Diedrich travaillait comme il en avait l'habitude, seul, dans son imposant bureau. Il avait de la paperasse à régler et lisait des interminables rapports, avec plus ou moins d'attention.

Il avait toujours été un homme très travailleur, bien que le fait de travailler l'ennuie profondément. Tout l'ennuyait et l'agaçait, de toute manière. Et l'allemand était toujours occupé, trop occupé. Diedrich avait en effet d'importantes responsabilités pour son travail à l'armée. Plus le temps passait, plus il se trouvait gradé, moins de temps il avait.

« Tu finiras vieux garçon à force de travailler. »

C'était ce que lui répétait sans cesse l'insupportable Vincent Phantomhive, Diedrich lui-même se demandait comment il pouvait toujours être son ami après tout ce temps. Le Lord était bien agaçant, égocentrique et avait toujours cet intolérable sourire en coin qui voulait tout dire. Et il avait raison. Diedrich ne côtoyait pas les femmes, les trouvant bien trop frivoles. Ainsi, après tant d'années, il n'avait toujours pas de fiancée, pas même une potentielle fiancée.

« Tu es si occupé, pourtant tu viens toujours quand je te fais appeler ! »

Il était vrai que Diedrich accourait à chaque fois qu'il recevait un lettre ou un appel quelque peu alarmant. Et pourtant Dieu seul savait à quel point ça l'agaçait, tant l'Allemagne et l'Angleterre étaient des pays éloignés. C'était toujours une perte de temps considérable dans son travail, et le pire était que Vincent ne l'appelait jamais pour de vraies bonnes raisons. Diedrich le savait très bien. Pourtant qu'il avait toujours l'air parfaitement outré quand il réalisait que Vincent s'était encore une fois joué de lui.

« Reconnais que tu m'aimes bien, pourquoi prendrais-tu cette peine sinon ? »

La remarque sonnait toujours tellement vrai que Diedrich s'énervait à chaque fois, causant l'amusement de Vincent. La colère était presque la seule chose qu'il exprimait, autre que son ennuie et agacement perpétuel. Quand était-il devenu aussi blasé ? Il se le demandait.

« Dee, on se connaît depuis longtemps. Tu te souviens de Weston ? »

Le surnom faisait toujours tiquer Diedrich, et les souvenirs de Weston College planaient toujours. C'était là qu'il y avait rencontré Vincent, et que tout ses ennuis avaient commencés. Il s'en souvenait tellement bien, de ses années de jeunesse en Angleterre. Comment oublier ? Après tout, à l'époque déjà il ne le supportait pas. Vincent qui ne remplissait pas correctement son rôle de préfet, et pourtant sa maison avait gagné le tournoi de cricket. Et à cause d'un stupide pari, parce que Diedrich avait eu trop confiance en lui, il était devenu son fag.

« Ta loyauté me surprendra toujours. »

Et ce avec son insupportable sourire en coin. Car Vincent savait, Vincent savait très bien que Diedrich ne maîtrisait pas cela. Il aurait aimé maintes fois disparaître de la vie du noble anglais, se faire oublier, mais jamais il ne pouvait. Sa morale l'empêchait, le pari de l'époque où ils étaient étudiants valait toujours après tout. Diedrich respectait les règles, toujours. Et Vincent lui rappelait toujours qu'il existait.

« Tu manges beaucoup ! C'est signe de bonne santé, mais tu devrais revoir tes manières. »

Toujours Vincent lui faisait remarquer dès qu'il le voyait, agaçant Diedrich qui préférait faire le contraire de ce qu'il lui conseillait. Il avait toujours l'impression d'agir comme un enfant face à lui, alors il faisait de son mieux pour apparaître comme un homme responsable et raisonnable. Mais Vincent voyait toujours très clair dans son jeu.

« Si il m'arrivait quelque chose, j'aimerai que tu prennes soin de Ciel. »

Vincent lui avait semblé plus alarmant que jamais, mais une fois encore Diedrich n'y fit pas attention. C'était sûrement pour avoir plus d'influence sur lui, un moyen de le garder près de lui, comme Vincent l'avait toujours fait.

« ... »

Puis il n'avait pas eut de nouvelles, et ce pendant plusieurs mois. Mais Diedrich ne s'inquiétait pas, c'était probablement encore un manège de Vincent pour l'angoisser et le faire revenir vers lui. Et cela fonctionna, car Diedrich finit bien évidemment par revenir en Angleterre pour prendre de ses nouvelles vu que l'insupportable Vincent ne répondait pas à ses lettres.

« Oh, je t'ai manqué ? »

Vincent avait tout prévu. Et encore une fois Diedrich s'était fait avoir. Il avait tellement d'emprise sur lui que cela le rendait malade, Vincent le savait très bien et se contentait juste de lui sourire comme il l'avait toujours fait.

« Dee, j'ai à te parler. »

Et il y eut peu de temps après cette fois où tout à dérapé. Rachel et Ciel n'étaient pas là, et encore une fois Diedrich n'avait pas pu faire autrement que de suivre Vincent dans un autre de ses manèges. Mais c'est aller beaucoup plus loin qu'il ne l'aurait jamais pensé. D'habitude, Vincent se jouait de lui, se moquait gentiment, et arborait toujours son rictus de satisfaction. Cette fois-ci était différente.

« Dee... »

Vincent l'avait pris dans ses bras, et entraîné dans sa chambre. Diedrich savait qu'il ne fallait pas, Vincent était marié et, diable, il avait un fils ! Mais il ne pouvait pas résister. Il n'avait jamais vu le noble maléfique de cette façon, et découvrait une nouvelle facette de lui. Diedrich ne pouvait nier qu'il était intrigué. Bien qu'il gardait son air agacé par le nouveau jeu de Vincent, il le suivit encore fois, fidèlement, et peu importe à quel point il savait que c'était mal.

« Tu dois vraiment beaucoup m'aimer. Je sais qu'on se reverra très bientôt. »

Le noble anglais avait prononcé au départ de Diedrich, avec un sourire presque plus prononcé que jamais. Diedrich voulu lui donner tort, parce que cette situation ne lui convenait pas. C'était contre l'éthique, contre les règles, et il le savait très bien. Il quitta le manoir Phantomhive, bien décidé à ne pas retomber à de pareilles bassesses.

Et non, cela ne se reproduisit jamais. Ça avait été la première et dernière fois. Mais ce n'était pas grâce à la volonté de Diedrich ou quoi que se soit d'autre, non, c'était parce que Vincent était mort après cela. Quelques semaines plus tard à peine. Diedrich n'avait rien vu venir, et avait tardivement été mis au courant par lettre, quand il fût convié à l'enterrement des époux Phantomhive. Le fils, on ignorait où il pouvait se trouver. Lui qui avait promis à Vincent de s'en occuper...

Vincent était mort, et il ne pourrait jamais plus se jouer de Diedrich, lui imposer quelconque caprice ou le faire venir en Angleterre pour lui. Vincent ne pourrait plus lui montrer ses sourires qui voulaient tout dire, sourires malicieux, exprimant bien mieux ses pensées que des mots qu'il n'a jamais prononcé.

Cela lui avait brisé le cœur, alors qu'il se disait que sa vie irait beaucoup sans Vincent, avant qu'il ne disparaisse véritablement. Vincent était inoubliable, et Diedrich en souffrait. Il n'avait jamais pensé que la perte de cet homme aurait un tel effet sur lui.

Le poids des années apaisait son deuil, bien qu'il persistait toujours très présent, trop présent. Diedrich n'était toujours pas marié, et avait pris en carrure.

Souvent, Diedrich repensait aux fantômes du passé, à ses souvenirs avec Vincent, ses souvenirs en Angleterre et tout ce qu'il avait pu lui dire.

Souvent Diedrich s'imaginait ce que pourrait dire Vincent si il le voyait tel qu'il est aujourd'hui, l'ombre de lui même, le traits marqués par les colères de sa jeunesse et par l'influence du deuil. Peut-être lui offrirait-il l'un de ses fameux sourires et lui dirait quelque chose comme :

« Eh bien Dee, tu ne peux pas te passer de moi ? »