I - Barba
1.
Elle est dans la galerie quand ils viennent la chercher.
Bethany, Bethany ils crient, mais elle ne se retourne pas. Viens Aegor, on court, elle saisit l'enfant par la main et il rit comme elle l'entraine dans les escaliers. Bethany!, et elle débouche dans le bois sacré derrière la cour, en riant elle aussi, ébouriffée, rouge de sueur. La nouvelle, elle la connaît déjà.
Le bois sacré des Bracken est clair, bien entretenu, comme un jardin d'agrément, sans doute pour marquer la différence avec le sombre bois qui sert de lieu de culte aux Nerbosc voisins. Ils sacrifient des enfants à leur arbre elle se souvient, au crépuscule quand les corbeaux croassent (ce n'est qu'un conte de bonne femme, elle le sait, mais elle aime bien l'idée).
Une fois elle demande à sa sœur ce qui adviendra de Missy et de ses enfants quand elle aura pris sa place, et sa sœur répond, riant à moitié, ils pourront toujours se servir des gosses pour nourrir leur arbre. Elle ajoute perfidement, il parait que le fils de la garce est de la même couleur que leur bout de bois, on lui trouverait là une certaine utilité, je suis sûre qu'Aegon ne serait pas contre l'idée. Barba est très fière de savoir que tout ce que Missy a réussi à donner au roi comme enfant, c'est deux gamines, et un espèce d'avorton généré, quand son fils à elle est déjà grand, fort et tellement beau.
Le roi vient à Stone hedge, elle lui déclare dans le jardin silencieux. Derrière, l'arbre cœur se fout de sa gueule.
2.
Barba aime peut-être son bâtard, comme un souvenir d'Aegon, comme la preuve par ses yeux qu'elle a été aimée, qu'elle a été reine (presque). Elle se demande si elle échoue, est-ce que Barba le choiera toujours autant, ou s'il deviendra pour elle un souvenir douloureux, d'échec et de honte. Un élément gênant du décor. Elle pense à ses propres enfants, à ses bâtards à venir. Que vont-ils faire d'eux ? Parfois elle serre le petit Aegor contre elle jusqu'à l'en étouffer, en imaginant que c'est son propre fils. Que vont-ils faire de moi, quand le roi sera lassé ?
3.
La garce a bien réussi son coup, explique Barba. Aegon aime le changement, pute ou prude, noble ou roturière, il les prend toutes. Mais à jouer la pucelle effarouchée, elle s'est trouvée des alliés du bon côté, renifle-t-elle. Ils doivent être contents d'avoir placé leur créature dans le lit du roi.
(Ils, c'est leurs ennemis, les sangs-de-laits, les dorniens, les mestres, les Nerbosc, et toute la clique de la reine et du prince Daeron ; mes ennemis, elle se souvient.) Barba lui a fait mille fois le portrait du prince : mou, faible, soumis aux femmes, (sa mère, et sa dornienne d'épouse). Elle entretient pour lui, la reine et son chevalier une haine toute particulière. Ce sont eux qui ont eu sa place, et sa réputation. A défaut de sa tête, elle persifle. Le prince est le pire, il cache bien son jeu. Un hypocrite-né, tout le contraire de son père, à se demander qui l'a réellement engendré, elle lui confie une fois. Prend garde Bethany, Aegon peut t'aimer, et il t'aimera, mais il ne sera jamais tien, pas totalement. On n'apprivoise pas un vrai dragon.
Bethany se demande si Barba l'aime encore, malgré le temps, malgré les distances et les blessures, comme elle l'aimait jadis, quand elle lui écrivait, il est mon soleil, il est ma joie, je n'ai besoin que de lui, et si je le perdais j'en mourrais de chagrin. Elle sait que sa sœur souffre de le voir ainsi corrompu, vieilli, quand elle avait pour elle le jeune chevalier fringant, le soldat de la conquête de Dorne. (Elle sait qu'elle tient Melissa Nerbosc pour responsable de cela aussi.) Elle l'a castré avec ses prières, ses charités, sa fausse piété, elle et sa clique d'hypocrite. Ils l'ont castré pour mieux gouverner derrière son dos. Ils ont voulu lui rogner les griffes, elle se reprend plus bas, mais ils n'ont pas compris que c'est lui le vrai dragon, tous ces sangs de lait, ces chiens dorniens, et qu'il va le leur montrer, (elle la regarde sérieusement), que tu vas le leur montrer !
4.
Ses enfants seront sa chute proclame Barba. La vache aime procréer, et Aegon est toujours fier de ses bâtards, mais il en est vite jaloux aussi. Elle s'y accroche, à ce qu'il parait elle en est folle. Lui s'en lasse. S'il vient c'est qu'il est déjà lassé, elle ajoute.
Son père, lui, dit : La Lothston veut faire de sa fille la future favorite, elle n'a pas une once de ta propre beauté, nous devons lui barrer la route. Mais elle est la fille d'Aegon, elle pense effrayée. C'est donc ça qui attend mes enfants ? Elle prie plus fort pour un petit garçon. Le roi ne s'intéressera pas à Jeyne Lothston, dit sa sœur, il aime jouer son petit jeu entre nous.
Nous, les Bracken et Nerbosc, une famille en soi, rit Bethany. Ils vivent l'un avec l'autre, sans jamais se voir, leurs présences hantant chacun de leur geste. Tous les rois ont leurs propres jeux cruels. Elle se demande si Missy a une petite sœur qu'ils entrainent à plaire à Aegon. Peut-être que ce sera le rôle d'une de ses filles.
Bethany se demande aussi où est la limite entre le vrai des souvenirs de Barba, et le mythe qu'elle s'est fait de son ancien amant, les nuits où elle crie pour trouver son sommeil. Celles où elle boit un verre de trop (ce n'est pas digne de la fille aînée de Lord Bracken, mais aux yeux des lord du Conflant, elle est déjà perdue).
5.
Bientôt tu auras peut-être des cousins avec qui jouer, elle dit distraitement, tu aimerais ça Aegor ?
Il la regarde avec un air sérieux, de ses yeux violets, avant de dire solennellement, ce serait splendide. Elle rit et lui ébouriffe sa tignasse noire. Ton père chevauche pour venir te voir.
Il vient plutôt pour te voir toi, rectifie Barba, ses yeux fixés sur sa nuque, et Bethany sent un frisson parcourir son échine. Ou serait-ce pour toi, grande sœur ?
