Disclaimer : Tite Kubo. Le titre de la fic vient de Bashung.
Warning : slash, même que le GrimmIchi y est progressif parce qu'ils ne vont pas s'apprécier tout de suite, ça va prendre des années en fait.
Note : c'est pas tout à fait ma première fiction, j'en ai posté et supprimé plusieurs (tentatives ratées qui dataient grave). Mais c'est ma première fic sur l'univers de Bleach ; enfin, univers c'est vite dit, c'est un UA, je pique juste les personnages pour m'amuser avec. Pour le moment quatre chapitre sont rédigés, je sais d'avance que ça sera une longue fic. J'espère que ça vous plaira.
Chapitre 1 – War child
« I see a red door and I want it painted black. »
Rolling Stones
Juillet 1997
Le gouffre se creuse, les disparités se figent, l'enfant terrible étale l'amertume sur son lit de précarité. Il se trouve différent. Son regard bleu perçant le sort du lot, la forme occidentale de ses yeux attise moqueries et rejet mais le gamin arrive à passer outre la différence de ses yeux. Parce que celle de ses cheveux est encore plus vive : le bleu intense de ses cheveux est la première cause des ecchymoses de son corps. Il n'est pas un gamin faiblard. Du haut de ses neuf ans, il affronte et tient bon, même s'il manque cruellement d'entraînement. Mais il se défend, autant qu'il peut, avec ses petits poings enragés, témoignant de sa rage juvénile qui abîme et sévit. En surnombre, il ne fait pourtant pas le poids : on le rétame en quelques coups et depuis que les autres gosses ont compris que c'est la seule façon de le mettre à terre, ils l'utilisent inlassablement. Son crâne et ses sourcils sont entièrement rasés, à cause d'une altercation qui a mal tourné. Sa punition pour s'être défendu.
Il n'a jamais aimé les autres gosses. Les autres orphelins au passé douteux, présentement instables et sans avenir. Même s'il a lui-même tous ces défauts, Grimmjow ne brime pas les autres. Pas les plus faibles, c'est une question de principes. Et puis, il est quelqu'un de solitaire, il garde sa salive pour lui et vogue sans compagnie. Ça l'emmerde. Le social, les formalités – les gens, tout simplement. Même ceux qui ne le regardent pas de travers, Grimmjow ne peut pas les voir en peinture. Il préfère qu'on lui foute la paix. Même si parfois, pour y parvenir, il a besoin de se montrer irrespectueux et brutal. À force, certains ont compris qu'il préférait la solitude en guise d'amie. Mais ça n'empêche pas de prendre des coups, de la part des merdeux à la coupe au bol qui se prennent pour les rois de l'orphelinat.
Grimmjow n'aime pas cet endroit. Trop blanc, trop fade, trop impersonnel. Trop bruyant aussi, trop de gosses qui pleurent. Les cris, il les entend tous les soirs. Beaucoup de jeunes garçons qui pleurent la nuit, ça l'a surpris la première fois – Grimmjow a toujours pensé que les filles étaient pleurnichardes. Mais à l'orphelinat, elles sont les plus fortes, psychologiquement. Il les admire. De loin. Lui, il n'a jamais versé une seule larme dans ce lieu sordide. C'est qu'il y vit depuis ses deux ans environs, sa mémoire défectueuse ne se rappelle pas de sa vie avant l'orphelinat. Même s'il possède une photographie qui montre sa famille – une photo dont il ne se rappelle rien. Les parents représentés dessus ne lui disent rien. Ce sont des inconnus. L'enfant dans les bras de la femme lui ressemble énormément, pourtant, Grimmjow se sent étranger dans ce tableau monochrome. Mais ce n'est pas grave. Il n'a pas besoin de parents. Il peut prendre soin de lui-même.
Après tout, il a neuf ans. Il ne sait peut-être pas faire la lessive mais il sait comment utiliser le micro-ondes. Il n'aime pas manger dans le réfectoire, la présence des autres marmots l'horripile – et puis, même s'il ne l'avouera jamais, l'enfant n'a rarement le temps de finir son repas à cause des autres qui viennent l'embêter. Et la nourriture est vraiment importante pour qu'il puisse s'en passer. Pour s'en procurer, il ne lui reste plus que le vol. Au début, il volait de la nourriture dans les cuisines. Mais à force de prendre goût au vol, Grimmjow s'est dirigé vers les épiceries – beaucoup plus de choix et la qualité y est bien meilleure. De temps en temps, il dépense ses pécules pour acheter la bouffe, allégeant sa conscience autant qu'il peut. Mais justement, les billets ne tombent pas du ciel, Grimmjow ne perçoit pas d'argent de poche. Ça aussi, il a appris à le voler. Plus facile que de voler la nourriture, les billets ne prennent pas trop de place. Ses poches sont nombreuses pour contenir les pièces.
Mais il ne peut se permettre de faire les poches des passants continuellement – il n'est pas un garçon très discret. Souvent, il se fait prendre sur le fait et est obligé de prendre ses jambes à son cou. C'est ce qui l'a poussé un jour à s'introduire dans une maison qu'il avait espionnée antérieurement pour voir s'il n'y avait personne. Ce n'était pas une maison extraordinaire, l'alarme ne fonctionnait même pas. Mais pour Grimmjow, ça avait été suffisant : quelques bijoux et des billets laissés çà et là. Pas beaucoup, seulement assez pour s'acheter de la nourriture pour deux semaines. Et également quelques jouets, même s'il les a cassés au bout de quelques jours.
Depuis, il a fait profil bas et n'a pas réitéré ce crime. Jusqu'à ce que l'envie de bonbons qui crépitent le prenne soudainement.
Sans prévenir personne, Grimmjow saute le grillage de l'orphelinat dans l'intention de ne pas revenir avant un bon moment. C'est une habitude, à présent, de partir quelques jours et revenir bredouille – ça n'inquiète personne. Qui s'inquiéterait pour un orphelin, après tout ? Avec ses vêtements les plus chauds sur le dos, même si troués, il cache son crâne sous la capuche. Quelques plaies n'ont pas encore guéri – on l'a rasé grossièrement avec un rasoir sans même faire attention. Il arpente le quartier résidentiel silencieusement, guettant le moindre mouvement brusque dans les maisons. Mais il y a une maison qui attire son regard : elle semble être plongée dans le noir alors qu'il n'est même pas encore 21h. Signe qu'elle est vide actuellement. Il remarque qu'aucune voiture n'est garée aux alentours – ce qui renforce sa certitude. En quelques pas, il atteint la boîte aux lettres. Kurosaki. Cette maison fera l'affaire. Même s'il n'est pas le voleur le plus efficace ni le plus discret, il est certain de parvenir à piquer quelque chose. Peu importe. Un regard, quelques mots, une menace – n'importe quoi pourvu que le trou dans son être soit comblé.
Les films d'horreur l'ont toujours fasciné. Pas de frissons de peur, uniquement une fascination morbide pour la Mort. Les films américains sont intéressants mais ils ne valent rien à côté des films japonais – sa patrie sait parfaitement sur quel sujet tourner pour arracher quelque chose aux spectateurs. Ichigo n'a jamais vraiment su pourquoi il était aussi intéressé et si peu effrayé. Quelques sursauts, lors des scènes les plus morbides, et rien d'autre. Pour un enfant de neuf ans, son absence de réaction ne semble pas l'inquiéter. Ça n'inquiète personne en vérité, principalement parce qu'il regarde ce genre de films en cachette. Personne ne se doute de rien, personne n'intervient – il est très heureux de se plonger dans cette fascination. Sans même savoir d'où elle vient.
Mensonges. Il sait parfaitement ce qui a causé tout son intérêt pour le morbide.
Maman est décédée.
Non, c'est faux. Elle a été assassinée. Il y a près de deux mois. On ne lui avait jamais vraiment expliqué le concept de la Mort, il n'avait pas tout à fait réagi quand son père lui avait annoncé cette fatalité. Puis, il avait remarqué l'absence de sa mère les jours suivants et ça a créé un déchirement. Des picotements, dans son corps. Des éraflures, dans son cœur. C'est douloureux de perdre sa mère. C'est encore plus douloureux de vivre avec son absence, malgré les nombreuses photos placardées dans la maison. Comme pour ne jamais l'oublier. Comme s'il pouvait l'oublier.
Ses deux petites sœurs ont à peine quatre ans qu'on leur arrache Maman. Leur père s'acharne à l'hôpital, enchaîne des heures de travail pour leur assurer un avenir paisible. En l'absence de son père, Ichigo prend son rôle de grand-frère à cœur. Beaucoup trop même, quitte à se séparer de son sommeil et veiller devant la chambre de ses frangines. En bas, la babysitteur s'est encore endormie sur le vieux canapé. La vieille voisine n'accomplit son rôle qu'à moitié : elle dort plus qu'elle ne surveille les enfants. Mais cela ne dérange pas Ichigo, puisqu'il est naturellement protecteur. C'est son rôle de protéger les siens. Son rôle d'éloigner les monstres des films qu'il a vus.
Il a éteint le son de la télévision ainsi que la lumière de la cuisine, pas le moins du monde effrayé par l'obscurité. Ses babouches traînent sur l'escalier lorsqu'il remonte pour se poster devant la porte de la chambre de ses sœurs. Armé d'une batte de baseball en bois – au cas où, un homme Sans-Visage paré d'un costume n'entre dans la maison. Dans le dernier film qu'il a vu, l'individu s'était chargé de tuer ses proies à l'aide d'une hache.
Ichigo frissonne. De peur, de détermination – peu importe, il doit pouvoir se défendre face aux monstres. Son père lui a déjà dit que les monstres n'existent pas. Mais l'enfant est persuadé qu'ils existent, même s'il n'en a encore pas vus. Il se dit qu'ils habitent sans doute dans un autre monde, une autre dimension peut-être où des protecteurs en Shihakushō se battraient contre les monstres pour protéger l'Humanité.
Il soupire et se laisse adosser contre la porte, tenant sa batte fermement dans ses mains. Ferme les yeux et fait le vide – il n'a pas peur des monstres. Pas de monstres tant qu'il n'alimente pas sa peur. Pas de peur, les battements de son cœur imposent le rythme. Une tonalité lente et apaisante, pas de peur tant que bat son cœur.
Des heures s'écoulent et la maison demeure silencieuse. Même les ronflements de la vieille voisine s'étiolent et ne deviennent que de faibles inspirations – elle a sans doute changé de position dans le canapé. Ichigo se bat contre le sommeil qui tente de l'arracher à sa position mais il tient bon, il est fermement résigné, quitte à défendre sa maison contre ses propres démons imaginaires.
Jusqu'à ce qu'il entende de faibles sons venant du salon.
Les sons attirent son attention car il sait parfaitement que ce n'est pas la vieille voisine : elle s'est de nouveau remise à ronfler. Pourtant, les sons nouveaux qu'il entend sont assez faibles et surtout espacés. Comme si quelqu'un tentait de toutes ses forces de faire un pas après l'autre, lentement, en toute discrétion. Mais en échouant complètement.
C'est sans doute son imagination qui lui joue des tours mais Ichigo se relève et se dégourdit les jambes. Il veut avoir le cœur net, quitte à affronter le silence de la maison et l'obscurité des lieux. Il parvient également à mettre sa peur en sourdine, la verrouillant dans un compartiment de son cerveau tout en descendant l'escalier.
Évidemment, c'est son imagination qui le fait disjoncter. Dès le moment où ses pieds touchent le sol, tout bruit étrange disparaît. Il s'avance pourtant dans la pièce, jusqu'à se diriger vers la cuisine à tâtons – il n'a pas besoin de lumière pour se repérer dans sa propre maison. Au vue des nombreuses nuits qu'il a passées à arpenter les lieux, à cause du moindre bruit suspect, Ichigo est habitué à présent.
Les minutes s'égrènent lorsqu'il vérifie la cuisine ainsi que le salon, où la vieille voisine continue de ronfler. Même s'il explosait une bombe à côté, elle ne se réveillerait pas. Il soupire, se faisant la note mentale d'en parler à son père : pas besoin de quelqu'un pour les surveiller, Ichigo accomplit parfaitement ce rôle.
Il décide de remonter, traînant la batte par terre, en faisant lui-même de petits bruits qui ne réveillent pas la maisonnée endormie. Mais il se fige brusquement dans le couloir, lorsqu'il constate que la chambre de ses parents – uniquement de son père, à présent – est ouverte. Même s'il a une imagination débordante, il est certain d'avoir fermé cette porte.
Ce constat fait, il s'avance jusqu'au bout du couloir et se raidit instantanément, sa main libre se cramponne au chambranle tandis que de son autre main, il relève son arme.
Ses doigts glissent sur l'interrupteur et il allume la lumière.
Ses yeux se fixent sur le voleur qui s'est également arrêté dans son geste. Leurs yeux se croisent mais aucun des deux ne fait un geste. C'est un enfant qui se trouve dans la pièce, peut-être même du même âge que lui mais un gamin qu'il n'a jamais vu de sa vie.
– Rends-moi tout ce que tu as pris, ordonne-t-il en rompant le silence tendu.
– Tu rêves, ce que j'ai pris m'appartient maintenant.
La voix de l'enfant est ennuyée, comme s'il était certain de sortir de cette maison les poches remplies de trouvaille.
– Ne me fais pas répéter une deuxième fois.
Mais Ichigo ne reçoit qu'un rire narquois de la part de l'autre enfant. Un rire qui l'irrite et l'agace sans qu'il ne puisse se contrôler.
– Tu peux répéter autant que tu veux, je vais rien te rendre. Et je vais même continuer à piquer des trucs, dit l'enfant capuchonné en continuant à fouiller les tiroirs et en attrapant un bracelet.
Celui de la mère d'Ichigo.
Ichigo s'avance sans hésitation vers l'autre enfant, attrapant sa batte avec ses deux mains. Il n'a encore jamais blessé quelqu'un. Hormis lors des entraînements de karaté mais ça ne compte pas. Cette situation n'a rien à voir avec un entraînement.
C'est réel.
Mais il a la certitude qu'il pourrait blesser... pour protéger ses sœurs.
Comme une façon de se racheter auprès de sa mère qu'il n'a pas pu protéger. Encore moins sauver.
Ichigo a neuf ans et se prend pour un héros des temps modernes. Raté, complètement inconscient et particulièrement fade – mais il s'en fiche, tant qu'il est déterminé à protéger tout le monde.
Même s'il doit blesser un autre enfant.
– Rends-moi ce bracelet, dit-il avec un tremblement incontrôlé dans sa voix, la batte toujours dans ses mains.
L'autre enfant semble énervé, la colère étirant ses traits du visage. Mais le voleur arrête la fouille et s'avance vers Ichigo, qu'il bouscule au passage.
Ce dernier se cramponne à son sens de l'équilibre pour ne pas tomber et s'humilier.
– Tu m'impressionnes pas, demi-portion.
– Je te laisserai pas quitter ma maison ! crie Ichigo en s'avançant vers l'autre, tentant d'être le plus menaçant au possible.
– Tu serais capable de me tuer, pour me retenir ? provoque le voleur, un sourcil arqué.
Durant quelques secondes, Ichigo ouvre la bouche mais la referme, incertain de ce qu'il doit répondre.
Ignorant le sens véritable de ces mots.
Bien sûr, il sait ce que tuer signifie. Il a vu de nombreux exemples dans les films.
Dans la réalité aussi : sa mère a été assassinée.
Pourtant, il n'a jamais été confronté à ce constat lui-même, face à un autre individu.
– O-oui, répond-il au bout de quelques minutes. Je le ferai, ajoute-t-il avec plus d'assurance.
Parce que la seule chose qui tourne dans son esprit est qu'il doit protéger ses sœurs. Les protéger, comme il aurait dû le faire avec sa mère.
Il ne sait pas si l'autre enfant a gobé sa réponse mais il est vite surpris lorsque le voleur débute une bagarre en lui assénant un coup dans l'estomac. Dans le mouvement, il perd sa capuche et Ichigo lâche sa batte. Celle-ci roule sur le côté. Ichigo est énervé à son tour, il tente de rendre son coup à l'autre enfant. La bagarre reste enfantine, cependant, les coups portés n'ont rien de puissant : ce ne sont que deux gosses perdus qui s'affrontent, petits poings contre petits poings.
– Je te laisserai pas t'en tirer comme ça ! beugle-t-il en essayant de prendre le dessus sur le crâne rasé.
Au bout de quelques minutes, Ichigo y parvient, sans même savoir comment ni pourquoi. Peut-être parce que le voleur a été inconscient ou qu'il s'est perdu dans ses pensées mais ce fut une véritable erreur de sa part : Ichigo est parvenu à l'immobiliser au sol, en lui retournant le bras dans son dos.
Assis sur le corps de l'enfant, il avance son autre bras jusqu'à reprendre sa batte à sa droite et fixe son vis-à-vis qui a cessé de se débattre.
– Je vais te tuer, oui, dit finalement Ichigo, ses propres mots tournant en boucle dans son esprit.
A-t-il vraiment dit cela ? Est-il à ce point aveugle, pour ne pas voir la gravité de ses paroles ?
Mais c'est sans doute le regard effaré du voleur qui l'interpelle. La lueur de frayeur qui est passée dans ses yeux, même quelques secondes, Ichigo l'a vue. La frayeur – tous les enfants la connaissent. Même ceux qui jouent les durs, ceux qui prétendent n'avoir peur de rien. Ceux qui prétendent n'avoir besoin de personne.
C'est entièrement faux. Tous les enfants ont besoin de quelqu'un, de quelque chose auquel s'accrocher.
La peur les rend humains, se distille dans leurs veines juvéniles et provoque des cris et des larmes. Des bagarres, parfois. Des menaces qu'aucun ne pense.
Il frissonne. À cause de ce constat amer. Il se relève. Libère l'autre. Le voleur ne se fait pas attendre et part, tout en bousculant Ichigo une dernière fois. Claque la porte d'entrée.
Les bijoux ne sont plus.
Qu'un lointain souvenir.
Mais Ichigo se fiche des bijoux.
Il n'a pas besoin de bijoux pour se rappeler sa mère.
Pour qu'elle lui manque à ce point. Comme une obsession impitoyable d'un enfant ayant perdu la personne la plus importante de sa vie.
Les jours s'écoulent, Ichigo continue à garder la chambre de ses petites sœurs. Son père a été attristé que les bijoux soient volés mais il n'a pas grondé son fils, il l'a simplement pris dans ses bras et répété inlassablement à quel point il est fier de lui.
Sa fascination pour la Mort s'essouffle, il ne trouve plus aucun intérêt à regarder les films d'horreur.
L'enfant-voleur n'est jamais revenu.
