Je regarde ma montre. Le temps semble être suspendu. Forcément, c'est juste quand on voudrait que les heures défilent, qu'elles semblent ralentir. Ce match n'en finit pas. En plus, il pleut. Je sais que je ne suis là que pour une chose : pour Alex. Sinon, croyez-moi, je serais bien au chaud, avec un bouquin. Mais non, impossible de lire, sur les gradins humides fouettés par le vent, au bord d'un terrain de football américain.

Au bout de ce qui me paraît une éternité, le coup de sifflet final retentit. Soulagée, je me secoue, transie, et je me lève en me renfrognant dans mon écharpe de laine. Je descend les gradins, et longe le terrain lorsqu'Alex me rattrape.

- Alors, tu t'es bien ennuyée ? fait-il, avec un sourire narquois, par dessus son casque de protection.

Il l'ôte d'ailleurs, pour exhiber son visage arrogant qui lui est si familier, trempé de sueur. Je regarde son maillot, et les tâches de terre et de boue sur son pantalon blanc.

- Beurk, écarte-toi, tu es dégoûtant ! je-m'exclame, en le repoussant.

Il se marre. Ça lui fait définitivement une allure bizarre, ces protections sous son maillot, qui lui font de grosses épaules. C'est assez disproportionné.

- Vous avez gagné ? je-demande, pour changer de sujet.

- On les as massacrés, tu veux dire ! raille-t-il. Mais pourquoi tu viens à mes matchs, alors que tu t'en fous, et que c'est une corvée ?

- Oh, mais non, ça me fait plaisir, je réponds, essayant d'être convaincante.

- Mais bien sûr, ricane-Alex. Arrête de vouloir être trop gentille avec tout le monde, Robbins. Je ne suis pas un gamin, je ne vais pas pleurer si tu ne viens pas à mes matchs.

- Ne me pousse pas, Karev, je-réponds, en lui assénant une claque amicale derrière la tête. Je vais rentrer, je suis gelée.

- On mange ensemble, ce soir ? me-propose-t-il.

- Je ne peux pas, j'ai promis à Teddy de manger avec elle, ai-je décliné. Elle a pleins de trucs à me raconter, à ce qu'il paraît.

Il hoche la tête. Je sais qu'il est déçu, mais il ne le montre pas. Il court rejoindre les vestiaires, tandis que je parcours les quelques kilomètres qui séparent le stade du campus, des bâtiments.

J'ai rencontré Alex l'année dernière; il entamait sa première année d'université, ici, à l'université de Seattle, moi ma deuxième, et il était désespéré. Je l'avais aidé tout le long de l'année, parce que j'avais des notes excellentes, et que j'étais douée, dans les matières où lui, coulait. Malgré le fait qu'il soit dans la section sportive du campus, et moi en littérature, j'avais réussi à lui faire passer la première année.

On était devenus de supers bons amis, mais notre relation était un peu celle mentor/élève. C'était bizarre, mais ça me plaisait, parce qu'on était devenus inséparables.

Je me suis hâtée, en voyant qu'il était 19 heure 30 passé. Teddy devait m'attendre. Je suis entrée dans la résidence C. Oui, parce que notre campus à une organisation bien précise, laissez-moi clarifier les choses. Les - très - nombreux élèves du campus, sont 80 % d'internes. On vit donc sur le campus, dans des résidences universitaire. Une résidence est un bâtiment de plusieurs étage, découpé en chambres individuelles, pour chaque étudiant, et comprenant un rez-de-chaussé commun, avec cuisine, salle à manger, salle de jeux, et salles de bains, tout ça commun.

La résidence C, était celle des littéraires. Alex, qui lui était en sport, par exemple, vivait dans la résidence E, avec tous les sportifs. C'est donc un système super organisé, et classé, mais moi ça me convient parfaitement.

Lorsque je suis entrée dans la résidence C, je me suis dirigée vers la salle à manger commune. Teddy était assise à une table, à pianoter sur son portable. Je me suis assise sur le banc en face d'elle, et elle a sursauté.

- T'en as mis, un temps ! s'est-elle exclamée en me tapant le bras. Tu réponds plus aux messages, toi ?

J'ai sorti mon samsung, et fait glisser l'écran tactile. Trois nouveaux messages de Teddy.

- Merde, désolée, j'étais en silencieux..me-suis-je excusée. J'étais au match d'Alex.

- Tu réponds jamais, au téléphone, 'zona, même quand tu n'es pas en silencieux..m'a fait ma meilleure amie, désespérée.

- Bon, on mange ?

On est allées se servir dans le buffet. Oui, chaque résidence à des buffets, quasiment en permanence. Forcément, aux heures de repas, il est plus fourni. A certaines heures, il n'y a que des fruits. Mais là, c'était pile sur l'heure du repas, alors il y avait pleins de plats. Je sais, notre université est cotée, et super riche. Ça a ses avantages !

On est allées s'asseoir avec nos assiettes, et on a commencé à manger.

- Alors, qu'est-ce que tu as, à me raconter de si urgent ? ai-je demandé.

- Henry m'a demandé de sortir avec lui..il m'a dit qu'il m'aimait!

Je l'ai regardée avec des yeux ronds. Je vous jure que j'ai failli lui recracher ma bouchée de petits pois à la figure - et croyez moi, ça aurait douché son enthousiasme vite fais.

- Henry ?! ai-je fait, surprise. Henry Burton ? Le garçon mignon d'économie, avec qui tu passes du temps en ce moment?

- Oui, incroyable, hein ? a-ri Teddy.

- Attends, attends ! l'ai-je stoppée. Tu as dit quoi ?

- J'ai dit oui..

J'ai laissé tomber ma fourchette.

- Alors, tu es en couple ?! me-suis-je exclamée.

- Ouiiiiiii !

J'ai sauté de mon banc, et j'ai contourné toute la table pour aller la serrer dans mes bras. J'étais tellement contente pour elle..elle en avait bavé, l'année dernière, avec son amour non réciproque pour Owen. Mais là, elle semblait heureuse. Henry était mignon, intelligent et gentil. Et ils s'entendaient à merveille. C'était parfait pour ma petite Teddy.

Nos effusions de joie ont attiré quelque regards, d'autre étudiants en litté', qui mangeaient. J'ai donc regagné ma place. On a discuté un long moment en mangeant, de Teddy et Henry. J'ai exigé des détails, bien sûr et Teddy était plus qu'heureuse de me les fournir.

Puis, on a été ranger nos assiettes, et on a changé de bâtiment. On est allés au bâtiment A, le bâtiment commun à toutes les sections. Il y avait là l'accueil et l'administration du campus, une grande bibliothèque, et un espace détente, un salon-bar avec machines à café. C'est là qu'on s'était rencontrés, avec Alex.

On s'est posées dans des fauteuils, avec un café, puis, la discussion à dérivé.

- Et toi ? m'a-fait-Teddy. Tes histoires de coeur ? Un petit coup de foudre quelque part ?

- Non, ai-je répondu. Bien sûr que non, je te l'aurais dit, sinon..

- T'es tellement secrète, parfois, se défendit-Teddy en haussant les épaules, en souriant. Et cette brune, de notre cours de philo, là ?

- Alexandra Grey ?! me-suis-je étouffée. Non mais tu vas pas bien, toi, hein...

- Bah quoi..!

- Elle n'est pas gay ! ai-je fait en baissant d'un ton.

- Mouais, bon, d'accord.

- Elle est sortie avec Mark !

- Ok, ok, pas Alexandra.

Il y a eu un moment de silence. J'ai serré mes mains autour de mon café, pour les réchauffer. Je n'étais pas une grande fan du mois de novembre. Teddy est revenue à la charge.

- Quand-est-ce que tu comptes faire ton coming-out, 'zona ? a-t-elle demandé.

- Baisse d'un ton ! ai-je sifflé, en regardant autour de nous.

- Quoi ? a-fait Teddy en haussant les épaules. Tu sais, je parie que la plupart des gens ici seraient ok avec ça.

- Peut-être, et peut-être pas, ai-je répondu. Tu sais, j'ai déjà fait mon coming-out, à mes parents et mes amis, lorsque j'avais 17 ans. Pour mes parents, c'est passé..mieux que je ne l'aurais pensé, d'ailleurs. Mes certaines de mes amies ont été de vraies salopes. Je ne veux pas revivre ça.

- Alors quoi, tu vas juste..refréner ta sexualité ? a-fait-Teddy. Ce n'est pas la solution, et tu le sais.

- Je ne suis pas prête, ai-je fait.

- Arizona, tu as 21 ans ! a martelé-Teddy. Si tu ne sors pas du placard maintenant, qui te dit que tu le feras un jour ? Es-tu vraiment gay, au moins ?

- Oh oui, je peux te l'assurer, ai-je plaisanté. 100% gay. Mais je ne suis pas prête à ce que les gens le sachent. Et de toute façon, je n'ai pas besoin de faire mon coming-out, puisque je n'ai personne en vue..

- Personne, vraiment, hein ? a-fait-Teddy.

- Bon, d'accord, très bien, ai-je reconnu, excédée. J'ai eu un petit truc pour Leïla, l'année dernière. Et pour Coline l'année d'avant. Mais maintenant, au moment ou je te parle, je te promets que je n'ai aucune fille en tête...

- Si, moi, a-plaisanté Teddy.

- Exactement, tu hantes mes rêves et mes fantasmes les plus fous, ai-je rigolé. Tu es la femme de ma vie, Teddy, tu le sais bien.

Elle a éclaté de rire, et j'ai esquissé un sourire. Sa compagnie m'était tellement indispensable..


Le lendemain matin, je n'avais pas cours avant 11 heure, mais en bonne élève studieuse, je suis allée à la bibliothèque, bâtiment A. J'avais des devoirs à faire, et surtout, une longue dissertation à rédiger, ainsi que deux commentaires composés, et une pièce de théâtre à lire. Autant dire qu'il ne fallait pas chômer.

Je suis allée m'asseoir au fond, pour être tranquille, et je me suis penchée sur ma dissertation. Une heure plus tard, j'ai décidé de m'accorder une pause. Comme d'habitude, j'ai laissé mes affaires, et je suis sortie devant le bâtiment A. J'ai risqué un pas dehors. Il pleuvait un peu, mais c'était supportable, même pour moi. Ce n'était qu'une petite bruine. Restant sous la protection du porche, de l'entrée du bâtiment, je me suis écartée un peu de la porte et je me suis assise par terre, jambes croisées, dos appuyé au mur, parce qu'il n'y avait pas de banc, au sec.

J'ai regardé autour de moi. C'était désert, mais je voyais les fenêtres des salles de classe, et de quelques chambres allumées.

Au bout de quelques minutes, une fille est sortie de la résidence D, là où vivaient les étudiants de la section scientifique. La fille est arrivée, m'a jeté un coup d'oeil et est restée debout, appuyée dos au mur. Je me suis demandée ce qu'elle faisait, lorsque j'ai vu la cigarette qu'elle tenait à la main. Je m'ennuyais, alors je lui ai discrètement jeté un coup d'oeil.

Elle était brune, avec des cheveux assez courts, d'origine latine et - je devais l'avouer - magnifique. Je me suis demandée comment j'avais pu ne pas la remarquer, auparavant, vu qu'elle avait un style qu'on remarque. Une myriades de bracelets aux poignets, un piercing à l'arcade sourcilière, un tatouage que je ne distinguais que peu, sur l'avant bras, une chemise aux manches retroussées, ouverte sur un débardeur noir, un jean troué et tagué au marqueur, des bottes de cuir aux lacets qui traînaient défaits.

Lorsqu'elle a tourné la tête vers moi, j'ai détourné le regard, gênée. La pluie s'est un peu intensifiée. J'allais me résigner à rentrer, lorsqu'un jeune homme est arrivé.

- Callie ! a-t-il fait.

La jeune fille à la cigarette lui a souri, et est allé lui faire la bise.

- Enfin, a-t-elle fait, moqueuse. Bon, on y va ?

Le nouvel arrivant à hoché la tête, et ils sont partis, sous la pluie. Je suis restée assise un moment, le coeur battant. J'ai frissonné. Cette pluie rendait l'atmosphère humide et désagréable. Je me suis levée, et j'ai rejoint ma table à la bibliothèque.

Je pensais à la conversation que j'avais eu avec Teddy. Et à cette fille, Callie, que je n'avais jamais remarqué auparavant. Je savais ce que Teddy me dirait, si je lui faisais part de cette fille. "Putain, 'zona...Tu as vraiment un cœur d'artichaut."

Je tentais de chasser tout ça de mes pensées, et je terminais ma disserte. Ce fut l'heure d'aller en cours. En me dirigeant vers mon premier cours de la matinée, j'ai senti mon portable vibrer. Je l'ai saisi, et me suis aperçue que j'avais une notification facebook. Je m'y suis donc connectée, tout en marchant.

*Une nouvelle demande d'ami ?* ai-je pensé, étonnée.

J'ai cliqué. Et mon cœur s'est arrêté. Callie Trs venait de me demander en amie. J'ai cliqué sur la photo de profil. C'était bien la jolie brune de tout à l'heure. Je n'ai pas hésité. J'ai confirmé l'entrée dans ma liste d'amis.