La première fois que j'ai rencontré Forsythe Jones, j'avais douze ans.

Mon père et moi venions à peine d'emménager à Riverdale. Je m'étais enfuie de l'atmosphère étouffante de notre petite maison, pour rejoindre un restaurant que j'avais remarqué lors de notre déménagement. Chez Pop's. J'étais entrée, ne me souciant pas des regards sur moi. Je ne savais pas à ce moment-là qu'une gamine de douze ans entrant toute seule dans un restaurant pouvait paraître bizarre. J'étais directement allée chercher un milk-shake à la fraise. Le gérant, Pop, avait demander d'où je venais et ce que je faisais ici toute seule. Je lui avais répondu que j'étais nouvelle et que je voulais juste avoir un milk-shake. Il n'avait plus posé de questions. Plus tard, je me rendis compte qu'il me trouvait étrange. J'avais pris ma boisson et j'étais allée m'asseoir à l'une des tables. J'avais sorti ma trousse tachée d'encre et de peinture de mon sac ainsi que mes feuilles. Pendant une heure, j'avais dessiné. Concentrée, mon crayon parcourait ma feuille formant peu à peu des formes de plus en plus précise. Et mon poing serrant de plus en plus le petit objet métallique qu'il tenait.

Et puis il était arrivé, sorti de nulle part.

- Pourquoi tu dessines une maison en flamme ? avait-il demandé.

J'avais levé la tête pour me rendre compte qu'un enfant de mon âge se trouvait devant moi, de l'autre côté de ma table avec mon milk-shake entre les mains. Il était brun, très décoiffé et ma première impression de lui fut un voleur malpoli.

- Pourquoi tu bois mon milk-shake ? avais-je répondu.

- On ne répond pas à une question pas une autre.

- On ne vole pas les boissons des inconnus, avais-je répliqué.

- J'avais soif.

Il n'avait pas l'air gêné, il me regardait juste de ses yeux pales avec un visage lisse de toute expression. Ce que je trouvais impressionnant pour un garçon de son âge, de mon âge. J'avais haussé les épaules et baissé la tête sur mon dessin en espérant qu'il parte. Après quelques minutes de silence, j'avais crus que c'était le cas.

- Alors ? Pourquoi la maison en flamme ?

- Parce que c'est impressionnant et effrayant.

Mon pouce avait alors clipsé, par automatisme, le pièce métalique que j'avais toujours sur moi depuis quelques semaines. Une petite flamme en avait jaillit. Je ne sais toujours pas pourquoi j'avais répondu cela. Mais je l'avais fait. Et loin de déstabiliser le garçon, il s'était penché un peu plus pour avoir une meilleure vue sur mon croquis.

- Tu en as déjà vu une bruler ?

- Oui, et ma mère et mon frère sont morts dedans.

A ce moment-là, je me souviens des larmes qui menaçaient de couler à tout moment. Je n'avais pas l'intention de lui dire, mais les mots s'étaient échappés. Les yeux du garçon étaient légèrement plus grand mais il ne disait plus rien. Il n'avait ni l'air désolé, ni l'air de vouloir s'enfuir ou de me laisser seule. Alors j'étais partie. J'avais rageusement ranger mes crayons, mes feuilles dans mon petit sac d'écolière. Je ne lui avais pas dit au revoir. Seulement une phrase qui n'avait pas lieu d'être.

- Tu peux garder le milk-shake.

Je ne savais alors pas son nom, je ne l'ai appris que quelques semaines plus tard à la rentrée de ma cinquième. Il se nommait Forsythe Jones, mais tout le monde l'appelait Jughead, même les professeurs. Il trainait souvent avec un rouquin et une blonde mais ne parlait pas souvent. Il n'avait pas d'autre amis et les autres enfants le trouvaient bizarre. Tout comme moi. Mais apparemment j'étais encore plus bizarre que lui, même à douze ans. Je n'avais pas un seul ami et je ne cherchais pas à en avoir. Je ne parlais pas ou très peu.

J'étais seulement la fille aux dessins ou la fille au briquet. Je portais toujours le briquet qui avait décimé la moitié de la famille. Le briquet de ma mère. Le briquet de la mort. Je l'ai toujours, et quatre ans plus tard je suis toujours la fille aux dessins ou au briquet. Je n'ai toujours pas d'ami et je passe toujours le plus clair de mon temps à l'extérieur de la maison où mon père et moi habitons. Je suis souvent chez Pop's ou alors dans la forêt à peindre les paysages. Tout mon argent de poche passe en milk-shake et en matériel de peinture. Mais même si j'y suis souvent, je ne parle jamais à Forsythe Jones, alors même qu'il est tout le temps chez Pop's.

Jughead et moi nous nous aimions pas totalement, nous nous tolérions parfois quand le restaurant était complet et qu'il ne restait qu'une table avec l'un ou l'autre, mais nous parlions jamais. Je le trouvais bizarre, il me trouvait bizarre, et les autres nous trouvaient bizarre. Mais notre silence s'est arrêté à cause d'un évènement fatidique arrivé le 4 juillet 2017. Une tragédie était arrivée dans la ville de Riverdale qui avait glacé le sang de tous les habitants. Tous les habitants sauf moi. J'avais regardé les journaux avec impassibilité. Une tragédie du même genre avait déjà eu lieu dans ma famille, alors pourquoi pas dans une autre.

Le 4 juillet au matin, un frère et une sœur étaient allés en barque sur Sweetwater Rivers. L'un avait été retrouvé recroquevillé sur les rochers, l'autre n'avait jamais été retrouvé. Les jumeaux Jason et Sheryl Blossom avait été séparé ce jour-là. Une barque retournée, un terrible accident qui avait touché la famille la plus riche de Riverdale. Le corps de Jason était introuvable, et il commença à avoir des rumeurs. Beaucoup spéculaient. Mais personnes n'avaient la véritable histoire. Personne ne savait ce qu'il s'était réellement passé. Moi-même, je ne savais rien. Pourtant, j'avais été présente à ce moment-là. Etant allée dès l'aube dans la forêt pour peindre le reflet du soleil levant sur les feuilles des arbres. J'avais vu deux choses, mais que je savais sans lien avec l'affaire Blossom. Un la voiture du professeur de musique mademoiselle Grundy était présente mais seulement pour être seul avec Archibald Andrews, l'un des amis de Forsythe. Deux un coup de feu avait été tiré dans les environs de six heures par le chef scout Dilton Doiley qui apprenait le tir à ses scouts. Ces deux choses pouvaient détruire la vie de trois personnes mais n'avait pas fait disparaître Jason Blossom. Alors je n'avais rien dit même si je trouvais malsain de fricoter avec un professeur et il fallait être malade pour apprendre à tirer au fusil à des gamins alors qu'on était soi-même un gamin.

Forsythe Jones a, à partir de l'accident, été de plus en plus souvent présent Chez Pop's et il n'était plus du tout accompagné de ses deux amis, Archibald Andrews et Elizabeth Cooper. Je me demandais si il avait découvert la liaison de son meilleur ami avec un professeur ou si c'était pour une autre raison. Mais je n'avais pas demandé au concerné. Je n'en voyais pas l'utilité. J'avais déjà plus de carte en mains que la plupart des habitants de Riverdale car j'étais invisible, personne ne me remarquait et beaucoup m'oubliaient. Je pouvais ainsi observer et peindre les contours de la vie de Riverdale jusqu'aux moindres de détails. Mais ma toile pour l'affaire Blossom restait vide.

Je peignais souvent ce que je voyais, tout le temps en faites. Je faisais mes croquis sur place, ou après la scène que j'avais vu chez Pop's et après j'appliquais les couleurs aux calmes dans un petit coin de la forêt.

Une semaine après l'affaire Blossom, alors que je me retrouvai une nouvelle fois Chez Pop's à terminer un croquis, j'eu une soudaine impression de déjà-vu. Dans mon champ de vision, une main venait d'apparaître pour prendre mon milk-shake à la fraise. Je ne levais pas la tête parce que je connaissais déjà le coupable mais pour vérifier le nombre de clients dans le restaurant. Celui-ci était pratiquement vide. Je me tournais alors vers le jeune homme coiffé d'un horrible bonnet pour le fusiller du regard.

- Forsythe, repose ce milk-shake et va voir ailleurs. Il y a assez de place pour que tu n'entames pas mon espace personnel ni ma consommation.

- Que penses-tu de l'excuse du gant qui tombe de la barque ?

Je relevais la tête une nouvelle fois, il était accroupi sur la banquette à me regarder fixement en attendant une réponse. C'était la première fois qu'il commençait une discussion, et également la première fois qu'il m'adressait la parole depuis des années.

- Tu es vraiment venu ici pour Jason Blossom ou c'est juste une excuse de pique-assiette ?

- Répond.

- C'est un peu gros, finis-je par répondre après quelques minutes de silences. Surtout pour le capitaine de Water-Polo mais un accident peut très vite arriver.

- Etais-tu là-bas le 4 juillet ?

Je le regardais fixement. Etait-ce une accusation ? Je ne savais pas. Je ne savais même pas si j'avais envie de répondre, de m'énerver ou de me défendre.

- Penses-tu que je sois mêlée à la disparition de Blossom ? Dois-je m'inquiéter et m'attendre à que tu sortes les menottes ?

- Je ne pense pas que ce soit le cas même si tu aurais un mobile.

Je grimaçais à sa phrase. Dire que j'avais un mobile pour faire disparaitre Jason était un peu fort. Mais quand je me souvenais de la façon dont il m'avait humilié une colère muette remonta en moi. Oui, j'étais en colère contre lui. Je n'aimais pas Jason Blossom. Et comme la plupart du temps je n'avais pas d'opinion pour qui que ce soit, le fait que je n'appréciais pas quelqu'un était déjà beaucoup. Je soupirais. Mais il était mort, et même ça je ne l'avais pas souhaité, à aucun moment.

- Non, je ne l'ai pas tué, si ce n'est pas ta question, soupirais-je. Maintenant dis-moi ce que tu veux exactement.

- Je pense que tu étais là-bas le 4 juillet. Et j'aimerais savoir si tu as vu ou entendu quelque chose.

Avait-il peur que j'ébruite la relation entre son meilleur ami et la Grundy ? J'en avais aucune idée. Mais par discrétion pour les concernés, je savais que je ne dirais rien. Je préférais faire languir le voleur de Milk-Shake.

- Pourquoi penses-tu que j'étais là-bas à l'aube de la fête nationale ?

- Ne me prend pas pour un jambon, Evelyne, tu passes des heures dans cette forêt à barbouiller des toiles.

- Je ne barbouille pas, je pains, j'exprime ma vision de la vie avec des couleurs comme toi tu le faits avec des mots.

- Dis-moi juste ce que tu as vu ou entendu ce matin-là, s'impatienta Forsythe.

- Rien qui ne concerne Jason Blossom, sa sœur, ses parents ou leur entreprise.

Les yeux du jeune homme se rétrécir à ma réponse, il semblait l'analyser, comme s'il y avait peut-être un indice à l'intérieur.

- Donc tu as tout de même vu quelque chose, vu que tu as précisé sur les Blossom, finit-il par avancer. Qu'est-ce-que c'était ?

- Pour être exacte j'ai remarqué deux choses, souriais-je légèrement sachant très bien ce que j'allais faire ensuite.

- Et... ?, s'impatienta Forsythe.

- Et, ça ne concerne pas tes recherches donc je ne dirais rien.

Je regardais son visage penché au-dessus de la table en attendant ma réponse. Quand il l'eu comprit il me jeta un regard noir. Je lui souris méchamment et commença à ranger mes affaires. Ma toile sous le bras et mon sac sur l'épaule je me levais vers la sortie. Juste avant de partir je me retournai vers lui.

- Tu peux garder le Milk-Shake Forsythe.

Je ne vis pas son visage mais je l'imaginais rouge de frustration et de colère que j'ai employé son véritable prénom assez fort pour que tout le restaurant l'entende. Il détestait son prénom, tout le monde l'appelait Jughead.