Pluie acide
Il pleuvait. La froide pluie d'automne qui vous glace les os et transperce vos doigts de milliers d'aiguilles. Vos cheveux sont gorgés d'eau et commence à peser tandis que les gouttes s'infiltrent dans le creux que forme vos omoplates.
Non, décidemment, le Paris d'après guerre n'aime guère ce temps, bien qu'il y soit habitué.
Heureusement, il fait nuit, le peuple dors. Enfin peut-être.
En cette fin Octobre 1923, qui sait ce que peut bien faire une jeune femme essayant, tant bien que mal, de se protéger de la fureur du temps avec ce vieux parapluie rouge, bien trop troué pour servir à quoi que se soit. Mais, ses pas résonnent harmonieusement avec le bruit des gouttes qui s'écrasent sur les pavés parisiens. Nous pouvons écouter le talon de bois qui tape contre la pierre, et ce bruit finit de bercer les quelques insomniaques encore debout.
La pluie redouble de violence et le vent se lève. Elle presse le pas et nous pouvons avoir dans l'esprit, la vue d'un romantique cadre du temps pluvieux comme nous l'a peint Gustave Caillebotte, mais celui-ci était définitivement sale.
Elle arriva enfin à destination. C'est dans ce luxueux appartement de la capitale qu'on l'attendait, et surement avec impatience.
La jeune femme pénétra par la porte de service. C'était l'effervescence dans les couloirs menant à la salle de réception. Mais, elle réussi cependant à interpeller un serveur.
- Ou puis-je trouver Mme Harstrosh, s'il vous plait, je suis la couturière et je lui apporte sa robe pour cette soirée.
- Malheureusement, Mme Harstrosh est souffrante. Elle est restée dans sa chambre pour la soirée. Mais allé déposer cette robe dans la buanderie. Nous nous en occuperons plus tard.
Elle le remercia mais fut déçue de voir qua sa création ne serait probablement jamais portée. Elle marcha vers la pièce que lui avait indiquée le serveur quand son regard fut attiré par des rires étouffés. Elle aperçue rapidement une ombre de femme se mouvoir dans l'obscurité.
Celle-ci laissa tomber un objet au sol.
La petite couturière s'approcha et remarqua à ses pieds, un bandeau blanc orné d'une broche et de quelques plumes de paons. Elle s'empressa de ramasser son trésor et voulu partir à la recherche de cette mystérieuse femme avant qu'une porte entrouverte, donnant sur les toilettes ne lui attire l'œil.
Elle pénétra dans la pièce et fut émerveillée de la richesse de ce lieu pourtant si anodin. Cet endroit semblait vivant. Les lumières étaient allumées, un fond de musique classique s'élevait au loin, et du maquillage trainait encore sur le lavabo comme si on l'avait oublié en partant précipitamment.
La jeune femme se retrouva alors stupidement avec un bandeau perdu, du maquillage oublié et une robe qui ne sera probablement jamais portée.
Que faire avec tout ceci ?
Un éclair traversa son esprit. Elle avait ici, avec elle, toute la panoplie que se devait d'avoir une femme respectable lors d'une soirée de cette envergure. Pourquoi en serait-elle exclue ?
Après tout, la seule personne susceptible de la reconnaitre était alitée à l'étage.
Sans plus réfléchir, la couturière ferma à clé la porte du cabinet de toilette.
Quelques minutes plus tard ce fut une autre femme qui sortit de la petite pièce.
La jeune ouvrière trempée par la pluie et salie de boue avait laissée place à une jeune femme resplendissante, propre, maquillée et portant une robe qui fera tournée des têtes ce soir là.
C'est avec l'assurance que lui conférait sa nouvelle apparence qu'elle prit la direction de la salle de bal.
Elle traversa plusieurs couloirs avant d'entendre plus précisément le son des violons et les conversations des convives.
Elle poussa doucement la dernière porte qui lui barrait la route et arriva enfin dans le grand salon.
Personne ne remarqua sa discrète arrivée par la porte dérobée, typique de ces grands immeubles parisiens.
La jeune femme s'avança doucement dans la pièce. D'abord timidement puis avec plus d'assurance lorsqu'un serveur vient lui proposer un verre de champagne sur un plateau.
Elle le prit et alla s'assoir dans un fauteuil non loin d'une fenêtre. Elle admira les toits de la capitale et la majestueuse tour de métal illuminée.
Elle était perdue dans ses pensées, bercée par la musique et l'alcool, quand une main vient se poser sur son épaule.
La jeune femme sursauta doucement avant de jeter un regard vers un jeune homme, probablement plus vieux qu'elle d'une demi-douzaine d'années. Il portait un costume élégant, noir et ornait son visage de son meilleur sourire.
- Aimeriez-vous danser, lui demanda t-il.
- Je ne sais guère comment faire, avoua-t-elle confuse.
Il ne lui laissa pas plus de temps afin qu'elle ait la chance de se désister plus correctement, que déjà, elle se retrouvait sur la piste. Heureusement, ils n'étaient pas les seuls à tournoyer gaiment sur la douce mélodie. La jeune femme se détendit et son cavalier en profita pour entamer la conversation.
- D'où venez-vous ? Je ne vous ai jamais vu en soirée, et Dieu seul sait combien j'en fais, s'exclama t-il pour détendre l'atmosphère.
- Je…
Que pouvait-elle dire ? Elle ne pouvait avouer à personne qu'elle n'était qu'une simple roturière !
- Je n'aime pas trop les soirées. Je m'y rends rarement mais, l'on m'a demandé personnellement d'être ici ce soir. Je ne pouvais le refuser à Mme Harstrosh.
- Donc, vous connaissez bien notre hôte! Où vous êtes-vous rencontré ?
Mais la musique cessa et la petite couturière préféra changer de sujet.
- Ne désirez-vous pas vous assoir, je me sens un peu faible, lui dit-elle.
Il acquiesça et l'emmena vers un coin salon plus intimiste. Il la laissa quelques instants pour aller chercher des verres.
Sitôt fut-il partit, que les quelques femmes présentent sur les canapés lui demandèrent avidement.
- Ma chère, je dois dire que je vous observe depuis un moment et je ne peux m'empêcher d'admirer votre robe. Où donc l'avez-vous acheté ?
La jeune femme rougit de plaisir et s'empressa de répondre dans l'espoir de se faire quelques nouvelles clientes influentes.
- Je l'ai faite faire par une petite boutique, peu connue encore mais laissez-moi vous donner l'adresse.
Elle écrivit joyeusement l'adresse de son atelier dans tous les carnets qu'on lui tendait.
Mais, une nouvelle mélodie débuta et de nombreuses femmes furent sollicitées pour une nouvelle danse. Heureusement, elle ne resta pas seule bien longtemps car son cavalier revenait, deux verres à la main. Il lui en tendit un galamment et s'assit à ses côtés. Ils ne parlèrent pas, sirotant leur boisson et se jetant quelques sourires gênés de temps à autre. Le jeune homme voulu lui dire quelque chose mais il faut interrompu par l'arrivée un autre convive. Un autre homme, du même âge que le premier. Celui-ci lui envoya un sourire arrogant avant de se tourner vers la jeune femme.
- Voudriez-vous bien m'accompagner pour cette danse, mademoiselle ?
Elle hésita un moment mais ne trouva aucune excuse pour lui refuser. Et, il ne semblait pas prêt à abandonner en cas de refus.
Elle accepta timidement en jetant un léger coup d'œil à son premier compagnon mais celui-ci ne semblait pas lui en vouloir de l 'abandonner et lui souri pour la mettre à l'aise.
Elle le suivit donc jusqu'à la piste et fut étonnée de la force qu'il employait pour la tenir contre lui.
Ils virevoltaient depuis un moment quand son cavalier lui glissa à l'oreille.
- Je sais qui vous êtes et je doute qu'une simple roturière soit la bienvenue dans ce type de soirée. Vous n'êtes pas dans votre monde ici.
La jeune femme, apeurée de s'être faite découverte, voulu se dégager mais il ne desserra pas sa poigne.
- Ce que je suis ne vous regarde pas ! Et je comptais m'en aller, je n'ai plus rien à faire ici.
- Voyons, la valse ne s'est même pas encore terminée, dit-il sarcastiquement. Puisque vous êtes ici, profitez-en !
Mais comme pour le contredire, les musiciens s'arrêtèrent.
La petite couturière fit un pas vers la sortie mais il la reteint encore pas le bras.
- Je passerai vous rendre visite. Après tout, vous m'en devez une !
- Je ne vois pas ce que je vous dois !
- J'ai le pouvoir de vous faire arrêter pour le vol de la robe et le bandeau que vous portez ainsi que pour être entré par effraction chez Mme Harstrosh. Je ne le ferai pas, mais je viendrai vous voir, affirma t-il durement.
Elle le regarda avec effarement quand il la lâcha enfin avec un rictus victorieux.
Elle s'enfuie vers la sortie, reprenant le chemin en sens inverse. Elle enleva la robe pour repasser ses habituels habits. Elle déposa le vêtement de soirée dans la buanderie et sortit hors de la maison.
La pluie n'avait pas cessé mais elle s'engouffra quand même dans les rues parisiennes en déployant son parapluie.
Arrivée non loin de Montmartre, elle dévala un petit escalier de pierre. C'est non loin qu'était installé son appartement. Elle possédait une chambre au dessus d'un bar d'où s'élevait des vapeurs d'alcool et de tabac. Lorsqu'elle pénétra dans l'unique pièce qui constituait son habitation, elle ne s'attendait pas à ce qu'on l'attende avec tant d'impatience. En effet, quatre petites têtes assoupies, patientaient, assises au coin du feu. Mais, elles se réveillèrent dans un même mouvement lorsqu'elle claqua la porte. Les quatre orphelins qui habitaient avec elle ne souhaitaient plus que, comme chaque soir, elle leur raconte une nouvelle histoire.
Et elle risquait d'être inspirée cette nuit là!
