Mon nom c'est Akanishi Jin, j'ai dix-sept ans et aujourd'hui, je sors d'une détention de quatre-vingt-seize mois, trois jours et quinze heures. Pas de prison même si j'ai déjà fais six mois pour vols. La peine dont je parle, c'est celle que je purge malgré moi dans cet enfer que les gens appellent "orphelinat" sans savoir de quoi ils parlent. Mais avant de dire comment j'en suis sorti et où j'en suis, je pense qu'il faut que je commence par raconter ma vie jusque là. Alors accrochez-vous à vos chaussettes parce que c'est pas franchement joyeux.
J'y ai été placé l'année de mes onze ans. Alertées par une voisine qui entendait régulièrement mes cris de douleurs, les flics ont fini par me retirer à mes parents alcooliques et toxicomanes qui me tapaient dessus chaque fois que l'envie leur en prenait, au point qu'encore aujourd'hui, j'ai des putains de cicatrices. La première année, avec la confiance de l'enfant que j'étais, j'étais sûr que quelqu'un viendrait m'adopter, que moi aussi, comme les autres, j'aurais un gentil papa et une gentille maman... mais j'ai vite pigé que ce ne serait jamais le cas. J'étais déjà trop vieux aux yeux de la majeure partie des adoptants et on était trop nombreux à placer. Le personnel de l'orphelinat avait un ordre de priorité et j'en faisais clairement pas partie. Au début, bien sûr, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps dès qu'un autre trouvait une famille, mais après deux ans j'ai fini par capter que j'allais rester là jusqu'à ma majorité. Et ça aurait pu être supportable s'il n'y avait pas eu "les grands", un groupe de trois ados qui s'en prenaient aux plus jeunes et les violaient en se servant de la peur comme moyen de pression. Malgré tous mes efforts, non seulement j'ai pas réussi à leur échapper, mais ils ont même de moi leur jouet préféré parce que j'étais "tellement plus mignon que les autres". Vaut mieux pas que je parle du rester parce que c'est franchement glauque, mais au fial quand ils se sont enfin barrés de l'orphelinat, l'esclave sexuel que j'étais devenu sans que jamais aucun adulte ne se doute de quoi que ce soit, s'est refermé comme une huître et j'ai plus jamais ouvert plus la bouche, refusant dans le même temps que qui que ce soit me touche et devenant même violent par moment.
Comme un appel au secours muet, j'ai tenté des tas de trucs pour leur faire piger que quelque chose allait pas : bagarres à répétition, fugues, vols... Mais jamais personne a comprit. Pour le personnel, j'étais simplement devenu un problème dont il fallait se débarrasser au plus vite et les professeurs se foutaient totalement de celui qu'ils avaient décidé être un "ado à problème" de plus. Quand ils ont parlé de maison de redressement, je me suis barré. Mais évidemment, ils m'ont rattrapé… et ont décidé de m'enfermer. Comme je parlais plus, personne a capté non plus pourquoi je frappais la porte jusqu'à ce que mes poings saignent, le visage rouge de la colère que je ne pouvais plus exprimer. C'est là, comme un taulard en cellule d'isolement, que j'ai "fêté" mon dix-septième anniversaire.
Et puis il y a deux jours, la porte de ma cage s'est enfin ouverte. Un homme que j'avais jamais vu est entré. Il m'a observé avec attention, s'est présenté comme Kamenashi Koishiro, psychiatre et m'a dit qu'il connaissait mon cas. J'aurais voulu me foutre en rogne et lui hurler que j'étais pas "un cas", mais ma voix était toujours bloquée dans ma gorge et j'avais surtout plus la volonté de me battre. Après tout, j'avais passé les trois dernières années à me faire traiter de problème alors me faire qualifier de "cas"... Comme je disais rien, il a ajouté qu'il allait me faire sortir, qu'il avait quatre fils et que j'allais devenir leur frère. Il parlait d'adoption, bien sûr, mais dans ces circonstances et après tout ce temps, j'étais incapable de me réjouir. Surtout que personne en a jamais rien eu à foutre de ce que je devenais et que je me suis élevé tout seul, à l'école de la rue comme on dit. L'école, j'avais arrêté d'y aller y'a au moins quatre ans parce que ça me gavait, sans que qui que ce soit dise rien puisque tout le monde se foutait complètement de ce que je devenais et je passais mon temps dehors, à trainer avec des gars divers, pas toujours recommandables j'avoue.
Et voilà, j'en suis là. J'y suis à ce jour qui aurait du signer ma libération, mais qui à mes yeux l'est pas du tout.
- Et bien Jin, tu es content de sortir ? me demande mon nouveau "père".
Je me contente de l'ignorer. S'il croit que je sais pas que je suis qu'un "cas" pour lui... Il doit avoir une sacrée conscience professionnelle, ce type, pour emmener à la maison du "boulot" dont il pourra pas se défaire avant trois ans... Mais mon silence parait pas l'inquiéter et une fois dans sa bagnole, il recommence à parler tout seul. Blablabla Yuichiro, blablabla Koji, blablabla Kazuya, blablabla Yuya... Un vrai moulin à paroles. Mais moi, ça rentre par une oreille et ressort par l'autre. C'est pas comme si j'en avais quelque chose à carrer de ses fils. Ils sont rien pour moi et ça changera pas. Si j'avais eu un casque avec de la musique, je l'aurais mis pour plus l'entendre, mais comme j'en ai pas, je suis obligé de le subir.
Au bout d'une demie heure à l'entendre déblatérer sur sa famille, je décide de casser son trip.
- Vous cassez pas la tête, doc, lui dis-je en me redressant. J'ai pas besoin d'une famille, j'en ai jamais eu besoin. Tout ce qu'il me faut c'est un endroit où crécher tranquille jusqu'à ma majorité. Vous occupez pas de moi, j'en ferais autant et ça ira bien.
Ma petite tirade a au moins le mérite de couper le flot de paroles, mais il reste pas silencieux longtemps.
- Mais qu'est ce que tu raconte, mon garçon ? Tu es mon fils désormais, il est hors de question que je ne m'occupe pas de toi.
J'ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais la referme sans qu'un son en soit sorti. A quoi bon ? Il verra bien la réalité de toute façon.
La caisse finit par s'immobiliser devant une grande et belle maison. La vache… ça gagne bien un psy !
Je venais de sortir de la voiture, quand quatre garçons déboulent brusquement devant nous.
- Tu es Jin, ne ?! Moi c'est Kazuya ! To-san a dit que tu avais à peu près le même âge que moi, c'est cool !
Je mate le gars au visage de gonzesse qui vient de parler. Il est plutôt mignon, ça doit défiler les nanas. Si j'ai bien pigé le truc, lui, c'est celui du milieu. Donc les deux qui restent loin comme si j'allais les contaminer avec un truc pas net, ça doit être les plus vieux et le dernier…
- Moi c'est Yuya ! Bienvenue dans la famille, Jin nii-chan ! s'exclame le dernier en question.
Nii-chan… J'apprécie pas des masses le mot parce que ça veut dire qu'il attend de moi des relations dont je veux pas et dont je me fout complètement, mais le gosse à l'air tellement à fond que je me vois pas le rembarrer dès mon arrivée. Je lui expliquerais la situation un peu plus tard.
- Les garçons, j'espère que vous vous entendrez bien. Jin risque d'avoir un peu de mal à s'intégrer à la famille, alors je compte sur vous pour l'aider. Jin, mon garçon, tu partageras la chambre de Kazuya.
- Youpi… marmonné-je entre mes dents.
Mais aucun d'eux a l'air de capter que leur attitude positive à la con correspond pas du tout à la mienne.
- Allez viens on va dans notre chambre, reprend Kazuya en posant la main sur mon épaule.
Ma réaction est immédiate, je la repousse violemment et crache :
- Me touche… plus jamais…
Il écarquille les yeux avec l'air con d'un poisson hors de l'eau.
- Les garçons, comme je vous l'ai expliqué, Jin a un passé difficile, alors il faut être indulgent et lui pardonner son comportement, dit encore le doc.
Les deux plus vieux, qui m'ont toujours pas dit le moindre mot et se contentent de me fixer comme une bombe qui va exploser, ont l'air de se dire que j'apporterais rien de bon à sa famille. Je leur dirais bien d'aller se faire foutre, mais je m'en tappe en fait. Qu'ils pensent ce qu'ils veulent, c'est pas comme si leur opinion avait une importance à mes yeux. N'empêche que je me demande ce que le doc leur a raconté sur moi… vu qu'il sait que dalle.
Je suis donc mon nouveau "frère" vers notre désormais chambre commune en regardant à peine autour de moi parce que ça aussi je m'en fous. Là, je lui laisse à peine le temps de me désigner mon lit, que je me jette dessus, les bras repliés derrière la tête et les yeux fixés sur le plafond.
Après quelques minutes de silence, il reprend la parole (à croire qu'ils ne savent pas la fermer dans cette famille) :
- Tu veux pas me parler ?
- Non.
- Pourquoi ? T'as pas de questions ?
- Non.
- Pourquoi ?
- On t'as déjà dit que t'étais trop curieux ?
- Et que toi pas assez ? T'es mon frère maintenant, c'est normal que je sois curieux à ton sujet.
Le mot me fait soupirer et je me redresse pour le fixer froidement.
- Alors écoute bien, mec : je suis pas ton frère et je le serais jamais. On est juste des étrangers qui vont habiter la même baraque pendant quelques temps. Alors sois mignon, me parle que si nécessaire et passe le mot à ton frangin aussi.
En m'écoutant il a l'air choqué, mais tant pis. Autant mettre les choses au clair tout de suite avant qu'il s'imagine des trucs.
- Pourquoi t'es si agressif ? On t'as rien fait pourtant. Au contraire on était même contents que tu viennes.
- Désolé de casser votre délire alors, mais vous vous êtes monté la tête tout seuls.
- J'espère que tu changeras d'avis, parce que tu as quand même trois ans à passer ici avant d'être majeur.
- Y compte pas. C'est pas de mon plein gré que je suis là.
- Tu devrais être reconnaissant à to-san de t'avoir sorti de à où t'étais, tu crois pas ?
- La seule chose que je crois, c'est que tu parles de trucs dont tu sais rien alors épargne ta salive.
