Hello les gus, voilà un nouvel OS. J'espère que ça vous plaira. N'hésitez pas à me dire s'il y a des fautes et cela vous a plu ou pas, ce que je pourrai améliorer ou changer
Bonne lecture !
« Il tourne,
Elle tourne,
Encore. »
Les rires. Ces rires innocents d'un enfant heureux de pouvoir faire un tour de manège. Ils rirent encore d'un moment qui ne sera qu'éphémère jusqu'au prochain tour. Ils transmirent cette joie à leurs parents qui filmèrent pour garder une trace du début de la vie de leur progéniture. C'était étrange ces instants de bonheur, ces instants figés dans une carte mémoire, ils ne duraient jamais. Dans quelques années, ils seront oubliés, puis lors d'un certain événement, ils réapparaîtront aussi vite que la première fois, avant de disparaître tout aussi rapidement. A moins de les regarder en boucle.
D'autres bambins prirent la place des premiers, et le carrousel recommença à tourner pour cinq minuscules minutes de plaisir. Le cercle infernal continuait encore. Je me remémorais de ces moments passés avec mes enfants, avec mon fils plus précisément. Je fermais les yeux pour me laisser envahir par ces souvenirs. Je le revoyais assis sur un de ces chevaux de bois, blancs, qui montaient et qui descendaient, riant aux éclats. Mon ex-femme sortant le gros caméscope noir en disant : « Regarde la caméra Evan. Regarde par ici. Fais coucou à la caméra. N'est-il pas adorable Lexa ? » « Oui, nous avons de la chance de l'avoir ». En ouvrant les paupières, je vis que le monde avait continué à tourner autour de moi. Tandis que je restais bloquée dans mon passé. C'était encore d'autres visages qui faisaient un tour, la queue semblait avoir avancée un peu, mais de nouvelles personnes arrivèrent à nouveau. Ils avaient raison, c'était dimanche après-midi et il faisait beau.
Je regardais ma montre : 15h03, indiquait-elle. Je soufflais un bon coup, comme pour me donner du courage. En me levant, je pris la boîte emballée qui se trouvait à mes côtés. Je m'éloignais de ce lieu d'un pas vif en espérant de ne pas arriver trop tard, et de rater mon petit-fils.
Je parquais ma voiture grise dans l'allée. Je gardais mes mains sur le volant noir, tout en regardant la maison blanche dont des ballons à multiple couleurs, ornaient la porte. Je détournais les yeux sur le paquet emballé sur le siège passager. Après quelques minutes, je me décidais à sortir du véhicule, en soupirant. Je m'approchais lentement de l'entrée. Je sonnais. Je vis quelqu'un arriver à travers les petites fenêtres sur le côté de la porte. Le verrou tourna, la poignée s'abaissa et mon angoisse ne fit que s'agrandir. Pendant, un instant, j'hésitais à poser la boîte ici et prendre mes jambes à mon cou. Cependant, il était trop tard pour cela. Je me retrouvais nez-à-nez avec mon ex-femme, Clarke. Elle semblait surprise de me voir, ce qui fût autrefois, notre maison. On avait vécu nos plus belles années dans cet endroit. On venait de se marier, et nous avions un coup de cœur pour ce quartier et plus spécialement sur cette bâtisse. Elle était d'une architecture très basique avec des murs blancs et le toit rouge. Une vraie villa classique, mais elle avait eu ce petit truc de plus. A ce jour, j'ignorais encore ce que c'était, mais quand le vendeur nous avait remis les clés, je savais que Clarke et moi serions heureuses. Nous l'avions vraiment été. Nous avions eu deux beaux enfants : Evan et Elise. Nous les avions vus naître et grandir dans ce lieu emplit de souvenirs joyeux. Quand je rentrais du travail le soir, j'aimais embrasser ma femme qui s'affairait derrière les fourneaux, tout en la complimentant elle et sa succulente cuisine, un vrai cordon bleu. Ensuite, je passais dix minutes à chercher mes enfants. C'était un jeu. Ils se cachaient tous les deux, je devais les retrouver. Bien évidemment, je faisais mine de ne pas savoir, car ils adoraient me sauter dessus pour me faire tomber. Je me prêtais au jeu avec un plaisir immense. J'aimais cette routine. Je ne pouvais pas rêver mieux comme vie, nous étions unis, nous étions une famille normale et heureuse. Evidemment, nous avions aussi nos lots de disputes. Mon fils, après ses études, avait décidé de s'enrôler dans l'armée, et cela avait créé un bon nombre de disputes entre nous. J'avais fini par laisser tomber, sous les encouragements de ma femme, à l'époque. Après tout, c'était ce qu'il voulait faire, je ne pouvais vouloir que son bonheur. Pendant trois ans, il était sur le terrain, nous recevions beaucoup de lettres de sa part. C'était à chaque fois, un grand moment de soulagement. Cela voulait dire qu'il était encore vivant. Pendant ses permissions, nous faisions de grands repas avec toute la famille. Nous étions très proche mon fils et moi, et je ne pouvais m'empêcher d'être fière de l'homme qu'il était devenu. Nous étions tous heureux.
Malheureusement, un bonheur ne durait jamais et ce qui devait arriver, arriva. Je le revois encore, sur ce quai en attendant le bus : « Ne t'inquiètes pas m'man. Je reviendrai », m'avait-il dit. Je l'avais pris dans mes bras, malgré son mètre nonante, pour lui montrer que j'avais entièrement confiance en lui. C'était la dernière fois. La dernière fois que je voyais ses pommettes souriantes et enfantines sur ses joues, ses yeux bleus et pétillants et ses cheveux rasés. Il était monté dans le bus en faisant un dernier signe de la main. La porte s'était fermée et ce fut la dernière fois que je le vis.
Quand la nouvelle était tombée, j'avais complètement disjoncté. J'étais devenue tout ce que j'avais promis de ne jamais être. Me transformant en une femme violente, buvant outrageusement, mettant ainsi la vie de ma femme et de ma fille en danger, et ce plus d'une fois. Face à ce que j'étais devenue, ma femme m'avait mise au pied du mur, soit j'acceptais le divorce et de ne plus les approcher, soit je finissais en prison pour une longue durée. Je m'étais résignée à la première option, pour un temps seulement. N'ayant pas arrêté ma consommation d'alcool, je m'étais mise à les harceler toutes les deux, que cela soit à la sortie des cours universitaires de ma fille ou au travail de ma femme, allant jusqu'à revenir ce qui fût chez nous, complètement ivre, et leur promettant monts et merveilles, alors qu'au fond, je ne faisais que mentir pour me rassurer que tout cela n'était pas réel. Quand l'ordre du juge tomba, j'avais pu prendre du recul face à tout cela. C'était à ce moment précis, en rentrant du tribunal, j'ouvris la porte de mon appartement miteux et sale, dont les cadavres de bouteilles et les cartons vides de pizza jonchaient le sol, que je me rendis enfin compte de mon comportement et du mal que j'avais fait. Je m'étais reprise en main, j'avais stoppé ma consommation d'alcool, me contentant d'une bière sans alcool de temps en temps. J'avais repris le sport et nettoyer de fond en comble mon chez moi. Aujourd'hui, je me plongeais corps et âme dans mon travail, ça m'aidait à oublier ma solitude et mon dégoût de moi-même. Les choses avaient changé. Elles avaient évolué, tandis que moi, je n'avais pas avancé depuis ce jour de mars 2018.
Mon ex-femme s'était quelque peu transformée en dix ans. Ses cheveux blonds étaient un peu plus grisonnants, et ils avaient poussé jusqu'au-dessous des épaules. Son nez fin et droit se retroussait légèrement, probablement dû à ma visite. Son regard bleu exprimait de la fureur, mais surtout de la crainte. Ses yeux océans me gelaient le sang. Elle me repoussa violemment, par peur ou par colère, tout en fermant la porte. Je me laissais faire, après tout je n'avais aucun droit d'être ici et si elle le voulait, elle pourrait appeler la police. L'ordre du juge était très clair, je ne pouvais plus approcher ma famille.
- Que fais-tu ici ? m'incendia-t-elle.
Je me contentais de lui montrer le cadeau avec un maigre sourire. Je savais que je n'étais pas dans mon droit, que je pourrais avoir de sérieux ennuis avec la loi et aucun moyen de me défendre. C'était beaucoup plus fort que moi. Je devais lui montrer que j'avais changé, même si elle ne croyait pas ou plutôt qu'elle ne croyait plus. Pourtant, je la voyais se radoucir un peu. Je lui tendis le paquet pour qu'elle le prenne, ce qu'elle fit. Elle soupira avant de me dire :
- Tu ne devrais pas être ici, si Elise te voit…
- Elle ne me verra pas. Je ne compte pas rester. Je ne veux pas te créer plus d'ennuis, la coupai-je.
Elle hocha la tête. Elle fit demi-tour. Au moment de fermer la porte, je lui déclarai :
- Je suis désolée Clarke. Désolée d'avoir tout gâché et de n'avoir pensé qu'à moi.
- Je dirais à ton petit-fils qu'il est de toi, me répondit-elle en désignant le cadeau.
Je quittais la maison rapidement, quelque peu allégée.
« Il tourne,
Elle tourne,
Encore. »
En arrivant à mon appartement, le temps avait tourné et une pluie violente s'écrasait sur le sol de la ville. Le soleil était bien caché derrière des nuages noircis, qui grondaient de colère. Par moment, ils crachaient leur fureur étincelante par terre. Les immeubles de la ville dégoulinaient en silence. La végétation bénissait cette averse, qui la ressourçait. Les gens se bousculaient sur le trottoir, des journaux ou des sacs au-dessus de leur tête. Ces personnes donnaient l'impression d'être pressées. Elles ne prenaient pas la peine de s'excuser après avoir poussés quelqu'un. Leurs téléphones portables étaient en permanence collés à leurs oreilles. Au milieu de tout ce monde, je marchais avec une démarche lourde. Je ne faisais plus attention aux gens autour de moi depuis bien longtemps.
Je claquais ma porte brusquement. Je m'affalais sur mon canapé. Je repensais à toutes ces personnes dans la rue. Tous ces gens qui se hâtaient dont je ne connaissais pas. Je les enviais, ils me donnaient l'impression d'avoir un objectif qu'ils souhaitaient obtenir plus que tout. J'étais comme ça aussi avant, mais aujourd'hui, je refusais de les voir courir sur leur vie meilleure qu'ils n'atteindraient pas et que je n'aurais plus. Peut-être que je n'avais plus l'envie d'avoir une nouvelle fois, ce bonheur parti.
Je pris une bière sans alcool qui se trouvait dans le réfrigérateur et m'installa sur le plan de travail de la cuisine, devant une fenêtre, qui était toujours entrouverte. Je ne buvais plus d'alcool, par peur de replonger dans mon enfer et de retrouver mes vieux démons enfuis au plus profond de moi. Même si j'appréciais moins le goût de la bouteille que j'avais en main, mais elle me permettait de me garder sobre et de rester maître de moi-même. Je sortis une clope de son enveloppe protectrice et l'alluma. J'aspirai rapidement la fumée toxique dans mes poumons. Je la gardai quelques secondes, avant de la souffler tout doucement. Je recommençai ce rituel plusieurs fois. Je regardais par la vitre. Je voyais les gens passer en bas de l'immeuble ou encore ceux qui jouaient avec leurs enfants dans la petite place de jeux, commune au bâtiment. Je les maudissais d'oser rire et vivre en face de moi. Moi qui n'avait pas la chance de connaître cela avec mon petit-fils de six ans. J'écrasais brutalement la fin de ma cigarette face à ce constat, à ce même moment le téléphone sonna. J'allai répondre sans grande envie. Je dis d'une voix grave et bourrue : « Allô ? »
- Je croyais que le juge avait été clair ? commença ma fille d'un ton accusateur.
- Je voulais simplement offrir un cadeau à mon petit-fils, Elise.
- Olivier ne te connait pas, tout comme tes cadeaux. Tu n'existes pas pour lui, comme tu n'existes plus pour nous.
- Pourtant tu m'appelles. Si je n'existais pas, comme tu le prétends, tu n'aurais pas pris la peine de m'appeler pour me dire ça.
- Reste loin de nous, sinon je contacterai la police, déclara-t-elle après un court silence.
- Bien.
Elle raccrocha sans un mot de plus. Je pris une gorgée de bière, avant de l'envoyer contre le mur. Le verre explosa, le liquide dégoulina lentement du papier peint pour se diriger vers le sol. Je pris mes longs cheveux bruns grisonnant entre mes doigts. Je les serrais aussi fort que je pouvais. J'avais définitivement tout perdu. Ma maison et ma famille. Ma rédemption était une perte de temps. La flamme de l'espérance qui réchauffait mon cœur venait de s'éteindre. Il me fallait faire, encore une fois, le deuil de ma famille restante, encore vivante. En fermant les yeux, je me revoyais lever la main sur mon ex-femme qui essayait désespérément de protéger Elise de mes cris violents pleins de haine. Clarke se prenait la majorité des coups dédiés à notre fille. Elle encaissait sans rien dire. La seule chose qu'elle suppliait : « Ne lui fait pas de mal, elle est tout ce qui nous reste ». « Je ne veux pas d'elle ! Je veux mon fils ! », lui avais-je hurlé à chaque fois. Ma fille était devenue l'ombre de ce qu'elle était. Je crois même que pendant quelques temps, elle avait haï Evan pour être mort, car il avait détruit ce que nous étions. Avec le recul, elle finit par comprendre que j'étais l'unique responsable. Si Clarke avait été moins hostile à mon égard et acceptait de me parler gentiment, ma fille me détestait et refusait avoir un quelconque contact avec moi. A présent, je ne pouvais que l'accepter.
Plongée dans l'obscurité, je regardais la télévision. Je visionnais de vieux films que mon ex-femme et moi-même avions tourné avec un vieux caméscope. La qualité de l'image laissait à désirer, mais je pouvais distinguer les visages, ainsi que les mouvements. Le son était passable, j'entendais les voix assez nettement et ma mémoire faisait le reste du travail.
« - Joyeux anniversaire Evan ! Souffle sur tes bougies ! dit Clarke.
- Ça te fait quel âge mon grand ? demandai-je avec un sourire
- Huit ans, me répondit-il avec sa voix d'enfant, je suis un grand maintenant.
- Oh oui ! Tu es un grand garçon ! »
Les images continuaient à défiler sous mes yeux, tout comme mes souvenirs. Evan qui fête ses quinze ans, ses dix-huit ans, sa remise de diplôme, son engagement à l'armée et le jour de son départ. Il aurait dû être encore là. Des larmes s'étaient mises à dévaler mes joues sans que je ne puisse rien y faire. J'éteignis brutalement l'écran, je ne supportais plus de le voir, de voir qu'il avait vécu et qu'il ne le pourrait plus. « Il est mort en héros », m'avait-on dit. Je ne voulais pas d'un héros, je voulais mon fils bien-aimé.
« C'était une journée d'été bien ensoleillée et chaude. Toutes les fenêtres de la maison étaient ouvertes et couvertes de stores pour essayer de rafraîchir les pièces. Nous étions ma femme, ma fille et moi-même au salon, la musique était forte et nous nous amusions, nous dansions et nous chantions sur des vieux et des nouveaux tubes. Elise rigolait, tandis que Clarke et moi-même tentions d'apprendre les paroles des musiques actuelles, mais cela était peine perdue. Rien n'aurait pu venir gâcher une si belle après-midi. Puis, la sonnette retentit.
- Baissez un peu le volume, je vais voir, nous prévint ma femme.
Je m'affalais sur le canapé tout essoufflé. Ma fille se moqua de moi et de mon âge. Je lui ébouriffais ses cheveux bruns. D'un seul coup, nous entendîmes Clarke pleurer fortement. Je me précipitais à ses côtés craignant l'individu qui avait sonné. Arrivée à la porte, je vis seulement deux militaires en uniforme sombre, probablement de hauts gradés vu leurs médailles. Ils n'avaient pas eu besoin de parler pour que je puisse comprendre. Evan était mort au combat. Sous le choc, je ne réagissais pas, je me contentais simplement de prendre ma femme et ma fille dans mes bras, les serrant aussi fort que je pouvais, comme pour les protéger de cette annonce dévastatrice.
- Je peux vous assurer qu'il mort en héros, nous affirma un des deux officiers soldats.
- J'aurais préféré qu'il vive en lâche pour que je puisse encore le serrer dans mes bras, leur crachai-je à la figure avant de claquer la porte au nez.
Nous étions assis à même le sol, tremblants et pleurants la perte d'un fils et d'un frère. »
Notre monde s'était écroulé. Nous n'avions pas pu aller le voir à la morgue, parce qu'il ne restait rien de son corps. Il avait explosé sous les bombes qui s'étaient acharnées sur le terrain. L'enterrement avait eu lieu quelques jours plus tard. Un enterrement plus que militaire, avec des soldats en joue, des hommes et des femmes. J'étais pratiquement sûre qu'aucun d'eux ne connaissaient Evan. Ils étaient présents parce que c'était leur devoir. Pour nous, nous étions une famille parmi toutes les autres. Ce moment n'avait été qu'une mascarade, que cela soit les coups de feu ou encore les discours des généraux. Tout le monde nous avait donné leurs condoléances. Je n'en avais que faire. Ils ne pouvaient pas remplacer mon fils. Mais le pire de toute cette pitrerie était la remise du drapeau. Que voulaient-ils que nous en faisions ? Que nous le mettions au-dessus de notre cheminée pour se souvenir ? « Votre fils fait la fierté de notre pays ». Quelle vaine ! Mon défunt Evan fait la fierté de notre pays. Quelle chance ! Je ne pourrais plus le voir parce qu'il a défendu notre beau et grand pays pour une guerre qui n'avait ni queue, ni tête. Une guerre que tout le monde semblait approuver, sans vraiment la comprendre.
J'avais sombré. J'ignorais la raison ce comportement soudain, mais égoïstement, j'avais emmené toute ma famille avec moi. J'avais battu mon ex-femme, ainsi que ma fille, que j'avais de plus humiliée et rabaissée en lui faisant comprendre que j'aurais préféré qu'elle meurt que mon unique fils. Elise avait fait une terrible dépression jusqu'à vouloir mettre fin à ses jours, par ma faute. Je l'avais traitée comme une moins-que-rien. Clarke avait réagi qu'à ce moment-là. La vie de son dernier enfant était en jeu, et j'étais la cause de son malheur. Alors, elle m'avait posé un ultimatum et banni de la maison. La tristesse et l'alcool n'étaient absolument pas une excuse et j'en avais pleinement conscience. Je m'étais reprise, du moins dans la vie quotidienne. J'avais réussi à garder mon emploi, pu m'acheter un petit appartement dans le centre-ville. Cependant, je n'avais plus ce qui était essentiel à ma vie : ma famille. Bien que mutilée, elle était encore présente. La mort d'Evan avait tout détruit.
« Il tourne,
Elle tourne,
Encore. »
- Comment vous sentez-vous aujourd'hui ? me questionna mon psy.
- Comme d'habitude. Monotone, las.
Je regardais le petit homme en costume gris, rondouillard et chauve, gribouillant ce que je venais de dire. Après m'être fait jeter dehors, j'avais décidé de rencontrer quelqu'un qui pourrait m'aider, et à me refaire mentalement. C'était peine perdue. Néanmoins, je continuais à y aller, pas parce que j'estimais en avoir encore besoin, mais simplement parce que c'était l'unique personne à qui je parlais vraiment. Sans devoir me cacher derrière un sourire, comme au travail, en faisant croire que tout allait bien, alors que c'était faux.
- Qu'avez-vous fait de votre week-end ?
- C'était l'anniversaire de mon petit-fils.
- Vous n'y êtes pas allé ?
- Oui. J'avais apporté un cadeau, comme chaque année. Seulement, cette fois-ci, j'ai sonné.
- Lexa, vous savez que vous ne pouvez pas.
- Je sais, mon ordre du juge. J'ignore ce qui m'a poussé à y aller et à sonner. Normalement, je me contente de laisser le cadeau sur le pas de la porte et de partir. Ni plus, ni moins. Peut-être que je voulais m'assurer qu'ils allaient bien. Dix ans ans à passer, je pensais que l'eau avait coulé sous les ponts. En tout cas, je ne me suis pas attardée.
- Quelqu'un vous a ouvert ?
- Oui. Mon ex-femme. Elle a d'abord été sèche, puis elle s'est calmée.-
- Vous avez pu lui parler ?
- Vaguement.
- Si vous ne me parlez pas, je ne pourrais pas vous aider.
- Ce n'est pas comme si j'avais beaucoup évolué en six ans.
- Peut-être que vous ne voulez pas être aidée.
- Bien sûr que si ! m'emportai-je, je veux pouvoir être à nouveau heureuse, pouvoir dépasser ma tristesse et la routine ennuyante de ma vie actuelle !
- Je vous crois. Mais il faut vouloir aller mieux, au fond de vous-même. Vous devez le sentir. En huit ans, j'ai eu le temps de vous observer, de vous écouter. Vous cherchez de la compagnie, quelqu'un qui connait votre histoire et qui ne vous juge pas. Je suis là pour cela, mais pas seulement. Vous n'avez jamais appliqué les conseils ou les propositions que j'ai pu vous donner. Je ne peux rien faire de plus si vous n'essayez pas, il s'arrêta un instant avant de reprendre calmement, Maintenant, dites-moi que lui avez-dit ?
- Je me suis excusée, pour tout, puis je suis rentrée chez moi.
- Comment vous êtes-vous sentie après vous être excusée ?
- Je ne sais pas. Triste, mais soulagée d'avoir pu le lui dire. J'aurai voulu le dire à ma fille.
Je me stoppai un court instant. Je soupirai longuement, puis je continuai :
- Elle m'a contacté le soir-même, elle m'a dit que je n'existais pour mon petit-fils, que je n'existais plus pour eux…Elle m'a aussi menacé, si je m'approchais à nouveau. Elle appellerait la police.
- Cela vous a-t-il blessé ?
- Je l'ai mérité, non ?
- Ce n'est pas ma question.
Je secouais la tête en lâchant un petit rire nerveux.
- Evidemment que cela m'a blessé. Ma propre fille qui ne veut plus de sa mère et qui veut la voir en prison, grondai-je, mais je ne peux pas m'en plaindre. On récolte ce qu'on sème. Par ma faute elle faillit mettre fin à ses jours, parce que j'avais voulu qu'elle meurt plutôt que son frère. Je suis une mère horrible. Un monstre. Alors j'imagine que me menacer d'aller en prison n'est qu'une maigre consolation pour elle.
- Vous vous sentez coupable ?
- Oui. Je le suis. Et je vivrai avec cette culpabilité jusqu'à la fin de mes jours.
- Pensez-vous vraiment ce que vous disiez ? quand vous souhaitiez sa mort ?
- Je ne sais pas. J'aimerai pouvoir dire non, mais je ne peux pas. Mes souvenirs sont vagues, dû à l'alcool, ainsi que la colère et la haine qui m'aveuglaient à cette époque-là.
- Imaginez que votre fille soit morte à la place de votre fils, auriez-vous eu un pareil comportement ?
- Oui, dis-je sans réfléchir, j'aime mes deux enfants, autant l'un que l'autre. Je pense que j'aurai réagi de la même façon.
- En êtes-vous sûre ?
- Sous-entendriez-vous que je préférais Evan à Elise ?
- Lexa vous m'avez toujours confié que votre fils et vous, aviez un lien très fort. Vous étiez son héroïne et vous vouliez le protéger à tout prix. Je ne doute pas de l'amour que vous portez à Elise, mais cela me semble évident que sans le savoir, vous aviez une préférence pour Evan. Je suis persuadé que vous n'auriez pas eu la même réaction si c'était Elise qui serait décédée. Vous auriez été très triste, certes, mais pas à ce point. Vous et votre famille auraient survécu à ce drame-là. Malheureusement, c'est Evan qui est mort sur le champ de bataille. Votre premier enfant, celui qu'on veut surprotéger quoiqu'il puisse arriver. Inconsciemment, vous avez échoué en tant que mère. Vous n'avez pas pu le protéger.
Je me mis à réfléchir à ces mots. Disait-il vrai ? Au fond de moi, avais-je toujours préféré Evan à Elise ? L'avait-elle ressenti pendant tout ce temps qui précédait sa mort ? et après ?
« Il tourne,
Elle tourne,
Encore. »
J'étais plus perdue que jamais. Assise dans mon canapé, je fixais le mur d'un regard vide. Les paroles de mon psychologue résonnaient fortement dans ma tête. Ces mots ne cessaient de tourner en boucle dans mon esprit. « Etait-ce vrai ? », me répétais-je incessamment. Je ne savais pas. Je ne savais plus. J'avais beau tenté de chercher une réponse, je ne trouvais pas. Tout était si flou. Je ne comprenais plus ce que j'étais. Je me perdais de jour en jour, d'heure en heure, de seconde en seconde… Le temps continuait de tourner, la vie également. Le monde continuait à bouger, à avancer. Tandis que moi, je restais indéfiniment dans mes souvenirs heureux d'antan, coincée dans mes erreurs sans pouvoir les réparer. J'étais bloquée ailleurs, mais pas dans le présent et encore moins dans le futur.
Je me dirigeais vers la salle de bains pour me passer de l'eau sur le visage. En me relevant, je me vis dans le miroir. Je fus surpris de ce que je voyais. Qu'étais-je devenu ? L'ombre de moi-même. Une loque. Une femme aux yeux verts vides. Mes cheveux longs et bruns avaient pris une teinte blanche, plus ce qu'il fallait pour mon âge. Ma tête légèrement ronde, avec la mâchoire carrée, le nez fin, la peau mate, les dents blanches et les lèvres rosées étaient devenus un visage creux, avec de nombreuses rides apparentes et j'étais pâle à faire peur n'importe qui. J'étais méconnaissable.
Je me reculais brusquement. Je ne voulais plus me voir, plus voir ce triste reflet de ce que j'étais. Je m'écroulais contre le mur derrière mon dos. Mes mains se passaient, avec violence, sans fin sur mon visage, comme pour effacer l'image que j'avais aperçue ou bien pour effacer cette figure qui n'était plus mienne. Plongée dans ma léthargie, je ressassais mon passé, tout en disant en boucle :
- J'ai tout gâché. J'ai tout gâché.
Plusieurs longues minutes étaient passées, mais cela ne se stoppait pas. J'étais devenue folle. C'était ça. J'étais folle. C'était de ma faute, j'aurais dû le retenir. Je connaissais les risques, tout comme lui. Il savait qu'il pouvait ne pas s'en sortir. J'aurais dû faire quelque chose. J'aurais dû l'en empêcher…Si seulement je pouvais revenir en arrière, j'aurais changé le court des choses. Néanmoins, ce n'était qu'un doux rêve face à une réalité tortueuse. Je ne pouvais plus rien faire. C'était terminé. Evan était décédé. Son corps éparpillé par-ci et là sur le champ de bataille, probablement dévoré par des charognards qui passaient. Ses os étaient sûrement devenus poussière aujourd'hui. Sa dépouille ne reviendra jamais au pays. Son cercueil était vide, enterré au cimetière des soldats partis au front. Je devais me reprendre. J'avais mis sous terre une boîte de chêne vide, alors que c'était lui qui aurait dû le faire. Il fallait que je m'y fasse. Il était mort. J'étais vivante. C'était fini.
« Il tourne,
Elle tourne,
Encore. »
J'arrêtais ma voiture. J'enlevais le contact et sortis. Des mois avaient passés depuis ma réalisation. J'avais repris ma vie en main. Je souriais de moins en moins pour cacher ma tristesse. Je riais plus aussi, mais d'un vrai rire cette fois. Je sortais de temps en temps avec des collègues. J'avais repris un peu de poids, j'avais même acheté un chat pour avoir un peu de compagnie à mon appartement. Je me sentais mieux dans ma peau et je commençais à me pardonner. Au fil du temps qui passait, je m'étais questionnée : Aurais-je réellement pu empêcher Evan d'aller sur le front ? Non, il était bien trop têtu. A part créer des disputes supplémentaires, je n'aurais rien pu faire. Evidemment, rien n'avait changé du côté de ma fille. Cependant, Clarke avait levé l'interdiction du juge, du moins pour elle. Nous avions pu boire un café dernièrement. Nous n'avions pas dit grands mots, mais cela avait été très agréable. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais sereine.
Nous étions en plein mois d'octobre, les feuilles commençaient à tomber des arbres pour recouvrir le sol de leur couleur rouge vif. L'air avait cette odeur si commune à l'automne, si agréable pour les narines. J'en profitais une dernière fois, avant d'ouvrir un grand portail en fer, peint de noir. Un grincement aigu désagréable parvint à mes oreilles froides. Je me baladais à travers toutes ces pierres tombales. Des milliers de soldats étaient placés ici. Combien d'entre-eux se trouvaient encore sur le terrain ? Combien de tombes vides avait-on enterré ici même ? Des centaines, je supposais.
J'arrivais devant la tombe d'Evan. Elle était recouverte par un petit duvet feuillu jaune et brun, que je repoussais brièvement avec ma main. Je m'agenouillais devant cette pierre blanche marbrée. Une légère brise fraîche agressait mes joues et les rougissaient. Je n'osais pas lever mes yeux par peur de m'écrouler de chagrin une fois de plus. Les lettres dorées croisèrent pourtant mes pupilles, je relus ces mots que j'avais tant vu :
« Evan Woods
19.09.1993-03.03.2018
A un fils, un ami aimé, un soldat vaillant
Que ton repos soit aussi doux et courageux que Toi »
- Mon fils. Voilà dix ans que je n'étais pas revenue ici. Il s'en est passé des choses en dix ans. Je suis devenue quelqu'un d'autre. Une personne que tu aurais détestée. J'étais ton héroïne, je serai devenu ton ennemie. J'ai fait des choses horribles à ta sœur et ta mère. Mais ça, tu dois déjà le savoir ? Mon psy pense que c'est parce que je n'ai pas pu te protéger. C'est vrai. Ça ne peut qu'être vrai. Peu importe cela ne change rien. Je ne suis pas excusable. Loin de là, commençai-je
Je baissais un peu la tête. Des larmes commençaient à monter. J'essayais tant bien que mal à me retenir.
- Aujourd'hui, je me suis reprise en main. Je communique un peu plus avec le monde autour de moi. J'ai repris un peu de joie de vivre. Je sors plus. Et j'ai revu ta mère. On s'était croisé par hasard à la sortie d'un supermarché. On a bu un café. C'est un premier petit pas. J'espère qu'il y en aura d'autres. On ne redeviendra certainement pas sur ce qu'on était, mais on peut réapprendre à se connaître. Dix ans ont quand même passé et nous avons toutes les deux changées.
Je souriais tristement. Quelques souvenirs défilèrent rapidement dans ma tête.
- Ta sœur refuse toujours de me parler. Je dirais même qu'elle refuse le simple fait que je puisse respirer encore. C'est compréhensible. Si elle est plus heureuse comme ça, alors je ne peux que l'accepter… Bref, j'espère que de là où tu es, tu ne m'en veux pas ou que tu me pardonneras. Je t'aime Evan, terminai-je la gorge serrée.
Je restais encore quelques secondes à fixer la pierre de marbre, quand une main se posa sur mon épaule. Je me retournais brusquement, quelque peu surprise. Je vis Clarke, avec un bouquet de fleurs blanches dans ses mains. Elle le déposa délicatement sur la tombe. J'ignorais si elle m'avait entendu, mais elle ne parla pas. Elle se contenta de rester là, à mes côtés, silencieusement. Puis, lentement, elle posa sa tête en douceur sur mon épaule, en ajoutant : « Evan t'a pardonné. Il sait que tu n'es pas cette personne que tu as été ». Un léger sourire entrava mes lèvres. Essayait-elle de me rassurer ? Assurément, et ça me réchauffait le cœur.
Je soufflais un bon coup et nous nous relevions. Je pouvais entendre certaines brindilles craquer sous notre poids. Emmitouflée dans mon manteau noir, une main dans les poches, l'autre dans celle de Clarke. Nous quittions le cimetière ensemble. Passé le portail de fer, d'un accord en commun nous nous séparions, sans prononcer un mot. Nous savions que nous nous reverrions très bientôt, mais pour l'instant, chacune allait reprendre sa vie, du mieux qu'elle le pouvait.
« Il tourne,
Elle tourne,
Encore. »
