Bonjour!

En ce 21 juin, fête de la musique, j'ai l'honneur *hum* de vous présenter une nouvelle fic... Initialement un OS mais par manque de temps, je l'ai scindé en deux parties.

Pourquoi le poster aujourd'hui? Cette fic est étroitement liée à la musique... Même si cette première partie n'est probablement pas un exemple frappant.

Bref.

Disclaimer: les personnages principaux appartiennent à Hidekaz Himaruya.

Pairing: PruAus

Rating: K+

Enjoy the read et s'il vous plaît, laissez-moi une petite review ;)


An deiner Seite

A peine la sonnerie a-t-elle retenti que Gilbert Beilschmidt est déjà dehors, son sac à dos négligemment pendu à son épaule.
Cet examen de maths était définitivement trop simple.

Il aime les mathématiques. Cet univers de logique, de formules, de notions distinctes qui forment pourtant un tout le fascine. Il s'amuse à jongler entre les équations, les fonctions et la trigonométrie. Cet examen n'était donc pour lui qu'une simple formalité, aussi a-t-il terminé bien avant les autres.

Il quitte le bâtiment, et reste près de la porte. Il n'y a plus qu'à attendre.

La plupart des élèves libérés se précipitent vers la sortie du lycée, vers les arrêts de bus, vers les rames de métro. Ceux qui ont le temps s'éternisent sur la pelouse bordant la piste d'athlétisme, assis à même le sol pour profiter du soleil.

Gilbert, quant à lui, n'a pas cette chance. Sa peau d'albâtre ne supporterait pas une exposition trop longue au soleil de midi d'un beau jour de juin. Voilà pourquoi, alors que tous les étudiants ont relevé les manches de leur chemise ou se baladent en polo, il porte une chemise blanche et un pull-over rouge sur un pantalon long, bleu marine.

La vie d'albinos est parfois bien dure, mais il n'a pas trop à se plaindre à ce niveau. Tout le monde succombe au charme décalé de ses cheveux argentés et de ses pupilles d'un rouge profond.
Il a du succès, le Gilbert. Surtout qu'à ses qualités physiques non négligeables, il associe une intelligence peu commune, un intérêt pour à peu près tout –à commencer par son illustre personne– et un patronyme synonyme de grande fortune –soyons réalistes, ça intéresse aussi la plupart des filles.

Mais Gilbert n'en a que faire, des filles. Ni de l'argent qu'il héritera de son père, d'ailleurs –s'il en hérite.

En fait, la seule personne au monde dont Gilbert se soucie –à quelques exceptions près– il est en train de l'attendre.

Roderich Edelstein. La prunelle de ses yeux. Son petit ami.

Ils se sont rencontrés au lycée. Ils avaient cours de maths ensemble, justement. Et Roderich avait quelques soucis, que Gilbert avait accepté de l'aider à résoudre. De fil en aiguille, ils ont appris à se connaître, et sont devenus inséparables. Avant, bien sûr, de se confesser leurs sentiments et de former le couple le plus atypique de l'établissement: qu'il s'agisse de deux garçons, c'est déjà dur à tolérer pour certains, alors que l'un d'eux soit une tête en mathématiques doublé d'un féru d'histoire et de littérature, et que l'autre soit un talentueux pianiste à la carrière toute tracée, en plus de recueillir les éloges de tous les professeurs –sauf de maths, évidemment… Tout cela a fait d'eux un couple populaire. Et même les filles éconduites par Gilbert ne peuvent s'empêcher de les trouver mignons. Avec les garçons, c'est parfois plus compliqué.

La direction, quant à elle, ne semble pas s'en formaliser –et encore heureux.

Le vrai problème, en fait, c'est la famille de Gilbert.

Ses relations avec son père ne sont déjà pas terribles. Ils ont quelques différends, notamment parce que Gilbert ne s'intéresse pas à l'entreprise familiale. Il a même clairement exprimé son intention de mener des études de …. Le problème, c'est que leur différend ne s'en est qu'aggravé. Car l'attention et les exigences du père se sont reportées sur Ludwig. Un meilleur sujet, vous comprenez? Sauf que contrairement à son aîné, le jeune garçon n'a pas le courage, du haut de ses dix ans, de se rebeller contre l'autorité paternelle. Pas encore.

Bref. Pour le moment, bien que Gilbert ait fait part de son orientation sexuelle, son père n'est pas au courant qu'il a un petit ami. Et le plus tard sera le mieux.

Des pas dans les escaliers sortent Gilbert de sa rêverie. Un groupe d'élèves vient de quitter sa salle de classe.
Il repère bien vite, fermant la marche, un jeune homme mince, de taille moyenne, élancé, élégant. Ses cheveux bruns encadrent un beau visage aux traits délicats, et une étrange mèche rebelle apporte une touche de fantaisie à son profil somme toute sérieux. Ses longs doigts fins sont serrés autour d'un mince classeur. Son visage est un peu pâle –il doit être en train de stresser, Gil le connaît– et il porte une chemise, manches retroussées, un pull-over lavande sur ses épaules, sur un pantalon gris clair. Ses yeux améthyste balaient les alentours pour finalement trouver celui qu'ils cherchaient. Ses lèvres fines s'étirent en un magnifique sourire. Il accélère le pas pour rejoindre son ami qui l'attend et qui l'embrasse furtivement à son arrivée.

-Alors? demande-t-il aussitôt.

-Ca s'est bien passé… commença le brun. Mais je n'ai pas eu le temps de terminer le dernier problème, et je viens de me rendre compte que j'ai employé la mauvaise méthode à un exercice de trigonométrie. Ah, et j'ai peur de m'être trompé dans une définition. Ca m'énerve, je la connaissais, en plus! J'ai changé une réponse à la dernière minute, et ma première idée était la bonne, et je…

-Hey, Roddy… le coupe doucement Gilbert en saisissant sa main et en l'emmenant vers la sortie du lycée. Arrête de ne voir que tes erreurs ou tes mauvaises impressions. Tu as géré, ok? On a travaillé sur cet examen pendant des jours!

Roderich sourit pauvrement. Il n'y peut rien. Les maths ne sont pas du tout son point fort. C'est même carrément son talon d'Achille. Mais Gilbert lui donne des conseils, lui explique ce qu'il ne comprend pas et le soutient pendant toute la préparation d'épreuves comme les examens.

-C'est vrai. soupire-t-il. Merci, Gil. Je crois bien avoir réussi. J'ai repensé à tout ce que tu m'as dit et j'ai fait bien attention à tous les points critiques.

-Tu vois? Puisque je te dis que tu en es capable!

Ils sont à l'extérieur du lycée maintenant. Et ils n'ont pas le temps de flâner ensemble dans les rues de Berlin: Roderich doit filer à l'Académie pour son cours de piano. Aussi doivent-ils se séparer: ils prennent des métros différents.

Devant l'entrée de la rame de Roderich, Gilbert l'enlace et l'embrasse avec fougue. Sa façon à lui de le féliciter, de lui dire "je t'aime", de lui dire "à demain".

A ce moment, une voiture s'arrête à leur hauteur. Une Mercedes noire, vitres teintées. La fenêtre côté passager s'abaisse et Gilbert voit apparaître un visage anguleux, à moitié dissimulé sous des lunettes de soleil noires.

Sheisse.

Le chauffeur de Herr Beilschmidt. Celui qui est chargé de reprendre Ludwig à l'école primaire.

-Monsieur désire-t-il qu'on le reconduise quelque part? demande l'employé avec un sourire mauvais.

Si Gilbert cesse d'embrasser son ami, il ne s'en écarte pas moins. Il n'a rien à cacher. Peu importent les conséquences.

-Non merci. Je prendrai le métro.

-Comme vous voudrez. Bon après-midi, Monsieur.

La vitre remonte, le visage disparaît. La voiture s'éloigne. Roderich recule un peu, contrarié.

-Je suis désolé, Gil…

-De quoi? Tu n'as pas à être désolé de quoi que ce soit!

-Mais ton père va…

-Apprendre que j'ai été vu en train d'embrasser un futur pianiste internationalement célèbre et beau comme un dieu? Qu'est-ce que je m'en fiche qu'il le sache, Roderich. Il l'aurait appris un jour où l'autre.

-Mais…

-T'en fais pas. Il va peut-être gueuler un bon coup, mais je m'en fous. Il pourra rien y faire, de toute façon. Je t'aime et ça ne regarde que nous.

Il appuie ses dires d'un tendre baiser. Roderich fait la moue.

-J'espère qu'il ne t'empêchera pas de me voir pendant les vacances.

-Il peut toujours essayer, cet enfoiré! La géniale personne pleine de ressources que je suis trouvera toujours un moyen de contrer les interdits paternels! Fais-moi confiance.

-J'ai confiance. Je t'aime, Gil.

Après un dernier baiser, Roderich disparaît dans les profondeurs du métro berlinois, tandis que Gilbert se met en route vers sa station.

oOo

Lorsque l'albinos franchit le seuil de l'imposante maison bourgeoise du cœur de Berlin et se retrouve dans un hall austère et impersonnel, il se déleste rapidement de ses couches de vêtements excédentaires et envoie valser son pull-over dans l'escalier qui mène à l'étage, ses chaussures dans une penderie à cet effet, ses cours sur un guéridon, et il relève les manches de sa chemise.

C'est qu'il fait chaud là-dedans. Vivement qu'il soit seul dans sa chambre pour enfiler sa tenue d'intérieur –à savoir un caleçon trop large et un torse parfaitement dénudé.

Avant cela, il se rend dans la salle à manger. A peu près aussi froide que le hall. En deux fois plus grand et deux fois plus ennuyeux. Vide, évidemment. Bien qu'il soit midi.

Ludwig déteste manger seul dans une grande pièce comme ça. Donc, dans la cuisine.

C'était bien vu. Le jeune garçon se régale d'un de ses plats mitonnés par Grunchen, la vieille gouvernante. La soixantaine, elle fait figure de grand-mère gâteaux pour les deux fils Beilschmidt, dont elle a changé les couches et rempli les panses plus souvent qu'à son tour.

-Hey, Lulu! lance Gilbert en ébouriffant les cheveux de son cadet, qui plonge la tête dans son assiette. Comment ça s'est passé?

Le blond hausse les épaules.

-Les examens de primaire. Tu es passé par là, tu sais à quel point c'est ennuyeux à mourir.

-Sauf que moi, je suis pas un surdoué…

-Tant qu'on en parle, c'était comment, ton examen?

-Attends d'être en première! Tu vas adorer.

La voix douce et basse de Grunchen résonne dans la pièce depuis les fourneaux.

-Gilbert, tu veux quelque chose? J'ai fait du…

-Non merci. répond Gilbert avec un sourire affable à sa gouvernante.

-Mais tu as besoin de te soutenir, et…

-C'est quoi le dessert?

La femme lève les yeux au ciel.

-Tarte aux fraises.

-Parfait! Lulu, tu ne m'en veux pas si je t'accompagne avec le dessert?

Le garçon fait non de la tête et continue de manger. Quand son frère le rejoint à table, triomphal avec sa part de tarte, il le regarde cependant intensément. Son visage semble inexpressif mais ses yeux ne mentent pas. Il a quelque chose à dire, mais n'ose pas parler.

-Crache le morceau, Ludwig… marmonne Gilbert après une minute de silence.

-Werner… Il… On t'a vu, tout à l'heure.

-Vraiment? J'avais pas remarqué que ce salopard m'avait vu. Faut dire, j'étais bien caché.

-Je sais que tu sais, Gil, c'est juste que… Il va le dire à papa.
-C'est vraiment effrayant, le génie.

-Je peux parler à papa. Je peux lui dire que ce n'est pas vrai, et que…

-Et que quoi? le coupe Gilbert. Qu'une poitrine est soudainement apparue à Roderich et qu'il n'a plus tout à fait la même chose entre les jambes?

-Je veux juste t'aider…

-Je sais, Lulu. Merci, c'est très gentil à toi, mais… Tu es très intelligent, tu es mature et responsable, mais… Entre notre père et moi, c'est une histoire de grands, d'accord? Une histoire dont je ne veux pas que tu te mêles.

Ludwig fait la moue. Gilbert avale son dernier morceau de tarte et débarrasse sa vaisselle, laissant son petit frère déjeuner en compagnie de leur gouvernante.

oOo

L'adolescent assis dans son lit, dans son "caleçon d'étude", vient à peine de refermer son cours d'histoire avec le sentiment de puissance d'un étudiant omniscient lorsque la porte de sa chambre s'ouvre à la volée et qu'un homme grand, pâle, blond, aux cheveux courts, une monture noire et épaisse sur le nez, entre sans s'annoncer.

Herr Beilschmidt lui-même.

Gilbert a sursauté. Il soupire:

-Béni était le temps où tout le monde avait un valet pour annoncer ses visiteurs… On a toutes sortes d'employés, mais pas de valet. C'est regrettable. Beurrer mes tartines et conduire une voiture, je peux le faire moi-même, mais m'annoncer que j'ai des visiteurs quand je ne suis pas au courant, c'est plus difficile. Lui au moins, il aurait un boulot utile.

-Si tu as quelque chose à dire, Gilbert, tu n'as qu'à le dire intelligiblement.

La voix est cassante, autoritaire. Effrayante, presque. Mais Gil n'a plus six ans depuis longtemps.

-Je dis que je suis navré de vous recevoir dans ces guenilles, Monsieur. Si j'avais su que vous viendriez me voir, j'aurais pris la peine de me vêtir. C'est ce qui arrive quand on s'invite à l'improviste.

Gil quitte son lit et se plante en face de son père, le visage aussi neutre que possible.

-Je peux faire quelque chose pour toi, Vati?

-J'ai appris certaines choses à ton sujet.

-Je savais que ton chauffeur avait un sale air d'agent secret sous couverture.

-Je suppose que tu es fier de toi?

-Si tu parles de ma vie amoureuse, oui, je suis comblé. J'ai l'immense honneur d'être l'âme sœur d'un garçon formidable qui sera bientôt mondialement connu.

-Je n'ai absolument rien à faire de l'identité de ce… Cet… Ce garçon. J'imagine que non content d'être la déception de toute ta famille, tu as voulu porter atteinte à son image, et tu n'as rien trouvé de mieux que de te donner en spectacle?

Gilbert arbore une mine de pur dégoût.

-Uh. Ca t'a jamais effleuré l'esprit que j'en ai rien à foutre de l'image de cette famille et que si j'ai envie d'embrasser mon copain en public, je le fais parce que ça me plaît et pas parce que je veux faire chier mon monde? Bon, si ça fait d'une pierre deux coups, je ne vais pas me plaindre, mais…

-Silence.

Gilbert croise les bras et regarde son père –sensiblement en colère– dans les yeux.

-J'en ai plus qu'assez de subir ton arrogance et tes conneries. J'ai essayé de faire comme si ça ne m'affectait pas, mais c'est terminé. Il va y avoir des représailles, Gilbert Beilschmidt, et si j'étais toi, j'y réfléchirais à deux fois avant d'à nouveau agir contre ton père.

-… J'agis pas contre toi, ni contre la société, ok? J'agis pour moi, parce que c'est ma vie et que je suis le seul à me dicter ma conduite. Et puisque tu n'as que ta putain d'entreprise à la bouche, t'as jamais pensé à faire de ma… Tare… Un atout? Genre "venez chez Beilschmidt Inc, nous sommes des gens ouverts et tolérants, nous aimons tout le monde, même les homosexuels parce que le cher fils aîné et adoré de notre boss est gay"? Sérieusement, ça en jette. T'es pas d'accord?

-Je t'aurai prévenu, Gilbert.

Sans aucune autre forme de procès, le patriarche quitte la pièce en claquant la porte.

Ce que Gil aime leurs discussions!

oOo

-Juste un dernier verre, et puis je pars…

-C'est déjà ton deuxième dernier verre, Gil…

L'albinos fait taire Roderich d'un baiser. Un baiser au goût de bière. Le brun n'aime pas trop ça. Il déteste même ce que Gilbert est en train de faire.

Ils sont dans un bar, à quelques rues du lycée. Le repère des étudiants. C'est là qu'ils vont à chaque fois qu'ils ont quelque chose à fêter en "groupe scolaire". Aujourd'hui, ce sont les résultats.

Et Roderich n'a rien contre. Ils ont tous les deux brillamment réussi, et aucun de leurs proches amis n'ont de problème. Ca vaut bien un verre ou deux.

Mais Gilbert a parfois la fâcheuse tendance de se laisser emporter. C'est l'été, il a chaud, il est avec des amis, il a quelque chose à fêter, la bière n'est pas chère. Il en profite.

Et Roderich sait qu'il peut donner le change –même très bien– lorsqu'il a un peu abusé. Mais lui n'est pas dupe. Le rouge est monté aux joues de l'albinos, qui braille de sa voix éraillée plus que lorsqu'il est sobre.

Le pianiste entraîne son ami au dehors et lui prend son verre des mains. Et le renverse par terre, histoire que les choses soient claires.

-Mais, Roderich… proteste mollement Gilbert.

-Y a plus de "mais", Gil. Tu devrais déjà être parti depuis une demi-heure. Ludwig t'attend.

-Sheisse.

Pour le coup, Gilbert l'avait oublié. Son frère aussi a reçu ses résultats aujourd'hui, et il y a la "cérémonie de remise des diplômes de l'enseignement primaire" à l'école. Un truc bien barbant par lequel l'albinos est passé, mais il a promis à Ludwig d'y aller. Justement parce qu'il sait que c'est un truc barbant.

Gilbert se passe une main sur le visage et se masse les tempes.

-Quand je pense que j'ai dansé sur de la musique électro, ça me file la nausée. Tu aurais de l'eau?

Roderich sort d'une besace de cuir une petite bouteille d'eau. Un peu réchauffée, sans doute, mais pour l'usage que Gil va en faire, ce n'est pas grave.
Pour faire bonne mesure, c'est Roderich qui lui lance le contenu à la figure, sans prévenir. Ils ont fait ça des dizaines de fois –des soirs où ils n'étaient pas vraiment sobres mais pas vraiment saouls non plus, et où Gil devait faire bonne figure devant la famille.

-Ca va aller? demande Roderich.

-Oui, oui.

Il embrasse Roderich et puis file en courant en direction de l'école primaire, qui n'est qu'à quelques rues du lycée et du bar.

Avec un sourire et un soupir, le pianiste contemple Gilbert, dans son jean, ses converses et son veston noir, très classe, courir vers son petit frère et son devoir de grand frère.

oOo

-Lulu! le hèle Gilbert.

Le jeune garçon, tout juste descendu de l'estrade avec son diplôme et ses résultats en main, repère son grand frère et dévie de sa trajectoire pour le retrouver.

-Félicitations!

-Merci, Gil.

Tandis que l'aîné profère des blagues sur le niveau scolaire et l'imminente "rentrée chez les grands" de Ludwig, ils quittent la salle pour se retrouver sur la rue.

A l'extérieur de l'école, leur père arrive vers eux. Il n'a pas assisté à la cérémonie.

Il ne dit rien. Il se contente de tendre la main vers Ludwig, réclamant d'un geste impatient le précieux sésame: le papier des résultats.

Ludwig lui donne en soutenant son regard, pendant que Gilbert le dévisage d'un regard noir.

Herr Beilschmidt accorde à peine un regard à ses fils, et fait volte face, retournant vers sa voiture dont un chauffeur ouvre la porte –le même que celui qui a surpris Gil et Roderich.

Les enfants du boss prennent place à l'arrière, et le trajet se passe sans aucun mot. Seulement Gilbert qui, sentant une tempête approcher, couve son petit frère du regard.

Une fois rentrés, le père laisse les enfants aux soins des domestiques, et s'isole dans son bureau.

Il ne lui faut pas cinq minutes pour convoquer Ludwig, jusqu'alors occupé à prendre une collation –une salade de fruits– en compagnie de son frère, sans savoir quand ils dîneraient.

Gil ne trouve pas ça normal. Il ne quitte pas son cadet d'une semelle, et il assure ses arrières pendant le trajet jusqu'à l'antre paternel.

-Tu peux m'expliquer ça? demande le patriarche dès qu'ils entrent dans le bureau.

-Quoi? demande Ludwig d'une voix basse mais impassible.

-89 en anglais. Qu'est-ce que tu as à dire là-dessus?

Il quitte sa chaise et vient se planter devant son fils cadet, plaçant un bras entre lui et Gilbert pour lui interdire d'approcher ou même d'intervenir.

-Je… commence le petit blond. Je n'ai pas l'impression que ce soit un échec.

-Ce n'est pas parce que ce n'est pas un échec que tu ne dois pas avoir l'ambition de faire mieux.

-J'ai fait de mon mieux, si je n'ai pas eu plus c'est que ce n'était pas possible pour moi…

-Ca me déçoit profondément de toi. Tu m'as habitué à mieux. Je ferai venir un professeur particulier deux fois par semaine pendant les vacances.

Ludwig baisse la tête et acquiesce.

-Tu as intérêt à rattraper ça.

Gilbert ne peut plus retenir ses remarques.

-Peut-être que si tu l'encourageais au lieu de le rabaisser, ça lui donnerait envie de faire encore mieux.

-La déception de la famille a quelque chose à dire?

Ludwig tique. Gilbert se contente de darder un regard mauvais sur son père.

-On ne peut pas être doué en tout. –Sans dire que tu es mauvais en anglais, Lulu, comprends-moi bien.– Tu devrais le savoir, Vati, c'est pas trop ton fort les relations filiales, hein?

Herr Beilschmidt se redresse de toute sa grandeur.

-Je ne me rappelle pas t'avoir convié à notre petite discussion. Sors d'ici.

-Désolé, mais je ne suis pas l'un de tes pions. J'ai aucune envie de te faire plaisir. Faudra t'y faire.

-Gilbert, je t'avais prévenu. Tu ne vas pas aimer ce que cet entretien te coûtera.

-Je me fiche éperdument de ce que tu pourrais trouver pour me foutre en rogne. Tu me connais tellement mal que je doute que ça m'atteigne de toute façon.

-J'en sais suffisamment sur tes odieuses manies et tes… Dégoûtantes habitudes de pédale pour frapper là où ça fait mal.

-Gilbert n'est pas comme tu le dis. fait calmement Ludwig.

-Qu'est-ce que tu dis, Ludwig? Tu ne t'es pas encore rendu compte que ton frère n'est pas normal?

L'adulte s'approche dangereusement de son fils et l'attrape par le col.

-Il y a des choses que tu dois comprendre, Ludwig. Ton frère est une erreur de la nature, il n'y a qu'à le regarder pour le voir. Et il n'a pas été assez content avec son physique, il s'est senti obligé de m'humilier encore plus en choisissant d'aimer les hommes. Je place de grands espoirs en toi, Ludwig. Je tiens à ce que tu rattrapes la médiocrité de ton frère. Et tu n'as pas intérêt à tomber dans les mêmes travers que cette ordure, sinon…

-Hé, lâche-le. intime Gilbert à son père en l'attrapant par le bras.

Sans qu'il ne le voie venir, l'adulte lui assène un coup de poing dans l'abdomen qui lui coupe le souffle.

Leur père se désintéresse complètement de Ludwig et se tourne vers son aîné, appuyé d'une main sur le bureau, l'autre sur la partie qui a reçu le coup.

-On ne m'interrompt pas quand je parle. gronde le patriarche. Allez, Gilbert. Fais-moi plaisir et montre-moi, montre-nous la lavette que tu es.

Gilbert tend un bras pour l'empêcher d'approcher, mais ce qui stoppe réellement l'adulte, c'est Ludwig. Qui s'interpose.

-Arrête. Il a rien fait de mal.

-Comme c'est touchant et pathétique, Gilbert. Tu as besoin d'un gamin de dix ans pour te protéger. Et toi, Ludwig? Tu le défends? Hein? Vous êtes aussi médiocre l'un que l'autre.

Là-dessus, il assène une gifle sur la joue de Ludwig, faisant craquer sinistrement les os de sa nuque dans le silence glacé du bureau. Surpris, les yeux du plus jeune se remplissent de larmes.

-Ecarte-toi.

Ludwig hoche négativement la tête.

Gilbert ne voit que la main de son père se lever. Il arrête de réfléchir et écarte lui-même son frère, avant de se ruer sur son géniteur et de le plaquer contre le mur. Il lui rend la monnaie de sa pièce en le frappant d'un coup de genou dans l'estomac, puis d'un coup de poing au visage, un deuxième, un troisième… Il ne sent pas les tentatives de riposte de l'adulte.
Tout ce qui l'empêche de continuer à déverser sa colère sur son père, c'est la main tremblante de Ludwig qui s'accroche à son bras, qui essaie de retenir ses coups alors que le garçon murmure:

-Arrête… Gil… Arrête!

Et l'albinos s'exécute finalement. Il lâche l'adulte, qui le regarde, le nez en sang, la joue déjà gonflée. Il le regarde d'un air purement mauvais.
Comme s'il pense qu'il a eu ce qu'il voulait et que Gil va enfin pouvoir payer son arrogance.

Il n'attendait que ça. Un prétexte pour mette sa vengeance à exécution.

oOo

L'été s'est passé. Gilbert et son père n'ont pas échangé un mot.

L'adolescent a évité la maison le plus possible pendant deux mois, emmenant Ludwig à l'autre bout de l'Allemagne, chez leurs grands-parents –moins tarés que leur fils, et bien plus affectueux vis à vis de leur descendance– ou dans des appartements luxueux utilisés de temps à autres par leur mère pour affaires. Les jours où ils sont restés à Berlin, ils se sont promenés des heures durant à la recherche de nouvelles choses à découvrir sur leur ville natale, des informations jusqu'alors ignorées, des bâtiments inconnus, des musées insoupçonnés. Ils sont devenus plus proches encore durant ces vacances qu'auparavant. "L'épisode du bureau" comme ils le mentionnent, les a soudés bien plus que la simple entraide et protection qui les unissait avant.

Et mieux encore: Roderich –qui a bien évidemment eu vent de l'affaire dans ses moindres détails– leur a proposé de l'accompagner une semaine chez sa tante, en Autriche. Il y va chaque année pour s'entraîner auprès de cette talentueuse pianiste, qui a la bonté de mettre son modeste hôtel particulier viennois à la disposition de son neveu –et de ses amis, donc.

Gilbert doit dire qu'il aime bien cette femme menue, débordante de dynamisme, de talent, et de gentillesse sous une apparente sévérité. Et l'albinos a senti son cœur se serrer lorsqu'il a constaté qu'on l'accueillait avec plus de chaleur dans la famille de son petit ami que dans la sienne. Il s'est aussi senti très heureux et soulagé que Roderich ne doive pas faire face aux mêmes problèmes homophobes que lui dans sa propre famille.

C'est de loin la meilleure semaine de vacances qu'il ait passée depuis longtemps. Et Ludwig et Roderich ont appris à se connaître… Et ils s'entendent même assez bien. Bien sûr, il a fallu ruser pour pouvoir partir en Autriche sans éveiller les soupçons des parents, mais ça en a valu la peine.

Avec un soupir de regret, Gilbert verrouille son téléphone après avoir longuement admiré le fond d'écran –une photo prise par Ludwig à Vienne, où l'on peut voir Gilbert et Roderich marcher main dans la main dans la rue. Vestige intact et pur de ce voyage, qui ne manque pas de lui laisser un sourire sur le visage à chaque fois que ses yeux s'attardent sur le cliché.

En ce matin du premier septembre, rentrée scolaire, Roderich lui a envoyé un message de bonne heure.

Guten Morgen, Liebling! Je t'attendrai à 8h à la station de métro ;)

Ce à quoi Gilbert a répondu:

J'ai hâte! Ich liebe dich.

Il attrape son sac de cours –étrangement léger en cette période de l'année– et quitte sa chambre. Dans le hall, il hésite à prendre une veste et finalement choisit de ne pas en mettre.

Il s'apprête à sortir de la maison, quand son père apparaît dans l'encadrement de la porte de la salle à manger.

-On peut savoir où tu vas?

-Au lycée. La plupart du temps, à cette date, c'est ce que je fais.

-Werner t'attend dans la voiture.

-Je prends toujours le métro.

-Aujourd'hui, non. Rassure-toi, j'ai veillé personnellement à ce que toutes tes affaires soient prêtes.

-Quoi?

-Je te souhaite une agréable rentrée scolaire, Gilbert.

L'albinos se retrouve sur le trottoir. Devant lui, la Mercedes attend, Werner appuyé sur le capot. Un instant, Gil envisage de passer son chemin et de prendre le métro, mais l'employé lui ouvre la portière, barrant le passage vers sa retraite.

A contrecœur et non sans le fusiller du regard, Gilbert embarque.

oOo

-Hé, une minute! Tu vas complètement à l'opposé de la ville! Le lycée est de l'autre côté…!

-Oui… C'est ça l'idée.

-Quoi? Quelle idée?

-Ton père t'a changé d'école.

-Ahah, très drôle.

-Ce n'est pas une blague. Il a jugé que tu y serais bien mieux. Ton dossier d'inscription est dans la boîte à gants.

-C'est une mise en scène…!

-Hum, non. Il n'y a rien de plus sérieux. Tu verras, tu vas adorer. C'est un peu à l'extérieur de la ville… Et c'est un internat.

-Putain, dis-moi que c'est pas vrai. Dis-moi que c'est une grosse connerie.

-Non, petit. Fallait pas mettre Vati en colère.

Je serai en retard. Ne m'attends pas. Problème de famille. Je t'aime.

oOo

Devant le portail de l'école, un homme grand et blond, aux cheveux longs et lisses, au visage pâle, semble attendre. Il porte une chemise et un jean, et est adossé à la grille, les bras croisés.

Lorsque la voiture Beilschmidt s'arrête en face de lui, il semble sortir de sa rêverie. La portière s'ouvre. Le garçon albinos qu'on lui a décrit en sort, perdu, l'œil furieux, regardant tout autour de lui.

Le blond s'avance.

-Gilbert Beilschmidt?

L'adolescent acquiesce, méfiant. Un sac de voyage atterrit à ses pieds, délicate dernière attention de Werner.

La voiture démarre en trombe. Vers le centre. Vers une vie laissée en plan. Vers un monde quitté à regret.

-Je suis Ulrich Heiligereich. Je suis éducateur ici. Enchanté.

-Bonjour.

Le dénommé Ulrich toise Gilbert de la tête aux pieds, et son visage, à la fin de son examen, arbore une expression affligée et compatissante. Décidément, ce jeune homme qui avait jadis tout pour réussir –hormis l'affection d'un père– va mal vivre son séjour à l'internat…

-On m'a chargé de te faire visiter. Si tu veux bien me suivre…

Sans un mot, Gilbert s'empare de son sac et commence sa visite à la suite de l'éducateur.

oOo

Roderich est à peine sorti du lycée qu'il a déjà dégainé son portable et composé le numéro de Gil. Et il attend.

-Roderich?

-Gil! Ca va? Qu'est-ce qui se passe? Tu vas bien? Pourquoi…

-Ce salaud m'a changé d'école.

-…Qu…Quoi?

-Il a bien préparé sa vengeance. Il m'a inscrit dans une école à l'autre bout de la ville… Dans un internat.

Roderich doit se cramponner à la rampe des escaliers de la rame de métro pour éviter de vaciller.

-Mais…

-Je suis désolé.

Roderich a mal. Ils vont être séparés. Pour longtemps. Pour un an, probablement.

-Tu es sûr qu'il n'y a pas moyen de te désinscrire? On est qu'à la rentrée, il doit y avoir moyen, et…

-Et avec la signature de quel parent? Je ne serai majeur qu'en avril…

Roderich fait la moue. Il n'a pas pensé à ce détail.

-Gil, je… Je vais me renseigner, je… On va trouver une solution.

-Tu crois que la lampe de bureau arrogante qui me sert de père aura fait en sorte avec sa fortune et ses passe-droits de laisser une faille exploitable par des adolescents? Il aura tout prévu, ce con.

-Gil…?

-Oui?

-Je t'aime.

-Mais, Roderich! Enfin, ce ne sont pas des adieux. Je suis bien d'accord que ce ne sera plus pareil et qu'on se verra moins souvent, mais… Je te promets que dès que je reviens, je te consacre le plus de temps possible.

Roderich se passe une main sur le visage. Ca va être dur. Pénible, même, sans Gilbert à ses côtés pour le chambrer, pour le rassurer, pour le rendre confiant, pour lui remonter le moral, pour être à l'écoute. Pour l'aimer.

Gilbert.

Le pauvre. C'est probablement pour lui que ce sera le plus difficile. Entre gérer sa colère, découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux profs, vivre ailleurs et gérer l'éloignement de Ludwig et de Roderich lui-même, les semaines qui viennent ne vont pas être de tout repos.

-Tu as intérêt, parce que je ne compte pas te laisser filer si facilement. Bon, et… Comment ça s'est passé, ta journée?

-Oh. Bha, la routine, tu sais bien. J'ai visité, on m'a présenté à ma classe… On a mangé… J'ai sympathisé avec deux gars que j'ai repéré tout de suite. Ils discutaient de leurs copains.

-Au moins tu ne feras pas face aux remarques désobligeantes tout seul…

-Tu me manques, Roderich.

Roderich se mord la lèvre. Cette année qui commence clame déjà haut et fort qu'elle sera la pire de toutes.

Et il ne sait pas encore à quel point il a raison.

oOo

Gil sort du bâtiment et traverse la cour, les mains dans les poches de son blouson, dans la ferme intention de regagner rapidement sa chambre.

C'est vendredi. Il rentre chez lui. Pas question de traîner. Il voit Roderich ce week-end. Il dort chez lui ce soir. Un week-end de liberté. Herr Beilschmidt est en voyage d'affaires, et Ludwig s'est fait un plaisir d'aider les tourtereaux à annuler les cours particuliers de Gilbert –seule façon plus ou moins efficace que le patriarche a trouvée pour le faire rester au moins deux heures chez lui chaque week-end plutôt que de rattraper le temps perdu avec Roderich.

La neige craque sous ses pas. Il ne l'entend pas dans le vacarme des étudiants internes libérés le vendredi après-midi.

Il est soudain arrêté dans sa progression par une substance froide et vaguement solide dans sa nuque.

Un sourire qui se veut agacé sur les lèvres, il tourne les talons. A cinq mètres de lui, Francis et Antonio le regardent, munitions supplémentaires à la main, en ricanant de leur méfait.

Gilbert ne se le fait pas dire deux fois. Les hostilités commencent.

Il se jette presque par terre pour rassembler de la neige en une boule plus ou moins compacte, et une deuxième pour faire bonne mesure, puis se lance à la poursuite de ses opposants.

Après une bataille acharnée, c'est l'armistice. Les joues rouges, le souffle court, les mains glacées, trempés, les trois adolescents se retrouvent faces contre terre. Gilbert est le premier à se relever –il n'a pas perdu de vue son objectif.

Il tend la main à Antonio, qui s'en saisit, avant de ramasser Francis.

Lorsqu'il a débarqué à l'internat, l'albinos s'attendait à être rejeté. A cause de son physique, à cause de son homosexualité –ses conversations téléphoniques avec Roderich étant longues, fréquentes et peu discrètes, aucun doute qu'elle serait rapidement percée à jour– et parce qu'il était nouveau. En fait, rien de tout cela.
Francis est un des plus anciens de l'internat. Fils d'un père célibataire et homme d'affaires partant souvent à l'étranger, il a rejoint l'internat dès son entrée au collège car, d'après son père, ce serait toujours mieux au niveau du suivi scolaire que de séjourner deux semaines chez ses grands-parents, puis chez sa tante, puis chez son père. Avec les années, il s'est pris d'affection pour l'endroit et pour les élèves –pour un en particulier, il faut bien le dire. En effet, Francis, "l'ancien" de l'école, a fait la connaissance d'Arthur en cinquième. Et ils se sont rapprochés, encore plus qu'avec tous les petits nouveaux qu'on lui présente pour qu'ils les intègre. Avec Arthur, c'est plus passionnel. Francis avait treize ans lorsqu'il a confessé ses sentiments au jeune anglais, qui l'a fait poireauter un an avant d'admettre qu'il ressent la même chose. Voilà pour le premier couple gay de l'internat. Et puisqu'il s'agit de Francis, la "légende" de l'école, personne n'ose critiquer.

Ensuite, il y a Antonio. Il est arrivé deux ans auparavant, un chagrin d'amour en poche. C'est dur de rester muet et de taire son homosexualité quand toutes les filles se ruent sur vous, magnifique étalon espagnol, pour vous consoler. A l'époque, Antonio s'était fait larguer par Lovino qui estimait alors que la distance les tuerait de toute façon. Mais c'était avant qu'il ne réalise qu'il aime vraiment Tonio comme un fou et qu'ils ne se remettent ensemble.

Voilà pour le deuxième couple. Etrangement, il s'avère que Francis et Antonio sont inséparables –et toujours partants pour quelque méfait que ce soit, qu'il s'agisse de faire tourner les éducateurs en bourrique, de corrompre le cuisinier pour qu'il s'essaie à la gastronomie ou encore de faire croire à un internat hanté aux nouveaux venus.

En septembre, leur petit duo s'est élargi en trio. Lorsque Gilbert est arrivé avec ses pieds de plomb et sa gueule d'enterrement, ils l'ont tout de suite trouvé sympathique. Au début, il faut dire ce qui est, ils se sont surtout amusés à espionner ses conversations téléphoniques –interminables– et sans même que Gilbert ne s'en aperçoive, ils ont commencé un jeu 24 heures sur 24 : "devine le nom de ma copine". Jusqu'à ce que le nouveau se lasse et crache le morceau. Mais c'était trop tard, ils étaient déjà comme culs et chemises, tous les trois.

Donc l'accueil de Gilbert s'est bien passé. Premièrement parce que toutes les filles le trouvent à tomber et que le moindre garçon qui le critique voit ses chances auprès de la gent féminine réduites à néant. Deuxièmement parce qu'il fréquente le gratin de l'internat, et qu'il vaut mieux ne pas se frotter à eux, peu importe le sujet.

Les trois compagnons tombés au combat se dirigent comme un seul homme vers les chambres. Là, ils récupèrent leurs valises et sortent quelques minutes plus tard. Ils croisent Ulrich, l'éducateur, qui leur souhaite:

-Bon week-end, les garçons. Revenez en un seul morceau!

-Toi aussi! répondent-ils à l'unisson.

Lui aussi, il a surpris Gilbert dans le bon sens du terme. Malgré l'impression un peu froide qu'il lui a laissée le premier jour, l'adulte s'est révélé, sous son apparent calme neutre et inaccessible, vraiment concerné par la vie des élèves qu'il s'efforce d'améliorer sur place et ailleurs, dans le cas de jeunes en conflit avec leurs parents. C'est une oreille attentive, de bon conseil, et il n'hésite pas à dire ce qu'il pense, peu importe si la remarque est cinglante: elle marque d'autant plus les esprits et permet de se ressaisir si nécessaire.

Passés le portail de l'école, leurs chemins se séparent.

Antonio les salue avant d'embarquer dans la voiture de sa mère, tandis que Francis, avec un envoi de baisers, s'éloigne pour rejoindre Arthur et prendre le bus avec lui.

Quand à Gilbert, personne ne l'attend.

On s'évertue à lui voler chaque minute qu'il pourrait passer avec Roderich.

Au bout de cinq minutes, il entend un bruit de pas derrière lui. Ulrich. Il s'arrête à sa hauteur et son regard se perd sur la rue un moment.

-C'est quoi, cette semaine, l'excuse pour te faire attendre?

-Officiellement, je suis le cadet des soucis de la famille, donc on s'en fout si je passe une heure ou deux à attendre. Officieusement, je crains qu'il n'y ait eu une fuite sur mon programme de ce week-end et que M. le Crétin Adjoint alias le Chauffeur n'ait décidé de me mettre des bâtons dans les roues en l'absence du boss.

Une voiture s'arrête un peu plus loin.

Un jeune homme en sort, un trench-coat sur le dos, des lunettes sur le nez et une étrange mèche rebelle sur la tête.

-Roderich? s'étonne Gilbert.

L'adolescent accourt à petits pas pressés.

-Désolé, je suis en retard. Je ne suis pas encore vraiment habitué à la circulation…

-Mais mais… Depuis quand tu conduis?

-Hm, heu, surprise? J'ai passé le permis mercredi.

-Mais tu m'as rien dit!

-C'est le principe d'une surprise, idiot… rit le brun avec une caresse tendre dans les cheveux de l'albinos. Roderich Edelstein. se présente-t-il ensuite à Ulrich.
–Ulrich. J'ai beaucoup entendu parler de vous. Enfin, je n'échappe pas à vos conversations téléphoniques, en fait. J'ai l'impression de déjà vous connaître.

-T'as de la chance que je peux pas être grossier avec un éduc. marmonne Gilbert.

Avec un dernier au revoir, les deux jeunes prennent place dans la voiture.

-Ouah, Roddy. Elle est bien sympa, cette voiture.

-Ce n'est qu'une vieille Chevrolet…

-Mais elle a son charme.

Il embrasse son petit ami, tendrement, avant qu'il ne prenne le volant.
Le week-end de liberté commence.

oOo

Lorsque Gilbert ouvre les yeux le samedi matin, il a du mal à croire que c'est bel et bien dans la chambre de Roderich qu'il se trouve.

La soirée a été parfaite. Simple, mais parfaite. Il y avait longtemps qu'ils n'avaient plus été si proches.

Gilbert cherche Roderich des yeux. Le brun n'est plus dans le lit. Gilbert fronce les sourcils.

-Guten Morgen, Dornröschen! lance Roderich depuis le seuil de la porte.

Il est lavé et habillé et tient un plateau dans les mains, sur lequel trônent une carafe de jus de fruit et deux croissants encore chauds.

-Oh, c'est que je suis gâté.

-Remercie Madame Edelstein. Elle t'aime beaucoup.

-Moi aussi. Je l'adore, même.

Roderich dépose le plateau sur la table de nuit et s'assied sur le lit. Gilbert l'attire contre lui et l'embrasse avant qu'ils ne commencent à manger.

-Je vais devoir te quitter quelques heures. annonce Roderich au cours de la conversation.

-Ah?

-Oui… J'ai un cours de piano à 10 heures. Si mon professeur ne déborde pas, je devrais avoir fini vers midi.

-Pas de souci. sourit Gilbert. Je vais aller voir Ludwig. On se retrouve à midi et demi dans le parc? J'amène le déjeuner.

-D'accord. rit Roderich. Je crois qu'on doit être les seuls Berlinois à faire un pique-nique en plein mois de décembre.

-Si il n'y avait que ça qui nous rend exceptionnels…

oOo

Gilbert est assis sur un banc –préalablement déneigé par ses soins, un sac en papier sur les genoux. Ses joues sont rosies par le froid, et ses oreilles sont enfouies sous un bonnet. Le vent est glacial.
Il attend quelques minutes avant d'enfin voir arriver vers lui une silhouette élancée et frigorifiée.

Roderich se laisse tomber sur le banc.

-C'était comment?

-Eprouvant. Et stressant. Je ne suis pas encore au point… Et j'ai examen le mois prochain.

-Ah, ne t'en fais pas! Tu es un génie, Roderich. Tu seras prêt!

Roderich sourit et s'empare du sandwich que lui tend l'albinos, tandis que celui-ci babille au sujet de son frère qui a bien grandi depuis la semaine passée, et...

Et Roderich ne l'écoute que d'une oreille.

La vie semble si simple avec Gilbert. C'est comme si réussir un examen était aussi facile que de le dire.

Il se rembrunit un peu en songeant que la réalité est toute autre. En vrai, il va devoir travailler dur. Ce n'est pas seulement un examen qu'il prépare, c'est son entrée au conservatoire. D'éminents professeurs seront présents, et ce n'est pas vraiment le genre de nouvelles qui détend le jeune pianiste.

Et son prof n'a rien trouvé de mieux que de lui annoncer aujourd'hui même qu'il a répondu à l'invitation de la ville. Le 1er juin, il jouera en première partie d'un célèbre lauréat du concours Reine Elisabeth, lors d'un concert qui réunira plusieurs centaines de personnes. Légèrement plus que le nombre de spectateurs qui assistent à ses prestations d'habitude.

Et voilà, il angoisse. Déjà. Pour un concert qui aura lieu dans six mois.

Il se demande s'il doit en parler à Gilbert. Sachant qu'il ne pourra probablement pas venir le voir. Il n'a jamais manqué un seul "concert" de Roderich depuis deux ans.

Il semble pourtant que cette année, il devra se passer du soutien de son petit-ami. Alors il ne sait pas s'il doit retourner le couteau dans la plaie ou au contraire limiter les dégâts.

-Ca va, Roderich? demanda soudain Gilbert, s'arrêtant dans son bavardage.

-Hum, oui, oui.

-Tu as l'air ailleurs.

-C'est juste… C'est rien. assure-t-il avec un sourire. Tu me manques, Gil.

-Ca ne suffit plus de ne se voir que si peu, n'est-ce pas?

Roderich se blottit contre Gilbert, qui passe un bras autour de ses épaules , et prend une bouchée de sandwich.

-Non… Ca me rend malade. T'es sûr qu'il n'y a pas un moyen de le faire changer d'avis?

-Tu peux toujours aller le tabasser dans son bureau jusqu'à ce qu'il accepte mais je ne suis pas sûr que ça arrangera la situation.
–Surtout avec ma poigne de fer. raille Roderich. Pff.

-Quoi? demande Gilbert, à qui le ton de son petit ami ne plaît pas.

-Tout ça parce que tu as été un peu trop impulsif… soupire le brun.

Il s'approche pour embrasser Gilbert, mais celui-ci l'arrête et lance abruptement:

-Quoi, tu veux dire que tout ça, c'est de ma faute? Qu'est-ce que tu voulais que je fasse, hein? Que je reste sans rien faire? Que je laisse ce salopard s'en prendre à Ludwig? Désolé, mais c'était au-dessus de mes forces! J'ai fait ce que j'avais à faire, et conséquences ou pas je le referais!

-Calme-toi… rétorque Roderich, blessé, en s'écartant. Je ne disais pas que…

-Tu sais quoi? le coupe Gilbert. T'es un putain d'égoïste. C'est pas toi qui dois supporter le mépris de ton père, c'est pas toi qui dois te farcir l'internat! T'es dans les bien mis, alors arrête de te comporter comme si tu étais la seule victime de tout ça, ok?

Roderich le fixe. Choqué.

Et blessé.

-Je ne parlais pas pour moi. Je parlais de nous. Je pensais que tu comprenais ce que je ressentais. Je pensais que tu avais mal, aussi, parfois, en pensant à ces moments où on se voyait quand on le voulait. C'est peut-être égoïste de t'aimer, mais quand on est deux à aimer, ça ne l'est pas. Alors dis-moi, Gil. Est-ce que c'est égoïste? Est-ce que je suis le seul à souffrir de notre séparation?

-Non, Roderich, mais parfois il faudrait que tu arrêtes de penser qu'il n'y a que nous dans ma vie. Tu peux pas comprendre ce que c'est. T'es enfant unique. Moi j'ai Ludwig. Je ne fais que penser à lui. A ce qu'il endure. Je l'imagine faire face seul au mépris de son père, sans personne pour lui donner une image positive de lui-même. Tu sais pas ce que c'est de toujours imaginer le pire, qu'il est brutalisé à la maison, à l'école, qu'est-ce que j'en sais?

-C'est vrai. réplique Roderich.

Sa voix est parfaitement calme. Ses yeux, blessés et incendiaires à la fois.

-Je ne peux pas comprendre. reprend-il. Ce n'est pas comme si j'avais quelqu'un loin de moi, dans un endroit que je ne connais pas. Quelqu'un de vulnérable, car facilement entraîné par les autres. Qui sait s'il n'est pas en train de mal tourner? Qui sait s'il n'est pas devenu le souffre-douleur de l'école? Une voix, c'est facile à maquiller au téléphone, et les messages, il n'y a rien de plus impersonnel. Qu'est-ce que j'ai comme moyen de vérifier que tu vas vraiment bien, hein? Mais tu as raison, Gil. Je ne comprends pas ce que tu ressens. Je m'inquiète pour toi. Je suis tout simplement déçu de constater que tu ne le comprends pas malgré ce que toi tu traverses.

Gil reçoit cette dernière phrase comme une gifle. Déçu.

Il a déçu Roderich.

C'est ça qui le fait réagir. Il a trop souvent entendu qu'il est la déception de quelqu'un. Mais décevoir Roderich… C'était précisément la chose qu'il ne voulait pas faire.

Sorti de sa fureur, l'albinos regrette. Il a été con. Et blessant. Il ne voulait pas. Il a honte.

-Roderich…

Mais le brun s'est levé. La neige recommence à tomber et il s'éloigne à grandes enjambées, hors de lui.

Idiot.


J'espère que vous avez aimé cette première partie, qui plante principalement le décor...

Notes

Cette fic est écrite en freestyle...

Que ce soit clair, j'ai horreur des maths. La réaction de Roddy après l'examen, c'est la mienne... Mais mon meilleur ami par contre se rapproche plus de l'opinion que Gil en a.

C'est d'ailleurs durant un concert de piano dont mon meilleur ami faisait la première partie que j'ai eu cette idée. Je lui dédie cette fic, même si il n'en saura jamais rien.

J'ai scénarisé la dispute sur All Out of Love de Air Supply... Je ne sais pas si je m'imaginais que ce serait possible, ou quoi...

Tant qu'on parle d'allusions à Supernatural, la "vieille Chevrolet" de Roderich en est une.

Traductions

Herr : Monsieur

Scheisse : merde

Vati : papa (ironique, ici)

Guten Morgen : Bonjour (le matin)

Liebling : chéri

Ich liebe dich : je t'aime

Dornröschen : Belle au Bois Dormant

Et le nom de famille d'Ulrich est un dérivé du Saint-Empire...

Here we are! J'espère vraiment que vous avez aimé, on se retrouve incessamment sous peu pour la suite! Une playlist devrait voir le jour...

A bientôt~