Bon, j'étais censée attendre d'avoir terminée ce Three-Shot avant de le poster, parce que l'inspiration est capable de me lâcher aux pires moments possibles. En plus j'ai pas répondu à toutes mes reviews ni à mes MPs. Mais bon, on se refait pas. En mettant en place les derniers éléments pour finaliser ma fanfic (les petites comptines glauques de début et vous verrez quoi à la fin), j'étais tellement excitée que j'ai pas résisté à la tentation. Désolée.
Ah, et aussi, si vous êtes dans une phase où vous voulez vous détendre ou rigoler, et bah cliquez sur la croix rouge DE TOUTE URGENCE. C'est l'univers UM, et l'univers UM c'est pas pour les bisounours ! Donc je vous préviens, c'est glauque, peut-être même trash, voire carrément dépressif. (Personne va vouloir lire ça en fait)
Si vous êtes des masochistes finis ou si vous vous demandez simplement ce que j'ai pu pondre... Bienvenue, adieu... *rire apocalyptique*
Chapitre 1 : Matin
Vaillant, vaillant commissaire s'en va le matin, dur et déterminé, il va tuer les méchants, il va tuer les méchants !
Vaillant, vaillant commissaire se fait avoir, et le méchant le casse, le casse en chantant !
Vaillant, vaillant commissaire a perdu, mais pas d'inquiétude, pas d'inquiétude, il se relèvera en hurlant !
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Le bruit sourd et puissant d'une détonation. Muet soudainement, le commissaire regarde son estomac, perforé d'une balle. La douleur fuse en un éclair, explosive, le rendant pantelant et incapable d'émettre un son. Il ne crie pas. Il ne criera pas. Par fierté et par honneur, une dernière fois, les dernières bribes qu'il n'a pas encore perdues dans sa misérable supplication.
Il regarde le Tueur. Et il comprend. Parce que devant lui, les yeux de son bourreau n'expriment ni de la joie, ni du soulagement, ni de la rage. Ce qui s'y reflète ressemble à un sentiment confus d'enfant perdu, comme si le tueur en série en face de lui avait rajeuni, comme si ses crimes, en cet instant, n'existaient plus. Et la main tremble, tremble si fort qu'un instant, il doute qu'il soit capable de tenir plus longtemps l'arme au creux de son poing convulsivement crispé.
Alors, le commissaire bombe le torse malgré la douleur.
Pan !
Le corps s'arque dans un sursaut sous l'impact puissant de la balle.
Pan !
L'homme relâche tous ses muscles bandés, s'étouffant presque dans le sang qui obstrue sa gorge.
Pan !
Une respiration saccadée le fait agoniser alors que ses yeux luttent pour rester ouverts.
Pan !
La tête retombe. Pas un son.
C'est sa victoire.
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- Répondez... Répondez, commissaire !
Des flics inquiets voient celui qui représente leur modèle attaché, couvert de sang, quatre impacts de balles bien visibles sur son corps presque nu et musclé. Il est fébrilement examiné par les plus téméraires l'angoisse se fait palpable, matérielle, alourdit les cœurs et les esprits.
- Est-ce qu'il est... ?
On prend son pouls.
Et soudain un frémissement sous les deux doigts. Faible, irrégulier, mais miraculeusement présent.
Le hurlement des sirènes déchire le silence de la nuit et les rues s'illuminent sous la lumière sanglante des gyrophares.
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Il ouvre les yeux en hurlant. Pas le meilleur réveil expérimenté, bien que ce ne soit pas si rare.
Une douleur aiguë jaillit dans quatre endroits précis de son anatomie et son crie s'intensifie, le faisant gueuler comme un porc qu'on égorge. Il entend confusément des pas précipités vers lui et des voix affolées, mais ne parvient pas à y prêter attention. Des mains palpent son corps et dans un réflexe de défense, il tente de balancer son poing... mais quelque chose le cloue au sol et empêche l'action.
La panique et la douleur se décuplent, des vestiges de sa dernière descente infernale dans l'inconscience se rejouant en boucle dans son esprit anarchique et il se débat comme un beau diable. Ses pensées ont perdu toute cohérence sous son instinct désespéré de survie et des larmes de frayeur s'échappent de ses yeux.
Plus pathétique qu'il ne l'a jamais été, le commissaire déchu expulse un nouveau beuglement, essayant de s'extirper des bras inconnus qui veulent le retenir.
Puis soudain, il s'arrête. La douleur s'estompe et son corps devient plus mou malgré ses tentatives rageuses pour se dégager. Ses paupières se ferment sous sa respiration chaotique.
Noir.
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Il n'arrive pas à entrouvrir les paupières alors qu'il gémit. Son corps s'embrase, ne lui laisse aucun répit, l'empêchant même d'émettre d'autres sons que des râles de souffrance. Il a si mal...
Des voix tourbillonnent autour de lui sans qu'il n'en comprenne le sens, déflagrations d'armes à feu se faisant entendre tout autour de lui sans qu'il ne puisse prendre part à l'assaut.
- Augmentez sa dose de morphine !
- Sa fièvre ne baisse pas...
- Il tachycardise !
- Si ça continue on va le perdre !
- Qui est l'idiot qui lui a donné plus de morphine ?!
- Il risque d'y devenir accro !
- Il faut ralentir son cœur avant qu'il ne nous claque entre les doigts !
- Docteur, il...
Inconscience bienvenue.
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Il se réveille en grognant. Sa tête pulse de manière ininterrompue et l'empêche de réfléchir.
- Vous êtes réveillé ?
Il entrouvre un œil. Le referme.
- Commissaire ?
Un sursaut. Il se reconnaît dans ce titre plus que dans n'importe quel autre. C'est une partie intégrante de son identité, bien plus que son propre nom, et ça le persuade d'ouvrir prudemment les yeux. La lumière lui brûle la rétine en profondeur, mais il ne flanche pas. Pour la première fois depuis ce qui semble une éternité, son esprit n'est pas envahi par un épais brouillard cotonneux. Mais la douleur menace de le renvoyer dans l'inconscience aussi sec s'il ne la canalise pas.
- Putain... murmure-t-il.
Sa langue est pâteuse, sa voix rauque et sa gorge sèche. Une main lui apporte obligeamment un verre et l'aide à dégager sa bouche par une eau fraîche bienvenue. Sitôt que l'action est finie le commissaire se mord la lèvre, furieux contre lui-même. N'y a-il pas pire faiblesse que d'accepter l'aide d'autrui alors qu'on ne le connaît même pas ? Ce n'est qu'une preuve supplémentaire d'à quel point il est tombé bas, et une fureur familière se met à bouillonner dans ses veines, rendant le temps d'un battement de cils la douleur un peu plus supportable.
- Sur une échelle de un à dix, quel est votre seuil de douleur ?
Dix, veut-il dire aussitôt. À la place il répond six. Sa pompe à morphine est ajustée en conséquence.
Ça l'énerve de ne pas voir à quoi ressemble la personne qui lui parle. C'est une femme, d'après son ton mélodieux et ses fins de phrases qui partent dans des aigus un peu chiants, mais il a besoin d'une reconnaissance faciale pour réellement la situer.
Il tente donc de se lever en poussant sans douceur sur ses avants-bras, mais retombe en un grognement de douleur. Putain de bordel de merde sa mère la pute, ça fait super mal !
- Vous n'êtes pas censé bouger ! s'affole la femme en se précipitant vers lui.
Enfin il peut la voir. C'est une infirmière qui le surplombe avec un air soucieux, plutôt mignonne avec ses jolies tâches de rousseur qui rehaussent ses joues. Ses cheveux d'un blond vénitien agréable sont retenus en une queue de cheval simple qui retombe sur sa clavicule alors qu'elle se penche vers lui. En somme, une femme banale, peu charismatique mais assez jolie, dont le physique peut s'imprimer dans la tête, mais seulement au bout de plusieurs rencontres, à moins qu'une ne soit particulièrement traumatisante ou qu'on la force à rester dans notre rétine. En ce point elle ressemble à son tueur en série.
Cependant elle a l'air réellement concernée par son cas, elle qui ne le connaît pas. Un instant, cela le fait se sentir bien, le réchauffant d'une douce chaleur et lui rappelant des temps oubliés, quand il était moins colérique, moins nerveux, plus souriant. L'impression disparaît, la chaleur persiste. Elle est gentille...
Quand elle part après lui avoir arraché de mauvaise foi la promesse qu'il ne se remettra pas à bouger imprudemment, il remet la dose de morphine à son maximum, se laissant glisser dans les limbes torturées de son cerveau.
Il ne veut pas se réveiller.
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Il étouffe. Les mains du tueur s'agrippent autour de son cou et il suffoque, tentant en vain d'aspirer la moindre parcelle d'air. Il va mourir. Comme un chien. Comme un lâche. En ayant perdu toute dignité. Ce fils de pute est en train de l'avoir et il ne peut rien faire pour...
- Commissaire !
La voix, féminine et douce, ne correspond pas à ce qu'il est en train de vivre. Putain, mais qu'est-ce que...
- Commissaire !
L'homme reprend son souffle avec le désespoir du noyé, se tendant comme un ressort dans son lit d'hôpital. Son cœur bat la chamade et refuse de se calmer, et il lui faut un long moment avant de remarquer que les murs et le plafonds blancs qui l'entourent sont loin de ressembler à une certaine cave.
Ce con lui a tiré quatre balles, il ne l'a pas étranglé. Et voilà qu'il se met à rêver d'autres façons avec lesquelles cet enfoiré aurait pu en finir avec lui.
L'infirmière soucieuse est là, passant doucement sa main dans ses cheveux. Le commissaire est ramené une vingtaine d'années en arrière, lorsque sa mère le soulageait d'un mauvais rêve tout en lui caressant la tête... avant de se dégager brusquement et sèchement sous la moue peinée de la jeune femme qu'il ignore. Sa mère est morte. Ne reviendra pas. Et ce n'est pas une présence quelconque qui le fera se sentir moins seul.
- Ça va, putain ! aboie-t-il méchamment.
Les yeux de l'infirmière brillent alors qu'elle s'en va. Il ferme les yeux après avoir rempli son organisme de morphine.
S'il en prend assez, peut-être que...
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- Bonjour, commissaire.
Cet appel, froid, impersonnel, mais avec une légère pointe de respect, le réveille immédiatement. Il laisse échapper un rire sans joie.
- Je suis encore commissaire ?
Le policier tressaille.
- L'administration... est compliquée, répond-il soigneusement.
- Mon cul, réplique le brun. Ces connards m'ont évincé juste parce qu'un flic qui ne respecte pas la procédure fait trop de paperasse chiante à remplir et de mauvaise pub à éviter.
Le policier lance un regard évasif dans un coin de la pièce.
- Bon, reprend abruptement – l'ex ? – commissaire, t'es pas venu causer chiffons. Alors qu'est-ce que tu fous là gamin ?
Visiblement un peu impressionné par son – presque légendaire – franc-parler, le flic tente de reprendre un peu contenance avant d'expliquer :
- Nous voudrions votre déposition. Vous étiez trop peu conscient avant pour qu'on vous considère comme lucide, mais maintenant...
Le commissaire ricane, plus amer encore. Ça ne fait que deux jours qu'il peut rester éveillé plus de quatre heures à la suite, ils n'ont pas perdu de temps.
- Qui s'occupe de la chasse du tueur en série maintenant ? ne peut-il s'empêcher de demander douloureusement.
- Comme on n'a pas de nouvelles concrètes depuis deux mois, le budget de l'État est consacré à d'autres priorités.
- PUTAIN DE GAMIN, TU TE FOUS DE MA GUEULE ?!
Surpris par ce coup d'éclat soudain, le jeune policier recule, mal à l'aise. L'ex-commissaire hurle, hors de lui :
- DÉGAGE !
- Votre déposition... tente le petit con.
Mais il recule bien vite quand le poing de son supérieur manque de lui écraser la mâchoire. Il finit par battre sagement en retraite sous les vociférations furieuses de l'homme qui, bien que cloué dans ce sinistre lit d'hôpital, reste impressionnant et menaçant.
L'infirmière désormais habituelle accourt en entendant le bip régulier des machines s'accélérer dangereusement et en moins de quelques minutes elle est postée à sa droite, fidèle à son poste.
- Combien de temps ? demande-t-il d'une voix basse.
La jeune rousse ne comprend pas.
- Hein ? dit-elle stupidement.
- DEPUIS COMBIEN DE TEMPS JE SUIS ICI, PUTAIN ?!
- Dans votre état, un choc trop violent risquerait de... commence-t-elle.
Il lui attrape le bras et lui serre avec force. Apeurée, elle tente de se dégager de sa poigne avec un couinement de douleur, mais il ne lâche pas, les yeux brûlant la traversant sans la voir, fixés sur son objectif.
- Dis-moi. Depuis. Combien de PUTAIN de temps. Je. Suis. Ici !
- De... De... Depuis deux mois, vous êtes sorti du coma au bout d'un mois et demie.
… Quoi ?
C'est une putain de blague. Comment a-t-il pu perdre autant de temps ? Sonné, le commissaire relâche mécaniquement la jeune femme, qui se s'éloigne aussitôt en gémissant. Deux mois ? Deux mois ?!
C'est pas possible, il va se réveiller, c'est... « C'est pas possible ! Pourquoi... Pourquoi... Je veux savoir ! » Le policier frissonne violemment, empli d'une même impuissance que celle dans cette cave dont il se souviendra des moindres recoins éclairés par des projecteurs blanchâtres. Des projecteurs, hein... C'est vrai que ce petit salopard avait toujours apprécié les mises en scène théâtrales.
- Pas possible... laisse-t-il échapper malgré lui, refusant d'y croire malgré la logique implacable du fait.
Ça colle. Le tueur a arrêté de faire du bruit juste après son l'exécution de celui qui avait tout mis en œuvre pour le retrouver, et le policier disait que ça faisait deux mois. Merde, ça colle parfaitement.
- Com... Commissaire ? demande craintivement l'infirmière qu'il pensait partie.
La lassitude l'envahit tout entier, laissant s'évaporer la sensation familière et en un sens presque réconfortante de la colère. Sans cette rage qui l'anime, sans cette fureur comme moteur, l'homme est une coquille vide et inutile. Et c'est exactement comme ça qu'il se sent à cet instant précis. Une coquille vide et inutile.
- Je ne suis plus commissaire... soupire-t-il, exténué tout à coup.
Il n'est plus rien. Il ne sait même pas l'étendue des dommages sur son propre corps, une quelconque psychologue qu'il a envoyé bouler lors d'un de ses réveils désastreux ayant certifié qu'il ne fallait pas lui faire de révélations trop marquantes tant que son état n'est pas stable. Ce que cette conne ne sait pas, c'est que ne pas savoir le tue. Littéralement.
Être – enfin – au courant du temps qu'il a passé à l'hôpital l'accable mais paradoxalement, le soulage profondément. Il a enfin un contrôle sur quelque chose ; il sait. Il ne veut plus se faire surprendre comme la dernière fois, ne veut plus se rendre compte que depuis le début il avait fait une erreur. Plus jamais ça. Jamais.
Le brun se rend compte qu'il tremble de manière irrésistible seulement lorsque deux bras s'enroulent maladroitement autour de ses épaules et avec humeur, pense d'abord à se dégager sans autre forme de cérémonie. Mais dans son amorce de geste, il se fige. Parce que l'infirmière rousse qui lui offre sa chaleur et son réconfort tremble presque autant que lui, certainement encore terrifiée de son accès de violence précédent. Et néanmoins elle reste, pas par pitié ni par mépris, mais par compassion.
Les gens trop gentils ne font jamais long feu dans son métier.
Pourtant l'ex-commissaire accepte cette étreinte fragile, parce qu'il est peut-être plus fragile encore, et parce que par ce geste, l'infirmière a réchauffé son cœur si fermé à l'affection. Il s'autorise un instant, juste un instant, à se laisser aller, à faire un peu tomber sa carapace, et il ferme les yeux.
Elle ne le lâche pas jusqu'à entendre une respiration régulière et apaisée.
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- Maman, j'ai peur...
- Chut, tout va bien, François. Tu vas te cacher là et ne pas faire de bruit, d'accord ? Tout va bien...
L'homme se réveille en sursaut, les cheveux collés à son front par la sueur, et le bruit assourdissant des machines montrant la brutale montée d'adrénaline qui a fait sensiblement augmenter son rythme cardiaque lui permet de se reconnaître rapidement. Excédé cependant par ce vacarme qui semble allègrement lui arracher les tympans, il enlève rageusement les électrodes qui parsèment son corps. Il en a marre de cette merde, de toute façon. S'il doit crever à cause de son cœur, et bien soit. Il n'est plus à une ironie près.
De nouveau dans le silence, l'ex-commissaire soupire. Depuis combien de temps n'a-t-il pas rêvé ou même pensé à son enfance ? Le début de tout, le mécanisme qui a enclenché la machine... Habituellement il faisait toujours tout pour l'occulter, poussant parfois le vice jusqu'à s'aider avec l'alcool, mais son hospitalisation a mis sa tête et ses souvenirs sens-dessus sens-dessous, en plus de l'affection et la douceur de la jeune femme rousse qui lui ont rappelé celles de sa mère.
- Commissaire !
L'appellation, bien qu'à présent mensongère, le soulage, lui offrant un repère alors qu'il en manque cruellement, et il remercie silencieusement... une infirmière, il ne sait pas qui, qui n'est pas la rousse.
Il néglige la nuée de personnes en blouses blanches qui fourmillent désormais autour de sa chambre qui a définitivement perdu son calme et se focalise seulement sur celle qui allume brusquement sa lumière et l'observe les yeux perçants.
- Fausse alerte, déclare-t-elle à ses collègues, qui soupirent – de soulagement ou de déception d'avoir manqué un événement qui semblait s'avérer palpitant ?
Il faut qu'il arrête, il voit le mal même chez les gens qui consacrent leur carrière à soigner. En même temps, songe-t-il en s'évadant de nouveau du moment présent, quand il était gosse, il pensait qu'être flic était quelque chose d'honorable. Le nombre de flics ripoux, d'arrestations avortées, d'enfermements ratés pour manque de preuves et d'interrogatoire infructueux avait fini par transformer sa vision des choses. C'est toujours la même chose : c'est toujours ce qui semble le plus blanc qu'il faut regarder de plus près.
- Qu'est-ce qui vous a pris d'arracher les électrodes ? On a cru à un arrêt cardiaque ! gronde l'infirmière, clairement mécontente, confirmant ce qu'il avait supposé en apercevant fugacement le chariot de réa s'éloigner.
L'autre est mieux, décide-t-il en voyant la mine patibulaire de l'infirmière.
Cependant, elle ne fait pas un geste pour replacer ce qu'il a enlevé. Un point pour elle.
- Où est l'infirmière rousse ? demande-t-il, ignorant complètement la remontrance de la femme, ce qui semble grandement l'agacer.
- L'infirmière rousse ?
- Oui, celle que je vois tout le temps normalement, répond-t-il, se rendant compte seulement à cet instant qu'il ne connaît pas son nom.
- Vous savez, réplique-t-elle brusquement, elle n'est pas à votre service constamment, elle a besoin de se reposer... accessoirement dormir, ajoute-t-elle sarcastiquement. Déjà qu'elle fait parler d'elle dans tout le service parce qu'elle enchaîne les heures supplémentaires pour un seul patient... Vous, précise-t-elle sous la moue décontenancée du « patient ».
Il ne sait que répondre, ne s'attendant absolument pas à cette révélation. Ça le laisse un instant déboussolé, et il déteste être déboussolé. Aussi, la colère rassurante et familière remplace bientôt son précédent sentiment, et il réplique, acerbe :
- C'est son choix, pas le mien.
- Je me demande bien ce qu'elle vous trouve, en tout cas, grogne son interlocutrice.
Le franc-parler de la femme ressemble au sien, et il se demande si elle aussi, elle a quelques soucis avec la hiérarchie. Cette manière brute de parler, sans prendre de gants, c'est avec celle-là qu'il est le plus à l'aise, et l'ex-commissaire décide que même si elle est énervante, il l'apprécie. Ça fait du bien, enfin quelqu'un qui dit clairement ce qu'il pense, plutôt que de toujours hésiter, observer ses réactions, parfois même le craindre.
Son léger sourire s'évanouit aussitôt lorsque l'infirmière se penche vers sa pompe à morphine et baisse la dose, réveillant ses douleurs endormies. Sa grimace doit parler d'elle-même, puisque la jeune femme explique, avec un peu plus de douceur cette fois, mais toujours abrupte :
- Faut pas que vous vous y habituiez trop, faudra bien s'en passer un moment. On va baisser progressivement les doses.
Parce qu'ils vont baisser plus que ça ? Déjà l'homme sent la douleur le malmener, apportant avec elle des flash-back indésirés d'incompréhension, de désespoir et de déchéance. Il n'aime pas ça du tout, et il n'a pas besoin des machines pour vérifier son rythme cardiaque pour se rendre compte qu'encore une fois, il accélère. D'une tape bourrue sur l'épaule et d'un « Bon courage » sur le bout des lèvres, l'infirmière le laisse seul face à sa souffrance et ses souvenirs.
Il laisse un gémissement lui échapper lorsqu'il est sûr que personne ne le voit, tentant pathétiquement d'atteindre la pompe à morphine que l'infirmière, pas bête, a mis hors de portée. Incapable de s'appuyer sur ses bras, il tente de s'aider seulement de ses abdominaux, tendant la main au maximum, mais tombe de son lit en une mêlée sombre de bras et de jambes. Il se retint de hurler, poussant une bordée de jurons d'une voix difficilement maîtrisée, et tente de se dépêtrer de la couverture qui a accompagné sa chute. L'effort l'épuise, il parvient presque miraculeusement à se remettre dans le lit par une torsion du corps incongrue, et il se retrouve dans l'exacte position qu'il avait à peine quelques minutes auparavant, jurant plus fort.
Un voile s'abat sur sa conscience, et il sombre les dents serrées.
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À peine a-t-il le temps d'émerger qu'il entend, encore un peu hagard :
- On m'a raconté ce qui s'est passé cette nuit.
- Et ? lance-t-il d'un air agressif, pas d'humeur à paraître poli.
- Pourquoi avez-vous enlevé le moniteur cardiaque ?
- Trop bruyant putain.
- D'accord, ça peut paraître un peu énervant, mais de là à être qualifié de bruyant... débute-t-elle avant de comprendre soudainement : Encore un réveil difficile ?
- Occupe-toi de ton cul, grogne-t-il, lui donnant implicitement raison par sa colère qui s'intensifie.
Elle ne se formalise pas de sa brutalité et sa vulgarité, habituée à présent. Ce qui, en un sens, est encore pire. Mais pourquoi lui consacre-t-elle autant de son temps alors que depuis le début il joue au véritable connard avec elle ? C'est quelque chose qui le dépasse.
Il veut relever la tête mais une douleur aussi subite qu'inattendue le paralyse immédiatement, le laissant pantelant et essoufflé, et il se sent devenir livide tandis qu'une goutte de transpiration roule le long de sa tempe.
- Ça va ?! s'inquiète aussitôt la rousse.
- Bordel de merde, tu vois bien que non ! aboie-t-il en gardant la mâchoire résolument contractée. Je suis loin d'aller bien ! Je ne peux pas me relever sans souffrir et je ne sais même pas à quel point mon corps est endommagé... Comment veux-tu que ça aille bien, putain ?!
- Désolée, s'excuse l'infirmière.
Il en a rien à foutre de ses excuses, il veut savoir. Il se redresse comme il peut sur ses oreillers, ignorant la douleur qui afflue et la regarde droit dans les yeux :
- Dis-moi.
Elle sait ce qu'elle lui demande – ça se voit dans son regard – mais répond :
- Quoi ?
- L'état de mon corps.
Elle baisse les yeux il lui relève la tête sans méchanceté et ancre ses prunelles dans les siennes. Il a fini par comprendre deux-trois trucs avec la jeune femme rousse, et s'il y a bien quelque chose qu'il a retenu, c'est qu'elle est incapable de mentir en regardant quelqu'un.
- Je n'ai pas le droit de...
- S'il te plaît.
Elle hausse les sourcils, stupéfaite. Ces simples mots lui ont arraché la gorge, mais c'était le prix à payer pour annihiler complètement sa résistance. Maintenant, il le sait, elle va craquer.
Les gens trop gentils ne font jamais long feu dans son métier. C'est la loi de la jungle, et aujourd'hui il utilise honteusement ses avantages, manipulant la jeune femme en lui exposant sa propre faiblesse. La manœuvre, bien que particulièrement désagréable, est efficace avec les personnes comme elle, et il ne veut plus perdre de temps à rester dans le flou.
Ses épaules s'affaissent et elle soupire ; il a gagné et ils le savent tous les deux.
- Quatre balles ont perforé votre corps. La première, dans votre estomac – la seule dont il se souvient – était trop risquée à retirer le plus sûr était de la laisser dans votre corps comme elle n'a traversé que la première paroi. Nous avons recousu la blessure, mais les points de suture sont encore fragiles, et vous ne pouvez toujours rien manger de solide.
Cela explique au moins pourquoi des tubes l'alimentent depuis deux mois – d'ailleurs, dès qu'il avait été en mesure de rester éveillé plus de dix minutes, il avait catégoriquement refusé qu'on lui remette les autres tubes, ceux qui lui permettaient de rejeter les déchets sans marcher jusqu'aux toilettes. Il garde ses pensées peu plaisantes pour lui et écoute la suite.
- La deuxième est passé de justesse à côté de votre artère fémorale : vous avez beaucoup de chance. Elle a simplement traversé votre cuisse droite, et une partie de l'impact a ainsi pu vous être épargné. Mais ça représente tout de même un trou dans votre jambe, et vous sentirez la douleur, bien que moins forte, probablement toute votre vie vous appuyer dessus est fortement déconseillé.
Mauvaise nouvelle. Très mauvaise nouvelle. Et il reste encore deux balles. Plus insidieuse et dévastatrice que la rage, la peur se glisse sournoisement en lui, glaçant son corps et ralentissant sa réflexion. Il garde un visage de marbre, tentant de discrètement maîtriser son souffle qui s'emballe.
- La troisième a épargné le cœur puisqu'elle a ripé sur vos côtes. Elles sont cassées, et le seul remède, c'est le temps et les antidouleurs. Comme elles n'ont perforé aucun organe interne, il n'y a qu'à attendre.
Dernière balle.
- La quatrième balle... annonce-t-elle, hésitante, avant de se reprendre d'une voix tremblotante. Elle a traversé votre cou.
- QUOI ?!
Le cri a fusé sans qu'il ne puisse l'en empêcher. Comment peut-il simplement être en mesure de parler si...
- C'était au-dessus de votre clavicule, s'empresse d'ajouter l'infirmière. Vous avez perdu tellement de sang qu'on a du vous transfuser plus de dix unités, mais ni vos cordes vocales, ni votre carotide n'ont été touchées.
Ce qui semble plutôt évident, se retient-il de soupirer. Il n'est ni mort ni muet, il aurait pu faire cette constatation de lui-même.
- Finalement, le plus inquiétant était votre perte de sang massive, dit la rousse d'une petite voix. Vous boiterez, mais votre vie n'est pas en danger.
Il souffre le martyre, mais son intégrité physique est presque complète. Et c'est pour ça que cette pute de psychologue ne voulait pas qu'il connaisse l'étendue de ses blessures ? Quelle conne. Les nouvelles le rassurent plus qu'autre chose.
L'ex-commissaire fronce les sourcils soudain minute...
- C'est incroyable. Vous êtes tellement chanceux qu'on pourrait vous considérer comme miraculé.
Chanceux, oui. Bien trop chanceux pour que ce soit le simple fruit du hasard.
L'ex-commissaire écarquille soudainement les yeux, venant d'assembler les dernières pièces du puzzle qui lui résistait depuis sa lucidité retrouvée. L'auteur de toutes ses blessures est un tueur en série un tueur professionnel, donc. Pourtant, en quatre coups de feu, il a été incapable de blesser mortellement son pire ennemi. Que ce soit consciemment ou inconsciemment, le Tueur l'a épargné.
L'homme alité se retient de hurler de rage. Il y a deux mois, dans cette cave sombre et humide, il avait cru tout perdre, avant de voir l'expression de celui qu'il avait si longtemps pourchassé. Il avait perdu son honneur, sa fierté, son acolyte, son charisme et sa dignité. Mais juste avant de recevoir les balles, il avait vu le visage du Tueur, avait compris qu'il avait gagné. Pour lui, ça restait encore le meilleur moyen de disparaître du tableau.
Et maintenant, ce dernier coup d'éclat lui est aussi retiré. Il pensait finir non pas en héros, mais au moins en homme, et il se retrouve en ex-flic déchu et faiblard coincé dans un lit d'hôpital et accro à la morphine. Il n'est plus rien. Le Tueur lui a tout enlevé.
L'abattement saisit le commissaire, douchant sa colère par un sceau d'eau glacée et inévitable.
- Euh... Commissaire ? demande l'infirmière rousse, inquiète de son silence prolongé.
Et en cet instant, alors qu'il se met à haïr cette jeune femme qui l'a rendu faible et dépendant, alors qu'il la hait pour lui rappeler sa déchéance par un unique mot, il se décide. Il a toujours été un homme d'action. Et il est incroyablement rancunier.
- Je ne suis plus commissaire, crache-t-il venimeusement, et par un effort bien plus facile qu'il ne devrait l'être grâce au mélange dévastateur d'adrénaline et de fureur complètement libérée, il se relève et met un bras autour du cou frêle de la femme délicate.
Il se met à se complaire dans cette rage, à l'embrasser et la garder contre lui, et chuchote à la rousse d'une voix dangereusement basse :
- Un cri, un mouvement suspect, un faux pas, et je te brise la nuque. Compris ?
L'infirmière hoche frénétiquement la tête, terrifiée.
- Bien, murmure-t-il à son oreille, la voyant frissonner de peur alors qu'il a réduit encore l'espace entre eux. Maintenant tu me conduis aux réserves de morphine.
La rousse ne cherche pas un instant à comprendre, se dirigeant à l'instinct comme le ferait un animal traqué. Il ne sait pas l'heure, mais il doit être assez tôt car ils ne rencontrent personne sur leur chemin. Sa paranoïa exacerbée par des années de poursuite d'individus tous plus retors les uns que les autres l'incite immédiatement à se méfier, et il garde cette idée dans un coin de la tête, accentuant sa pression sur la gorge de la femme pour la mettre en garde. Celle-ci tremble un peu plus encore, et un instant, l'ex-commissaire revoit fugacement ces mêmes tremblements se serrer avec force contre son corps anéanti, tentant de le réconforter en faisant fi de ses émotions primaires. Mais la colère, salvatrice, repousse ces souvenirs inutiles au loin, aveugle sa reconnaissance, étouffe son doute.
Ils passent plusieurs embranchements, et l'homme fait mentalement une carte de l'hôpital pour pouvoir sortir sans problèmes après. Arrivé devant la réserve, il ouvre la porte sèchement, un bras toujours enroulé autour du cou de sa victime, et se met à fourrer autant de seringues de morphine possibles dans un kit de premiers secours qu'il vide brutalement pour avoir plus de place.
Enfin il relâche la femme, et alors qu'il s'apprête à enfoncer dans son cou une dose de morphine pour l'endormir et éviter qu'elle ne prévienne tout le monde, elle le prend de vitesse en s'exclamant d'une voix implorante :
- Arrêtez ! Vous... Vous pouvez encore changer d'avis. Je vous jure que si vous revenez dans votre chambre sans faire d'histoires, supplie-t-elle, je ne dirais rien. Vous êtes quelqu'un de bien, commissaire, je le sais ! Alors je vous en prie... Ne faites pas ça. Ne devenez pas quelque chose d'autre.
Après un silence court mais particulièrement pesant, l'ex-commissaire finit par répondre :
- C'est ça que tu ne comprends pas. Je n'ai jamais été quelqu'un de bien. Ce quelque chose d'autre... je le suis déjà.
Et sous les yeux horrifiés de l'infirmière qui voit sa dernière étincelle d'espoir disparaître, il lui enfonce la totalité de l'aiguille dans le cou, la rattrapant lorsqu'elle tombe en arrière. Il s'injecte lui-même une forte dose dans la cuisse et attrape une blouse qu'il troque contre ses vêtements de patient.
Sans un regard en arrière, l'ex-commissaire quitte l'hôpital, les poings crispés et la mâchoire serrée. La traque n'est pas finie.
Et tout ça aurait une conclusion, qu'elle quelle soit.
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Monstre enchaîné
Qui se dévoile
Dans la pâleur du matin
Hé oui, je suis passée à la phase "moi aussi j'écris des poèmes marchombres et je fais des références à Pierre Bottero parce que voilà MERDE". Petite dédicace à ton intention, Mad Calypso. J'ai en fait pensé à cet ajout après avoir reviewé ta fic si génialissime (Au nom de la Liberté), et j'ai décidé de vraiment le faire il y a deux minutes. Putain tu me fais faire des merveilles (je me vante pas un peu là ? Ouais mais bon c'est toi Mad, tu fais des miracles. En plus on est même mariées maintenant BWEHEHEHE !)
Et encore plus grosse dédicace à... bah encore Mad Calypso en fait. Je pense que cette fic n'aurait jamais vu le jour sans sa fanfic Humains (pluie de cœurs sur toi pour m'inspirer autant). J'espère d'ailleurs de tout cœur ne pas l'avoir plagiée, n'hésitez pas à le dire si vous trouvez que ça fait un peu trop de ressemblances pour être correct, je ne me vexerai pas, je me pose vraiment la question de si je suis légitime pour le coup ou pas. En fait, n'hésitez pas à reviewer tout court, parce que j'adore les reviews (non en fait je les déteste mais je suis maso, ha ha ha ha)
Merc d'avoir lu !
