Titre : Point de mire (Vantage Point)

Auteur : Aggie2011

Traducteur : Tashiya

Résumé : Six mois après l'incident avec Loki, Clint ne parvient toujours pas à s'adapter. Quand un vieil ennemi surgit de l'ombre pour le hanter, il est contraint de faire face à son passé… et ce dans plus d'un sens. Clintasha établi. L'équipe Avengers au complet.

Les titres des chapitres sont tirés de la chanson « Superman » de Five for Fighting.

Mot du traducteur : Eh bien ça y est, comme je l'avais annoncé à certains de mes lecteurs, me revoilà sur un fandom totalement différent, Avengers. La fic que je vous présente fait partie d'un cycle bien plus large intitulé Vantage Point, qui a été écrit par Aggie2011. Il tourne autour de Clint, de son histoire au sein du Shield, de sa relation avec Natasha mais surtout avec Coulson. Si vous lisez bien l'anglais, allez-y directement. Sinon, j'espère que mes traductions seront à la hauteur et que l'univers vous plaira. Il est sombre, parfois très dur, mais également très émouvant et drôle à l'occasion.

Bonne lecture !


Chapitre 1 : I'm only a man

« Un héros est un individu ordinaire qui trouve la force de persévérer et d'endurer en dépit d'obstacles insurmontables ». Christophe Reeve

Clint Barton voyait mieux les choses de loin. Il s'épanouissait dans le fait d'observer le monde tourner du haut de son perchoir, au-dessus de tout et de tout le monde. Pour un sniper, l'isolement était littéralement vital mais même avant son passage à l'armée, il avait aimé être en hauteur, être séparé. Ce n'était qu'une fois en haut de ses perchoirs, de ses nids d'après Tasha, qu'il se sentait en sécurité.

Cela dit, songea-t-il, Tasha lui procurait le même sentiment de sécurité, peu importe l'endroit où il se trouvait. Et avant elle, ç'avait été Coulson mais il était mort…

Clint interrompit brusquement le fil de ses pensées. Penser à l'ami, au frère, qu'il avait perdu était encore trop douloureux. Il continuait d'en avoir des cauchemars. Bien que Natasha et Fury le lui aient fortement déconseillé, il avait visionné la vidéo de la mort de Phil. Son brave et stupide formateur qui avait fait ce que personne, à ce moment-là, n'avait été présent pour faire, et payé le prix ultime pour cela. Clint savait qu'il ne se pardonnerait jamais de ne pas avoir été là, au moment où son ami avait besoin de lui qu'il n'avait pas retourné la faveur que son formateur lui avait octroyée tant de fois au cours des neuf années passées à travailler ensemble. Rien n'égalerait jamais la douleur de ne finalement vaincu Loki que pour s'entendre dire par Natasha, après les Schwarma et leur retour au refuge, que Phil était mort.

Enfin… rien à part la perdre, elle.

Clint poussa un profond soupir, ses yeux gris-bleu traquant de multiples cibles depuis son perchoir en haut de la tour Stark. Tony avait gracieusement offert à toute l'équipe – excepté Thor, dont ils n'avaient plus de nouvelle depuis qu'il était retourné à Asgard avec Loki, mais quelque chose disait à Clint que le grand bonhomme gardait un œil sur eux – d'emménager dans la tour fraichement rénovée.

Clint n'avait pas encore déballé ses affaires.

En fait, il n'allait dans sa chambre que lorsque Tasha l'en persuadait, ou l'y forçait. Quand il recherchait la solitude, ce qui était le cas la plupart du temps, il montait sur le toit. Et jusqu'ici, personne ne l'avait dérangé, qu'ils n'aient pas su où se il trouvait, ou qu'ils n'aient pas remarqué son absence. Du moment qu'on le laissait tranquille, il s'en moquait.

Il savait cependant que Tasha savait exactement où il se trouvait. Depuis Loki, elle traquait ses déplacements avec une persévérance qui frôlait l'obsession. Il s'efforçait de ne pas s'en vexer.

Jamais Phil ne l'aurait laissé aussi longtemps livré à lui-même. Il avait su à quel point l'esprit de Clint pouvait être autodestructeur. Natasha savait aussi et s'était aventurée à s'asseoir quelques fois à ses côtés. Ils parlaient alors en russe pour que personne ne les espionne. Mais ils ne parlaient jamais de Phil, de Loki ou de la culpabilité écrasante qui était à deux doigts de le briser.

Mais Natasha le connaissait, comme Phil l'avait connu. Elle savait qu'il n'était pas prêt à lâcher prise. A cesser de s'auto-flageller et bien qu'elle fût sa moitié, de cœur et d'âme, elle n'était pas Phil. Elle n'était pas le pragmatique frère « je sais tout », qui refusait de se laisser marcher sur les pieds et qui pourtant ne cessait de fermer les yeux. Elle ne le poussait jamais, à moins de ne plus avoir le choix. Phil l'avait toujours poussé, titillé, se contentant parfois de rester assis à ses côtés sans rien dire jusqu'à ce que Clint craque et soit contraint de vider son sac, juste pour retrouver sa solitude.

'Chier, il lui manquait. Lui manquait tellement que ça faisaitmal.

Six mois s'étaient écoulés depuis que le SHIELD avait rassemblé leur joyeuse petite bande de cas soc'. Apparemment, tous les méchants voulant se faire connaîtreavaient décidé de sortir de l'ombre depuis ce jour où Hulk, et ç'avait été principalement de la faute du géant vert, avait détruit une majeure partie du centre de Manhattan. Ils combattaient ensemble, construisaient la réputation des Avengers comme une force collective se battant pour le bien mais Clint restait un outsider. De son propre fait, peut-être mais il n'y avait pas que cela. Il n'avait pas été là, pas au tout début. Quand les Avengers s'étaient assemblés, il était occupé à se faire mentalement violer par Loki, à combattre contre eux et à essayer de les tuer. Il n'était arrivé qu'une fois l'équipe déjà formée, unie dans le désir de venger la mort de Coulson. A ce stade, il avait juste pris le train en route et avait été tellement, tellement furieux qu'il aurait combattu aux côtés de n'importe qui, du moment que Loki tombait.

Mais ensuite, la poussière était retombée et Loki était finalement reparti et il s'était senti comme un intrus. Il n'était pas l'un d'entre eux, pas vraiment. Il était une ombre dans les plafonds, un fantôme dans les couloirs, le Faucon dans le ciel. Toujours à observer, surveiller et n'interagissant jamais. Il avait toujours aimé la distance propre aux tireurs d'élite. Il n'avait jamais compté que sur lui-même. Il avait cessé de compter sur les autres le jour où son frère l'avait laissé en sang et brisé dans la boue à l'extérieur de la tente des accessoires du cirque. Phil l'avait convaincu de sa loyauté, comme par la suite il avait convaincu Natasha de la sienne mais il n'avait aucune envie de laisser qui que ce soit d'autre entrer dans sa vie, être proche de lui. Mais à présent, il ne pouvait s'empêcher de se demander si quelque chose n'allait pas chez lui. Si ses branchements sociaux n'avaient pas été court-circuités des années auparavant, en ce jour fatidique où la seule personne en qui il avait eu confiance s'était avérée être un traître.

Après cela et pour le reste de sa vie, il avait été un loup solitaire. Puis Coulson l'avait trouvé et avait réalisé l'exploit de l'extirper des bas-fonds de sa vie et fait de lui la plus jeune recrue de l'histoire du SHIELD. L'agent avait saigné avec lui et l'avait protégé comme personne, même pas Barney. Ils avaient construit une relation de confiance en six mois seulement et pour la première fois depuis son enfance affreusement douloureuse, Clint n'avait plus été seul.

Puis on l'avait envoyé après Natasha. Quand elle lui avait demandé, à Budapest, alors qu'ils attendaient une extraction requise depuis longtemps, ce qu'il avait vu en elle qui l'avait poussé à désobéir aux ordres, il avait juste souri et dit qu'il voyait des choses que personne d'autre ne voyait.

Leur confiance avait été plus longue à construire. Elle avait été brûlée autant de fois que lui. C'est au Vietnam que leur relation avait changé, deux ans après qu'ils aient été associés, trois après qu'il l'ait fait entrer au SHIELD. Eux seuls savaient ce qui s'y était réellement passé. Même Coulson, leur formateur de confiance, n'avait pas eu tous les détails mais lorsqu'ils étaient retournés aux USA, il avait été évident que leur confiance l'un envers l'autre était totale et inébranlable.

Sa confiance dans ses deux - désormais unique - amis proches, avait été gagnée durement, dans le sang, la sueur et la douleur. Aucun des autres, Tony, Bruce, Steve et même l'absent Thor, aucun d'eux n'avait mérité ce que Natasha possédait, ce que Coulson avait possédé. Il avait demandé à Tasha si elle leur faisait confiance et elle avait répondu qu'elle y travaillait, qu'elle lui faisait confiance pour avoir ses arrières, juste au cas où. Il avait été choqué, et un peu jaloux, lorsqu'elle avait admis qu'elle commençait déjà à les accepter. Cela lui avait pris deux ans. Eux, six mois. Quand elle avait remarqué sa réaction, elle lui avait souri avec chaleur :

« C'est grâce à toi que je le peux. Avant toi, je ne savais même pas ce qu'était la confiance. »

La voir s'impliquer dans l'équipe avec autant empressement après tant d'années à opérer en solo, n'effectuant que de rares missions en équipe avec lui, l'avait surpris. Ils étaient tellement efficaces seuls que les utiliser sur une seule mission, à moins d'une absolue nécessité, était du gâchis. Ce nouveau taf avait au moins un avantage : passer autant de temps avec elle lui avait manqué.

Elle avait plusieurs fois tenté de l'amadouer pour qu'il prenne le pli, qu'il se joigne aux agréables conversations de l'équipe. Mais il restait distant, se protégeant de la seule manière qu'il connaissait, l'isolement. Tous étaient des hommes bien, il le savait, Coulson le lui avait assuré la première fois qu'il lui avait proposé de s'impliquer dans l'opération Avengers. Mais il avait survécu dans ses jeunes années en ne faisant confiance à personne, et ensuite en ne faisant confiance qu'à un très petit nombre. Difficile de rompre une telle habitude de survie. Personne ne pouvait vous blesser si vous ne laissiez personne vous approcher suffisamment pour cela.

Natasha disait qu'il ne faisait pas d'effort. Elle avait peut-être raison sachant qu'ils étaient actuellement tous en train de dîner ensemble et qu'il était seul sur le toit à observer un monde qui n'en avait même pas conscience. Il se répétait que c'était mieux ainsi. Pour eux comme pour lui. Il était le maillon faible de la chaîne, même s'il lui répugnait de l'admettre. Loki l'avait démontré de manière irréfutable. Il valait mieux qu'il garde ses distances.

Et puis Clint voyait mieux les choses de loin. Il l'avait toujours fait.


Natasha Romanoff écoutait en silence Tony lancer pique sur pique à Steve dans l'espoir de pousser le calme héros américain à bout. Puis, ennuyée, elle se mit à songer à son partenaire. Il était sur le toit en ce moment même, probablement à contempler le monde en silence. Sans interagir, sans jamais interagir. Clint Barton n'avait jamais interagi qu'une fois et elle savait que c'était l'unique raison pour laquelle elle était toujours en vie.

Elle aurait souhaité qu'il fasse plus d'efforts pour s'intégrer à l'équipe. Mais il était un solitaire de nature, encore plus qu'elle. Elle était une véritable espionne, entraînée pour être sociable et manipulatrice. C'était son pouvoir sur les autres. Clint, lui, était entraîné pour être invisible et il était sacrément bon. Sa survie dépendait de sa capacité à ne pas être vu, qu'il fût le gars que vous dépassiez lors de votre jogging au parc, le serveur à votre bar préféré ou le balbutiant touriste polonais qui avait besoin d'un dictionnaire polonais/allemand pour communiquer et de trois cartes pour se repérer. Pour autant qu'elle fût maître dans l'art de se faire remarquer et de se graver dans les mémoires, Clint avait un don pour passer inaperçu et se faire facilement oublier. Parce qu'alors, lorsque la balle atteignait votre tête durant votre jogging quotidien, ou que du poison était glissé dans la boisson que vous commandiez tous les mardis soirs, ou que la balle transperçait la fenêtre du refuge dont personne n'était censé connaître l'existence, vous ne vous rappeliez pas d'un jogger, d'un serveur ou d'un touriste perdu, vous ne vous rappeliez de rien car vous étiez mort. Et votre tueur avait été si peu remarquable que vous n'aviez pas pensé à le mentionner à qui que ce soit. Ne pas se faire remarquer était une habitude tellement ancrée en Clint qu'elle savait qu'il ne s'en écarterait jamais de son plein gré.

Et pour aggraver les choses, elle savait que la culpabilité au sujet de Loki le rongeait toujours. Ce n'était pas sa faute, tous les hommes autour de la table l'avaient répété à plusieurs reprises. Mais Clint ne déposait pas ses fardeaux aussi facilement. Elle le connaissait depuis six ans et ne l'avait jamais vu le faire. Pour couronner le tout, il se reprochait la mort de Coulson. Il ne l'avait pas dit à haute voix mais elle savait. Elle l'avait presque supplié de ne pas regarder l'enregistrement vidéo mais il était aussi têtu qu'elle. Tout ce que cela avait fait, c'était lui donner une raison tangible de se torturer. Après cela, les rares fois où il était parvenu à dormir suffisamment longtemps pour rêver au cours des six derniers mois, il s'était réveillé en criant le nom de son ami. Elle posait alors une main sur son épaule nue, réconfort silencieux, jusqu'à ce que ses tremblements cessent et qu'il se reconnecte à la réalité. Il se contentait de marmonner un « Ma faute » ou « Je suis tellement désolé » avant de sortir du lit et de se diriger vers le stand de tir pour se punir par l'entraînement. Natasha n'était pas du genre à réconforter ou cajoler, loin de là, mais elle détestait ne pas savoir quoi lui dire dans ces moments où le désespoir le consumait. Il se noyait et le seul à avoir jamais su comment le sauver était parti pour toujours.

« Elle n'écoute même pas… Hey, Romanoff ! »

Natasha tourna son regard tranchant vers Tony, réalisant qu'il avait été en train de lui parler. Il avait été établi rapidement que Clintétait le seul à avoir le droit de l'appeler par son prénom ou par l'un de ses diminutifs. Et inversement. Les noms étaient trop précieux, trop personnels pour permettre à n'importe qui de les utiliser. Lorsque vous passiez autant de temps à protéger votre identité, comme eux le faisaient, vous n'accordiez pas ce privilège à la légère. Pour eux, elle était donc Romanoff et Clint était Barton.

« Quoi ? » demanda-t-elle sur un ton morne.

« Je disais, soupira Tony comme si avoir à se répéter l'exaspérait, pourquoi notre ami à plumes est-il si réticent à se joindre à nous… une fois de plus. »

« Clint essaie toujours de s'adapter », répondit-elle avec soin.

« C'est quoi son problème ? Jarvis me dit qu'il reste dans la même position sans bouger, parfois pendant des heures ! Juste à regarder la ville. »

« Il voit mieux de loin ».

Natasha sourit légèrement au souvenir de Clint lui disant exactement la même chose lorsqu'elle lui avait demandé pourquoi il escaladait toujours les choses, pourquoi il voulait toujours être loin au-dessus de tout et de tout le monde.

« Il se blâme toujours pour Loki ? » demanda Steve en la regardant droit dans les yeux.

Natasha lui renvoya un regard éloquent.

« Il n'y a pas que cela néanmoins, n'est-ce pas ? fit doucement Bruce. C'est plus que Loki, plus que Coulson… »

Natasha le dévisagea durement, aucunement disposée à révéler les secrets de Clint.

« Comme je l'ai dit, il essaie de s'adapter », répondit-elle avec raideur.

« S'il ne nous donne pas l'occasion de gagner sa confiance, comment en serons-nous jamais capable ? » demanda doucement Steve en adressant à Natasha un regard empli de compassion et de compréhension.

Qu'il ait compris la situation aussi rapidement l'étonna. Mais c'est un soldat, réalisa-t-elle. Le meilleur de l'Amérique dans ce domaine. Il faut qu'il soit bon dans l'analyse des problèmes et des individus. Clint est comme ça aussi.

« Il a juste besoin de temps », répondit-elle doucement.

La réponse de Tony fut caustique.

« Il a eu six mois. Et hormis les fois où le SHIELD vous envoie tous les deux en missions super secrètes dont vous refusez de parler… »

« … dont nous ne pouvons pas parler », objecta sèchement Natasha mais Tony l'ignora et continua.

« … cela fait six mois que l'on combat ensemble. L'histoire de la confiance, ça va dans les deux sens. En refusant de nous laisser gagner la sienne, il ne gagne pas vraiment la notre non plus, fit brutalement remarquer le physicien. »

« Nous avons mis deux ans à nous faire confiance », répliqua Natasha.

Aucun d'entre eux ne pourrait jamais comprendre ce que sa vie et celle de Clint avaient été, la parcimonie avec laquelle ils avaient accordé leur confiance ou le nombre de fois où ils avaient fait confiance puis été trahis. A présent, l'une de ces personnes de confiance était partie pour toujours et elle savait qu'une partie du problème se trouvait là.

« Eh bien, vous avez tous les deux de sérieux problèmes émotionnels », répondit Tony en fronçant les sourcils.

« Et durant cet intervalle, comment avez-vous fonctionné ? »

La voix calme de Steve était un baume apaisant sur la colère croissante de Natasha alors qu'elle fusillait Tony du regard.

« Je couvrais ses arrières, et lui les miens ». Son regard devint distant alors qu'elle se remémorait les missions pour lesquelles Clint et elle avaient fait équipe. « La confiance est venue avec le temps ».

Elle se rappelait encore le Vietnam comme si c'était hier.

« Le temps est un luxe que nous n'avons pas nécessairement étant donné la nature de notre travail ici », fit de nouveau Bruce, son ton de voix calme et raisonnable.

« Géant Vert a raison. » Tony croisa les bras sur sa poitrine tout en prenant soin de laisser son arc-réacteur visible de tous. « C'est à lui qu'on fait confiance pour veiller sur nous de là-haut, tous les jours. Qu'est-ce qui se passera le jour où il décidera que nous ne faisons pas partie de l'équipe ? »

Un éclair dangereux illumina les yeux de Natasha. Sa prise sur sa fourchette se resserra.

« Clint fera son boulot. Il ne laissera jamais quoi que ce soit compromettre cela. »

« Jamais ? Vraiment ? Comment se fait-il que tu sois parmi nous alors ? » riposta Tony.

Elle s'était à demi-levée de son siège lorsque la voix de Steve l'arrêta.

« Personne ne remettait son dévouement en question, agent Romanoff », dit-il calmement.

« Moi si, répliqua Tony en haussant le ton. Comment est-on censés lui faire confiance pour couvrir nos arrières s'il ne supporte même pas d'être dans la même pièce que nous ? Bordel, il n'est même pas venu aux funérailles de Coulson ! Quel genre de dévouement c'est, ça ? »

Natasha abattit violemment sa fourchette sur la table, faisant tressauter les assiettes et les verres. Bruce sursauta et Steve soupira. Tony se contenta d'écarquiller légèrement les yeux de surprise. Natasha prit appui sur le bois de la table et se pencha en avant jusqu'à ne plus être qu'à quelques centimètres du visage de Tony.

« Il a regardé à travers un télescope à 1000 mètres de là. Clint voit mieux les choses à distance. Il a besoin de la distance. Quoi que tu penses que Coulson ait été pour toi… Il représentait bien plus pour Clint, déclara-t-elle avec colère. L'agent Coulson a été le premier et le seul à qui Clint ait confié sa vie avant qu'il ne me rencontre. Coulson l'a sauvé. S'il n'avait pas été là, Clint travaillerait probablement pour le plus offrant à l'heure qu'il est. Et il le sait. Il doit tout à Coulson et maintenant Coulson est mort et Clint n'était… »

Elle s'arrêta brusquement en réalisant qu'en défendant son partenaire, elle en avait trop dit. Elle ne parlait normalement pas avant de réfléchir mais Clint avait toujours eu le chic pour passer à travers ses défenses et pour la faire se comporter différemment de d'habitude. Pour la rendre meilleure qu'elle n'était. Il n'avait apparemment même pas besoin d'être dans la pièce pour cela.

« Barton n'était pas là », réalisa doucement Steve.

Il s'était lui aussi demandé, bien qu'avec plus de discrétion que Tony, pourquoi leur Faucon ne s'était pas rendu aux funérailles. Cela faisait sens à présent. Il avait vu la camaraderie entre les deux agents au cours des semaines qu'il avait passées au sein du SHIELD avant Loki. Hawkeye, habituellement distant et taciturne, souriait lorsque son aîné venait le chercher dans une pièce. Et le visage traditionnellement calme et lisse de Coulson s'étirait spontanément en un large sourire en la présence du jeune agent. La confiance avait été palpable.

« Je devrais peut-être lui parler », suggéra Steve.

Il savait ce que l'on ressentait lorsque l'on perdait quelqu'un comme cela. Penser à la mort de Bucky lui était, encore aujourd'hui, très douloureux.

« Il a besoin de temps, refusa fermement Natasha. »

« Il a eu six mois, rappela Tony avec raideur. »

« Une vie ne suffirait pas, répondit tristement Steve, les yeux hantés et Tony se tut en voyant l'expression de leur leader. »

Steve se tourna vers Natasha.

« Est-ce pour cela qu'il ne se joint pas à nous ? A cause de Coulson ? Parce qu'il ne nous fait pas confiance ? »

« Il y a beaucoup de ça… Il faut que vous compreniez… Clint n'est pas comme vous, aucun d'entre vous. C'est un agent d'infiltration, spécialisé dans les assassinats à distance. C'est gravé en lui, garder ses distances pour sa propre sécurité, être invisible. S'il ne veut pas changer, il ne le fera pas, s'efforça-t-elle d'expliquer tout en gardant sa voix calme et dénuée de toute trace de colère.

« Et il ne le veut pas ? » soupira Bruce.

La question était de pure forme, il connaissait la réponse et Natasha secoua la tête. Steve prit la parole avant que quelqu'un d'autre le puisse.

« Dis-lui que nous couvrons ses arrières… qu'il nous fasse confiance pour cela ou non. »

Elle hocha la tête et quitta la pièce.

« Tu pourrais être plus compréhensif, Tony, réprimanda doucement Steve. »

« On a tous perdu des proches. La confiance n'est facile pour aucun d'entre nous. »

Le ton de Tony était dur et Bruce fronça les sourcils.

« Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne devons pas respecter son deuil et son espace. »

« C'est plus que du deuil ! Il ne veut pas être là. Ça se voit ! Le type ne nous a pas adressé deux mots en dehors du feu de l'action. Il n'a pas l'esprit d'équipe et ne veut pas l'avoir. »

« Tu as lu son dossier, Stark, le défia Steve en haussant un sourcil. Aucun de nous n'a traversé ce que lui et Natasha ont vécu. La seule équipe qu'il avait a été coupée en deux à la mort de Coulson. Fury m'a dit que le gars ne lui fait même pas confiance, à lui, alors qu'il est en charge de toute cette foutue organisation. »

« Pour être honnête, aucun d'entre nous ne fait confiance à Fury », fit remarquer Tony.

Steve fronça les sourcils.

« Ce que je veux dire c'est qu'aucun d'entre nous ne peut vraiment comprendre comment fonctionne son esprit. Romanoff a raison, il fonctionne différemment de nous, même d'elle. Il est formé pour être un solitaire. Elle aussi dans certains aspects. Mais elle essaie, ça compte pour quelque chose. Si quelqu'un peut convaincre Barton de faire partie de l'équipe, c'est elle. »

« Et d'ailleurs, ajouta Bruce en adressant un long regard à Tony, toi non plus tu n'avais pas vraiment l'esprit d'équipe quand tout cela a commencé. »

« J'essaie de m'habituer au concept, grogna Tony. Tout ce que je dis c'est que je n'ai pas confiance en lui non plus. »


Natasha alla s'asseoir sans un mot à ses côtés sur le rebord. Elle ne partageait pas son affinité pour les hauteurs mais cela ne la dérangeait pas non plus. Son perchoir hasardeux ne la perturba donc pas. Elle lui tendit un sandwich en silence. Ses lèvres s'incurvèrent en un petit sourire de remerciement et elle ne put s'empêcher de le lui rendre.

Elle regarda longuement son profil, observant sa manière méthodique de mâcher. Tout, chez lui, était méthodique. Aucun mouvement en trop, aucune énergie gaspillée, de sa manière de bander son arc jusqu'à son style de combat à mains nues. Il lui avait dit une fois, à Budapest, que c'était Coulson qui le lui avait enseigné.

A cet instant, il semblait épuisé, ses yeux étaient bordés de cernes noirs. Sa peau, normalement hâlée, était pâle et faisait trop ressortir ses vieilles cicatrices. Il l'inquiétait. Il ne s'adaptait pas, ni à l'équipe, ni à la perte de Coulson.

Avec un soupir, elle tendit la main pour entrelacer ses doigts avec ceux de sa main libre. Ils ne le faisaient pas souvent, montrer des signes d'affection là où des yeux fouineurs pouvaient les surprendre. Mais elle commençait à apprendre que parfois, c'était nécessaire et lorsqu'il ne protesta pas, elle sut qu'elle avait fait le bon choix.

Elle reporta son attention sur la ville, réfléchissant à tout ce qui était arrivé. Tant de choses avaient changé en six mois. Elle-même était un peu étonnée du bonheur que lui procurait la plupart de ces changements. Pas plus tard qu'hier, elle avait vécu un moment au cours duquel elle avait oublié qui elle avait été. Elle avait été si heureuse, avait-elle murmuré plus tard dans la nuit avec excitation. Elle n'avait réfléchi que beaucoup plus tard à l'humeur de Clint, après qu'il soit parti pour aller s'entraîner aux premières heures de l'aube après s'être éveillé d'un énième cauchemar.

"Elle me tenait si fort! Elle me faisait confiance pour la protéger et je l'ai fait! J'ai sauvé cette petite fille et c'était tellement bon. Pendant une minute, j'ai oublié tout le reste, tu vois? » murmura Natasha en inclinant la tête sur son torse pour voir son visage.

Clint fit un son affirmatif, ses doigts se promenant dans ses cheveux. Elle avait envie de ronronner tant elle se sentait bien. Il avait un regard pensif mais un petit sourire étirait ses lèvres. C'est cela qui attira son attention. Ses sourires étaient bien trop rares ces derniers temps.

« Quoi? » demanda-t-elle, curieuse.

Ses doigts se promenèrent sur son épaule nue avant qu'il ne réponde.

« Tu es heureuse », observa-t-il, déconcerté.

« Pas toi? »

« En ce moment, si », répondit-il avec confiance.

« En ce moment ? » demanda-t-elle, curieuse.

« N'est-ce pas tout ce qu'on puisse demander? »

Il sourit avant de laisser disparaître ses mains et elle se laissa renverser sur le dos en gloussant sans remarquer la tristesse latente dans ses yeux.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? » demanda-t-elle finalement.

Il était temps de s'attaquer au problème, qu'il le veuille ou non. Il détacha à peine ses yeux du soleil couchant, son sandwich depuis longtemps terminé.

« Hum? »

« Tu n'es pas heureux ici... Pourquoi? »

Elle était toujours directe et elle savait qu'il appréciait, et détestait tout en même temps, ce trait de caractère.

« Je suis heureux », réfuta-t-il calmement.

« En ce moment ? » le défia-t-elle avec dureté.

Elle l'entendit soupirer.

« Que veux-tu que je fasse ? » demanda-t-il, fatigué.

« Juste que tu fasses un effort. »

« C'est le cas. »

Mais même lui pouvait dire, alors que les mots franchissaient ses lèvres, que c'était un mensonge.

« Non, c'est faux. Tu te caches ici pendant des heures, tu vas chercher à manger en douce et ensuite tu reviens te faufiler ici avant que quiconque ait pu remarquer que tu étais dans le coin. »

« Je ne me cache pas », répliqua sèchement Clint.

« Si, riposta brutalement Natasha. Tu te caches pour fuir ce qui s'est passé. »

« Crois-moi, Nat', y a aucun moyen de fuir ce qui s'est passé. Si c'était le cas, j'aurais tourné la page depuis longtemps », dit-il avec un petit rire triste qui lui brisa un petit peu le cœur.

« Tu n'as pas à affronter cela seul », lui rappela-t-elle en étreignant la main qu'elle tenait dans la sienne.

Clint fronça les sourcils.

« Mais je suis seul, Nat ».

Outrée et blessée, elle retira brusquement sa main.

« Tu as un sacré culot de me dire ça à moi ! Après tout ce qu'on a traversé. »

Il se tourna pour argumenter, ses yeux gris montrant plus de vie qu'ils ne l'avaient fait au cours des derniers mois.

« Mais c'est bien ça le problème ! Ce qui s'est passé avec Loki… c'était moi, juste moi. Aucun d'entre vous n'était là et aucun d'entre vous ne comprendra jamais ce que cela fait de n'avoir aucun contrôle sur ses actes ou ses paroles. »

« Tu disais que tu ne te souvenais de rien. »

La colère avait fait descendre sa voix d'un ton.

« J'ai menti. »

Furieuse, Natasha se leva et s'éloigna de quelques pas.

« Je ne peux pas passer outre, Nat… Je ne peux pas », ajouta-t-il plus doucement en reportant son regard vers l'horizon.

S'il l'avait observée, il aurait vu ses épaules se soulever dans un soupir.

« Personne ne te demande de passer outre », répondit-elle sur le même ton, en se rasseyant à ses côtés.

« J'ai tué tellement de gens, Tasha, des collègues… J'ai essayé de te tuer, de tous les tuer, fit-il en désignant la tour. Et maintenant quoi ? Je suis juste censé prendre le train en route avec un groupe de mecs que j'ai essayé de buter ? Ils seront enchantés, j'en suis sûr. »

« Personne ne te reproche quoi que ce soit », insista-t-elle.

Tu le fais bien assez tout seul, ajouta-t-elle mentalement.

Il ne répondit pas, se contenta de soupirer profondément alors que le soleil couchant disparaissait derrière un gratte-ciel.

« Tu n'es pas seul… Pas tant que je suis là », murmura-t-elle avec douceur mais fermement. Comme nous nous le sommes promis au Vietnam, ajouta-t-elle mentalement.

« Je sais… C'est juste que ça… Tout ça… c'est dur. Quand je suis arrivé au SHIELD, j'ai eu la sensation de trouver ma place pour la première fois. Maintenant, ils me regardent comme si j'étais un ennemi. Je n'ai plus ma place là-bas et je n'ai pas ma place ici… »

« Tu l'aurais si tu le voulais, répondit-elle en haussant un sourcil. Et tu as été déclaré innocent de ce qui s'est passé. Tu n'es pas un ennemi. »

« Va dire ça aux amis des gens que j'ai tués. »

« Qu'ils aillent en enfer ! cracha-t-elle. Ce n'était pas de ta faute. »

Elle se sentait comme un CD rayé. Il se contenta de secouer la tête avec ce même air auto-dépréciateur qu'il avait toujours lorsqu'il se reprochait quelque chose. Il avait une bien plus mauvaise opinion de lui-même qu'il ne le méritait.

« Tu seras toujours l'un des meilleurs agents de SHIELD, commença-t-elle doucement. Ce qui est arrivé est regrettable mais ça aurait pu arriver à n'importe qui, à moi, à Fury, à Coulson… »

« Mais ça m'est arrivé à moi », rappela-t-il, la voix brisée.

Eusse été avec n'importe qui d'autre, il n'aurait jamais permis qu'une telle émotion teinte sa voix mais il n'y avait qu'elle et avec elle, il n'avait pas à faire semblant, et elle non plus.

« Oui, c'est vrai », concéda-t-elle.

Elle prit de nouveau sa main dans la sienne et de son doigt, traça avec douceur les cicatrices blanches sur ses phalanges.

« Et tu es la personne la plus forte que je connaisse, Barton. Tu l'as toujours été. C'est pour ça que je sais que tu trouveras un moyen de surmonter tout cela. »

« Comment peux-tu en être aussi sûre ? » demanda-t-il, ses yeux de tempête observant ses doigts suivre le tracé des vieilles cicatrices.

« Parce que j'ai besoin que tu le fasses… et tu ne m'as jamais déçue. »

Il leva les yeux pour rencontre ses prunelles sombres.

« J'ai besoin de toi, Clint… ou rien de ce que je construis ici n'a d'importance. Sans toi, rien n'a d'importance. »

« Pourquoi cette équipe est-elle si importante pour toi ? » demanda-t-il, touché par ses mots.

« J'ai opéré en solo très longtemps… Et puis je t'ai rencontré et tu m'as appris à faire partie d'une équipe… Et puis Fury nous a séparés et maintenant, j'ai l'occasion de faire à nouveau partie d'une équipe, de contribuer à quelque chose de génial. C'est une opportunité pour me racheter du passé. »

« On était déjà une équipe, Nat. Qu'on soit ensemble en mission, ou non. On était une équipe, toi, moi et Coulson. »

Natasha soupira. Coulson lui manquait à elle aussi mais il avait voulu cela pour eux, elle en était certaine.

« Il te voulait dans cette équipe-là. Il t'en a parlé avant même que Fury ne m'envoie en couverture chez Stark. Il voulait que tu en fasses partie. »

« Pourquoi ? Qu'est-ce qui me rend si important pour l'équipe ? Je suis humain, Tasha, juste humain… ça crève les yeux. »

« Pourquoi ? Parce que Loki t'a piégé dans un labo placé sous haute sécurité et utilisé la magie pour s'emparer de ton esprit ? Dis-moi de quelle manière exactement tu aurais pu l'en empêcher. Qu'aurais-tu pu faire de différent ? » demanda-t-elle, son ton sans concession.

Il resta silencieux, fixant le ciel qui s'obscurcissait.

« Et tu veux savoir pourquoi tu es important ? demanda-t-elle, plus doucement. Parce que personne ne voit les choses comme tu le fais. Tu as une vue d'ensemble, et pas seulement lorsque nous combattons. Coulson a vu cela en toi et il te l'a fait bosser jusqu'à ce que tu deviennes un génie tactique. Il savait que tu serais un élément vital pour l'équipe. Tu vois des choses que personne d'autre ne voit, tu te rappelles ? » dit-elle avec un sourire en lui donnant un peu coup de coude.

Clint continua de fixer le ciel avec un air sombre.

« Si tu veux t'en aller, je viendrai avec toi », offrit-elle, calme et sincère.

Son regard se braqua sur elle. Il avait tellement envie d'accepter. Mais c'était égoïste, tellement égoïste. Elle voulait cette nouvelle vie et il n'avait jamais pu lui refuser ce qu'elle voulait. Il ne pouvait pas lui prendre cela, pas alors qu'elle apprenait enfin à être heureuse.

« Je veux partir, reconnut-il. Et il ajouta avant qu'elle puisse répondre : Mais je resterai, si tu le veux. Je resterai avec toi, Tasha. »

Ses yeux s'adoucirent.

« Je ne veux pas que tu sois malheureux, мой я́стреб. Ni pour moi, ni pour personne. »

Clint ne put s'empêcher de sourire en l'entendant l'appeler par son surnom russe. Mon faucon. Il lui appartenait, lui appartenait depuis le Vietnam. Son protecteur, son amant, son ami et son confident. Son protégé. Son Faucon.

« Je ferai n'importe quoi pour toi, Tasha. N'importe quoi. Nous restons. »

« Tu en es sûr ? »

« Non… Mais toi oui… et ça a été suffisant pour moi depuis un moment maintenant. Je finirai par régler cette merde… J'ai juste besoin que tu me donnes du temps… et que tu ne me laisses pas tomber. »

« Jamais », promit-elle férocement. Aussi longtemps que toi, tu me promets de ne pas laisser tomber. »

Elle le contraignit à la regarder dans les yeux et observa la bataille s'engager derrière son regard orageux. Il était déjà à mi-chemin, elle le savait. Voilà pourquoi il devait promettre.

« Je te le promets, горя́чий паук Ми », sourit-il en utilisant son surnom. Mon araignée féroce.

Elle lui fit un grand sourire. Ils s'en sortiraient, d'une manière ou d'une autre.


Bande-annonce.

« Nom de Dieu ! » cria Hawkeye en arrachant ses lunettes de vision nocturne et en fermant les yeux de toutes ses forces.

« Hawkeye, au rapport », ordonna Widow dans son communicateur.

« Une GSS ! Putain, je vois plus rien ! »