Note : Pour cette fic, au sujet au combien peu original, je me suis inspirée de la fin du film "The assassination of Jesse James by the coward Robert Ford" (si vous disposez de 2h30 sans personne dans les pattes, n'hésitez pas, ce film se savoure), et plus particulièrement de l'instant où Charley est habité par Jesse (une vraie performance d'acteur, j'en ai encore la chair de poule).

J'espère que tout ça vous plaira.

Disclaimer : comme d'habitude BBC etc.


Les conséquences de la chute

Un immeuble de bois et carton d'à peine 3m, une sorte de décor de théâtre. Au sommet, un homme dont l'imperméable flotte. Ridicule en l'absence de vent. Soudain l'immeuble disparait et la chute. La chute longue et sans bruit. Puis le sang qui teinte peu à peu son visage, ses vêtements. Mais la chute toujours. Le choc. Il tombe violemment dans les bras d'un autre homme. Un autre lui-même avec le même imperméable, les mêmes tâches de sang. Et l'autre homme se met à courir, emportant son fardeau. Je dois les rattraper. Ils s'éloignent. Je dois aller plus vite. Plus vite. Ne surtout pas les perdre. Sur la droite, un camion sans frein. Je vais mourir, ils s'éloignent, je … Il se réveilla en sueur et le cœur pulsant trop rapidement.

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Le premier jour … Il n'a gardé aucun souvenir du premier jour à l'exception d'une séquence, la séquence, qui se projetait en boucle dans sa tête. Selon Miss Hudson, il était resté prostré, assis dans le fauteuil de Sherlock, si parfaitement immobile qu'il semblait lui-même être devenu cadavre.

Le deuxième jour vint la colère, la rage sans limite, la haine sans fond. Inlassablement il l'abreuva de reproches, d'injures. Il voulait le blesser, le faire réagir. Mais il ne répondait pas, ne répondrait plus. Et Watson continuait, continuait, sans fin, sans cesse, sans pouvoir avancer, prisonnier. Il lui en voulait d'avoir oser ce dernier pas, d'avoir fait de lui son dernier témoin, de l'avoir obligé à regarder, d'avoir gravé au fer blanc dans sa mémoire et dans sa chair toutes les paroles, les images et les sensations de ce jour là. Puis, lorsqu'il fut totalement cassé, brisé, éparpillé, que rien ne restait encore pour servir de support à sa violence, John Watson se mit à pleurer. En silence. Seul. Dans l'intimité de leur vieil appartement.

Enfin, le troisième jour, il se leva pour faire ce qu'il avait à faire. Il reprit le travail et s'y plongea totalement, soulagé de pouvoir se décharger sur Mycroft des deux épreuves que constituaient la reconnaissance du corps à la morgue et l'organisation des funérailles. Mycroft payait ainsi sa dette. Cruellement. Watson fit en trois jours plus d'heures supplémentaires qu'il n'avait fait dans tout le mois précédent. L'expression qu'il afficha alors dissuada ses supérieurs de lui en faire la remarque.

Au septième jour, harassé, il revint à Baker Street prendre possession des lieux. Il s'assit dans le fauteuil, étendit ses jambes et les croisa au niveau des chevilles, ses mains jointes sur sa poitrine, les yeux mi-clos, tel le Christ en prière, dernière étape avant sa mort. Cette posture étrange de réflexion, celle qu'employait naturellement Sherlock quand il avait besoin d'ordonner ses idées, John Watson l'adopta inconsciemment dans un mimétisme effrayant. Si quelqu'un était entré à ce moment là, il aurait sentit l'âme de Sherlock s'incarner tout entière dans le bon docteur.

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Car Watson réfléchissait. Profondément. Totalement.

Question numéro une : Sherlock est-il, rectification était-il, non est-il, enfin bref, un imposteur ?

Réponse : Il m'a dit avoir fait des recherches sur moi avant notre première rencontre. Or, ma décision de passer sur le campus a été fortuite, de même que ma rencontre avec Mike Stamford. Et je suis sûr que le professeur ne l'a pas prévenu. D'ailleurs Sherlock n'avait pas de téléphone à ce moment là puisqu'il m'a emprunté le mien. La seule solution aurait été que Sherlock ait, au préalable, scanner les vies de l'ensemble des personnes ayant côtoyées le professeur de près ou de loin. Ce scénario est extravagant sauf à ce qu'il encombre totalement sa mémoire de fiches sur l'ensemble de la population. Conclusion, probabilité pour que Sherlock ait pu savoir à l'avance qui j'étais, totalement nulle. Donc Sherlock n'est pas un imposteur.

Question numéro deux : s'il n'est pas un imposteur, pourquoi se serait-il suicidé ?

Réponse : à cause de Moriarty. A creuser. Qu'a dit Sherlock ? "Il n'a qu'une dernière chose à faire pour compléter son jeu et c'est … Il y a quelque chose que je dois faire. Seul." Moriarty avait besoin de ce suicide et Sherlock le savait.

Question numéro trois : si Sherlock le savait, pourquoi a-t-il "complété le jeu" ?

Réponse : parce qu'il y a été forcé. Comment ? Il avait déjà perdu sa réputation et sa liberté puisqu'il était recherché. Donc Moriarty n'a pas fait pression sur lui : il a menacé quelqu'un d'autre.

Watson ouvrit les yeux. Son cœur battait plus vite que de raison. Une vague d'énervement succéda à une vague de stress. Il se leva, fit le tour de la pièce, s'imposant de retrouver une certaine sérénité et, lorsqu'il fut certain de pouvoir boire un thé sans casser la tasse, il se prépara le breuvage. Il but lentement, écoutant le silence mortuaire de l'appartement. Il prit sa veste et sa canne et sortit.

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Quand il revint, il se rassit, referma les yeux et reprit son exploration.

Rappel des conclusions de la session précédente : Sherlock n'est pas un imposteur. Il savait que Moriarty avait besoin de son suicide pour détruire sa légende mais il a tout de même été obligé de sauter, probablement pour éviter que lui-même, John Watson, militaire de son état et donc parfaitement apte à se débrouiller seul, voire d'autres personnes, ne soient blessées ou tuées.

Question : Que s'est-il réellement passé ce jour-là ?

Réponse : Sherlock était en haut de l'immeuble. Cela ne pouvait être que lui, je l'ai vu delà où j'étais. Où étais-tu ? En bas. Mais encore ? Là … là où Sherlock m'a demandé d'être. "Reste exactement où tu es. Ne bouge pas". "Garde les yeux rivés sur moi".

Et ensuite ?

Ensuite rien. "Adieu John". Rien.

Je ne suis pas ton psy John, je suis toi. Tu veux savoir ? Alors fais un effort.

Ensuite, il a sauté.

L'as-tu vraiment vu sauter ?

Oui, mais …

Ah, le "mais".

Il y avait un angle mort. J'ai vu la première moitié du saut et surtout … je l'ai vu au sol baignant de son sang. Et … J'ai été renversé par un vélo.

Reprenons : Sherlock, qui savait qu'il allait mourir avant d'arriver à l'immeuble, t'as placé exactement à l'endroit qu'il souhaitait, un endroit avec un angle mort, et tu as été empêché, comme par hasard, d'approcher du corps juste après sa chute. Et j'ajoute qu'il connait bien une certaine médecin légiste et qu'ils s'étaient vus peu avant. J'appelle ça un faisceau d'indices convergents mais pas des faits.

Théorie à prouver par la méthode Watson : Sherlock n'est pas mort et à mis en scène sa propre mort.

Watson ouvrit les yeux, chassa les images de la chute qui étaient restées incrustées dans ses pensées et les remplaça par d'autres plus lointaines. Des images de l'Afghanistan. Il se replongea dans les longues sessions de boards stratégiques lors desquelles étaient planifiées chaque opération. Comme tout médecin militaire, il avait été avant tout un officier. Pour surprendre l'adversaire, endormez sa vigilance puis prenez-le à revers. Une stratégie simple mais efficace. Watson traversa plusieurs fois le salon à grandes enjambées, tantôt rapides, tantôt plus lentes jusqu'à ce qu'il ait établit son plan. Puis une fois chaque détail mis au point, il ouvrit son ordinateur et se mit à compulser d'interminables pages facebook. Plusieurs heures plus tard, il trouva exactement ce qu'il cherchait. Un sourire étrange glissa sur ses lèvres.

oOo

La vie du Dr Watson reprit son cours. Il allait deux fois par mois chez sa psychothérapeute, s'efforçait de suivre des horaires de travail normaux et brunchait chaque dimanche midi dans l'appartement de Mrs Hudson où jamais le nom de Sherlock n'était prononcé. Lestrade pensa même que d'une certaine façon, le bon docteur s'était déchargé de la dépouille inutile de son ancien colocataire. Et lorsque Watson se mit à entretenir des échanges durables avec une certaine Alice Straton, tous crurent que la page était définitivement tournée.

Alice était une fille charmante, des cheveux clairs qui lui couvraient le dos, les yeux noirs, un profil acéré mais des pommettes marquées qui adoucissaient l'ensemble et quelques tâches de rousseur. Elle était institutrice, ses parents artistes, son frère venait d'entrer dans la police. Une jeune femme comme on peut en trouver des milliers dans Londres et que Watson avait rencontrée, tout à fait fortuitement, à la faveur d'une coupure de courant dans le métro londonien sur un trajet qui n'était pas celui qu'il empruntait habituellement. Et de restaurants en cinémas, en l'absence de sms parasites, cette relation put se construire, s'épanouir. Pourtant Watson ne déménagea pas et jamais ne l'invita au 221b Baker Street. Dès qu'il passait le seuil de l'appartement, il enlevait son masque d'homme affable et en s'asseyant dans le fauteuil, reprenait ses méditations.

Leur relation ne dura pas. Quatre mois plus tard, sans que personne ne sache réellement pourquoi, le docteur et Miss Straton cessèrent de se voir même si Watson conservait quelques liens avec sa famille. Pour oublier cet échec, John donna de son temps pour les œuvres caritatives. Il intégra des associations de quartiers, d'abord quelques heures par semaine, puis plusieurs heures par jour. Il se mit à fréquenter de nombreux jeunes désœuvrés, allant même jusqu'à passer plusieurs soirées en leur compagnie. Il voulait aider, se sentir utile.

Puis il arriva à ce que sa psychologue nomma le dernier stade : il décida d'entamer des recherches pour trouver un nouvel appartement. Mrs Hudson, soucieuse de son bien-être, l'encouragea également dans cette voie. Il fit donc le tour des agences immobilières et s'il ne trouva d'appartement à sa convenance, du moins trouva-t-il Helen Lancer, une petite brune énergique qui dirigeait sa propre agence. Quelques semaines à peine après sa rupture avec Alice, John Watson était de nouveau en couple. Là encore, la relation ne dura pas. Au bout de sept semaines, leur couple vacilla et finalement Watson resta au 221b Baker Street, seul, assis dans le fauteuil de Sherlock.

John sirota une gorgée de thé et poussa un long soupir de contentement. Dans sa main, il tenait une feuille arrachée d'un carnet. Dessus était inscrit une adresse. Se parlant à lui-même, il laissa échapper quelques mots dans un murmure : "Les pièces sont en place, il n'y a plus qu'à jouer la partie". Il se leva, calme et déterminé comme avant la bataille, prit son manteau et sa canne et sortit.


Tindin !

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