Le marché de l'île sur laquelle ils s'étaient arrêtés depuis hier était plein de sublimes fruits et d'étals de poissons frais de la pêche du jour. L'ambiance traditionnelle de la petite île estivale mis du baume au cœur du cuisinier de l'équipage du chapeau de paille. Les derniers évènements qui avaient perturbés leur vie quotidienne à bord du Sunny ne lui avaient pas vraiment permis de cuisiner.
Il y avait d'abord eu sa famille. Puis le fiasco qu'avait été son mariage avec Charlotte Pudding. Leur combat contre Big Mom. Et puis Wano. Tout cela s'était fini deux semaines plus tôt, et il leur avait été difficile de reprendre leur quotidien tous ensemble à bord du bateau. Retrouver un semblant de repères rassurait un peu Sanji. Retrouver ses nakamas au complet avait été éprouvant, mais tout semblait rentrer dans l'ordre peu à peu. Blessés après de nouveaux combats, mais toujours victorieux, ils avaient repris la mer tous ensemble. Ils avaient tout doucement guéri, et puis était venu le temps des explications. Des récits. Ils avaient été séparés en deux groupes et n'avaient pas eut toutes les informations sur les aventures de chacun. Après cela, une certaine tension s'était élevée.
Sanji pouvait clairement revoir le moment même où le regard de Zoro s'était assombrit lors du récit de Brook, Nami et les autres à propos de Whole Cake Island. Apprendre son affrontement avec leur capitaine n'avait pas laissé l'épéiste de marbre. Il avait été clair, lorsque Usopp avait voulu quitter l'équipage à Water Seven. Mais depuis Sanji avait fait ses excuses à leur capitaine. Et les circonstances étaient atténuantes, pour sa défense. Quitter l'équipage avait été une tentative désespérée de sa part pour les protéger. Non, Sanji n'était pas sûr que c'était cela qui tracassait l'épéiste. Mais deux semaines, c'est long. Il ne lui avait pas adressé la parole depuis tout ce temps. Pas de provocation, pas de dispute. Juste ce silence, sourd, ce satané Marimo se contentait de l'ignorer purement et simplement. S'était-il juste lassé de se comporter comme un idiot, et de le provoquer dans des affrontements vides de sens ?
Le cuisinier blond secoua la tête de droite à gauche, pour chasser ses pensées, ramenant son attention sur sa liste de courses et sur le somptueux étal de fruits devant lui. Ce n'était pas le moment de penser à ce stupide Marimo. Mais ces semaines de silence commençaient à alourdir l'ambiance sur le bateau, et il savait que ses nakamas se posait des questions. Il devait parler à Zoro. Le sortir de son mutisme, le faire s'expliquer. Quelque chose n'aillait pas avec lui.
Sanji leva les yeux vers le ciel déjà parsemé d'étoiles scintillantes, alors que Nami l'informait que le vent allait se lever, juste avant que la navigatrice aille se coucher, et immédiatement il vit les voiles du Sunny se gonfler, et glisser sur la mer jusqu'ici très calme. Il remercia la rousse avec un sourire calme, et lui souhaita une bonne nuit. Il avait décidé de se calmer sur les « Nami-swaaaan » hurlés à tue-tête ces derniers temps, et ses relations avec la rousse ne s'en étaient trouvées que plus agréable. La véritable raison pour laquelle il ne s'emportait pas, c'était que le cœur n'y était pas. Ils avaient quitté l'île estivale hier soir, et il avait le cœur aussi lourd que l'encre du bateau. Il ne trouvait pas le sommeil ce soir-là, et il s'était donc proposé pour être de garde, envoyant se coucher un Usopp ravi de passer son tour. L'air était encore chaud du climat estival sur cette partie du Nouveau Monde, et cette brise fraiche annoncée par Nami était salvatrice.
Appuyé sur le bastingage du pont supérieur, il apprécia le vent qui vint rafraichir sa nuque, dans la moiteur de la nuit d'été. Il était tard, la navigatrice avait veillé longtemps pour établir une nouvelle carte, mais il était finalement seul éveillé sur le bateau. Le silence de la mer, et sa douce musique lui emplirent les oreilles, écoutant attentivement les vagues s'écrasant contre la coque du bateau. Il avait le regard perdu dans les vagues sombres, une clope éteinte entre ses dents, quand il entendit l'écho de pas derrière lui, et un bâillement vint perturber l'harmonie de la mer.
Sanji fut surpris de reconnaitre la voix et les pas de Zoro dans son dos, et se tourna vers lui, la mine étonnée. Le Marimo avait le visage endormi et ses cheveux verts étaient en bataille. Il lui lança un regard dubitatif, à moitié éveillé. Le cuistot soupira en se retournant vers les vagues.
« Oh, c'est toi. Tu es réveillé. »
Ce n'était pas une question. Juste une constatation, une habitude verbale pour meubler un silence pesant depuis deux semaines. Sanji songea qu'il dormait encore à moitié et qu'il allait certainement retourner se coucher, l'ignorant à nouveau. Il commençait à s'y habituer, malgré le fait que ça le ronge. Ce soir il n'était pas d'humeur. Il n'avait pas envie de se lancer dans les explications, pas ce soir, pas alors que la mer était calme, et qu'il pouvait profiter d'un moment de répit. Mais Zoro était tout sauf un homme prévisible.
« A l'instant. » répondit-il, machinalement peut être, la voix neutre.
Les yeux du bond s'écarquillèrent, et ses lèvres laissèrent s'échapper sa cigarette, qui vint se perdre dans l'immensité des flots. Il jura silencieusement, la cigarette bien vite oubliée. Le crissement du bois lui indiqua que Zoro s'était posé contre le bastingage lui aussi, à ses côtés. Sanji se retint de toutes ses forces de le regarder, et composa à nouveau son masque d'indifférence. Il venait juste profiter de la fraicheur, se dit-il, cherchant une explication à son changement de comportement soudain vis-à-vis de lui. Ses pensées furent coupées court. Il devait lui demander, mais alors qu'il ouvrait la bouche, Zoro le devança.
« J'suis content que tu sois revenu parmi nous. » souffla-t-il, le regard au loin.
Sanji lui lança un regard perdu. Ça n'avait aucun sens. Parfois il se demandait si ce foutu Marimo n'avait pas un dédoublement de personnalité. Il avait dit ça comme s'il avait dit qu'il restait du jus de pomme dans le frigo. Devant son air perdu, Zoro eut un sourire un coin, le regard se perdant dans l'horizon qu'il imaginait, vu la nuit noire.
« Quoi ? Tu pensais que je serais ravi que tu quittes l'équipage ? » déclara Zoro, moqueur.
« Non, je croyais que tu m'en voulais. » rétorqua Sanji, haussant les épaules, d'un air faussement détaché.
« Pour avoir tenté de te sacrifier plutôt que de demander de l'aide à ton capitaine ? Bien sur que je t'en veux. »
« J'essayais de le protéger. J'voulais pas vous mêler à tout ça. » avoua le cuisinier, avec une pointe de honte dans la voix. Il s'en voulait encore pour ce qu'il avait dit à Luffy sur Whole Cake Island.
« Comme si on avait besoin d'être protégés ! » lança le bretteur, avec une exclamation presque indignée, mais surtout dédaigneuse.
« C'est pour ça que tu me tire une gueule de six pieds de long depuis deux semaines ? » cracha Sanji, excédé.
« T'est même pas foutu de te trouver une fiancée convenable, Ero-Cook de merde. »
« Ça n'a aucun rapport ! Va te faire foutre Marimo ! » cria Sanji, lui lançant un regard noir, ses muscles se contractant sous la colère. Il était à deux doigts de lui envoyer son pied dans les côtes.
« T'as de la chance que j'sois pas venu te mettre une dérouillée pour avoir déserté, stupide cuistot. » lança Zoro, prenant un air supérieur.
« Personne ne t'as demandé ton aide, abrutit. » Sanji s'appuya de nouveau sur le bastingage, épuisé, regrettant presque le silence du bretteur.
« T'aurais aimé que je vienne te sauver, princesse ? » Rétorqua le second, avec sourire en coin moqueur.
« Va crever, kuso-marimo. T'était pas là, de toute manière je vois pas ce que ça change. »
« Ça change tout. »
« Hein ? »
« Je n'aurai jamais pu assister à ton mariage sans avoir envie de te trucider. » dit Zoro, d'une voix blanche.
« Qu'est-ce que ça peut te faire, que je me marie ? » lança le cuistot, avec un rictus moqueur.
La réponse ne vint pas, à vrai dire, quelques minutes passèrent, et il dut se tourner. Il ne sut pas pourquoi il s'était tourné vers le second du capitaine, mais son manque de répondant était plutôt étonnant, assez pour le détourner de sa contemplation nocturne. Ce qu'il découvrit le troubla profondément. Zoro le regardait fixement, une expression sérieuse sur son visage, aux traits déjà durcis par tout ces combats. Mais ce n'était pas ça qui le perturbait le plus. Mais plutôt cet air blessé qu'il pouvait lire dans son regard. Ses sourcils froncés, ses yeux émeraude qui lui témoignaient d'habitude du mépris, de l'indifférence ou de la haine, semblaient exprimer beaucoup plus ce soir-là. Un nuage passa devant la lune, obscurcissant le ciel déjà peu lumineux, mais Sanji ne pouvait voir que l'éclat du regard du sabreur, et il sentit un frisson le parcourir tout entier.
Qu'est ce que ça pouvait signifier ? Que... Il rendit à Zoro un regard d'incompréhension, ne sachant pas quoi dire. Est-ce que Zoro avait... Eut peur de ne pas le revoir ? Qu'il quitte l'équipage pour de bon ? Ne plus avoir quelqu'un sur qui passer ses nerfs ? Ça n'avait aucun sens. Ils se disputaient à longueur de temps. Il se battaient, il se détestaient... Vraiment... ? Sanji était rendu confus par ce genre de regard, et n'avait aucune idée que cela pouvait signifier.
« Je... » commença Zoro.
« Les gars, vous dormez pas à cette heure-ci ? » lança le capitaine, torse nu et chapeau de paille absent, étonné de voir les garçons encore debout, sans prendre conscience qu'il les interrompait.
Il était avec Nami, et la navigatrice portait ses cheveux attachés en une queue de cheval, des lunettes sur le nez et un vieux sweater délavé sur un short court. S'il n'avait pas été si troublé, Sanji aurait très certainement remarqué que le sweat appartenait à leur capitaine. Elle fut étonnée de les voir également. Enfin, il était rare de les surprendre au milieu de la nuit à discuter comme des gens civilisés, ils avaient plutôt tendance à se taper dessus dès qu'ils se croisaient. Bien que ces derniers temps Zoro se contentait de d'éviter Sanji... Zoro clarifia sa voix, avait de répondre d'une voix grave.
« Hm, bonne nuit. » dit-il, clairement contrarié d'avoir été interrompu, avant de tourner les talons et de disparaitre vers le dortoir des garçons.
Nami leva un sourcil étonné et lança un regard à son capitaine, qui lui rendit.
« Bah, qu'est-ce qu'il a Zoro ? » demanda-t-il, sans réponse.
« Sanji-kun, je sais que tu as échangé ton tour de garde avec Usopp, mais tu es pâle, tu devrais aller te reposer. Je vais rester un peu. »
« ... Merci Nami-san, je vais juste faire un peu de rangement avant d'y aller... Bonne nuit. » dit-il, toujours remué, avant de se diriger vers la cuisine, passant une main sur son visage.
Il n'avait pas menti à Nami, il n'avait juste pas vraiment envie de recroiser Zoro dans le dortoir des garçons, alors il se rendit dans la salle d'aquarium, s'allongeant sur la banquette. Qu'est cet imbécile de bretteur du dimanche allait dire, juste avant l'arrivée de Luffy et Nami, hein ? Allait il l'envoyer balader, comme d'habitude ? Le provoquer ? Confus, il laissa reposer son avant-bras sur ses yeux, laissant le bruit des vagues lointain et celui de l'aquarium le bercer, alors qu'il trouvait un sommeil sans rêves.
Luffy s'assit sur le bastingage, alors que Nami s'y appuyait à ses côtés, et le capitaine afficha un sourire énigmatique qu'il dédia à sa navigatrice. Celle-ci lui sourit également, attendrie. Et puis son regard se perdit dans les flots, alors que Luffy repensait à ses compagnons qu'il avait surpris plus tôt en pleine conversation.
« Pourquoi Zoro ne lui a-t-il encore rien dit ? » demanda-t-il, alors que Nami levait le nez vers lui.
« Ça n'est pas si simple, Luffy. Tu sais bien qu'il n'y a rien de simple avec ces deux-là. »
« Moi, je te l'ai dit. Pourquoi ils n'y arrivent pas, tous les deux ? » dit-il, pencha la tête sur un côté, les bras croisés.
« L'enjeu deviens différent. Ces derniers temps on est de plus en plus confrontés au danger. »
« Je ne comprends pas. »
« Chaque fois que tu te lance dans une nouvelle bataille, j'ai peur que tu n'en reviennes pas vivant. » avoua-t-elle, regardant ses pieds nus sur le bois du point humide.
« Oi, Nami ! Tu pourrais avoir plus confiance en moi ! Je suis très fort ! » lança le capitaine, avec une moue boudeuse.
« Je sais, baka ! J'ai peur quand même. » souffla-t-elle, à demi-mots.
Luffy lui sourit de toutes ses dents, bêtement, alors que la rousse réajustait ses lunettes sur le nez. Elle ne put que sourire à son tour, avec un soupir désespéré, alors qu'il attrapait une de ses mèches de cheveux pour jouer avec. Le sourire de la navigatrice s'élargit, et elle posa sa tête sur la cuisse de son capitaine, alors il se mit à lui caresser les cheveux. Elle ferma les yeux, et ils restèrent ainsi un moment, avant qu'il ne rompe le silence.
« On a tous peur de perdre quelqu'un... Mais parfois, prendre des risques vaut le coup. » lança le capitaine, regardant au loin.
« Comment tu peux être aussi stupide et avoir aussi souvent raison ? » demanda Nami, ouvrant un œil moqueur et lui tirant la langue.
« Shishishi ! C'est quitte ou double ! » dit-il, non sans se défaire de son habituel sourire stupide.
A suivre...