuis le début de leur conversation danse une valse endiablée dans les airs.
- Dis ! Ne voudrais-tu pas te trouver un petit ami ? Il y a plein de beaux garçons à Poudlard, en dehors d'Harry.
- Et qui ça ?
- Cormac McLaggen, Blaise Zabini et mon préféré, l'affreusement méchant et ténébreux Drago Malefoy…
La mâchoire lui en tombe. Malefoy ? Drago Malefoy ? Harry a peut-être raison, Mimi n'a pas toute sa tête.
- Mimi, je suis désolée de te le dire mais… tu es folle ! Drago Malefoy est un personnage méprisable et certainement pas un beau garçon.
Mimi secoue la tête avant de venir s'asseoir à côté d'elle dans le bain.
- C'est vrai, Malefoy est méchant avec Mimi quand il vient ici mais j'aime beaucoup me cacher et le regarder prendre son bain. Il n'en a peut-être pas l'air comme ça pourtant il est très bien bâti. C'est pour moi une douce revanche.
La moue gourmande de Mimi achève de la déconcerter. Jamais, ô ! grand jamais elle n'a pensé à Malefoy autrement qu'à un infâme cancrelat à qui elle a déjà joliment arrangé le portrait, alors les déclarations du fantôme la dérangent étrangement. Malefoy ? Un homme ? Quelle blague ! Et curieusement, par un drôle de jeu de miroirs, elle imagine Harry et Ron penser à elle de la sorte. Hermione ? Une femme ? Quelle blague ! Cette pensée lui soulève le cœur. Elle aimerait tellement leur montrer à tous, qu'elle aussi elle est une femme et qu'elle peut être belle à en faire tourner les têtes ! Si seulement elle n'avait pas hérité de sa mère cette tignasse indomptable et de son père – dentiste, un comble – ces incisives proéminentes ! La magie parvient à peine à corriger ces erreurs de la nature dont ses parents l'ont dotée. Hermione fourrage rageusement dans son chignon et y repique les épingles qui menacent de tomber.
- C'est vrai, il y a de beaux garçons à Poudlard mais les plus beaux sont quand même Harry et Drago. Et tu peux me croire, j'ai eu l'occasion de comparer.
Mimi élève et abaisse rapidement ses sourcils, parvenant à lui arracher un nouveau sourire.
- Tu sais Hermione, un garçon peut-être beau sans être gentil. D'ailleurs les méchants garçons ont quelque chose en plus.
Le visage de Viktor Krum lui revient en mémoire et Hermione se sent rougir. Soit. Il est vrai que les mauvais garçons ont quelque chose de stimulant.
- D'accord. Mais il faut faire la différence entre méchant garçon et méchant tout court.
- Moi je classe Malefoy chez les méchants garçons. C'est vrai, il n'attire pas la sympathie de prime abord mais il y a quelque chose de touchant chez lui. Comme si… Comme s'il avait enfilé un costume trop grand pour lui. J'en ai côtoyé déjà, des méchants. Des vrais. Et je peux te dire que c'était autre chose.
Mimi se tait soudain et son regard se perd dans les bulles du bain. Comme si elle revivait un souvenir particulièrement désagréable, ses épaules tremblent.
- Mimi ?
Le fantôme revient au présent et ses yeux délavés se portent à nouveau sur elle.
- Excuse-moi. J'étais ailleurs. Enfin, tout cela est derrière moi, n'est-ce pas ?
Ne sachant que lui répondre, Hermione opine du chef. L'eau du bain lui paraît plus froide tout à coup.
- Donc ! Tu me disais que Malefoy est bien bâti ? J'ai vraiment du mal à imaginer une chose pareille.
- Et pourtant !
La voix de Mimi stridule à nouveau et ses cils se remettent à papillonner.
- Il est très carré des épaules, ses pectoraux et ses abdominaux sont bien dessinés. Et je le trouve encore plus beau quand ses cheveux blonds mouillés sont plaqués en arrière. Ah ! Malefoy…
Hermione grimace. Elle a définitivement du mal à visualiser Malefoy dans son bain, dans le plus simple appareil. Des pectoraux et des abdominaux bien dessinés ? Lui ? Ce ne serait certainement pas grâce au Quidditch ! Elle pouffe de rire. Ce serait drôle si elle se retrouvait nez à nez avec Malefoy, là, dans la salle de bain des préfets. Plutôt que des muscles bien fermes, elle l'imagine avec un petit ventre rebondi, plein des pâtisseries offertes avec amour par sa Pansy chérie !
