Après deux ans passés dans les cachots humides de Dressrosa, Khara Antarès avait pris l'habitude d'être entravée et être sous étroite surveillance. Comparée aux autres résidents du cachot, Khara était bien la seule à disposer d'une cellule rien qu'à elle, étroitement agrémentée de plusieurs archers prêts à tendre l'arc pour l'abattre. Enfin ce n'était bien sûr que le traitement de rigueur pour garder l'une des grandes mercenaires du Nouveau Monde à l'ombre.
Lorsqu'un jour, elle fut surprise de les voir quitter leur poste et ne laisser qu'une petite faction avec elle. Il devait se passer quelque chose de vraiment très grave et malheureusement aucun moyen d'en connaître la cause.
Ses soupçons se confirmèrent en sentant des secousses qui se répercutaient à travers les murs et faisant tomber la poussière des parois. Son étonnement grandit lorsque des coups de feu résonnèrent tout près d'elle. Ses gardes tombaient comme des mouches, certains tombaient lamentablement de la terrasse située un peu plus haut, puis d'autres dégringolaient des escaliers.
Khara fut d'autant plus surprise lorsque deux hommes apparurent devant sa cellule, l'un était un jeune homme élancé avec un casque et des lunettes de soudure, l'autre était plus atypique habillé comme un bébé avec la tétine et son bavoir. Ils s'arrêtèrent un instant pour la contempler puis d'un hochement de tête entendu, le punk détruisit les barreaux du bout des doigts dans une mini-explosion. Il prit son bras sans aucune once de douceur pour la sortir de son nid tout confort. Ses jambes engourdies sous l'effort inattendu la fit chanceler tombant lamentablement aux pieds de son sauveur. Celui-ci poussa un grognement mécontent et d'une pression la remit sur ses pieds, le deuxième attrapa son autre bras libre afin de la rendre plus stable ou par élan de générosité. Aussitôt ils remontèrent le long escalier séparant sa prison de l'ascenseur les menant au palais, sans dire un mot. Qu'est-ce qui a bien pu se passer là-haut ?
Son instinct lui hurlait de fausser compagnie à ces nouveaux bourreaux, une boule se formait dans son ventre dû à un stress et une peur grandissante. Les murs se rétrécissaient autour d'elle, le sol lui semblait si proche, l'impression que celui-ci s'ouvrait sous ses pieds ankylosés s'imposait de façon concrète. La tête lui tournait soudainement et …
- Oï ! Tu vas pas nous faire le coup de la prisonnière qui s'évanouit, rétorqua celui qui avait une coupe à faire pâlir un hérisson tellement il y avait de piques.
- Gladius… Un homme doit être plus gentil envers une demoiselle en position de faiblesse, intervint le bébé moustachu.
C'était étrange de sentir différentes poignes. L'une était dure et peu compatissante presque pressante alors que l'autre semblait plus emphatique et patiente. Un haut-le-coeur secoua sa poitrine, Khara fit tout son possible pour vomir tout ce qu'elle avait dans l'estomac, c'est-à-dire pas grands choses, sur les chaussures cirées du Punk qui ravala un grincement de dégoût. Oh oui qu'elle ne l'appréciait pas. Quelques instants et jurons plus tard, son cortège reprit la route vers le monde vivant, l'homme-enfant semblait beaucoup plus sympathique et la soutenait sans sourciller lorsqu'une de ses jambes lui faisait défaut. Par rapport à son collègue qui proférait toutes sortes de malédictions sous le couvert de son masque. En tout cas, elle devait dire qu'après avoir éjecter sa bile, elle se sentait beaucoup mieux et bien plus réveillée.
- Je savais pas que sa Majesté avait renouvelé ses hauts gradés, commença-t-elle sur un ton qu'elle se voulait suave.
- Nous ne sommes pas à ses ordres, cracha Gladius - si elle avait bien entendu son nom-.
- Je doute que vous avez pu parvenir à moi sans son autorisation.
- Vous le serez bien assez tôt, trancha Moustachu coupant court à toute autre question.
Cela ne la rassura pas du tout, mais alors pas du tout. Ses années d'entraînement sous la coupe d'un Maître sadique et fourbe l'aidèrent à comprendre le bourbier dans lequel elle était actuellement, et qu'il ne lui était en aucun cas favorable. Sa vie ne tenait qu'à un fil… Pourtant pendant longtemps, Khara s'amusait avec la Mort finissant même par l'apprivoiser, la frôlant toujours de peu et la côtoyant de près. D'ailleurs un de ses instincts qui ne s'était pas manifesté depuis des lustres, quémandait la vue du sang de ce sois-disant Gladius. Sentir le liquide rougeoyant éclaboussait son visage, apprécier la chaleur quittant peu à peu sa victime, voir ses yeux s'éteindre tels une étoile filante… Oui elle voulait son sang. Problème ? Oui elle était persuadée que le Bébé-Adulte ne la laisserait pas agir à sa guise, son apparence juvénile était trompeuse, fait pour baisser la garde de son ennemi mais c'était bien lui le plus dangereux du duo. Dans son état, l'ancienne assassin ne pouvait pas se débarrasser des deux sans y laisser des plumes, et que fatalement se serait son hémoglobine qui salirait les tapis hors de prix du palais. Peu à peu, ses plans d'évasion se réduisaient.
Les escaliers étaient une vraie plaie à monter, plus ils remontaient plus Khara put observer tous les soldats au sol sans vie parsemant le béton telles des pétales de roses macabres. Jamais elle n'aurait cru qu'un quart de l'armée de Dressrosa se trouvait ici à protéger l'accès à son cachot. Riku avait-il eu peur des représailles ? S'il savait que personne ne viendrait la délivrer, il n'aurait pas affecté autant de personnes ici. Plusieurs fois ses pieds rencontrèrent une flaque de sang tiède, malgré son envie de sang, elle grimaça… Une véritable porcherie était sous ses yeux. Pas qu'elle n'en avait pas vu ou même jamais fait, mais cela était toujours répugnant de voir des corps dans des positions confrontant les lois de la souplesse humaine.
- On est malade à la vue du sang, on se la ramène moins hein ?, grommela le plus intrépide.
- Non je trouve ça presque artistique tous ces membres désarticulés.
Voyant qu'elle n'était aucunement traumatisée, Gladius reprit ses chuchotements mécontents. En tout cas ce n'était pas avec lui qu'elle pourrait avoir un quelconque soutien.
Passant au palier supérieur au sien, le trio traversa celui-ci sous les cris des autres prisonniers qui leur priait de les délivrer aussi, et même des promesses de les servir, mais rien. Ils continuèrent leur chemin à travers ce tumulte, cassant les oreilles de l'évadée et de l'homme explosion qui laissa son pouvoir s'échapper, laissant derrière eux tout une cellule en poussière… Le silence revint soudainement jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'ascenseur leur permettant un accès direct près de la Salle du Trône. Au moins elle ne fatiguerait pas ses jambes, et son souffle pourrait reprendre un rythme un peu plus normale. Très bonne nouvelle. La montée vers la sortie dura à peine quelques minutes, temps pendant lequel Gladius pestait encore contre la toute nouvelle odeur que dégageait ses chaussures, et qu'il avait honte de se présenter ainsi devant le Jeune Maître. La jeune femme retint tout commentaire provocateur, au risque de se faire exploser mais n'en pensait pas moins … Taquine mais pas suicidaire tout de même.
C'était peut-être niais mais sentir la brise fraîche et l'impression de ne plus être sous terre faillit l'émouvoir, Khara avait fermé les yeux pour en profiter pleinement. Sauf que sa brève émotion de retrouver la surface toucha à sa fin lorsqu'elle aperçut deux portes estampillées du symbole royal de Dressrosa. Khara sentit son corps se tendre à chacun de ses pas, la rapprochant de son jugement. Apparemment ses deux accompagnateurs remarquèrent la soudaine réticence dans ses muscles fins, puisqu'elle sentait l'élan de compassion qui s'emparèrent d'eux. Si c'est insolent de punk redoutait ce qui se trouvait derrière cet ultime obstacle, cela ne présageait vraiment rien de bon. Les battements de son coeur s'accéléra soudainement quand l'homme rouage lâcha son bras meurtri, pour ouvrir les deux battants.
La lumière du jour lui brûla la rétine, automatiquement la protection qu'était ses paupières se scellèrent. Elle peina à les ouvrir mais échoua lamentablement à garder les yeux ouverts plus de cinq secondes. C'était cela de vivre dans l'obscurité pendant plus d'un an, que les rares grains de luminosité soit la braise d'une bougie mourante. Allait-elle devenir aveugle ? C'était bien le cadet de ses soucis alors que son instinct lui soufflait que la menace était en mouvement. Perturbée par sa nouvelle cécité, Khara n'avait même pas remarqué qu'on l'avait lâché et qu'elle s'était roulée en boule sur le sol comme une enfant. C'était une bien belle déchéance pour celle qui a une époque faisait frémir les plus grands criminels. Petit à petit, ses yeux furent soulager grâce à une diminution des rayons aveuglant, et elle entendit vaguement du bruit d'un tissus épais tombant au sol.
- Qu'est-ce que cela ?, résonna une voix profonde.
Des tremblements incontrôlés s'emparèrent de son corps, sans qu'elle ne puisse y faire quelque chose. Cette voix … Elle était toute en nuance, inspirant une crainte imperceptible et prometteuse de réaliser vos rêves les plus fous. La voix du Diable. Sauf que pour une assassin déchue ayant l'habitude de côtoyer la Mort, Khara était persuadée que celle-ci n'était pas entourée de plumes roses et ne portait pas de lunettes teintées. Non… Ce n'était pas la Faucheuse elle-même mais bien un de ses partisans.
Plus sa vision se stabilisait plus ce qu'elle voyait la faisait suffoquer. Elle ne l'avait jamais vu en vrai pourtant beaucoup de rumeurs le concernant lui étaient parvenues. Le Maître lui-même avait ordonné à ses suivants de ne pas s'approcher de Lui, de ne pas se mêler de ses affaires et de refuser tout contrat sur ses sbires ou lui-même. Pour que cet homme aussi imperturbable qu'était son instructeur l'interdise personnellement de ne pas l'observer ou tenter de chercher des informations, c'était que l'individu devait faire froid dans le dos.
Khara avait toujours été aventureuse sur le sujet, sa curiosité s'éveillant très facilement. Un jour alors qu'elle était en repérage sur une île de Grand Line, des badauds parlaient sur un soi-disant Shichibukai fraîchement nommé qui avait accosté son navire. Comprenant que c'était la personne redoutée, l'assassin s'était lentement coulée dans les ombres à la poursuite de celui-ci. En à peine une journée, elle avait retrouvé sa trace dans les hauteurs de la ville près du repaire de sa cible principale. Suivant les ordres de son maître, elle s'était cachée et observait le manège de l'équipage de Donquixote. Cela lui plaisait moyennement que c'était eux qui s'occupait de son travail, mais son instinct lui conseillait de ne pas contester sa prime. Ses jambes s'étaient mises à trembler et ses mains se crispaient sur la garde de ses dagues prêts à être utilisée. Mais elle s'était enfouie lorsque le géant blond sortait de la bâtisse en ruine. Lorsque son binôme lui avait demandé si elle avait rencontré le Démon céleste, Khara préféra garder le silence devant le carnage que ses coéquipiers et lui avaient fait. Le partisan du diable avait un visage.
- On a perdu sa langue ?, gronda le démon céleste qui emprisonna son menton entre ses longs doigts.
La peur s'immisça dans ses veines quand elle se trouva face à face aux verres rosées, et le visage taillé dans la pierre qui était à quelques centimètres du sien. La prisonnière était pieds et poings liés, sans moyen de se défendre. De toute façon, son corps n'avait pas l'air très réceptif pour une envolée à travers la fenêtre. Et vu ce que ses sens lui disaient, elle se ferait empaler à la minute où elle oserait quelque chose. Ne voulant pas perdre la face, Khara tenta de chercher les pupilles derrière les intimidantes lunettes, la confiance qu'elle avait en son audace l'avait souvent tirer de nombreux mauvais pas… Enfin même si il y avait très peu de chance qu'elle s'en sorte.
- Je n'aurais jamais pensé que se serez vous qui me sortirez de cette charmante chambre.
- Oh cette chose est dotée de parole alors. Dites-moi très chère pourquoi le Roi Riku vous a réservé autant d'attention ?
- Peut-être que j'étais vraiment beaucoup trop compétente pour son propre bien ?
Sa bouche s'étira jusqu'à ses oreilles dévoilant des dents impeccablement blanches, si ce n'était pas un psychopathe qu'elle avait en face d'elle, Khara aurait demander l'adresse de son dentiste. La voix froide de son mentor la ramena à la raison, balayant les traces de son humour si particulier.
- Et quelles sont vos … Compétences ?
- Je serais ravie de vous montrer ce que je sais faire, ronronna-t-elle en approchant son visage puis elle reprit plus doucement d'un ton très intime. Mais… j'ai besoin d'un peu d'aide pour enlever mes entraves.
Le rire du blond anima quelque chose en elle, une chaleur inhabituelle débuta dans son ventre et un frisson d'appréhension couvrit toute sa peau. C'était bien la première fois qu'elle ressentait une telle sensation, enfin cela ne devait pas être très dur quand on a été dans un endroit confiné pendant longtemps.
- La réputation de la nommée Sitri n'a pas été surfaite, dit-il en se relevant de toute sa hauteur.
Réellement surprise, elle se reprit très vite devant l'ennemi. Très peu de personnes ne connaissaient la véritable identité de celle qu'on appelait Sitri, à part ceux de son entourage et quelques informateurs infiniment discrets.
- J'aurais bien fait une courbette pour me présenter mais on dirait bien que je ne suis plus aussi agile.
- Même lorsque vous êtes au bout de votre vie vous trouvez le moyen de plaisanter ? Je ne pensais pas que l'ordre des assassins avait une telle légèreté.
- Ce n'est pas donné à tout le monde effectivement. Mais qu'est-ce que j'ai à perdre ?
- L'espoir ?, proposa le blond en la dominant.
Khara s'esclaffa littéralement devant la question du Démon Céleste. L'espoir était un mot banni du vocabulaire de l'Ordre, si tu n'étais pas suffisamment bon pour réussir les mission assignées personne ne viendrait vous sauver. C'était courir ou mourir.
- Sitri ne connaît pas ce mot.
- Connaît-elle la Mort ?
- Elles sont très bonnes amies.
- Est-ce que la fragile chose devant moi est prête à embrasser son destin ?, demanda-t-il en repartant vers son trône.
- Toujours.
- Et si nous évitons de salir mon tout nouveau mobilier ? Je vous propose un marché que vous ne pourriez pas refuser.
- Ah oui lequel ?
- Être à mon service ou la mort ?
Comprenant qu'il avait fait des recherches sur sa personne, la détenue tenta vainement de se lever échouant lamentablement sur le tapis. Des gloussements lui vinrent aux oreilles, sauf qu'elle n'en avait que faire de ce qu'il y avait autour. Il ne lui restait plus rien, son titre, son refuge, le groupe de gens qu'elle appelait « famille » ne représentait plus rien à ses yeux. Alors que lui restait-il ? La mort. Combien de fois elle avait supplié ses geôliers de mettre fin à ses jours ? Combien de fois le Roi Riku était venu lui parler pour la faire sortir d'une dépression ? Elle s'était fait saignée les mains en tapant sur les murs, elle avait tenté de s'étrangler avec ses chaines, ou encore agresser ses geôliers afin qu'on lui tire une flèche souveraine… Sa folie s'était calmée lorsque toutes ses tentatives l'épuisaient plus qu'elle n'aurait voulu, et qu'on ne répondait aucunement à ses provocations, sûrement un ordre du roi Riku. A présent, elle pourrait enfin mettre fin à tout cela….
- Abattez-moi.
Sa demande tomba telle une plume brusquant la surface calme de l'eau, aucuns des individus présents dans cette salle ne s'attendaient à cela. Gladius s'avança avec son pistolet pointé sur l'arrière du crâne de Sevhyna, ravi d'envoyer six pieds sous terre l'impudente qui avait vomi sur lui. Au moment où elle sentit la froideur du métal dans ses cheveux, une vibration à peine stridente passa au plus près de son oreille pour finir dans le canon, ce qui le coupa net.
- Jeune Maître… , bafouilla le punk en reculant sous la surprise.
Khara puisa dans ses dernières forces ainsi que de l'adrénaline qui l'alimentait pour se retourner avec la vivacité d'un félin. D'un geste calculé et précis elle tira le couteau qui pendait à la ceinture du soldat, mais avant qu'elle puisse se l'enfoncer dans la gorge quelque chose la retint à quelques millimètres. Sa peau était marquée par des fils qui s'étaient enlacés à son bras, ses muscles ne lui répondaient plus du tout. Avec beaucoup de réticence, elle vu le couteau de délivrance s'éloigner d'elle. Doflamingo Donquixote avait un sourire mauvais, des veines apparentes, et ses doigts jouaient dans le vide.
- Mauvaise mauvaise fille.
- Lai…Laissez-moi…
- Oh que non. Se serait beaucoup trop idiot de ne pas me servir de vos talents, expliqua-t-il en revenant vers elle d'un pas calculé. L'assassin Sitri a une très bonne réputation dans le Nouveau Monde malgré son absence prolongée, elle reste une légende dans le monde la pègre. Et la jolie démonstration de désarmement prouve que vous n'avez rien perdu.
- Dès que vous aurez le dos tourné je me donnerai la mort !, cracha-t-elle sans se préoccuper des armes qui commençaient à la pointer.
- Fu Fu Fu… Je ne doute pas de vos connaissances pour avoir une mort rapide. Sauf que vous n'avez sûrement pas d'échappatoire face à cela…
La jeune femme vit la main du Démon Céleste filait vers sa poitrine, sentit les doigts s'enfoncer là où son coeur se trouvait et hurla. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il lui faisait mais des milliers de fils enserrèrent l'organe, la faisant hoqueter. Puis, d'un coup l'impression qu'on broyait son coeur s'envola en même temps que ses chaînes qui retombèrent sur le sol moquetté. Et vu l'expression du blond, il avait l'air très satisfait de sa petite intervention.
- Qu'est… ce … que vous … m'avez…fait… , hoqueta-t-elle en se rapprochant du sol.
- A présent tu deviendras mon esclave Sitri.
Khara ne comprit le sens de ses mots que lorsqu'elle sentit son corps tomber de nouveau et que le noir vint recouvrir ses yeux de ténèbres. La Faucheuse avait décidé de ne pas l'emmener avec elle… Non… Elle allait vivre… Vivre pour servir.
